mardi 24 avril 2018

La Robe de Marie-Antoinette à Avignon


La dernière robe de Marie-Antoinette : un secret conservé à Avignon



Dans la sacristie de la Métropole des Doms à Avignon, proche du Palais des Papes, dort dans un tiroir une chasuble violette. Un vêtement précieux qui a une histoire. Cette aube aurait été confectionnée avec la dernière robe portée par la reine Marie-Antoinette le 16 octobre 1793, quelques heures avant son exécution.
Cet épisode se sait sans se savoir, cette aube est rarement exposée. Elle est fragile et doit être préservée. Lors  des grandes occasions, elle est portée pour célébrer l’office. La dernière fois c’était à l’occasion de la mort du pape Jean-Paul II en 2005.
Beaucoup de reliques des souverains circulent et celles de Marie-Antoinette ne manquent pas, souliers, morceaux de vêtements, cheveux…. Mais pour cette aube, l’Abbé Bréhier assure que le tissu est authentique, les laies de soie correspondent à l’époque et le conservateur du musée des tissus de Lyon a apporté sa garantie.
Comment ce vêtement est arrivé jusqu’à Avignon ?
Le roi Louis XVI est exécuté le 21 janvier 1793 à Paris place de la Révolution, actuelle place de la Concorde. Marie-Antoinette est transférée de la prison du Temple à la Conciergerie, surveillée en permanence. Elle est très affaiblie par son cancer de l’utérus et ses hémorragies et sa servante Rosalie Lamorlière essaie de lui apporter un peu de réconfort. Par humilité dans sa prison elle est vêtue d’une robe violette, et peut-être par dérision, elle quitte cette robe pour se présenter en jupons à ses bourreaux.

L’abbé Bréhier nous explique : « Avant son exécution, Marie Antoinette ôte sa robe violette, symbole de deuil et de pénitence, et la confie à sa fidèle servante. Elle se présentera devant son bourreau le 16 octobre 1793 en jupons blancs, la couleur de la royauté".
Rosalie Lamorlière aurait gardé cette robe jusqu’à son départ de la Conciergerie en 1799.  Elle s’exile en Angleterre, soupçonnée de trahison. Elle y rencontre l’abbé Véran, qui devient son confesseur.
Sentant sa fin proche, elle confie la robe à l’abbé Véran originaire du Comtat. Celui-ci de retour à Avignon, crée une maison d’éducation pour jeunes filles rue Banasterie. Il comprend la valeur historique et mystique de cette robe et la fait transformer en cape sacerdotale, « brodée d’argent et doublée d’un voile d’or ». Cette cape (ou Pluvial) sera utilisée pour les bénédictions solennelles.


L'abbé Bréhier présente avec précaution la tunique :"L'histoire de cette aube est méconnue, ça se sait sans se savoir..."
Puis au début du 19ème siècle, Jean-François Périer évêque d’Avignon achète ce vêtement qui entre dans le patrimoine de la Métropole des Doms. Pour certains historiens, Véran aurait offert cette cape à Jean François Périer.
Ce vêtement sera conservé dans les réserves de la cathédrale jusqu’en 1986. Puis elle sera expertisée par la maison de soierie lyonnaise Tassinarie-Châtel. Le chanoine Véran de Tarascon, neveu du premier, authentifiera la cape. Elle sera exposée à Chambord puis au Palais des Papes en 1989, et enfin mise à l’abri dans le trésor du chapitre de la cathédrale Notre-Dame-des-Doms dans un meuble confectionné par Agricol Perdiguier (voir photo ci-dessus).
Aucune publicité, aucun fléchage renseignent les curieux. Seule une centaine de passionnés d’Histoire par an demandent à voir le vêtement dans la sacristie. L’abbé Bréhier les reçoit dans la mesure du possible, « la sacristie n’est pas un musée ».






Sources : avignonintramuros.blog.midilibre.com11/2014 --Ludivic Miserole Rosalie Lamorlière, la dernière servante de Marie-Antoinette, aux éditions l'atelier Mosesu. – Octave Odola La Provence19- 8-2017 Avignon. -- Chanoine André Reyne, Abbé Daniel Breihier, La basilique métropolitaine N.-D. des Doms, Avignon, Maison Aubanel, imprimeur de N.S.P. le pape & de Mgr l’Archevêque, 4e trimestre 1986,




A voir ou revoir sur ce blog, le mois de mai n'est pas loin : Les Saints Cavaliers ou les Saints de Glace 30/04/2017

mardi 17 avril 2018

Montfavet, son église et une imposture ?





Montfavet, son église et une curieuse imposture ?

Quelques mots sur l’église de Montfavet, bourgade et depuis 1794 quartier d’Avignon. Montfavet n'est pas seulement célèbre pour avoir abrité la famille Pernot. 
Le cardinal Bertrand de Montfavès achète Montfavet en 1341, qu’il appelle Notre-Dame-de-Bon-Repos. Il souhaite y construire un monastère, qui sera le lieu de sa dernière demeure. Il décède en 1343 sans avoir vu commencer les travaux. Bertrand de Montfavès est originaire de Montfavet, commune de Castelnau-Montrotier dans le Lot. Il est neveu du pape Jean XXII que nous avons vu précédemment. Le deuxième pape d’Avignon, celui qui avait été élu, en espérant que son pontificat serait de courte durée. Avec lui s’installent régionalisme et népotisme.
Bertrand de Monfavès est chanoine à Lyon et protonotaire apostolique. Il est nommé cardinal par son oncle Jean XXII en décembre 1316. Il est aussi archiprêtre de la basilique du Latran. Il fait partie du conclave de 1334 qui va élire Benoît XII, mais ne participe pas à celui de 1342 pour l’élection de Clément VI.
 
Les travaux du monastère coû-
teront 7480 florins, approvisionnement en pierres, bois, chaux, fer et construction. Ce sont les exécuteurs testamentaires de Bertrand qui règlent la note aux deux bâtisseurs Jean et Pierre Folcoaud, des maçons avignonnais. L’église est un exemple de gothique méridional, provençal. Six chapelles, des puissants contreforts, une nef unique, de hautes fenêtres…. Le grand historien Emile Mâle dira : «  une grande nef où rien n’arrête la vue ni la parole, une église sans ornement, mais grandiose par ses proportions et religieuse par son demi-jour… »
En 1610 il ne reste que l’église, le monastère s’est délabré faute d’entretien et de religieux. Il a subi les exactions des Guerres de Religion et des troupes du baron des Adrets à la fin du 16ème siècle. Des restaurations sous Napoléon III seront effectuées pour sauvegarder l’église. Le clocher est du 19ème siècle.
Sur le revers de la façade de l’église une inscription rappelait la mémoire du fondateur : « A l’honneur et gloire de Dieu et à l’éternelle mémoire de Bertrand de Montfavet, cardinal français, neveu du pape Jean XXII lequel avait fondé et doté la présente église et monastère sous le nom de Notre-Dame-Du-Bon-Repos rendit l’âme à Dieu l’an MCCCXLIII, (1343) de qui les os reposent en paix en la présente église. Passant prie Dieu pour son âme ». Le cardinal est inhumé sous une dalle devant l’autel, tombe aujourd’hui disparue. Cette inscription sera plusieurs fois restaurée, parfois bizarrement en ce qui concerne les dates latines.

Une autre tombe dans une chapelle voisine celle de Pierre de Cohorn (Coehorn) a longtemps posé question(s) aux historiens. Une grande plaque tombale est dressée contre le mur de la dernière chapelle du nord, proche du chœur : 2,25 m de hauteur et 1 m de large. On y voit un homme en armure semée de cors de chasse, avec un grand casque à cimier. Il est représenté en pied, mains jointes. De chaque côté de la tête un blason qui indiquerait une certaine importance sociale sinon une richesse. Deux banderoles sur les côtés des jambes, répétant une devise « nuntiant funera monstris ». La dalle est ceinte d’une inscription en latin racontant l’odyssée du défunt.
« Ci-gît noble et illustre Pierre de Cohorn, suédois, collaborateur de l’évêque d’Upsal dans l’élection de Christian 1er et, à cause de son dévouement, Chambellan et chef des armées de ce prince. Sten Sture étant demeuré vainqueur, il émigra en Danemark. Ayant ensuite accompagné le roi à Rome, il y tua en duel un seigneur danois, son compétiteur dans les faveurs royales. Doublement exilé, il se réfugié en France, Jean son fils, faisant partie de la suite de Julien de Rovère. Il vécut pieusement à Montfavet près d’Avignon. Il mourut le 10 juillet 1479. Jean de Cohorn son fils, cette tempête apaisée, éleva ce monument à la gloire de son père en 1486 ».
Qui sont ces personnes ? Julien de Rovère est le futur pape Jules II. Sten Sture le Vieil est le régent du royaume de Suède et le champion de l’indépendance suédoise. Christian 1er est le premier souverain du Danemark de la dynastie des Oldenburg ; il souhaitait une union des pays scandinaves. Un temps, roi aussi de Suède et Norvège. 
Mais que vient faire Pierre de Cohorn dans cette histoire. Il semble inconnu des historiens suédois. Il n’est pas mentionné dans la suite royale à Rome.
D’où questions : qui était-il vraiment, et la plaque est-elle un faux ?
L’armure, le casque, les caractères, le style, les abréviations de l’inscription latine ne correspondent pas à l’époque annoncée(1486), nous disent des historiens. Sa découverte en février 1741 aussi interpelle. On parle de « faux moderne ». Nous allons essayer d’y voir plus clair, si cela est possible !!

D’abord Pierre de Cohorn a bel et bien existé. Famille originaire de Suède, le premier connu de cette Maison est Eric baptisé en 1012 à la suite d’Olaüs roi de Suède, baptisé à Husbye par David un des prêtres qu’Ethelred roi d’Angleterre lui avait envoyé pour convertir son royaume à la religion chrétienne. Il existe une liste de courtisans qui reçurent en même temps que lui le baptême. Un Toussaint de Cohorn, général de la Cavalerie Suédoise en 1400, résident à Husbye et son épouse Yolande Munken eurent au moins trois fils : Jean chanoine, Fréderic-Christian gouverneur d’Upsal et Pierre, notre Pierre. Ce dernier est l’époux d’Hélène de Caplendon (Kaplendon) famille importante de Danemark. Dans son testament de 10 janvier 1479, Pierre mentionne le nom de son père : noble et puissant homme Toussaint. Il se dit chevalier. Il décède le 18 mars 1479 à Montfavet. Par son mariage il a un pied au Danemark et un autre en Suède par sa naissance.

Le « Mercure «  de 1735p619 (donc théoriquement avant la découverte de la dalle)  nous raconte qu’effectivement Pierre suivit le roi Christian à Rome en 1476 pour « s’aboucher avec le pape Sixte IV ». Pierre eut « un demêlé » avec le fils du comte de Scheylenberg, ministre du roi, fils qu’il tua. Ne pouvant pas retourner en Suède où régnait le régent Sten Sture, il se mit sous la protection du cardinal de Rovère,(Rouvère) parent du pape Sixte IV et futur Jules II. Celui-ci l’emmène à Avignon lorsqu’il est nommé évêque.

Son fils unique Jean vient le rejoindre et épouse Agnès de Rhotis (Rotis ?) par contrat le 1er avril 1485. Jean habite Monteils-Mazan dans le Vaucluse, au pied du mont Ventoux proche de Carpentras. Ils vont fonder la branche des Cohorn du Comtat d’Avignon. Jean décède en janvier 1516 à Mazan.
Son petit-fils Pierre de Cohorn, fils de Jean et sieur de Mazan, sera procureur du roi de 1536 à 1540, gardien au déchargement des greniers à sel de Tarascon, Pont Saint-Esprit en 1563. Nous le retrouvons dans les archives départementales du Vaucluse (série B et manuscrits registres notaires 4080 fol 75p 382). On le qualifie aussi de notaire et scribe dans les archives.(Série B253 fol160,210,211..). Il épouse par contrat Jeanne de Fresne le 25 janvier 1520. Il quitte ce monde après 1567 à Mazan.
Un fils de ce mariage, Antoine, décédé vers 1574,  qui convole par contrat avec Françoise de Serre puis le 30 octobre 1562 avec Hélène de Gardanne. A-t-il eu des revers de fortune : dans son contrat de mariage il est simplement appelé « noble et spectable homme » (respectable), c’est-à-dire bourgeois. A-t-il perdu par dérogation sa noblesse ? Son fils Toussaint, décédé après octobre 1632, est notaire, greffier de la Chambre Apostolique de Carpentras, et troisième consul en 1598. Mais dans cette ville le premier et le troisième consuls appartiennent toujours à la classe des marchands et des bourgeois. Pour s’y retrouver dans la chronologie, Toussaint est l’époux de Sybille Neveu en 1592.
Par contre Claude fils l’aîné de Toussaint se marie avec Hélène Siffrédy le 31 octobre 1617 : il est qualifié dans le contrat de « noble et illustre seigneur Claude de Cohorn citoyen d’Avignon ». Il sera déclaré noble dans le « Nouveau Hozier », généalogiste officiel des rois de France en 1739 lors de recherches en affirmation de noblesse par son descendant François-Gabriel de Cohorn de la Palun qui sera admis parmi les pages de la Reine. Le frère de Claude, Thomas, décédé vers 1656 est vice-recteur du Comtat pendant 34 ans. Il se marie trois fois, et de lui arrive la branche des Cohorn d’Ollon et la branche d’Ignace de Cohorn de la Palun. Cet Ignace décédé après le 21 juin 1680, marié avec Victoire Morandi, nous donne Thomas II de Cohorn de la Palun qui épouse en 1690 Delphine Thomassis. De ce mariage nait Joseph-Joachim Thomas marié en 1735 à Louise Hennequin, marquis de la Palun, gouverneur de la Principauté d’Orange, capitaine des gardes du comte de Charolais…..puis procureur général au Grand Conseil après la démission de son père et en 1701 ambassadeur à Venise… celui qui « découvre » la tombe de leur ancêtre.
Plusieurs descendants, des marins illustres, un évêque, un mousquetaire et Joseph-Louis de Coehorn de la Palun décédé sans postérité en 1779, admis en 1756 à la Cour. D’un neveu, une fille Flavie-Félicité mariée en 1803 au marquis de Séguins-Vassieux qui releva le nom de Coehorn et qui nous laissera une histoire et des archives de la famille, dont le testament authentifié de leur ancêtre Pierre de Cohorn. Nous retrouvons Flavie fin 18ème chez les demoiselles de St Cyr, Cohorn de la « Palu ».

Tour d'Espagne
Ceci nous amène à la découverte de la dalle funéraire.
En 1741, Joseph de Cohorn marquis de la Palun apprend que la tombe d’un de ses ancêtres se trouve probablement dans la Tour d’Espagne. Il obtient l’autorisation de faire des recherches. Un maçon, un avocat de la famille, un représentant de l’évêque d’Avignon se rendent sur les lieux. Dans la tour, une pièce sert de chambre à un vigneron. « C’est là » indique le mandataire avec une curieuse précision. Les ouvriers piochent et tombent pile sur la dalle funéraire. Elle est intacte ce qui parait surprenant dans cet univers de ruines. Dessous la dalle, un crâne et des ossements. Les cors de chasse sur l’armure indiquent bien les armes des Cohorn. Le procès-verbal de la découverte nous est parvenu : une description détaillée de la Tour d’Espagne de 1742 est aux archives de la paroisse de Montfavet. Elle a servi de tour de guet au 17ème siècle. L’ensemble est en très mauvais état. « Arrivés devant la porte du bâtiment appelé la Tour d’Espagne où effectivement il y a une




Etc……


L’historien Moutonnet p50 nous fait une description de la table de marbre, qui semble en bon état, seule la bordure et l’inscription gothique sont endommagées en quelques endroits par la vétusté.

Dans son testament Pierre de Cohorn demande à être enterré dans l’église de Montfavet s’il décède à Avignon, sinon s’il meurt à Carpentras dans l’église des Dominicains. Peut-on penser que Jean de Cohorn a bien enseveli son père dans l’église de Montfavet en 1486 ? La dalle aurait été faite à ce moment-là. D’après Pithon Curt le fils et le petit-fils de Pierre de Cohorn dans leurs testaments souhaitèrent être ensevelis dans l’église de Montfavet donc avec Pierre dans un tombeau comme cela se faisait à l’époque dans les églises pour les familles aisées nobles ou bourgeoises. L’aïeul décède en juillet 1479 d’après l’inscription sur la dalle, son inhumation dans l’église de Montfavet date de 1486 : où était-il enterré pendant ce temps ? Puis les guerres de religion et les huguenots du baron des Adrets ravagent le monastère en 1562-63, et les descendants ont probablement transporté les restes et la dalle à l’abri dans un autre lieu. Dans la Tour d’Espagne ? Qui est ce qui reste du monastère d’Espagne créé en 1347 par le cardinal de Barrosso et démoli après le départ des religieuses pour le couvent Sainte-Praxède d’Avignon au début 16ème siècle.
 L’endroit de la sépulture a probablement été indiqué d’héritiers en héritiers et sa découverte ne doit rien au hasard. Par contre le bon état de la dalle de marbre pourrait laisser supposer un entretien, ou une protection et non un oubli. Une restauration malhabile pour l’occasion ou la confection de la dalle plus récente ? Ou bien un autre lieu d’ensevelissement pas assez spectaculaire et plus tard un dépôt à la Tour d’Espagne permettant des témoignages crédibles et rajeunis ?. Nous voyons que la famille depuis 1700 revendique ses origines et son statut avec un acte de procédure qui relie la branche suédoise-danoise aux branches françaises, des recherches généalogiques officielles…. Peut-être pour être admis à la Cour. Une pension, des commandements dans l’armée en dépendaient assurant à la famille un peu d’aisance. Est-ce que l’épisode d’Antoine et de son fils a mis à mal la dynastie ? Pour être reconnu noble sous Louis XIV et Louis XV, il fallait un certain nombre de quartiers de noblesse non interrompus et ou des documents certifiés. Besoin de consolider, de rassembler les biens et liens familiaux: en 1724 une sœur du « découvreur » épouse un cousin Gabriel François de Cohorn. Cette sépulture miraculeusement retrouvée cimente à jamais la famille dans la société et dans son statut. Une autre hypothèse ? S‘il y a eu faux ce n’est pas après 1741.


Sources : Henri-Paul Eydoux  Monuments méconnus Provence T3 1977  édit Perrin – Hervé de Christen  L’Enigme de la pierre tombale de Pierre de Cohorn Mémoires de l’Académie du Vaucluse 1885-86- 2005 – Mercure de France Gallica mars 1735 – archives départementales du Vaucluse  -- Dictionnaire des Familles de France T11 Chaix d’Estange Gustave – wikipedia – Le Magasin Pittoresque  Edouard Charton 1843-45 –généanet généalogie Guillaume de Wallis -----






Anonyme 1900

mardi 10 avril 2018

Le Cabaret des Oiseaux


















Le Cabaret des oiseaux :

Bientôt il va refleurir le long de nos chemins. Il nous a accompagnés dans une histoire riche d’utilisations depuis le Moyen Age dans notre pays..
C’est un faux chardon à petites fleurs mauves  disposées entre les bractéoles piquantes des capitules. Il peut atteindre les 2 m de haut la deuxième année. Ses feuilles oblongues sont persistantes mais disparaissent avant la floraison. La seconde année, les feuilles disposées le long de la tige florale sont rugueuses et leur nervure médiane est épineuse. Elles sont soudées par paires opposées en formant de petites coupelles qui retiennent l’eau d’où son nom de « cabaret aux oiseaux ». Certaines espèces nous sont signalées dans les chroniques et almanach dès 1753. Cette plante est un véritable garde-manger et abreuvoir pour les insectes butineurs et les oiseaux.
Plusieurs espèces qui se sont adaptées à tous les climats, Afrique du Nord, Proche-Orient, Iles Britanniques, Allemagne, Pologne, bassin méditerranéen et Amérique du Nord…

Ce chardon ou cardère, à foulon, bonnetier, n’est plus cultivé maintenant en France sauf quelques cas de plantations florales. Il pousse à l’état sauvage au soleil, le long des chemins, dans les friches. Il était cultivé jusqu’à la fin du 19ème siècle dans nos régions. Cette activité est attestée au 17ème siècle dans notre région, foire de Beaucaire, almanach, traités horticoles…. Le rendement des cultures variaient encore au 18ème siècle entre 500 kg et 1000kg à l’hectare. Au 19ème siècle, les techniques culturales évoluent : sélection des graines, repiquage, tourteaux, arrosage et meilleur labour. Le cycle végétatif passe de 17 mois à 6 mois. Le rendement moyen tourne autour de 800 kg à l’hectare. En 1904-1906, sur une superficie de 1700 hectares, on produit 1000 à 1300 tonnes de capitules, malgré les campagnols et les parasites qui s’installent sur les cultures. Le chardon de Provence était réputé pour sa qualité jusqu’aux USA, en Russie, au Japon. Son exportation qui dura plus de cent ans a construit des fortunes.
 Fumage et repiquage 1929 photos Boyer-Violet
Récolte 1929
(Fabrique Gustave Naquet et Fils Avignon 1929- Au mur au fond une inscription « Ayez de l’ordre et de l’activité car vos enfants vous regardent et font comme vous »- photo Jacques Boyer collection Boyer Violet)
En 1862, Victor Hugo nous parle de 2500 ha de cultures de cardère en France. Essentiellement près de manufactures de draps fins. Aude, Bouches-du-Rhône, Tarn, Saône-et-Loire à Cuisery Languedoc, Vaucluse, Alsace….
Ce chardon avait de multiples utilisations, avant tout dans l’industrie textile.
Ses capitules secs étaient utilisés pour « gratter » les draps de laine, le feutre servant à confectionner les manteaux de luxe et les uniformes, les tapis de billard ou les couvertures en mohair. On dit aussi « garnir »les tissus : la cardère ou le chardon à foulon n’a jamais servi à carder ou fouler. Le cardage démêle la laine avant le tissage, par contre le grattage ou lainage ou garnissage intervient après le tissage et a pour but de tirer les fils de la trame pour rendre l’étoffe moelleuse et douce.

 (laineuse double à chardons roulants de Léon Pessart 1900 catalogue commercial collecLouis Brun)
Ses têtes aux pointes dures mais élastiques et recourbées vers le bas servaient dans l’industrie textile à fabriquer des peignes pour être remplacés au début du 20ème siècle par des peignes en plastiques et métalliques. Il s’est reconverti dans l’industrie florale, dans le Vaucluse et en Espagne et Italie. A la fin du 20ème siècle, à l’Isle sur Sorgue la manufacture de tapis et couvertures Brun de Vian-Tiran fonctionnaient encore avec des laineuses garnies de chardons naturels. En 1989 la dernière fabrique de chardon cardère ferme à Tarascon celle de René Girard.
(laineuse-ballon à chardons fixes –milieu 19ème siècle- Encyclopédie Moderne pl7 Paris Firmin Didot 1852)
(Règlement fabrique Antoine Pecourt Maillane 1900 photo A Lassus)
Après la récolte, le chardon devait être conditionné pour être envoyé chez les drapiers. Au début du 19ème siècle commerçant et producteur ne font encore qu’un : conditionnement et emballage se font dans les greniers du cultivateur. Puis vient le temps des négociants spécialisés et des usines nombreuses construites pour le conditionnement des chardons. Une cinquantaine rien que dans le Nord-ouest des Bouches-du- Rhône. Le chardon sera conditionné en chardon à tige ou en chardon roulant pour fabriquer les peignes. Ces premiers négociants font aussi commerce de garance, d’huile d’olive, de semences, de laine, de soie. Puis les progrès des activités commerciales du 19ème siècle font apparaitre des représentants, des commis-voyageurs qui défendent à l’étranger leur société, étudient les marchés et gèrent les dépôts de marchandises.
La préparation des chardons à tige est relativement simple mais ne manque pas de piquants : ciselage à l’aide de forts ciseaux et les doigts protégés par des dés en cuir, (il s’agit d’enlever la couronne et de raccourcir la queue du chardon), triage par longueur, emballage dans des fûts de tonnellerie en bois léger puis plus tard dans des cartons. Les capitules sont tassés dans l’emballage par une jeune fille montée sur une planche puis plus tard par une presse. On arrange simplement le dernier rang. Jusqu’au début du 20ème siècle, tout se fait à la main.
Les chardons roulants vont être surtout demandés avec l’utilisation des machines-laineuses. Jusqu’alors les bonnetiers fabriquaient eux-mêmes leurs chardons roulants avec des chardons à tige. Le conditionnement dans les fabriques va être différent : il faut trier par longueur mais aussi par diamètre. Entrent en jeu des machines qui vont couper les deux extrémités des capitules, les calibrer…
Les ouvrières sont des jeunes filles d’agriculteurs des environs, qui travaillent lorsqu’elles ne sont pas nécessaires aux travaux des champs. On trouve des hommes dans l’encadrement ou dans les travaux de bureau ou de force. Vers la fin du 19ème siècle, la journée de travail passe de 12 h à 10 h.  

Autres utilisations : le chardon chasse-diable. Parfois, des capitules anormaux à trois branches en forme de croix étaient considérés comme porte-bonheur contre le mauvais œil. On les clouait sur les portes de granges, des écuries ou des maisons. 
Mais c’est surtout une plante hautement mellifère qui produit un miel blanc de très haute qualité. E Alphandery en 1935écrivait dans « La Flore Mellifère (édit Paris Baillère et fils) : »La cardère ou chardon à foulon est une plante des plus mellifère. Visitée par les abeilles presque toute la journée, il n’est pas rare au moment de sa floraison de récolter tous les dix jours une hausse d’un miel blanc transparent excellent… ».
Ses graines servaient à la fabrication de l’absinthe et une huile qui favorisait la repousse des cheveux. On les retrouve dans les mélanges de graines pour oiseaux. Elles contiennent 22 % d’huile. Le chardonneret en particulier en raffole.
Des vertus diurétiques, sudorifiques et apéritives sont accordées aux racines du chardon cardère. Les racines servaient aussi à la fabrication des manches de parapluie et d’ombrelle selon le Journal d’Agriculture Pratique de 1906 tome 2 p680. Pour le médecin grec Dioscoride, la racine pilée avec du vin ou du vinaigre en crème épaisse guérissait en compresses les fissures et fistules anales. Elle était aussi utilisée dans le traitement de la goutte, l’arthrite, les rhumatismes, la jaunisse, les problèmes de vésicule et même contre la maladie de Lyme.
L’eau de pluie recueillie dans les coupelles de ses feuilles aurait une action curative en matière de maladies oculaires et de peau, furoncle, acné, diverses dermatoses, selon un manuscrit du 18ème siècle (Musée national des arts et traditions populaires).
En 1775, le curé de Gagni dans « l’Albert Moderne ou nouveaux secrets éprouvés et licites » signale l’utilisation des feuilles de cardère pour guérir les « maniaques ou gens attaqué de folie » : « il faut purger les malades par haut et bas : ensuite leur faire tremper les pieds et les mains dans l’eau, et rester dans cette situation jusqu’à ce qu’ils s’endorment. La plupart se trouvent guérir à leur réveil : on doit encore leur appliquer sur la tête rasée des feuilles pilées du chardon à foulon… ».
Un vermisseau qui se nourrit de la plante, broyé et appliqué sur une dent souffrante, endormira la douleur de dix à vingt minutes.
Et puis les tiges récoltées servaient à allumer le feu, chauffer les fours extérieurs, de tuteurs dans les jardins ou à fabriquer du compost.
En médecine chinoise, la cardère est utilisée en ostéoporose, dans la guérison des fractures, elle empêche, calme les contractions utérines, améliore l’immunité. Elle serait riche en vitamine E.
Dans le calendrier républicain,  la Cardère était le nom donné au 17e jour du mois de fructidor.

Sources : Musée des Alpilles Saint Rémy de Provence 1992 ISBN2-909107-02-7–arch départ des Bouches-du-Rhône – Pierre Barbier Notice sur le chardon Marseille édit Nouvelles 1906—Félix Laffé Le Chardon à Tarascon de la Monarchie de Juillet à la Grande Guerre  édit Provence Historique janv 1989 --Diderot Encyclopédie Le Bonnetier  -- Henri Louis Duhamel du Monceau 1765 L’art de la Draperie –Musée d’Utrecht Travail de la laine et apprêt des Draps1760 -- Ditandy 1875 Géographie élémentaire du département de l’Aude – Ch Portal Le Département du Tarn au XIXè siècle 1892  - F Kirschleger Flore Vogeso-rhénane 1870 –


Fabrique Pierre Barbier 1900 St Rémy de Provence- repro Claudine Sudre
--ci-contre fabrique Antoine Pecout à Maillane 1920 –repro L’œil et la Mémoire

Musée Utrecht -travail de la laine 1760 huile sur toile -anonyme