mardi 29 mai 2018

Le matador qui avait (parfois) peur des toros






Rafael Gomez Ortega ou le Matador qui avait (parfois) peur des toros

                                                Aujourd’hui je ne vais pas me faire que des amis.

La feria de Nîmes, celle d’Alès ouvrent la saison touristique. Ce n’est pas la fête pour les taureaux de combat.
Je ne peux m’empêcher de penser au matador Rafael Gomez Ortega.
  Rafael était espagnol, né en juillet 1882 à Madrid. Il décède en mai 1960 à Séville. On le surnomme aussi « El Dinivo Calvo », le Divin Chauve à cause d’une calvitie précoce. Il est le fils du matador Fernando Gomez El Gallo, le frère du matador José Gomez Ortega Joselito Gallito, et beau-frère du matador Ignacio Sanchez Mejias. Avec une telle famille il ne pouvait pas être plombier ou boulanger !!!.... Et puis en ce début de 20ème siècle, les corridas sont très à la mode, même en France, l’Impératrice Eugénie, l’épouse mexicaine de Louis-Napoléon avait apporté l’exotisme de son pays.

Rafael enchante les spectateurs par un jeu élégant. Une passe de muleta porterait son nom « molinete gallista ». Un temps il sera en couple avec une célèbre danseuse de flamenco  Pastora Imperio.
Son père le présente en 1885 à Valence en Espagne. Son alternative se déroule en septembre 1902 à Séville avec pour parrain Emilio Torres Reina. Confirmée à Madrid en mars 1904 avec pour parrain Rafael Molina Martinez.

Mais il avait la fâcheuse habitude de s’enfuir lorsqu’un toro l’effrayait un peu plus que nécessaire. C’était arrivé lors de son passage dans les arènes de Nîmes.
On disait « avec lui on ne savait jamais ce qui allait se passer.. ». « il rendait la tauromachie humaine, il avait un côté attachant ». Il avait osé avouer sa peur devant le toro et cela plaisait au public qui ne lui en tenait pas rigueur. Il affirmait et assumait à la fois la peur et le besoin de courage de tout un chacun, de chaque spectateur.
Il lui arrivait aussi de s’arrêter en pleine faena, incapable de continuer à toréer. Il disait « Les broncas, (protestations du public) le vent les emporte, les coups de cornes il en reste quelque chose !! Un homme de bon sens qui a fait le tour de la question, finalement sympathique.













Je ne suis pas fan de ce genre de spectacle. Ceci n’enlève rien à la bravoure des matadors, picadors, toreros, mais qu’exprime encore ce jeu ? Le toro, animal totémique, culte païen et sacrifice romain ou gaulois, symbole de fertilité ?...Et que recherchent les spectateurs, quelle situation, quelle histoire personnelle fuient-ils pendant un instant ? Nous sommes vraiment des animaux compliqués.
Rafael par ses excentricités réhabilite un peu ce jeu cruel. Mais je comprends qu’on puisse s’enthousiasmer encore pour une corrida lorsque c’est dans la culture familiale.
Et les « habits de lumière » révèlent la grande technicité des couturières et des brodeuses ! Artisanat qui n’est plus vraiment à l’ordre du jour actuellement.
 Christian Lacroix


















19ème siècle anonyme History of costume http://silveromsk.virtbox.ru/moda/index152-2.html wikimedia commons

 1940Tenue de Matador", "habit de lumière" ou "vêtement de Torero". Espagne, vers 1940. alaintruong.com/archives/2009/12/31/16342607.html


Sources : Auguste Lafront - Paco Tolosa : « Encyclopédie de la corrida », éditions Prisma, 1950, p. 172---
BNF Rafael Gómez : "El Gallo" / J. Francès, 1996 –wikipedia --  Printerest Barcelone 1934 – Museo Taurino Hermanos Villar --  geneanet --midilibre.fr/2015/08/17/le-toro-de-combat-de-l-arene-a-l-assiette-- dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/El%20Gallo%20(Rafael%20Gómez%20Ortega)/fr-fr/--.midilibre.fr/2011/06/03/la-viande-des-toros-bravos-finit-sur-le-grill --Jacques Legris  Toros, afición et gastronomie (Denoël, 1963), -
  19ème siècle anonyme History of costume silveromsk.virbox.ru/moda/index152-2 wikimedia commons --
Alphonse Daudet et la corrida

mardi 22 mai 2018

Buffalo Bill à Nîmes




Buffalo-Bill à Nîmes

 Le 27 octobre 1905 Buffalo Bill, William Frederick Cody de son vrai nom, débarque à Nîmes pour présenter son spectacle sur la conquête de l’Ouest américain, en fait sur les dernières heures de l’Ouest américain. Avignon avait reçu l’énorme campement le 8 août de la même année au lieu-dit « des grandes manœuvres » en Courtine. Buffalo Bill apparaît avec  "la physionomie d'Artagnesque et le chapeau à la Mistral". Le public est conquis.


Un show gigantesque : 800 hommes dont une centaine d’Indiens, 500 chevaux, des dizaines de bisons… Dans les bateaux qui transportent le matériel, 1200 pieux, 4000 mâts, 30 000 mètres de cordages, 23 000 mètres de toile, 8000 siège, 10 000pièces de bois et de fer pour former les chapiteaux.. On a du mal à imaginer le déplacement de tout ce matériel sur les routes françaises et européennes. Un auteur nous parle de 63 000 miles parcourus en trois ans ! Une énorme entreprise de spectacle qui fera beaucoup d’argent.


(Embarquement des Sioux à la gare Saint-Lazare à Paris – collection privée Jacques Nissou)
En 1882, le spectacle de cirque sous le nom de « Buffalo Bill's Wild West Show » est créé et il se produit dans tous les Etats-Unis avec un immense succès. Pendant trente ans de 1882 à 1912, ce spectacle toujours dirigé par Cody conduit la troupe dans toute l’Amérique du Nord et l’Europe.
En 1887, le Wild West Show traverse l’Atlantique une première fois pour se produire à Londres pour le jubilé de la reine Victoria. Des tribunes de 30 000 places ont été dressées à Kensington. La troupe est présentée à la reine qui commande deux représentations spéciales au château de Windsor.

(tournée européenne)
Buffalo Bill‘s Wild West est présenté une première fois en France en 1889, pour l’Exposition Universelle. Paris, Strasbourg, Lyon, Marseille….. La première du Buffalo Bill's Wild West Show a lieu le 18 mai 1889 à Paris au Champ de Mars en présence de Sadi Carnot, Président de la République, des membres du Gouvernement, de la Reine Isabelle d'Espagne, de deux Ministres Américains, de plusieurs officiers de l'U.S. Navy. Après la France, un petit tour en Espagne puis l’Italie avec Naples le 26 janvier 1890. Par la suite la troupe se produira le 20 février à Rome où la troupe qui stationne au Colisée sera reçue par le Pape Léon XIII.
En 1905, 120 villes françaises reçoivent ce show, Paris, Toulouse, Montpellier, Nîmes, Arles, Aix-en-Provence….. avec une publicité très moderne. Un spectacle qui se voulait éducatif, la conquête de l’Ouest dans toute son authenticité : parades, courses de cavaliers, attaques de ranchs et de diligences, jeux de lasso, tireurs d’élite, dressage de chevaux et le fameux combat du Général Custer. A Paris, 3 millions de spectateurs, à tel point que les directeurs des théâtres de la capitale s’en plaignirent. Buffalo Bill fascinait les enfants et les adultes avec une vie aux exploits légendaires et viriles ; trappeur, chercheur d’or, chef de train du Pony Express, éclaireur, grand chasseur de bisons… et d’indiens. Il sentait l’aventure, la poussière, le crin des chevaux... Autant de clichés véhiculés par les westerns hollywoodiens et les romans. Mais en 1912 son cirque dépose le bilan et Buffalo Bill décède le 10 janvier 1917 à Denver dans le Colorado chez sa plus jeune sœur. Il avait découvert le métier d’acteur en 1872, et ainsi s’achève une vie de spectacles et d’aventures.


 (Tours)


 Paris 1905





Paris 1905 parade sur le Champs de Mars- Musée du Roure Ville d’Avignon


Strasbourg 1905


Strasbourg en octobre 1890- devant quelque 5 000 personnes à chaque représentation.



  St Malo 14 septembre 1905




Ce 27 octobre 1905, le public nîmois vibre devant les cavalcades, l’exotisme, le rêve d’un monde sauvage.. Parmi les spectateurs, Folco de Baroncelli, le Marquis camarguais, le créateur de la Nation Gardianne. Il est fasciné par ces Indiens venus de si loin. « Mon grand-père a toujours été ému par les peuples opprimés et aimait les Indiens pour la liberté qu’ils inspirent » racontait son petit-fils Pierre Aubanel. En juin à Paris il avait déjà vu le show. Notre cow-boy de cinéma Joe Hamman, qui travaillait dans le show Buffalo Bill, avait semble-t-il organisé une rencontre avec les Indiens du spectacle dont Jacob White Eyes et Sam Lone Beer dans un restaurant de l’avenue de la Bourbonnais près du Champ de Mars. (René Baranger  écrivain et ancien gardian- Rémi Venture historien-archiviste pour la Confrérie des Gardians). Certains de gardians de Baroncelli participeront d’ailleurs au show comme Hadrien Barthélemy. Buffalo dédicace au Marquis son livre « Le Dernier des Grands Eclaireurs », dont on suppose qu’ils se sont rencontrés à cette occasion.

L’hiver 1905-06, le cirque est à Marseille où Le Marquis Folco de Baroncelli rend visite le 3 mars à son ami Jacob White Eyes. Septembre 1906, Bruxelles et c’est le retour du spectacle aux Etats-Unis. Baroncelli fera le déplacement en Belgique pour voir ses amis indiens.
L’expansion de l’homme blanc sur les terres indiennes ne pose pas vraiment problème aux consciences américaines et européennes. .400 ans de guerre, de destructions d’une culture, d’évangélisation aveugle, les Indiens natifs de la « Grande Tortue », l’Amérique, étaient passés de 15 millions à quelques milliers parqués dans des réserves. Nous ne nous étendrons pas sur ce qu’il faut bien appeler un génocide.    
Baroncelli avec coiffe sacrée



Buffalo Bill à 19 ans.
Les Indiens présents au spectacle sont de vrais Lakotas en majorité de la tribu Oglalas, des Sioux et non des asiatiques embauchés pour l’occasion. Des Indiens déracinés de leur terre qui vont jouer le rôle des sauvages Peaux-Rouges. La plupart viennent de la réserve indienne de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. A cette date la lutte pour la survie du peuple indien et de sa civilisation est quasiment éteinte. Le massacre de Wounded Knee où plus de 300 Indiens sont tués en 1890 dans le Dakota du Sud, et l’heure de la résignation a sonné.

( Sitting Bull et Buffalo Bill –Publicité à Carcassonne-William Norman Studios 1885)
Jacob WhiteEyes
Le spectacle réécrit l’histoire à la façon Buffalo Bill. Il s’agit de la reconstitution de la bataille de Little Big Horn, de 1876, où le général Custer perdit la vie, tué par les Indiens de Sitting Bull. Une victoire indienne pendant la guerre des Black Hills. Peu à peu le dénouement de cette reconstitution sera modifié pour faire gagner les Américains. Pour la tournée américaine et canadienne de 1885, Sitting Bull fait partie du casting, plus prisonnier qu’invité même s’il est rétribué pour ses représentations, sorte d’animal de zoo. Il ne sera pas autorisé à participer à la tournée européenne.
Le show de 1905 montrait aussi des cavaliers « exotiques », arabes, cosaque ou japonais. Deux représentations par jour, une le matin et une autre le soir.

Le lendemain du spectacle, le 28 octobre, avec l’autorisation de Buffalo Bill, quelques Indiens sont invités au Cailar en Camargue pour une ferrade, puis c’est une abrivado à Gallargues-le-Montueux. Les petits chevaux de Camargue rustiques et agiles fascinent les Sioux.
Les Indiens participent à l’abrivado en costume et avec leurs montures. Un article du 7 décembre de Baroncelli dans le journal Prouvenço mentionne: « il y avait là Queue de fer un homme magnifique. Malgré ses 75 ans il saute encore comme un chat sur son cheval, lui qui a fait toutes les guerres indiennes…... une grande renommée, scalpant plus de visages pâles que de ce qu’il y a de taureaux dans toute la Camargue… ». C’est cet Indien qui le baptisera « Oiseau Fidèle ». (Queue de Fer ci-contre)

Une correspondance va s’échanger entre le Marquis et Jacob WhiteEyes jusqu’en 1917. Avant de repartir les Indiens laissent à Baroncelli des objets authentiques, le costume traditionnel de Jacob WhiteEyes, coiffes, mocassins… Le Marquis les aidera financièrement durant les dernières années de la troupe.

Les relations entre la Camargue et les descendants des Indiens ne se sont pas interrompues. En 2006 Ed Young Man Afraid of his Horses, descendant de Jacob WhiteEyes, avec d'autres Indiens visitent Pierre Aubanel petit-fils du Marquis. Ils se rendent au musée où sont exposés les costumes, parures de leurs ancêtres. Ils se recueillent et invoquent les esprits de la nature sur la tombe de Folco de Baroncelli, le Marquis. Pierre Aubanel est baptisé Oiseau qui va de l'avant.
(Pierre Aubanel et Ed Young Man Afraid of his Horses 2006)


Une légende, ou un rêve éveillé, mais la Camargue est terre de mirages : des Indiens ne seraient pas tous repartis aux Amériques en 1906. Mais aidés par le Marquis quelques-uns se seraient installés en Camargue.  


Musée Buffalo Bill – Johnny Baker Lokout Mountain Golden Colorado 1921-
Buffalo Bill avec des Scouts Pawnee et des chefs Sioux.

Ce qui est vrai par contre, c’est que les codes équestres des jeux gardians remis au goût du jour par Folco de Baroncelli sont fortement inspirés du spectacle de Buffalo Bill.


Buffalo Bill avec deux indiens 1915 -FPGGettyimages


Joé Hammon debout – Baroncelli – Musée du Roure

Cody et sa femme Louisa Frederici -- C’est à Saint-Louis (Missouri), que le jeune William Cody rencontre Louisa Federici, issue d’une famille bourgeoise d’origine alsacienne. Malgré l’opposition de sa belle-famille, le mariage eut lieu le 6 mars 1866. Rapidement, Louisa refusa de suivre son mari dans sa vie aventureuse et sauvage. Mariage malheureux mais ils ne divorcèrent jamais.

Une question vient de mettre posée : Cody a été chef de train du Pony Express ? Le train en question n'a rien de ferroviaire ; "train"=allure, vitesse, organisation, il y a certainement un terme plus approprié en bon français. Chef de train est le titre officiel pour les traducteurs français.

Sources : Gazette de Nîmes n° 865 31 décembre 2015 Julien Ségura -- Midi libre .midilibre.fr/2014/08/23/buffalo-bill-et-son-cirque-s-arretent-a-avignon,1040975.php – oldqestamericana.over-blog.com – Le journal des Voyages n°623 16 juin 1889 collection Paul A Pittet – François Jacob-Burned-Wolf internet – Folco de Baroncelli Car mon Cœur est rouge, Des Indiens en Camargue édit Gaussen – Rémi Venture musée du Nouveau Monde de la Rochelle Les Indiens de Buffalo Bill et la Camargue  édit de la Martinière – Eric Vuillard  Tristesse de la Terre Une Histoire de Buffalo Bill édit actes Sud –– Musée du Roure Avignon Fondation Flandreysy Espérandieu – Affiches Buffalo Bill Center of the West USA- - Jacques Portes Buffalo Bill et le Wild West Show, légende et postérite édit du Chêne--- --sur ce blog Le Marquis de Baroncelli écrivain et manadier camarguais 31/7/2017 --

lundi 14 mai 2018

Le bout de Zan






(Musée Haribo jour d’affluence – passerelle avec panneaux photovoltaïques 2014)

a Le bout de Zan :
 












Quand nous arrivons de Remoulins aux portes d’Uzès sur la droite, de grands bâtiments nous interpellent : l’usine Haribo et son musée, son grand parking et un parfum de réglisse qui nous ramène loin dans notre enfance. L’usine de confiserie est installée sur la rive gauche de l’Alzon, le musée sur la rive droite de la rivière emblématique de l’Uzège. Les très nombreux visiteurs pénètrent dans des bâtiments à l’histoire très ancienne, symboles de l’industrialisation de l’Uzège du 19ème siècle. Le secteur était riche en filatures, moulinages, moulins à blé, surtout chemin de La Californie, en face dans la continuation du chemin Bargeton (et de l’actuel usine de confiserie),….grâce à la rivière. On ne dira jamais assez l'importance de l'eau pour l'humanité. Des noms de familles qui ont marqué l’industrie d’Uzès, Lafont, Téraube, Abauzit, Vincent…… Beaucoup de bâtiments ont disparu, des archives qui se contredisent quant aux emplacements… Les industriels de l’époque ont su rebondir pour transformer leurs usines et devenir les premières fabriques de réglisse française. Le chemin de fer très en avance dans notre secteur pour le transport de marchandises participe au désenclavement de notre région. La faculté de médecine de Montpellier joue aussi un rôle indéniable dans l’essor de cette industrie : elle fait fabriquer et expérimente des remèdes à base de réglisse avec les plants locaux.

En 1818, ce sont deux bâtiments appartenant à la papeterie Gentil, un moulin à foulon pour feutre et draps épais et l’autre à usage agricole. Encore en 1825. La papeterie existe depuis 1770. Notre industrie est encore textile et fournit du travail aux femmes et enfants de notre secteur. Des industriels lyonnais, dauphinois et ardéchois investissent dans le Gard où les bâtiments existent déjà. En 1830 le moulin est déclaré moulin à blé. Puis vers 1845, est propriétaire Marc-Antoine Téraube dont la famille vient des Vans commune ardéchoise avec laquelle nous commerçons depuis au moins le 15ème siècle. Moulinier de soie à Aimargues il déclare les bâtiments sur Uzès détruits et remplacés par un moulin à blé (au nord) et un à huile (au sud). Une moulinerie de soie installée en 1825 chemin de La Californie par F Chevalier sur un ancien moulin à blé emploie encore 25 femmes et 2 enfants à la veille de 1895.
La crise textile commence à se faire sentir, la culture des vers à soie connait une récession. Mais la région fournit des céréales et des olives. Les propriétés changent de main très rapidement jusqu’à l’arrivée de Henri Lafont.


En 1852 les moulins à huile et à foulon de Mathieu Broche sont remplacés par une usine d’impression sur étoffes appartenant à Veyrun. Puis le banquier et tanneur Henri Lafont rachète l’usine en 1856 et une amidonnerie avec un moulin à blé qui perdurera probablement jusqu’à la guerre de 1914.. En 1863 ses deux gendres Henri Abauzit et Léonce Vincent reprennent les lieux pour en faire un atelier de fabrication de suc de réglisse.  Alphonse Perdrix en est le directeur. Puis en 1873 la société Abauzit-Perdrix-Aubrespy est formée. Paul Aubrespy est le gendre d’Abauzit. Les biens restent dans la famille. En 1882 Perdrix disparait du nom de la société. On fabrique des petites boules ou perles noires, mélange de suc de réglisse et de gomme arabique. La marque Zan est déposée en 1884. Paul Aubrespy aurait entendu dans un restaurant un enfant demander manger de tout et le faisait

savoir en zézayant « z’en veut, z’en veut ». Le nom de la marque était né.

En 1870 Charles Téraube apparait dans les archives. Fin 19ème siècle d’abord location de ses bâtiments à Paul Aubrespy, propriétaire de l’usine de réglisse située de l’autre côté de la rivière. La société Terssonière et Kreitmann successeurs et gendres d’Aubrespy achète les bâtiments pour en faire une usine à broyer la réglisse en 1924. Transformation de la société en SARL Zan en 1926.. La société Ricqulès-Carénou et Tur de Moussac fusionne avec la société Zan en 1970. La société Florent s’ajoute en 1975. Puis le tout est racheté en 1986-87 par Haribo, entreprise allemande.
La famille Teraube avait acheté aussi son moulin à foulon à André Julien et l’avait transformé en filature et moulinerie entre 1824 et 1827. Guillaume Téraube était négociant à Nîmes, puis il s’installe à Uzès et agrandit les bâtiments en 1835. Jacques Téraube prend le relais. Après un passage difficile avec François Thomas vers 1870, on reconstruit des bâtiments en 1876-77. L’ensemble sera vendu en 1892 à Henri Abauzit, beau-père d’Aubrespy, banquier et son usine de réglisse installée chemin de la Californie traverse la route. La ligne de chemin de fer le long de la route est ouverte avec une gare du Pont-des-Charrettes toute proche.
L’usine prospère : on passe de 1827 à 2 chaudières pour 80 bassines à 100 bassines en 1835 ; en 1853 deux chaudières cylindrosphériques de 3,619 m3, 2 atmosphères. Puis en 1859 chaudière en fer à foyer intérieur et dôme de 8,137m3,3atmosphères. Deux cheminées en briques l’une carrée, l’autre circulaire…(archives privées).
Pastilles, tablette, bâton à sucer… Zan fabriquait des confiseries avec différents arômes. Commercialisation appuyée par une publicité très attractive. Paul Aubrespy et ses successeurs vont se servir d’une politique de marketing très judicieuse : objets vantant les mérites du Zan, affiches, présentoirs, images, buvards, cartes postales, chansons, films…. Des emballages qui marquent les esprits, tout un art qui fait date !!
(Affiche publicitaire lithographiée pour les produits Zan (bâton suc pur, pastilles) datant de 1888.)
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Les réglisseries employaient des femmes recrutées sur plusieurs kilomètres à la ronde. Peseuses, piqueuses, billeuses, emballeuses…Elles arrivaient le lundi matin et vivaient en internat toute la semaine, ne rentrant chez elles que le samedi après-midi. Même si le travail était dur, c'était déjà une libération encadrée certes, mais loin du cocon familial et villageois. Elles commençaient dès 11-13 ans, et quittaient l’usine lors de leur mariage ou de la naissance de leur premier enfant. En 1860 des logements patronaux pour ouvriers sont installés dans le secteur.





D’où vient la réglisse ? Cette plante a besoin d’un climat chaud, d’un sol riche et humide. On la retrouve sur le pourtour méditerranéen, au sud des Etats-Unis, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, sur l’île Maurice. C’est une plante invasive, le moindre fragment repousse. Elle a été cultivée dans notre Midi sans problème. Les villes d’Uzès et de Moussac sont connues dès le 19ème siècle pour produire de façon intensive cette plante.
Dans l’antiquité les Grecs, les Romains l’utilisaient notamment pour éclaircir la voix. Mélangée avec de la racine de chiendent torréfiée, elle composait une boisson « hospitalière » que l’on retrouvait dans tous les hôpitaux au Moyen-Age. Ulcères, gastrites, bronchite, elle calmait tout, au moins si elle ne guérissait pas tous les maux. Paul Ricard en 1920 l’introduit dans son « pastis ». Boisson « coco » tisane ou poudre de réglisse, antésite concentré liquide de réglisse, bâton à mâcher comme substitut au tabac… ou alcool finlandais au goût de réglisse, dans la pâtisserie, la cuisine… mille façons de l’accommoder. (A déguster avec modération pour tous ceux qui ont de la tension artérielle).







L’Empereur Napoléon était accro à ce remède naturel à cause de ses nombreuses douleurs et problèmes digestifs. Des caisses entières de racines lui étaient livrées. Pour son haleine il suçait des cachous de réglisse. Ses dents en étaient tachées de noir.
Le calendrier républicain ne l’oublie pas : le 9ème jour du mois de fructidor.


Les poètes comme Apollinaire, Boris Vian lui font l’honneur de quelques mots dans leurs textes. Un autre poète en 1907 écrivait lors de la naissance d’un enfant : «Pour qu'il n'ait point de caprices, Et soit bien obéissant, Faites infuser du Zan, Dans le lait de sa nourrice».  En 1975 le CNRS dans le Trésor de la Langue Française s’empare du mot « Zan » ou « bout de Zan » qui devient affectueux pour désigner une petite femme, un joli petit enfant, un animal adoré. Ces mots entrent au Larousse Universel en 1982, et passent rapidement dans le langage commun.


Le musée du Bonbon Haribo sera inauguré en 1996, de concert municipalité d’Uzès et société Haribo-Ricqlès-Zan. Des bâtiments entièrement restaurés avec une passerelle sur la rivière Alzon qui relie les deux rives. Une exposition « Mémoires d’un Bout de Zan », en 1991 sur l’histoire de la réglisse dans notre ville remporta un vif succès. Organisée par l’office municipal de la Culture dans l’ancien Évêché elle nous avait fait revivre la vie des hommes et des femmes à l’usine. Le musée sera agrandit en 2006. En 2010, 300 000 visiteurs par an, 400 employés à Uzès, un pôle d’attraction économique important pour la ville. Actuellement des plans de réduction du personnel sont en cours, avec peut-être un jour une restructuration sur Marseille ou l’Allemagne. Pourtant les bonbons ont encore de bons jours devant eux !!




Sources : Type : Inventaire général du patrimoine culturel-Epoque : 3ème quart 18ème siècle --1er quart 2e quart 3ème quart 4ème quart 19e siècle--Auteur(s) : maître d'oeuvre inconnu -- Moulin à huile, moulin à foulon Broche, puis usine de papeterie Gentil, puis Lafont, usine d'impression sur étoffes Veyrun, puis usine de produits alimentaires [archive], Monuments historiques d'Uzès, .l-- en ligne. -- « Causerie: la réglisserie Zan, sa création et sa publicité » [archive], avec Jacques Roux, Le Midi libre, en ligne. -- « Musée du Bonbon de Pont des Charrettes: mémoires d'un bout de Zan » [archive], Le Midi libre, en ligne. –Katia Fache-Cadoret  L’Histoire du Pastis  wwwmarie-claire.fr.lifestyle –histoiredelareglisse rue-paradis.fr/la reglisse/histoire – Le Républicain d’Uzès et du Gard Monique Demerson n°3276 8 juillet 2010 –n°3575 31 mars 2016