mardi 26 juin 2018

Le Salaire de la Peur dans le Gard





Le Salaire de la Peur tournage dans le Gard:

Un tournage au bout de l’enfer


Le 15 avril 1953 le film d’Henri-Georges Clouzot « Le Salaire de la Peur » est projeté au 6ème festival de Cannes. L’un des juges le comédien Edward Robinson à la sortie de la projection s’exclame : »Je viens de recevoir un génial coup de pied au bas-ventre ». Le Grand Prix, l’équivalent aujourd’hui de la Palme d’Or est attribué au film. Fait exceptionnel il reçoit aussi l’Ours d’Or de Berlin. Les récompenses vont se succéder : le Prix Méliès en 1953, le British Academy Film Award du meilleur film en 1955… Un succès immense avec plus de sept millions de spectateurs.

Clouzot en visite au Brésil constate que les grands groupes pétroliers volaient allégrement les ressources naturelles d’Amérique du Sud. Cela lui donne l’idée d’adapter au cinéma le livre de Georges Arnaud « Le Salaire de la Peur ».
L’histoire est celle d’un groupe d’exilés en Amérique Centrale qui tentent de s’échapper de l’enfer du lieu en transportant de la nitroglycérine sur des routes à peine praticables. 500 km dans deux camions, pour éteindre un incendie dans un puits de pétrole. Une compétition mortelle, surhumaine.. Un sinistre jeu de « quitte ou double » périlleux avec une énorme prime, seul moyen de quitter ce village de Las Piedras (Les Pierres en français, ce qui en dit long sur cet environnement).

Georges Arnaud
 (Georges Arnaud Libération.fr 1986- Photo Louis Monier. Rue des archives)
En 1951, la Production cherche des lieux pour tourner l’adaptation du roman de Georges Arnaud, ou Henri Girard. L’auteur du livre, est né à Montpellier en 1917. Il décède en 1987à Barcelone. A l’âge de 24 ans il est accusé puis acquitté du meurtre de son père, de sa tante et d’un domestique. Après avoir dilapidé son héritage il part pour le Venezuela où il exerce tous les métiers, chercheur d’or, barman, contrebandier, chauffeur de camion. Il rentre en France en 1949. Son livre est vendu à plus de deux millions d’exemplaires. C’est son premier roman. Plus tard il se lance dans le journalisme d’investigation et prendra parti pour le FLN lors de la Guerre d’Algérie. Son activiste politique lui vaudra un autre emprisonnement pour avoir entre autre écrit un livre en 1957 avec Jacques Vergès sur Djamila Bouhired militante FLN qui risquait la peine de mort. En 1960 il est incarcéré pour ne pas avoir dénoncé des indépendantistes algériens ; il reçoit le soutien de personnalité telles que Joseph Kessel, Jean-Paul Sartre, Jacques Prévert, François Maspero, André Frossard..
Théoriquement l’action se passe au Guatemala. Clouzot veut tourner en décors naturels. Clouzot dira cette phrase qui résume bien son état d’esprit : "Je ne peux pas supporter qu'on fabrique. Peu importe si la colère que je réclame a d'autres motivations que celle du rôle, il suffit qu'elle soit vraie." 
L’Amérique Centrale est trop loin et trop cher. Yves Montand et Simone Signoret après un voyage à Rio devant tant de misère en Amérique Latine avaient jugé indécent de tourner dans ces pays. On évite l’Espagne, Yves Montand l’acteur principal ayant déclaré : « Franco vivant, je ne franchirai pas les Pyrénéens » !!

Clouzot et son frère Jean, devenu Jérôme Geronimi planchent dix mois pour mettre au point le projet. Le budget initial se monte à 102 millions de francs, reparti en trois, le distributeur Cinédis, le Crédit National, et les deux coproducteurs (CICC et Vera Film). Yves Montand se fait un peu tirer l’oreille pour accepter le rôle de Mario. Jean Gabin refuse le rôle de Jo le faux-dur : ce sera Charles Vanel qui y gagnera le prix de la meilleure interprétation masculine. Vanel sera doublé pour les scènes violentes par un boxeur nîmois Capdeville. La femme de Clouzot, Vera jouera le seul rôle féminin du film. Un Hollandais Peter Van Eyck tout en muscles, et l’Italien Folco Lulli tout en rondeurs parachèvent l’équipe de camionneurs kamikazes. 

Midi libre 28/8/2017 : Peter Von Eyck, Clouzot, Folco Lullli, Montand. » Clouzot a voulu faire de coin de terre gardoise l’un des vestibules de l’enfer où le travail des hommes est comme le tribut d’une damnation, Des sites inhumains, des camions qui ahanent au long de rampes impossibles, des belvédères escarpés où des titans torses nus s’agrippent aux rochers » Pierre Jaoul. 


Peter et Dario Moreno















 La Camargue sera idéale pour représenter la saison chaude et sèche. Des puits et des derricks seront construits pour les besoins du film. Nîmes n’est pas loin pour loger, transporter comédiens et matériels. La Bambouseraie de Prafrance prêtera sa végétation exotique et luxuriante. Ce sera idéal pour le tournage de nuit lorsque le camion roule sur la piste en tôle ondulée. (Bambouseraie-wikimedia)


Les gorges du Gardon près du Pont Saint Nicolas et ses méandres donneront les frissons aux spectateurs. Nous verrons Montand zigzaguer au volant de son camion dans les virages des gorges entre Nîmes et Uzès en traversant le camp militaire des Garrigues. En limite du village de Poulx sur la route de la Baume nous assisterons à la chute du camion de Montand dans la combe. En 1990 les débris de ce camion seront retrouvés avec d’autres carcasses. La rive gauche du Gard sera le lieu de l’explosion du premier camion : lors de la grande crue du Gard en 2002, l’endroit sera visible entre l’ancien Hôtel et la source de la Canelle sous trois mètres de sable, d’alluvions et de végétation.


(Gorges du Gardon-)
Le film sera tourné en deux temps, de juillet 1951 à novembre 1951, puis après des pluies cévenoles, reprendra l’année suivante en juin 1952.








(le café de Las Piedras- Jeronimo Mitchel (Dick), Folco Lulli (Luigi), Vera Clouzot (Linda), Yves Montand (Mario), Peter Van Eyck (Bimba), Dario Moreno (Hernandez le cafetier), Jo Dest (Smerloff))

(Clouzot accroupi, Simone Signoret en spectatrice)

Le 21 juillet 1951 l’équipe s’installe au Grand Hôtel du Midi square de la Couronne à Nîmes qui devient le QG de la production. René M. jeune garçon de café  de l’établissement se souvient d’un Charles Vanel, froid, passant son temps à jouer aux dames avec Clouzot, d’un Folco Lulli sympathique et d’un Yves Montand, toujours vêtu d’un maillot de corps comme dans le film. Simone Signoret très jolie femme qui buvait du whisky Johnny Walker à étiquette rouge, une femme très polie, très humaine, à l’écoute des autres…. Le propriétaire de l’hôtel était M Roux surnommé Toto, dont le père Paul avait été propriétaire de la Colombe d’Or à St Paul de Vence où Montand et Simone s’étaient rencontrés ; ils se marieront en décembre 1951. Un petit rôle sera attribué à Toto Roux : celui de l’indigène qui ramasse le mouchoir sur la route qui devait prévenir le camion suivant du danger.

Le village de Saliers sur la commune d’Arles est aménagé pour devenir le décor du village principal du film Las Piedras. Saliers avait servi pendant la Seconde Guerre mondiale de camp d’internement pour les Roms. Au moins 700 d’entre eux y moururent de faim, de maladies, de froid.





Camp de Saliers
René Renoux le décorateur s’active pour transformer les lieux : une église, une usine, un café sont rapidement construits en béton chaulé. L’eau des marais est amenée pour donner l’impression d’humidité, de flaques d’eau…On ajoute des palmiers en métal et des cactus en plâtre qui vont se promener pour les besoins de l’action. Les explosifs utilisés seront fournis par un fabriquant nîmois les Etablissements Rey Frères rue de Serbie.
Le 7ème Régiment du Génie d’Avignon sera mis à contribution : il construit un ponton en bois au-dessus du ravin et un câble entre les deux rives pour transporter le matériel sur la rive gauche du Gard. Deux soldats vont se noyer accidentellement et ce sera une des raisons d’arrêter et de repousser le tournage.

Mais les orages s’invitent et c’est la catastrophe : les décors déteignent, s’écroulent, les véhicules s’embourbent, les comédiens s’ennuient et mettent de l’ambiance au Grand Hôtel et dans la ville : disputes pour rire, assiettes cassées…. Le journaliste Jean Charles Lheureux raconte que les rumeurs les plus folles couraient sur les comédiens, nombreuses minettes pour Montand, opium pour Vanel. Simone Signoret et Vera Clouzot faisaient les boutiques. Quarante jours de pluie !! Le moral est en berne. La poisse s’installe : Vera tombe malade, le réalisateur se casser la cheville, les figurants gitans s’estiment mal payés et se mettent en grève… En novembre 1951 tout le monde rentre à Paris, la production jette l’éponge. Le budget prévu est largement dépassé. Deux nouveaux financeurs sont contactés. 
Le tournage redémarre en juin 1952. L’été est caniculaire et le travail difficile. C’est à ce moment-là que se joue la dernière scène du film quand le héros perd la vie dans les gorges du Gardon entre Poulx et Pont Saint Nicolas. Léonce Larnac en 1904 décrit ces gorges de Poulx dans



La Bambouseraie de Prafrance à Anduze sert de décor à la scène où Vanel et Montand sont plongés dans une mare de pétrole. Ce n’était pas une eau teintée, mais une vraie mare d’eau avec une épaisse couche de mazout. Avec Clouzot il fallait toujours faire vrai. Cette scène dura des jours et les comédiens malgré une douche en plein air, restèrent de longs moments dans le pétrole et dans son odeur.
Le tournage prend fin le 3 novembre 1952, avec un budget doublé et un dépassement du temps prévu.

Montand et Vanel

Ce tournage est resté dans les mémoires des Languedociens, fiers d’attirer des vedettes, et d’avoir des paysages si cinématographiques. Et puis cela mettait du remue-ménage dans le quotidien.

Lors de sa diffusion aux Etats-Unis, le film sera amputé de ses trois premiers quarts d’heure. Il apparut comme un violent pamphlet contre la dictature capitaliste des Etats-Unis envers les pays d’Amérique Centrale.

Sources : Georges Arnaud Le Salaire de la Peur 1950 édit Julliard –allocine.fr/film – film.blog.lemonde 21/2/2015 – wikimédia Georges Arnaud édit Finitude –Gazette de Nîmes n° 951 24 août 2017 Bernard Bastide—José-Luis Bocquet Marc Godin Clouzot Cinéaste édit de la Table Ronde Paris 2012 –Simone Signoret La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était  édit  du Seuil Paris 1975 ISBN 2-02004-520-6 – photos pinterest.fr/pin – photos H Collignon --pokerlille.com/phpBB3-disjecta membra canalblog—DR --Le Salaire de la Peur collector DVD Blu-Ray TF1Vidéo—Georges Mathon nemausensis/midi libre 16/11/2008 – midi libre 29/8/2017 22/6/2017 30//7/2017 –wikipedia.org/wiki –Le salaire de la Peur + Clouzot -


Charles Vanel --Pinterest.fr/pin –DR (Charles Vanel)


lundi 18 juin 2018

Pétrarque, Laure et la Fontaine de Vaucluse


Pétrarque, Laure et la Fontaine de Vaucluse


La Fontaine de Vaucluse, la vallée close…. Bientôt elle sera envahie par les touristes et les marchands. Outre son gouffre plein de mystères, elle a connu Pétrarque et son besoin de silence, omniprésent encore dans cette vallée. En dehors de la saison touristique, ce lieu respire la sérénité, le sacré, une élévation de l’âme, une sorte de magie.
Pétrarque a 9 ans lorsqu’il découvre pour la première fois la Fontaine de Vaucluse. Il est en compagnie de son père. Il écrit : « Arrivé à la source, je m'en souviens comme si c'était aujourd'hui, je me dis au mieux de mes juvéniles émotions, voilà un site fait pour moi »...Bien plus tard en 1338 il s’y installe dans une maison au pied de la falaise et y vient toutes les fois qu’il a besoin de calme, de paix, dans des moments de mélancolie, de souffrance. Son ami l’évêque de Cavaillon Philippe de Cabassole n’est pas loin, sur la falaise dans son château.

Épître à la Postérité : « Je rencontrai une vallée très étroite mais solitaire et agréable, nommé Vaucluse, à quelques milles d'Avignon, où la reine de toutes les fontaines, la Sorgue, prend sa source. Séduit par l'agrément du lieu, j'y transportai mes livres et ma personne. »

L’an 1327, Avignon vit au rythme des fastes de la cour du pape Jean XXII. Pétrarque est au service du cardinal Colonna, le neveu du héros d’Anagni. Le 6 avril c’est Vendredi Saint. Pétrarque assiste à l’office en l’église Sainte-Claire proche de la résidence des Colonna. Dans la première travée, il découvre une silhouette de jeune femme qui le subjugue : « un soleil m’a brutalement ébloui, » dit-il.
Quand elle sort de l’église, il la suit dans la foule qui se presse dans la rue en ce jour de fête. Elle est encore plus ravissante de face. Des sourcils noirs, des cheveux d’or. Elle sort la tête couverte d’un léger voile, mystérieuse…Elle se prénomme Laure, fille d’Audibert de Noves et mariée hélas à Hugues de Sade, un lointain ancêtre du fameux marquis. Le mariage a eu lieu à la chapelle des Pénitents Blancs de Noves, contrat de mariage du 16 juin 1325 chez le notaire Raymond Fogasse, avec une dot de 6000 livres tournois à l'O rond, 2 hanits complets, l'un vert, l'autre écarlate avec fourrure de menu vair, une couronne d'argent de 20 florins d'or, un lit, etc.. -  (archi biblio Noves). Pour certains auteurs, Hugues Le Vieux est un petit seigneur sans quartiers de noblesse ; il serait chanvrier-toilier comme ses père et grand-père. Il est riche, possède plusieurs maisons de rapport et un hôtel particulier rue de Sadoue, immeuble qui porte son nom. Un marchand sans blason mais à la bourse pleine. Pour d’autres historiens et généalogistes, Hugues est syndic d’Avignon comme son père, Paul, damoiseau puis chevalier, ce qui parait plus plausible. Dans cette hypothèse, leur noblesse remonterait à 1304.  
La famille de Laure habite le même quartier, une famille titrée mais pauvre. Pauvreté relative car la dot est importante. Mais dans l’Avignon clinquante,  qu’est-ce que la richesse ? Le père de famille est syndic de Noves, petite bourgade à quatre lieues d’Avignon. Laure avec sa tante Phanette de Gantelmes et plusieurs autres dames tenaient « cour d’amour » et poétisaient… En 1327 elle a 17 ans. A son décès en 1348 elle aura eu 11 enfants, neuf survivent à leur mère, six garçons et trois filles.
Plaque commémorative apposée par l'Académie de Vaucluse sur la façade du couvent Sainte-Claire. - Buste de Laure de Noves (Musée Pétrarque de Fontaine de Vaucluse (84))
Pétrarque  qui affirmait haïr la cité papale, versifia :
Béni soit le jour et le mois et l’année, La saison et le temps, l’heure et l’instant Et le beau pays, le lieu où fut atteint Par deux beaux yeux qui m’ont tout enchaîné.
Pendant trois ans Pétrarque sera tout à son amour. Il écrit des poèmes, des lettres admirables. Laure « aux blanches mains » sera son inspiratrice, Il cherche à la croiser dans les rues, aux réceptions, dans des promenades… En 1330 Laure n’a que 20 ans. Elle refuse avec dédain les hommages de notre poète. Elle ne le remercie même pas lorsqu’il ramasse son gant qu’elle avait laissé tomber. Dans son manuscrit de Virgile, il nota :
« Laure, célèbre par sa vertu et longuement chantée par mes poèmes, apparut à mes regards pour la première fois au temps de ma jeunesse en fleurs, l’an du Seigneur 1327, le 6 avril, à l’église de Sainte-Claire d’Avignon, dans la matinée. ».
Sa bien-aimée « avait la forme d’un ange », « sa démarche n’avait rien de mortel », « ses paroles avaient un autre son que la voix humaine »… Il est très amoureux. Il écrit : »moi qui avais au cœur l’étincelle amoureuse, quoi d’étonnant si je m’enflammais tout à coup ». Pétrarque aime les femmes (« son vil penchant » dit-il) mais la conception médiévale de l’amour l’attire ; Laure doit le conduire vers le salut et il se réfugie dans le rêve magnifiant la réalité dans ses vers. Il composa pour sa bien-aimée 318 sonnets et 98 odes ou chansons.
« Quand je suis tout entier tourné du côté où luit le beau visage de ma Dame, et qu’il m’est resté en la pensée la lumière qui me brûle et me détruit en dedans tout entier »
Pétrarque (sanguine de Jacques Le Bouca)

Qui est Pétraque ?  « Le lundi 22 juillet de l’an 1304 au lever de l’aurore, dans un faubourg d’Arezzo appelé l’Horto  je naquis, en exil, de parents honnêtes, Florentins de naissance et d’une fortune qui touchait à la pauvreté. »— Pétrarque, Epistola ad Posteros, (Épître à la Postérité)
Son père notaire est banni de Florence en 1302 et Francesco Petrarca, en français Pétrarque passe son enfance dans le village d’Incisa in Val d’Arno proche de Florence. Son père connaissait le grand Dante ce qui lui avait valu son bannissement. La famille s’exile d’abord à Pise, puis Marseille et le Comtat Venaissin. Avignon en 1312, Carpentras où François étudie avec le maître toscan Convenole de la Prata. Il écrit à son ami d’enfance Guido Settimo archevêque de Gênes : « Je séjournais quatre ans à Carpentras, petite ville voisine d’Avignon, du côté du levant, et dans cette ville j’appris un peu de grammaire, de dialectique et de rhétorique, autant que l’on peut en apprendre à cet âge et qu’on peut en enseigner à l’école ». Son père gêné financièrement paie ses études avec quatorze éminées de blé par an.
En 1314 pour le 1er mai, il est présent à l’arrivée des 23 cardinaux du Sacré Cœur venu élire un nouveau pape, le futur Jean XXII, et l’attaque des Gascons de la famille de Clément V le pape défunt. (on peut voir sur ce blog l’histoire des papes d’Avignon). Ambiance, ambiance…
Pétrarque et ses amis
Après Carpentras, à l’automne 1316 il suit des cours de droit civil et de mathématiques à l’Université de Montpellier pendant quatre ans. Il s’y plait « Là-bas aussi, quelle tranquillité avions-nous, quelle paix, quelle abondance, quelle affluence d'étudiants, quels maîtres ! »Epitre à la postérité – Lettres familières aux amis--.
Sa mère décède à 38 ans vers 1318-19. Son père en 1320 brûle ses livres, dans une colère dévastatrice. Pétrarque et son frère Gérard partent alors continuer leurs études à Bologne, certainement le plus grand centre européen d’études juridiques de l’époque. Ils y rencontrent les trois fils de la puissante famille des Colonna, Agapito, Giordano et Giacomo. Famille qui va les soutenir tout au long de leur vie.
François découvre une nouvelle forme de poésie écrite en langue vulgaire, en toscan et non plus en latin. En 1325 il entre au service de Giacomo Colonna et de Stéfano Colonna le Vieux son père. Ce dernier sera une espèce de père de substitution, son propre père étant mort en 1326. Affection, admiration et reconnaissance en sont témoignées dans les écrits de Pétrarque dans les Correspondances. François, 22 ans, et son frère reviennent à Avignon vers avril 1326, attirés par la Cour Pontificale.
Pétrarque a définitivement abandonné le droit et se fait remarquer ainsi que son ami Giacomo Colonna pour leur élégance, leur éloquence, leur prestance. François va dès lors s’adonner à une activité littéraire et montrer un talent qui lui vaudra une réputation prometteuse dans une société courtoise et raffinée. « Là, je commençai à être connu et mon amitié fut recherchée par de grands personnages. Pourquoi ? J'avoue maintenant que je l'ignore et que cela m'étonne ; il est vrai qu'alors cela ne m'étonnait pas car, selon la coutume de la jeunesse, je me croyais très digne de tous les honneurs. » Épître à la Postérité
Les deux frères pour vivre et percevoir des revenus ecclésiastiques vont recevoir les ordres mineurs. Gérard devenu veuf en 1342, entra à la chartreuse de Montrieux, clerc rendu donc non astreint à la clôture. Les deux frères restèrent proches. Gherardo deviendra chanoine à Lombez, où leur ami Giacomo Colonna est évêque en 1330. François, par envie ou par dépit de ne pas être aimer, va voyager de 1330 à 1333, Paris, Liège, Aix-la-Chapelle, la Flandre, la Rhénanie, les Ardennes, Lyon, l’Italie….. Mais chaque soir il écrit, il pense à Laure.
Il entre au service du cardinal Giovanni Colonna à Avignon. Mais la ville ne lui plait pas, nouvelle Babylone. « Ô Avignon, est-ce ainsi que tu vénères Rome, ta souveraine ? Malheur à toi si cette infortunée commence à se réveiller ! ». « La Cour d’Avignon [était] un gouffre dévorant que rien ne peut combler » « l’enfer des vivants, l’égout de la terre, la plus puante des villes », « la patrie des larves et des lémures », « la ville la plus ennuyeuse du monde «  ou bien « le triste foyer de tous les vices, de toutes les calamités et de toutes les misères ». Il n’est pas tendre avec les cardinaux français de la ville, en particulier un qui « [pesait] de tout son poids sur les malheureuses chèvres et ne [dédaignait] aucun accouplement », dénonça son alter ego qui « [troublait] tous les enclos et ne [laissait] aucune chèvre dormir tranquillement pendant la nuit somnifère », fustigea un autre qui « n'[épargnait] pas les tendres chevreaux ».
D’un autre, le poète nous raconte que le barbon en plus simple appareil, dut coiffer son chapeau de cardinal pour convaincre une jeune prostituée qu’il était bien membre du Sacré Collège.  « Ainsi ce vétéran de Cupidon, consacré à Bacchus et à Vénus, triompha de ses amours, non en armes, mais en robe et en chapeau. Applaudissez, la farce est jouée. »
Laure de Sade - Noves
Pétrarque revoit Laure à l’intronisation du pape Benoit XII, en 1334. Un vêtement pourpre parsemé de roses et bordé d’azur l’enveloppe. Elle le regarde et lui sourit pour la première fois. Il se croit aimé, son cœur s’envole. Mais Laure est malade, de consomption, faisant suite à une phtisie, cette sorte de tuberculose pulmonaire qui aurait peut-être été occasionnée par l'épuisement dû à des accouchements répétés. Elle ne va plus quitter le château de Caumont au bord de la Durance.
Le poète se lance dans la politique, soutient les Français contre les Anglais, se met au service du prince Humbert de Vienne…. Il parait guéri de Laure, du moins il le dit. En 1338 il revoit Laure, pâle, amaigrie. Le feu jamais éteint se ravive. Elle promet de venir le voir à Vaucluse, en vain. En 1348, en ambassade auprès du roi Louis de Hongrie, il est à Parme où il apprend la mort de sa muse, probablement de la Grande Peste qui ravage Avignon et ses environs. Elle avait 38 ans, enceinte de son 11è ou douzième enfant. . Morte à 6 heures du matin. Sa tombe sera ouverte à la demande du roi  François Ier qui lui commanda un mausolée, puis fut pillée et profanée en 1791. « la mort paraissait belle sur son beau visage ». Peu de temps après, en juillet, son ami et protecteur Giovanni Colonna meurt aussi de la peste. A Avignon-même 7000 maisons sont vides, devant le fléau les habitants se sont enfuis dans la campagne environnante.
Laure, mythe poétique, femme de chair et de sang ? Certains se sont posé la question. Elle parait bien réelle dans les écrits du poète. En 1336 Pétrarque rencontre Simone Martini qui décore le Palais des Papes. Il lui demande deux médaillons à son effigie et à celle de Laure, (C. F. Trachse). Tous les deux apparaissent sur une fresque « Le Baptême » d’une chapelle napolitaine de Sancta Maria dell’Incoronata de Naples. François écrit en 1338 à son ami Giacomo (Epistolæ metricæ, I, 6,)  « Il est dans mon passé une femme à l'âme remarquable, connue des siens par sa vertu et sa lignée ancienne et dont l'éclat fut souligné et le nom colporté au loin par mes vers. Sa séduction naturelle dépourvue d'artifices et le charme de sa rare beauté lui avaient jadis livré mon âme. Dix années durant j'avais supporté le poids harassant de ses chaînes sur ma nuque, trouvant indigne qu'un joug féminin ait pu m'imposer si longtemps une telle contrainte ».
Depuis 1338, il s’est réfugié sur les berges de la Sorgue à la fontaine de Vaucluse. Il y mène une vie loin de ses obligations mondaines, une vie de poésie, de réflexion. La solitude et la religion lui apportent un peu d’espérance. Paix, méditation, ses arbres à tailler, son jardin …Il va y séjourner régulièrement jusqu’en 1353. Il s’explique dans ses Familiarum rerum :
 « Ici j’ai fait ma Rome, mon Athènes, ma patrie». Dans l'une de ses lettres à l'évêque de Cavaillon, Pétrarque explique les raisons de son amour pour la Vallis Clausa : « Exilé d'Italie par les fureurs civiles, je suis venu ici, moitié libre, moitié contraint. Que d'autres aiment les richesses, moi j'aspire à une vie tranquille, il me suffit d'être poète. Que la fortune me conserve, si elle peut, mon petit champ, mon humble toit et mes livres chéris ; qu'elle garde le reste. Les muses, revenues de l'exil, habitent avec moi dans cet asile chéri. » « Aucun endroit ne convient mieux à mes études. Enfant, j'ai visité Vaucluse, jeune homme j'y revins et cette vallée charmante me réchauffa le cœur dans son sein exposé au soleil ; homme fait, j'ai passé doucement à Vaucluse mes meilleures années et les instants les plus heureux de ma vie. Vieillard, c'est à Vaucluse que je veux mourir dans vos bras. »
De ses nombreux voyages il retrouve les Correspondances de Cicéron que l’on croyait perdues. Il souhaitait relancer et poursuivre la recherche des auteurs classiques de toutes disciplines. Grâce à ses amis de toute l’Europe, il retrouve des textes latins des anciens enfouis dans les bibliothèques des abbayes, des particuliers ou des villes. Ces manuscrits sont copiés et deviennent accessibles à tous. Il est reconnu comme un érudit, un humaniste qui compte parmi les premiers grands auteurs de la littérature italienne. Perfection de sa poésie, lyrisme et érudition, style, vocabulaire…
En 1340 la Sorbonne à Paris et le Sénat de Rome lui propose la couronne de lauriers pour son apport à la redécouverte des textes anciens. Pétrarque choisit Rome pour être honoré par Robert d’Anjou roi de Naples et comte de Provence. Ces lauriers le déçoivent ; il lui semble qu’ils lui apportent « beaucoup d’envie et aucune lumière ».
Il aura deux enfants naturels, un garçon et une fille. Jules Courtet, le premier historiographe du Vaucluse, dira « Pétrarque n’aima que Laure. C’est possible, sauf la distraction ». Son fils Giovanni meurt aussi de la peste.

Il écrit un traité sur le repos des religieux dédié aux chartreux de Montreux, une histoire romaine, des poèmes, des chants d’amour rassemblés dans Rimes et surtout Canzoniere. Il est impossible de citer tous les textes de Pétrarque, une somme de travail impressionnante. Laure disparue, son amour devient un chemin qui le conduit vers Dieu. Foi, méditation, profondeur, un travail intérieur …
Il écrit à Francesco Nelli, prieur de l'église des Saints-Apôtres à Florence au sujet de ses séjours à Vaucluse : « J'ai acquis là deux jardins qui conviennent on ne peut mieux à mes goûts et à mon plan de vie. J'appelle ordinairement l'un de ces jardins mon Hélicon transalpin, garni d'ombrages, il n'est propre qu'à l'étude et il est consacré à notre Apollon. L'autre jardin, plus voisin de la maison et plus cultivé, est cher à Bacchus »


(musée Pétrarque Fontaine de Vaucluse, emplacement supposé de la maison de Pétrarque)
Il souhaite que la papauté retourne à Rome pour que cette ville retrouve tout son lustre. Clément VI, après Benoit XII, refusa mais accorda aux Romains un jubilé pour 1350. « Rome, la capitale du monde, la reine de toutes les villes, le siège de l'empire, le rocher de la foi catholique, la source de tout exemple mémorable. ». Pétrarque se vengea du refus du pape avec quelques grinçantes « clémentines ».
(Laure dans toute sa froideur)
Ses poèmes allaient faire pendant des siècles le tour du monde. Laure et Pétrarque entrèrent dans l'imaginaire amoureux. L’impossible amour de Messer Francesco pour Madonna Laura avait, de toute éternité, trouvé son cadre sur les rives de la Sorgue. Il avait suffi de la magie d’une rencontre pour que le génie d’un des plus grands poètes puisse le magnifier. La Fontaine de Vaucluse est le lieu où germèrent les Épitres, mais c’est surtout la vallée dans laquelle l’esprit de Pétrarque vagabonda « de pensée en pensée, de monts en monts ».

En 1353 il quitte Vaucluse pour l’Italie.  Au bon moment car le jour de Noël des pillards envahissent la Vallis Clausa et brûle la maison du poète. Il avait semble-t-il détruit une partie de sa bibliothèque avant de partir.

Enluminure Pétrarque et le V de Vaucluse
On lui propose d’enseigner à l’Université de Florence et de rentrer en possession des biens paternels. Boccace joue les intermédiaires, en vain. Pétrarque ne retournera jamais à Florence qui l’avait rejeté enfant, lui et sa famille. Ambassadeur des Visconti, Pétrarque séjourne à Milan, Padoue, Prague, Venise…Puis Acqua, en 1370, dans les Monts Euganéens, dans la province de Padoue en Vénétie, avec sa fille et sa famille. C’est là qu’il meurt en 1374 et non à Vaucluse comme il l’avait souhaité jadis. Il est terrassé par une crise d’apoplexie à un peu plus de 70 ans. Légende ou réalité, dans son dernier souffle un nom murmuré « Laure ». Il a eu le temps de voir la papauté se réinstaller à Rome comme il le souhaitait.
(sa maison à Acqua, maintenant musée)


La romance de Laure et de Pétrarque est une page de notre patrimoine à maintes reprises chantée, jouée, écrite, copiée. Cela ne pouvait se passer qu’aux bords de la Sorgue. La Fontaine de Vaucluse est un des rares lieux du monde où l’on arrive indifférent et d’où l’on repart différent. Et le voyageur espère secrètement que le mystère de cette source ne sera jamais dévoilé…
Jacques de Sade écrivit « ses Mémoires pour la vie de François Pétrarque » où il démontrait l’existence de Laure. Voltaire à sa lecture en 1764, ne put s’empêcher de grincer en vieux misogyne qu'il était  :: « Vous remplissez, Monsieur, le devoir d'un bon parent de Laure et je vous crois allié de Pétrarque, non seulement par le goût et les grâces mais parce que je ne crois point du tout que Pétrarque ait été assez sot pour aimer vingt ans une ingrate ». Jaloux Voltaire ?


le gouffre de la Sorgue



Sources : Claude Mossé Histoires de l’Histoire le Bas Moyen Age  édit Acropole 1981ISBN 2-7144-1437-0 – Michel Peyramaure La Tour des Anges  édit Robert Laffont janv 2000 ISBN2-221-08259-1 --sur ce blog les Papes d’Avignon : Jean XXII 27/10/2017 – Pourquoi un pape à Avignon 15/10/2017 – Benoit XII 19/11/2017 – Clément VI 22/1/2018 – Boniface VIII la Gifle d’Anagni – Clément VI 22/1/2018 – Jules II et les Indulgences 13/3/2018 – photos Vaucluse collec privée -- Sources généanet Pierfit Personne: Déméter (Annuaire de la Pairie - Borel 1864 T21 p162 et La Chesnaye 1784 T14 2e Supplément p558)--Famille: Déméter (Annuaire de la Pairie - Borel 1864 T21 p162)—horizon-provence internet – musée Pétrarque Fontaine de Vaucluse et musée Pétrarque Acqua –Laure et Pétrarque villes de Noves noves.fr – wikimedia --A. Artus et M. Maynègre, La Fontaine de Pétrarque, n° spécial consacré au 700e anniversaire de la naissance de François Pétrarque, Avignon, 2004.-- Lettre de Voltaire CXLVI à M. le comte de Sade. Ève Duperray, François Pétrarque, (1304-1374) avec traduction en italien de Roberto Lisciandro, Éd. Musée Pétrarque, Fontaine-de-Vaucluse, 1987.-- Abbé de Sade, Mémoires pour la vie de François Pétrarque, tirés de ses œuvres et des auteurs contemporains avec les notes ou dissertations et les pièces justificatives, T. I à III, Amsterdam-Avignon, 1764-1767.-- Abbé Costaing de Pusignan, La Muse de Pétrarque dans les collines de Vaucluse ou Laure des Baux, sa solitude et son tombeau dans le vallon de Galas. Paris-Avignon, 1819.-- Stéphanie-Félicité, comtesse de Genlis, Pétrarque et Laure, Paris, 1819.-- Laure de Noves Marc Maynègre membre de l'Académie de Vaucluse (archives) --

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