jeudi 22 février 2018

La République de 1848 à Uzès et la suite

Rue d’Uzès par José Belon- fin 19ème


a La République de 1848 à Uzès et la suite :

« La politique n’est pas un long fleuve tranquille… »


Au printemps 1848, presque toute l’Europe gronde. Les monarchies sont contestées.  En France Louis-Philippe abdique le 24 février 1848. (Louis-Philippe)
C’est le dernier roi « des Français » (le premier était Louis XVI) et non roi de « France et de Navarre ». Depuis la Révolution de 1789, nous avons vécu un empire avec Napoléon, trois royautés avec Louis XVIII, Charles X pour la Restauration, et Louis-Philippe, sans compter la Terrreur Blanche et Quatretaillons de 1815 (voir article sur le blog sur le Brigand de Valabris  31-3-2017). 
Un gouvernement provisoire proclame la IIème République. 

A Uzès le parti catholique décide de se rallier au nouveau gouvernement et peut-être un peu à contre-cœur, chante la Marseillaise dans les rues avec le reste de la population. Les différentes places de la ville sont en liesse et proclament le renouveau. A l’Hôtel de Ville la foule réclame le buste de Louis-Philippe aux conseillers municipaux qui étaient au balcon. Devant leur refus, elle envahit le bâtiment et s’emparant du buste le jette du haut du balcon et il se casse en mille morceaux. Le tableau du roi n’est sauvé que grâce au réflexe d’un employé de la mairie qui le détache de son cadre et le cache dans un rayon de la bibliothèque.
Tour de l'Evêque et son coq
Puis la foule se rend à la tour de l’Evêque pour prendre le coq gaulois qui surmontait l’horloge de la tour. Le but est de le trainer avec une corde au cou dans les rues de la ville. Monsieur de la Bruguière réussit à le prendre pour le mettre en lieu sûr chez lui. Le coq retrouvera son perchoir plus tard.

Le 3 mars 1848 sur proposition du commissaire du gouvernement M Teulon, la municipalité est ainsi constituée : MM Ode avocat, maire d’Uzès, Ferrand de Missol premier adjoint, Ernest Vincent second adjoint. On plante deux arbres de la liberté de 8m 50 (? nous dit la chronique) de hauteur, peints aux couleurs nationales. Des arcs de triomphe ornent les maisons des édiles. La garde nationale est réorganisée avec MMs de La Bruguière, Ferrand de Missol colonnel et lieutenant-colonnel, Euzéby, Fontarêches, Puech, Crey, Boucarut, Chamand, Bastide…… des noms de la riche bourgeoisie ou ancienne noblesse, des notaires, avocats, avoués…… Un club est organisé au Duché, le « Club de la Souveraineté du peuple » ; il compte un peu plus de 1700 membres du parti catholique. Ode est nommé procureur et le club désigne Dampmartin maire d’Uzès, décision acceptée par l’autorité supérieure. Près de 60 ans après la Révolution de 1789, la démocratie est encore très limitée, exercée seulement par certains.

Les élections des députés sont fixées pour le 23 avril. Le suffrage universel est instauré, mais réservé aux seuls hommes de plus de 21 ans. Depuis 1815, le vote était redevenu censitaire et réservé aux hommes de 30 puis 25 ans. Pendant une période, les plus imposés pouvaient voter deux fois !!

Les élections ont lieu dans la salle du tribunal d’Uzès. Les électeurs sont classés par ordre alphabétique et patientent dans les allées de la cathédrale. A la tête des électeurs de chaque commune, le maire et le curé attendent leur tour. Le procès-verbal des résultats sera porté à Nîmes le lendemain. Provisoirement il est posé sur un brancard, entouré de lauriers et de drapeaux tricolores, puis porté en triomphe à l’Hôtel de Ville avec fanfare, tambours à la clarté de cent torches. De retour de Nîmes, Camille François Hyacinthe de Carmes de La Bruguière est ovationné, un arc de triomphe est dressé devant sa maison, « arc de triomphe qui dépasse le toit ». (les prénoms sont là pour s’y retrouver dans la généalogie de la famille)
Notre nouveau député est issu de la branche aînée d’une famille royaliste. Il est né à Laudun (Gard) en 1791 et décède à Uzès en 1862. Il s’oppose au gouvernement de Louis-Philippe. Sous l’Empire et la Restauration il est officier, prisonnier après la Bérézina dans la campagne de Russie. Il sera en 1848 de l’assemblée constituante et de l’assemblée législative. Aujourd’hui nous dirions que c’est un homme de droite. Réélu en 1849, il vote pour les poursuites contre Louis Blanc et Marc Caussidière, contre l’abolition de la peine de mort, pour la loi Falloux sur l’enseignement.
Uzès échappe aux menées ultra-gauches des Blanqui, Barbès parisiens. Depuis la fin du Premier Empire, on n’a pas cessé de comploter dans le microcosme politique de droite comme de gauche, le pays tangue comme un bateau ivre. 
La nouvelle Constitution est lue place aux Herbes en grande pompe par le maire d’Uzès Dampmartin en présence du député La Bruguière et du sous-préfet. Le prince Louis Napoléon est d’abord élu député à l’assemblée constituante en juin dans quatre départements, puis président de la République en décembre 1848 à une très forte majorité. C’est notre premier président de la République, le plus jeune jusqu’à peu et sera le dernier souverain de France. Et cela jusqu’au 1er mai 1852, proclamation de l’Empire, et le coup d’état qui a lieu le 2 décembre 1851 mettant fin à la IIème République… De nationalité suisse, il sera le seul président suisse de notre pays !! (en 1832)

Les débuts de la République sont entachés par la répression sanglante des ouvriers parisiens qui protestent contre la fermeture des ateliers nationaux, les Journées de Juin (22 et 26 juin). Un bilan terrible 5 000 insurgés tués ou fusillés, environ 1 500 soldats tués, 25 000 arrestations et 11 000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie. Louis-Napoléon n’est pas compromis dans cette décision. Mais le mal est fait. Ces journées de juin creusent alors un fossé temporairement infranchissable entre les autorités de la République et les ouvriers. Jusqu’à la Première Guerre Mondiale, nous aurons la répression et la déportation faciles.
En 1850 notre ancien maire et procureur sous le gouvernement provisoire Ode avec un avocat d’Avignon Alphonse Gent et une cinquantaine de personnes sont arrêtés à Lyon pour complot socialiste, condamnés et déportés. Conspirations, manigances, intrigues, conjurations, embrouillamini romantique, nous ne sommes pas encore guéris !! Malgré l'absence d'internet et son système de communication rapide, nous subissons les éclaboussures des complots parisiens.
Le coup d’état du 2 décembre 1851 est annoncé à Uzès par une dépêche télégraphique affichée sur les murs : l’assemblée nationale est dissoute, de nouvelles élections sont envisagées. L’inquiétude est à nouveau là. Des bandes armées sont aux portes d’Uzès bien que la ville reste calme. Le maire Dampmartin est très présent sur le terrain pour rassurer et veiller au bon ordre. Des patrouilles de la garde nationale et d’une compagnie d’infanterie sont organisées, en particulier la nuit. Notre département sera mis en état de siège comme 31 autres départements et l’armée, une colonne mobile du 8è Léger procédera à des arrestations les 5 et 6 décembre. Environ 65 personnes seront incarcérées dans notre prison d'Uzès. 21 d’entre eux seront conduits à Nîmes le dimanche de Pâques 11 avril 1852, devant une commission mixte. Enchaînés deux par deux, escortés par deux brigades de gendarmerie et d’une compagnie du 8è Léger, armes chargées et ordre de faire feu en cas d’évasion. Certains seront libérés, d’autres emprisonnés au Vigan, ou déportés. Ceux qui avaient fui sont condamnés au bannissement. C’est un peu près la même chose dans toute la France. Victor Hugo s’est exilé à Bruxelles.
Les 20 et 21 décembre les réformes du « prince président » sont plébiscitées par sept millions et demi de suffrages.  Dans certaines régions, seuls les bulletins Oui sont imprimés, les Non devant être écrits à la main avant que le bulletin ne soit donné au président du bureau de vote pour qu'il le glisse lui-même dans l’urne !!.
Le second empire n’est pas loin, le 2 décembre 1852 après un autre plébiscite. Déjà le 7 novembre 1852, le Sénat adopte le sénatus-consul qui donne à Louis-Napoléon l’Empire héréditaire sous le nom de Napoléon III. Mais il faut une sanction populaire par la voie des urnes..  A Uzès 1141 oui, contre 122 non, et sur le département un peu plus de 83 000 oui contre près de 4400 non. Ces élections seront saluées dans la ville par des salves d’artillerie. Aux législatives de 1852 le Duc d’Uzès est nommé député de notre arrondissement.
a Assassinat de Dampmartin maire d’Uzès

Le 30 septembre 1852 le maire d’Uzès le vicomte Jean Antoine Roch Anne Tancrède de Dampmartin est assassiné. Il est 4 heures et demi du matin sous les arceaux de la place du Puits-des-Cercles, actuelle place Dampmartin. Le préfet l’avait convoqué à Nîmes à l’occasion du passage du nouveau président de la toute neuve république Louis-Napoléon. L’Empire sera proclamé le 2 décembre de la même année. 
L’assassin a tiré deux coups de feu à quinze ou seize pas de distance de sa victime. Le domestique qui précédait le maire,  court après l’assassin, mais en vain.

Hôtel Dampmartin Uzès avant et après rénovation
Dampmartin était aussi membre du Conseil général du Gard. Il est légitimiste, mais l’enquête va laisser de côté un éventuel aspect de politique nationale. Elle va s’orienter vers une brouille et des menaces verbales d’un certain Mounet, maître-maçon. C’est la consternation dans Uzès. La rumeur, l’opinion publique dès le premier moment a désigné Pierre Mounet dit le Cadet. Il est fâché avec le maire semble-t-il parce qu’il ne fait plus partie du conseil municipal. Plusieurs fois il se vante de vouloir tuer l’édile qui lui a porté préjudice.
    La cour d’assise de Nîmes est récusée pour cause de suspicion légitime et c’est celle de la Drôme à Valence qui jugera l’affaire.
La cour d’assise le condamne à mort et il est exécuté à Valence le 19 septembre 1853 sur la place St Félix à six heures du matin, pratiquement un an après son forfait.

Portrait XIXe Henri Cabot de Dampmartin Uzès Gard Révolte des Masques Armés 1821 Musée Borias d’Uzès – père de Tancrède -
Tancrède de Dampmartin avait eu une vie politique au service de l’Etat bien remplie. Né à Montségur dans la Drôme en 1787, à 24 ans il est au Conseil d’Etat ; en 1813 il est attaché au 4è Régiment des Gardes d’Honneur, 1816 chevalier de la Légion d’Honneur, sous-préfet sous la Restauration à Carpentras puis à Orange. Il est maire d’Uzès depuis 1848. Des ancêtres conseillers à la Cour des Aides de Montpellier, commandant de la ville d’Uzès, grand voyer général aux finances de Montpellier, maréchal de camp et littérateur distingué (Henri son père)…. Des ancêtres communs au 16ème siècle avec les Clausel et les Bargeton de Vallabrix. Son fils Anatole décède tôt, sa fille est mariée au Prince  François de Broglie.




Uzès prend peu à peu son visage d’aujourd’hui : sur l’Esplanade dont le terrain a été abaissé pour ouvrir la route d’Uzès à Arpaillargues en 1848, des arbres sont plantés. En creusant on découvre les vestiges de l’ancienne église des Cordeliers. Ce terrain, un carré de niveau avec les boulevards et terminé en fer à cheval,  avait été donné à la ville par les Cordeliers en 1720. En contrepartie, Uzès prenait en charge la taille (impôts) des immeubles des Cordeliers.
Le télégraphe électrique arrive en 1860, installé à la poste, dans l’Hôtel de Ville. En 1868 une usine à gaz construite au Serrebonnet (sarre bonnet : tiens bien ton chapeau à cause du vent !!) éclaire les rues de la ville. Adieu les lanternes à huile !
Un nouveau  presbytère se construit dans l’ancien jardin-cimetière attenant à l’église St Théodorit. Quelques années plus tard les ouvriers en creusant pour consolider la structure, découvrent les vestiges d’un temple romain dédié à Mars qui aurait peut-être donné son nom à la tour Martine (pavillon Racine). (ou plutôt les restes du cloître des chanoines attenant à la cathédrale ?)
(machinerie pour monter l’eau– 22-8-2015 Midi Libre). La ville s’équipe de fontaines dont deux monumentales, place aux Herbes et devant l’église des Capucins. Les eaux de la source située en dessous de la Tour du Tournal dans la vallée de l’Eure seront élevées sur le plateau d’Uzès dans la cour du collège. Des démêlées judiciaires feront que le projet de 1855 arrivera à bon port en 1875. A l’occasion  on apprend d’après l’ingénieur Dombre que l’hôtel de ville est situé à 135 mètres au-dessus de la mer.
En 1857, deux hallebardiers ouvraient encore les cérémonies municipales, maire et les deux adjoints en uniforme. Tradition uzétienne qui a disparu de nos jours !
Dans quelques temps nous parlerons des élections du député Bravay, le Nabab d’Alphonse Daudet, personnage qui a bien existé et son histoire vaut son pesant d’or !
Le 6 juin 1867 Napoléon III et le tsar de Russie Alexandre II échappent à une tentative d’assassinat au Bois de Boulogne à Paris. Villes et villages de France envoient des messages de sympathie à la famille impériale.
Iwan de La Bruguière (1820-80) maire d’Uzès de 1865 à 76 avait vidé nos casernes : « les officiers faisaient cocus la plupart des bourgeois de la ville, les sous-officiers courtisaient leur progéniture féminine et les simples soldats étaient au mieux avec leur bonne » !! Les casernes seront à nouveau occupées en novembre 1897 par un bataillon du 58ème de ligne. (Ivan Marie Adolphe fils de Camille François Hyacinthe de Carmes de La Bruguière vu plus haut)
Et puis c’est la guerre contre l’Allemagne et Sedan en 1870. Une foule d’Uzétiens accompagne les réservistes qui partent pour le front le 22 juillet 1870.  On commença par réorganiser la garde nationale avec le commandant Carcassonne à sa tête, remplacé plus tard par le Duc d’Uzès. Puis les mobiles d’Uzès et du Gard sont envoyés au front. Peu de temps après les mobilisables sont appelés. Au moment de leur départ le maire leur remet un drapeau offert par les demoiselles de la ville qui y  avaient brodé le nom d’Uzès et les mots Liberté, Egalité, Fraternité. Ils seront dirigés vers Nîmes puis Issoudun où ils arrivent le 14 janvier 1871 après avoir parcouru 200 lieues enfermés dans des wagons à bestiaux, dans le froid, la pluie, la neige. De là ils se retrouvent à Châteauroux, en caserne avec pour dormir la fameuse « serapé », couverture à poils longs avec un trou au milieu pour passer la tête, vêtement venu tout droit du Mexique, pays de l'Impératrice. Ils seront dispersés dans d’autres garnisons, sans jamais voir les Prussiens. L’armistice est enfin annoncée et c'est alors qu'ils reçurent des capotes bleues bien chaudes mais l’hiver était fini et des cartouches, mais la guerre était terminée !! Ils revinrent à Uzès avec leur drapeau en bon état.
L’Empereur est prisonnier et déchu.  Le calme règne à Uzès, le maire M Ivan de La Bruguière proclame la IIIè République sur l’Esplanade. De nouveaux temps s’annoncent.
Uzès continue d’avancer, une gare en 1880, des boulevards cimentés sous la mandature du maire Monsieur David Mossé, groupe scolaire et écoles, quartiers assainis, communication et ouverture de rues avec les boulevards et la place aux Herbes…. David Mossé maire de 1881 à 1888, de religion juive, élu parce que les partis catholiques et protestants  étaient d'égale influence en ce moment là. Et on dira que nous n'avions pas l'esprit ouvert !! 
En 1875 Ferdinand Vincent lance une souscription pour créer une compagnie de sapeurs-pompiers à Uzès. L’hôtel de ville a été détruit par un incendie, avec le théâtre et la bibliothèque installés dans ses locaux. Depuis 1872 une société de secours mutuels « La Vigilante »  dont le but était semble-t-il de rassembler les royalistes uzétiens qui maintenaient dangereusement une certaine ébullition dans leurs rangs. Cette société sera finalement dissoute plus tard.
Chaque année les Félibres du Languedoc et de la Provence se réunissent dans une ville différente : le 28 août 1892, Uzès a cet honneur. Frédéric Mistral séjourne au château ducal. Défilés, chants, poésies, concours, accompagnent messe et discours. Le 19 mai 1897, le congrès archéologique de France s’arrête à Uzès et visite nos monuments.
On est près d’aborder le 20ème siècle !
  
 Sources : Sylvie Aprile, la Deuxième République et le Second Empire, Pygmalion, 2000.- Philippe Vigier, La Seconde République, Paris, Presses universitaires de France (PUF), coll. « Que sais-je ? ».-  Henri Guillemin Le Coup du 2 décembre, Paris, Gallimard, 1951.-  Eric Anceau,Napoléon III, un Saint-Simon à cheval,,Tallandier 2008. -- Victor Hugo Histoire d'un crime, écrit en 1852 mais publié en 1877 (lire en ligne,archive)).-  Le coup d'Etat et le second empire (archives) site de l'Assemblée nationale. – Le Républicain d’Uzès et du Gard –généalogie généanet – Lionel d’Albouisse Histoire de la Ville d’Uzès  édit Lacour  - « Hyacinthe Carmes de Labruguière », dans Adolphe Robert et Gaston Cougny  --Dictionnaire des parlementaires français,  Edgar Bourloton (1889-1891)- généanet – L d’Albouisse Histoire de la Ville d’Uzès édit Lacour-RedivivaLe Républicain d’Uzès et du Gard – 2000  - Histoire de Nîmes Adolphe Pieyre tII p194 -- Pierre Birnbaum Les fous de la République, Histoire politique des Juifs d'Etat  anf BB6II560-ANF 1B1507---etc….



 



jeudi 15 février 2018

Le Pape Boniface VIII ou la Gifle d'Anagni








(Palais papal d’Anagni)


Le pape Boniface VIII et  La gifle d’Anagni :


En France, au moins depuis Saint-Louis (Louis IX), les gouvernements acceptaient grosso modo les exigences des souverains pontifes. Mais avec Philippe le Bel petit-fils de Saint-Louis apparaissent les prémices de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, c’est-à-dire ce que l’on a appelé le gallicanisme ou bien plus tard la laïcité.
(Philippe le Bel)
Les deux protagonistes sur le ring de l’Histoire : Philippe le Bel roi de France de 1285 à 1314 et le pape Boniface VIII (1235-1294-1303), deux hommes qui se ressemblent, avides de pouvoirs l’un contre l’autre, irascibles, ne reculant devant rien et surtout pas devant la diffusion de rumeurs qui détruiront des hommes et allumeront des bûchers.
Deux théories s’affrontent. Le roi souverain de tous ses sujets, ne doit dépendre d’aucun autre pouvoir, même pas de celui du pape. Les conseillers du roi notamment Guillaume de Nogaret poussent le souverain à s’affirmer comme le pouvoir suprême en son royaume. Les fausses informations vont discréditer tous ceux qui se dressent contre lui. Les Templiers en auront un aperçu plus tard.
Le pape Boniface qui vient de clouer le bec à l’Empereur du Saint-Empire Germanique n’est pas de cet avis et va s’opposer à l’autorité royale. Il écrit :"Les deux glaives sont donc au pouvoir de l’Eglise, le spirituel et le matériel [temporel], mais l’un doit être manié pour l’Eglise, l’autre par l’Eglise ; l’un par la main du prêtre, l’autre par celle des rois", et concluait que "toute créature humaine, par nécessité de salut, doit être soumise au pontife romain".

Philippe Le Bel a besoin d’argent. Il a des offensives diplomatiques à mener, une guerre contre les Flamands sous le coude. Il a dévalué la monnaie, dépouillé les banquiers lombards et les juifs du royaume, mais cela ne suffit pas. Alors il lève un impôt « occasionnel » sur le clergé en 1295, la décime. Sans demander l’autorisation au pape. Il y ajoute peu après une taxe supplémentaire la « cinquantième » et là les évêques se plaignent au pape, qui réplique par une bulle qui précise que le clergé ne peut être soumis à l’impôt sans l’accord du Saint-Siège. Pour les prélats et avec raison, cet impôt est une astuce politique pour renflouer les caisses royales et non pour une hypothétique croisade contre les Infidèles.
Alors Philippe le Bel interdit toute exportation de valeurs hors du royaume de France. Le pape y perd une bonne partie de ses ressources. Nogaret, l’homme de confiance du roi attise les braises en interdisant à tout membre du clergé de quitter le royaume. Pour payer la solde des soldats mercenaires il faut l’argent des abbés qui ne doivent pas sortir du pays. Boniface VIII met un peu d’huile dans les rouages.

Mais l’évêque de Pamiers Bernard Saisset se met à ruer dans les brancards, conteste la légitimité du roi, pousse des comtes comme celui de Foix de se libérer de la tutelle royale. Enquête, séquestre des biens de l’évêque, et finalement arrestation et condamnation par un tribunal laïque. Contrairement au droit canonique dont dépend Bernard Saisset. Il serait un traître au service du pape, il aurait tenu des propos injurieux contre le roi et il est arrêté. Le procès repose sur des rumeurs, des ouï-dire. Boniface VIII menace de déposer le roi et prononce au moins trente bulles contre le roi dans le seul mois de décembre 1301. Dont les célèbres bulles Clericis laicos, Ausculta fili — dont Pierre Flote, juriste du roi, écrivit une version falsifiéeLe souverain pontife réaffirme que le roi est soumis au pape qui est supérieur à toute autorité temporelle. Primauté du Saint-Siège sur les souverains temporels !!

Bernard Saisset dira de Philippe le Bel : « ce n’est ni un homme, ni une bête, c’est une statue qui n’entend rien d’autre que sa raison». Le roi apparait dur, distant, peu bavard. Il se réclame de la pureté d’un Thomas d’Aquin tout en pratiquant une politique d’intrigues. En fait avec lui le Moyen Age s’achève et nous pouvons dire qu’il en est le dernier suzerain féodal qui va se tourner petit à petit vers un monde nouveau, un monarque de droit divin. Avec lui on ne dira plus « le roi en son conseil » mais « le roi et son conseil ». Il est vrai que tous les bûchers allumés sous son règne ne lui ont pas fait bonne presse !!

Alors la rumeur d’hérésie et de sorcellerie contre le pape se répand comme une trainée de poudre. Débauches diverses et variées, blasphèmes, meurtres, vente des trésors de l’Eglise…. Début 1303, Philippe le Bel est menacé d’excommunication, par un pape au tempérament coléreux et excessif.. Le roi, tout aussi droit dans ses bottes,  réplique par la convocation d’un concile œcuménique à Lyon pour juger de l’indignité du pape et le déposer.

Nogaret se rend à Italie pour notifier au souverain pontife les volontés du roi, qui dans la foulée est officiellement excommunié. Nogaret est depuis le 20 juillet en Italie chez le sieur Mouche Guidi banquier du roi dans le château de Staggia près de Sienne, aux sources des informations. Il faut agir vite avant que la sanction d’excommunication du roi ne soit publiée et mise en vigueur, dès le 8 septembre, jour du retour du pape à Rome.
(cathédrale d’Anagni)
Dans la nuit du 7 au 8 septembre 1303, (ou du 6 au 7 selon les auteurs et les fantaisies du calendrier qui fait commencer l’année le jour de Pâques, fête mobile)  Anagni, petite ville tranquille du Latium est investie par une troupe, nous disent les chroniques, de 600 cavaliers et 1500 fantassins menés par deux chefs de guerre ennemis du pape Sciarra Colonna et Rinaldo da Supino. Chiffres certainement exagérés car autant d’hommes auraient alerté. Anagni est la résidence d’été du pape et son village natal. Parfois appelée la ville des Papes parce qu’un autre pape Grégoire IX (1227-1241) y est né aussi. Elle est située à environ 50 km de Rome, bâtie sur un rocher dominant une rivière le Socco. C’est un gros bourg d’agriculteurs, vignerons, éleveurs de moutons.  
Et que vient faire Rinaldo da Supino dans cette histoire ? Boniface VIII a un neveu François Caetani, qui avant d’être promu cardinal par son oncle, était marié à la sœur de Rinaldo. Mariage annulé par le pape faisant entrer le déshonneur et le scandale dans la famille da Supino ainsi qu’un grand besoin de vengeance. Il est probablement manipulé par Nogaret qui a intérêt à se servir de la colère du petit baron. Comment se sont-ils rencontrés ? Peut-être par l’entremise du banquier Guidi.
Nogaret et ses hommes sont arrivés la veille, cachés dans une ferme proche au bord de la rivière, dont les occupants sont des alliés de la famille da Supino. Des Français, des Italiens recrutés sur place. Les Colonna avec le baron Sciarra et une petite troupe de cent-cent cinquante hommes sont en route. Les Colonna dont Boniface a spolié la plupart de leurs biens et exilé le patriarche Etienne Colonna et son frère Sciarra le chef de guerre du clan. Ils ont des amis à Paris (ils ont habité au Palais Royal), en Campanile et même à Rome au palais pontifical.
Le pape n’a autour de lui que quelques princes de l’Eglise et des serviteurs. Ce jour de septembre tout le monde dort au village. Au palais du souverain pontife, on s’amuse en compagnie de paysannes peu farouches. En cette époque l’Eglise usait largement du droit de cuissage réservé en principe aux seigneurs temporels du Moyen Age. Les récalcitrantes étaient facilement accusées de sorcellerie, de pratiques avec le diable.
Pour Guillaume de Nogaret il s’agit de s’emparer du pape et non de le tuer. Le légiste Nogaret voulait le ramener en France et le faire juger par le concile de Lyon. Boniface s’était fait tant d’ennemis dans l’Eglise, qu’une bonne partie approuvait le projet.
Un bourgeois d’Anagni recruté par Colonna, Adinolfo di Matteo se propose d’ouvrir les portes de la ville. Au château pontifical la garde de nuit est réduite.
Adinolfo conduit les soldats jusqu’à la chambre du pape. Colonna entré le premier négocie : récupération des biens de la famille, réparation à l’égard des cardinaux Colonna, abdication…. Il menace le pape qui refuse d’abdiquer. Le ton monte. Nogaret arrive à temps pour empêcher le meurtre du pape.
Nogaret lit son acte d’accusation au pape qui réplique « voici mon cou, voici ma tête »… Là les chroniques divergent : Nogaret s’avance vers le lit du souverain pontife et le soufflette de son gant de fer. Ou bien est-ce Sciarra Colonna l’auteur de ce crime de lèse-majesté ?
Toujours est-il que Boniface VIII renonce à excommunier le roi, s’engage à réunir un concile. Tous les prélats Caetani sont destitués. Colonna et ses hommes pourront faire leur entrée dans Rome.
Les Français ne se saisiront pas du pape. Après deux jours, les paysans du village les chasseront. Le pape et sa suite retourneront à Rome, où le souverain pontife décèdera (de chagrin ou d’humiliation si ce n’est des deux) un mois après en octobre.
Boniface VIII d’abord avocat et notaire du pape à Rome était devenu cardinal en 1281 sous le pontificat de Martin IV, et pape en décembre 1294. Nous devons à Boniface VIII la canonisation de Louis IX, désormais appelé saint Louis de France, au mois d'août 1297.
Il est né Benoît Caetani, famille ennemie des Colonna. Une bonne partie des pouvoirs sur le centre et le sud de l’Italie sont partagés par trois familles : les Orsini, les Colonna et les Caetani. Son prédécesseur Célestin V renonce à ses fonctions, peut-être poussé par Boniface VIII qui le fit plus ou moins emprisonner dans un couvent napolitain. Célestin avait été moine-ermite bénédictin avant d’être pape. Dès son élection, Boniface montre son intransigeance ; il met l’interdit sur le royaume du Danemark, il incite les princes allemands à se révolter contre Albert Ier, il a des démêlés avec les Colonna, famille importante qui soutient les droits de la couronne d’Aragon…. (crypte de la cathédrale d'Anagni fresque de 1237-55 frère Romanus ?)
Le pape Benoît XI qui prend la suite abroge les bulles de Boniface mais n’écarte pas la faute des coupables directs Sciarra Colonna et Nogaret par une bulle d’excommunication en juin 1304. Nogaret sera condamné par contumace. Benoît XI meurt en juillet 1304 et commence la papauté à Avignon en 1309 avec Clément V qui en 1311 annule toutes les condamnations portées contre le roi et ses conseillers, dont l’attitude avait été « bonne et juste ». Il est plus que probable que Philippe le Bel rêvait depuis longtemps de déplacer la papauté à Avignon dans le Comtat Venaissin pour mieux tenir en main la Chrétienté et contenir les envies de pouvoir des papes. (voir les articles précédents sur ce blog les papes d’Avignon  15/10-27/10-19/11/2017 -22/1/2018 )
Célestin V, le moine-ermite bénédictin devenu pape avant Boniface VIII sera canonisé en 1313 comme saint confesseur et non comme martyr comme le souhaitait Philippe le Bel. Le dominicain Robert d’Uzès en 1295 avait déjà qualifié Célestin V de « pape angélique » ou « pasteur angélique ».
Philippe le Bel dès 1305-1306 avait demandé au pape Clément V une enquête sur la vie et les miracles de Célestin. Rancunier, il avait aussi demandé l’ouverture d’un procès contre Boniface VIII, procès refusé par le pape Clément. Vengeance du roi contre feu Boniface ? Rancune tenace ?
Jusqu’à la fin de sa vie Nogaret se flattera d’avoir giflé un pape. Réalité ou besoin de se grandir aux yeux du roi ? Les Colonna n’ont jamais évoqué cet incident et le grand Dante n’y a pas fait allusion dans le passage de son livre »Purgatoire » consacré à l’épisode d’Anagni.
« La dolor s’entend aussi bien de l’esprit que du corps » !!
Dans son roman « Les Rois Maudits », Maurice Druon raconte la scène : « (...) Là, le vieux pape de 68 ans, tiare en tête, croix en main, seul dans une immense salle désertée, voyait entrer cette horde en armures. Sommé d'abdiquer, il répondait : « Voilà mon cou, voilà ma tête ; je mourrai, mais je mourrai pape. » Sciarra Colonna le giflait de son gantelet de fer. Et Boniface lançait à Nogaret : « Fils de cathare ! Fils de cathare ! » »
(François Guizzot 1787-1874 – History of France from the Earliest Times to the year 1789 London)
L’historien Jean Favier qui a beaucoup travaillé sur les biographies des papes, remet en question la gifle de Sciarra Colonna. Elle n’est mentionnée dans les chroniques qu’au 19ème siècle et il semble qu’aucun contemporain des événements ne parla de cette gifle. Il faut peut-être y voir une métaphore plutôt qu’un acte réel et historique. Le fait même de pénétrer chez le pape sans y avoir été invité est déjà une gifle en soi. Mais il est vrai que nous sommes en présence de personnes au sang chaud !

Sources : Claude Mosse Les Histoires de l’Histoire Le Bas Moyen Age édit Acropole 1981 ISBN2-7144-1437-0 H60-2094-5  - Jean Favier Philippe le Bel Fayard 1980  - Guillaume de Thieulloy Le Pape et le roi Anagni 7/9/0303 Galimard 2010---Antoine de Lévis-Mirepoix l’Attentat d’Anagni Gallimard 1969  - Catherine Kikuchi Université de Versailles Saint Quentin Yvelines et Paris Saclay –lepoint.fr 11/6/2017 --
Fresque intérieur crypte cathédrale d’Anagni-1237-55 frère Romanus ?—printerest.fr







vendredi 9 février 2018

La Lutte d'Hommes à Uzès





a La Lutte d’Hommes à Uzès :


La lutte greco-romaine était très à la mode en cette fin du 19ème siècle-début 20ème siècle.  C'est un sport pratiqué depuis la nuit des temps si l'on en croit les représentations sur les vases, les stèles du monde antique.

Une compétition avait lieu à Uzès le mardi de la fête votive, dans des arènes de fortune, sur le champ de foire, près de l’actuel Lycée Gide, maintenant domaine St Firmin. La fête votive se déroulait en septembre à cette époque, temps de pose entre les moissons et les vendanges.
 Cette compétition attirait beaucoup de monde de tout l’Uzège. Uzès avait alors son champion, Jourdan, concurrencé par les trois frères Aimable de La Calmette, mais aussi par Paul Pons qui fut champion du Monde, Laurent le Beaucairois, Murzouk, un noir. (Sur la photo ci-dessus à droite nos plus jeunes pourront remarquer les élégantes jarretières à chaussettes de nos anciens).
Le Journal d’Uzès du 28septembre 1892 nous raconte un de ces combats : « Laurent qui avait terrassé son adversaire le tint par terre sous le poids énorme de son corps pendant près d'une demi-heure. Mais dans l'impossibilité de se défendre loyalement, Murzouk mordit Laurent au bras et le fit lâcher prise. Un sévère pugilat s'engagea... Cette furieuse querelle prit fin à l'intervention de la gendarmerie... sans qu'il soit possible de connaître le résultat définitif de cet émouvant combat. »

(Jourdan d’Uzès à droite)
Les jeunes de la ville pouvaient affronter nos athlètes. Le commissariat de police tenait les inscriptions et vérifiait les candidatures. Des primes assez substantielles étaient offertes à celui qui avait vaincu un de nos champions. Un règlement du conseil municipal de 1890 précisait que les lutteurs s’affrontaient à mains nues, seulement vêtus d’un caleçon. Ils devaient être propres de corps, « principalement les jambes et les pieds ».



Le peintre d'Alès, José Belon (1861-1927) a immortalisé cette compétition dans ce tableau qui est un véritable reportage sur l’événement.


"Lutte d'hommes dans le Midi", par José Belon    1886

(José Belon ci-contre) Une carrière à Paris comme peintre et illustrateur pour la presse (Le Petit Journal, Gil Blas, L’Intransigeant….), Belon séjourne souvent dans le Gard. Il est à l’origine du musée d’Uzès en 1910, où ce tableau va trouver sa place. 
On y voit à l’arrière-plan les tours médiévales d’Uzès ce qui permet de situer le lieu du combat. Les personnages semblent réels saisis sur le vif. Peut-être des Uzétiens croqués et dont on a oublié le nom. Enthousiasme, excitation, passion, on entend les spectateurs hurler. Une note provençale avec des spectatrices en costumes d’Arlésiennes pour faire plaisir au public parisien après le succès de « Mireille » de Mistral en 1859. Une belle lumière, du pittoresque, de l’animation. A droite en bas, un panier de tomates et une cruche d’ici. Les spectateurs sont grimpés sur des gradins improvisés, charrettes, bancs… Des musiciens sur la gauche en uniforme sur une estrade, deux hommes en caleçon près des musiciens attendent leur tour. Un jeune élégant à droite avec guêtres et cravache, un homme à gauche qui débouche une bouteille de vin, un gros monsieur qui vit le match et serre les poings, un autre qui baisse le pouce vers le bas comme aux jeux de cirque romain. Le lutteur de dos en caleçon rouge est de La Calmette, surnommé « Aimable ».





Paul Pons
  



Sources : Paul Belon, En suivant Monsieur Carnot. Notes humoristiques, 50 dessins de José Belon, Plon Nourrit & Cie, 1893  -- archives municipales d’Alès  606/206  -- musée municipal d’Uzès Georges Borias – Midi Libre 19/10/2015 et 11/10/2012 – musee-mediterranée.org/portail/collections  -  Le Républicain d’Uzès et du Gard 2000 ans de notre Histoire -- wikipedia -wikimedia - alpha-blogspot.com 2/24/2015 -