lundi 28 décembre 2020

La Belle, le Pou et le Charbonnier

 Des contes et légendes de nos villages pour agrémenter les veillées en ces temps de pandémie


La Belle, le Pou et le Charbonnier

Il était une fois dans nos montagnes un noble seigneur et sa fille unique Catherine, belle et vive comme le jour, brune et romanesque comme la nuit. Le château de Massevigues pointait orgueilleusement ses tours sur la vallée d’un gardonnais qui serpentait entre les prés et les moulins. Une certaine aisance, une certaine fierté de noblesse.

Catherine rêvait, voulait, exigeait faire un mariage d’amour. Les prétendants de la région lui paraissaient trop balourds, trop stupides, trop empotés… Mais lors d’un bal, le coup de foudre au premier regard : un jeune homme de belle prestance et à la conversation qui la fit rire aux éclats. Ce sera lui, Benoit d’Alzon !!!

Les renseignements que le papa prit sur le jeune homme n’étaient pas brillants. Certes il avait brillamment combattu  dans un régiment royal, capitaine, blessé légèrement à plusieurs reprises, médaillé, couvert d’honneur. Des quartiers de noblesse qui remontaient loin, un ancêtre mort croisé à Jérusalem. Mais son héritage était maigre, des bois, quelques pauvres pâtures, peu de revenus….

Catherine ne parlait que de lui, tannait son père d’allusions sur son Benoit. Ce sera lui et personne d’autre !! Tant et tant que le seigneur de Massevigues entra dans une colère terrifiante, effrayante. « Ce Benoît d’Alzon n’est qu’un seigneur de charbonniers et ce ne sont pas ses moustaches et ses cicatrices qui te paieront tes robes de bal !! » . Et la belle se retrouva enfermée tout au haut de la tour….

Catherine passe ainsi plusieurs semaines à pleurer toutes les larmes de son corps. Mais un matin en la coiffant, la servante trouve entre les dents du peigne, un pou énorme, vif, remuant comme un chaton. Informé, le seigneur de Massevigues persifla et eut une idée qui lui paraissait de génie. 

Il ordonna qu’on emprisonne le pou sous une cloche à fromage, nourri chaque jour de jus de viande. Très vite, l’animal grossit, grossit, emplit toute la cloche.

Le seigneur alors demanda à son tailleur de faire de la peau de l’animal un manchon. Cela fut vite fait, un manchon magnifique, souple, douillet, élégant.

 « Voilà ce que j’ai décidé. Celui qui devinera de quel animal est fait ce manchon, celui-là sera votre époux » dit-il à sa fille. La nouvelle est annoncée aux quatre coins du royaume et les prétendants affluèrent, tous plus magnifiquement vêtus les uns que les autres, montés sur les plus beaux coursiers. Les jeunes gens et les moins jeunes hommes de la noblesse de la contrée défilaient devant le curieux manchon.

-         « Cet objet admirable est taillé à coup sûr dans la peau d’un terrible taureau de Camargue », affirma un fils de duc

-         « Non pas, c’est de la peau du cou de girafe, cela se voit au premier coup d’œil », vociféra un fils de comte…

Chacun tempêtait, hurlait sa conviction, caracolant dans la cour sous les fenêtres de la belle.

Tout y passa, la peau du ventre d’un lion, la trompe d’un éléphant, que sais-je !! Cela dura des semaines, des mois… Mais aucun ne devina comment ce manchon avait été fait. Les prétendants commencèrent à se faire rares.

Catherine était loin d’être stupide. Elle avait deviné la vérité. Sa servante rencontrait chaque semaine au marché un des valets du seigneur d’Alzon. Par son truchement elle avertit Benoît.

Et un matin on vit arriver au château de Massevigues un vieil homme, le dos courbé par l’âge et les travaux. Gris, même sale, cheveux et barbe longs ébouriffés, manteau déchiré…un vieil âne décharné. Il demanda à voir le manchon en patois. Les serviteurs hésitèrent, mais comme le seigneur de Massevigues avait dit que tous pouvaient tenter leur chance, on finit par l’accompagner dans la salle où trônait le manchon.

-         « Pour sûr ce n’est pas de la peau de lièvre », renifla-t-il

-         « pour sûr, pour sûr » pouffa le seigneur

-         « pour sûr ce n’est pas non plus de la peau de crapaud », reprit-il

-         « pour sûr, pour sûr » gloussa le seigneur

-         « messire, c’est une peau de pou, de pou » affirma-t-il goguenard

Le tout en patois, tout en s’essuyant la bouche de sa manche.

Le seigneur s’étrangla : « Comment ? Diantre ? Il y a de la diablerie là-dessous !! ». Catherine tomba de sa chaise en pamoison. Le pauvre père ayant juré qu’il tiendrait parole, fut bien obligé de voir sa fille partir sur le vieil âne du charbonnier.

-« si j’avais su je n’aurais pas essayé de jouer au plus malin. Benoît d’Alzon valait cent fois plus que ce charbonnier ! »

Catherine sanglotait sur le dos du baudet, maudissant son fiancé et son Benoît qui l’avait laissé aux mains de cet homme. Le charbonnier lui disait « ne vous inquiétez pas, vous serez bien dans ma chaumière.

Une heure de marche et apparut un village dominé par un vieux château. Le charbonnier dit qu’ils allaient faire halte car il avait une affaire à régler avec le seigneur du lieu. Ils entrèrent dans la cour du château et l’âne fut attaché à un anneau. « Attendez-moi là je n’en ai que pour quelques instants ».

Catherine seule dans la cour n’osait pas s’enfuir, pour aller où ? Elle n’eut même pas le courage de descendre de sa monture. Puis une porte s’ouvrit et Monsieur d’Alzon parut resplendissant dans son magnifique uniforme de capitaine !

-         « alors demoiselle, on vous a abandonnée au milieu de ma cour ? » lui dit-il tout sourire avec la voix caillouteuse du charbonnier.

Catherine soulagée se laissa glisser du dos de l’âne pour se retrouver dans les bras de son galant.

         -« j’ai voulu me moquer gentiment de l’arrogance de monsieur votre père et lui donner une leçon : Habillez un buisson et il ressemblera à un baron, l’inverse est tout aussi vrai !! »

Un mois après le mariage est célébré au château de Massevigues avec grands festins, bals, guirlandes de fleurs, jongleurs et troubadours. Tous les gens des environs furent conviés sauf les acariâtres et les envieux !!!

Grand merci à Esther et Solange pour leur conte à raconter au coin de la cheminée quand le vent agace les châtaigniers des Cévennes.

Illustrations «  A l’abri des Châteaux Forts » Isbn 2-07-039720-3- Gallimard Jeunesse 1985-

 

 


dimanche 20 décembre 2020

La bûche de Noël (à revoir)

 (sur ce blog le 20/12/2017) 

  

La Bûche de Noël :

Revoici un Platter. Thomas fils que nous avions vu dans un article précédent (sur ce blog le 13/9/2017). Il a pris plaisir à raconter les us et coutumes de notre Languedoc. Nous sommes le 24 décembre 1597.
 « Le 24 décembre (1597) dans la soirée de Noël à la tombée de la nuit, nous étions sur le point de faire collation, dans la maison de mon logeur Monsieur Carsan. Ce personnage est papiste, ainsi que son fils ; sa femme et sa fille en revanche, appartiennent à la religion réformée. J’ai donc vu qu’on mettait sur le feu une grosse bûche de bois. Celle-ci est appelée dans leur langage local (en langue d’oc) un cachefioc, ce qui veut dire cache-feu ou couvre-feu. On procède ensuite aux cérémonies ci-après décrites.
De fait en cette même soirée, on dépose une grosse bûche de bois sur le gril, par-dessus le feu. Quand elle commence à brûler, toute la maisonnée se rassemble autour du foyer, dès lors, le plus jeune enfant (s’il n’est pas trop petit, auquel cas il appartiendrait au père ou à la mère d’agir en son nom pour l’accomplissement du rite) prend dans sa main droite un verre plein de vin, des miettes de pain et un peu de sel, et dans la main gauche un cierge de cire ou de suif, allumé. Immédiatement les personnes présentes, du moins celles qui sont de sexe masculin, tant jeunes garçons qu’adultes, ôtent leurs chapeaux ; et l’enfant susdit, ou bien son père s’exprimant au nom d’icelui, récite le poème suivant, rédigé dans leur langue maternelle :
Ou Monsieur s’en va et vent(en quelque endroit que se rende le maître de la maison, qu’il aille ou vienne)
Dious donne prou de ben, et de mau ne ren,(puisse Dieu lui donner beaucoup de bonnes choses et rien de mauvais)
Et Diou donne des fennes enfantans, et de capres caprettans, (et que Dieu donne des femmes qui enfantent, et des chèvres qui feront des chevreaux)
Et des fedes agnolans, et vacques vedelans (et des brebis agnelantes, et es vaches vêlantes)
Et des saumes oulinans, et de cattes cattolans (et des ânesses poulinantes, et des chattes chatonnantes ou productrices de chatons)
Et des rattes rattonans, et de mau ne ren, (et des rates faisant des ratons, autrement dit, rien qui soit mal)
Sinon force ben (sinon beaucoup de bonnes choses)

Tout cela étant dit, l’enfant jette une pincée de sel sur la partie antérieure de la bûche, au nom de Dieu le Père, idem sur la partie inférieure au nom du fils, et enfin, sur la partie médiane au nom du Saint-Esprit ; Une fois ces rites effectués, tout le monde s’écrie d’une seule voix : Allègre ! Diou nous allègre, ce qui veut dire : « En liesse ! Dieu nous mette en liesse ! ». Ensuite l’enfant fait de même avec le pain, puis avec le vin et finalement tenant en main la chandelle allumée, il fait couler des gouttes de suif ou de cire brûlante aux trois endroits de la bûche, au nom de Dieu le Père, du fils et du Saint-Esprit. Et tous reprennent en chœur le même cri qu’ils ont déjà poussé : « En liesse ! ». 
A ce qu’on dit, un charbon ardent en provenance d’une telle bûche ne brûle pas la nappe si on le pose dessus. On conserve avec soin toute l’année les fragments de la bûche en question, noircis au feu et l’on pense que quand une bête ou un être humain souffre de tumeurs une application de ces ci-devant braises maintenant éteintes sur la grosseur ou bosse empêchera que celle-ci ne s’accroisse et même la fera disparaître. Les cérémonies de la bûche étant terminées, on sert une collation magnifique sans viande ni poisson, mais avec du vin fin, des fruits et des confiseries (les treize desserts). Et sur la nappe qui reste mise toute la nuit, on laisse un verre à moitié rempli de vin, du pain, du sel et un couteau. J’ai vu tout cela de mes yeux vu… ».

La coutume de ne pas desservir la table du souper de Noël vient de la croyance que les anges ou les morts de la famille devaient pouvoir s’y restaurer. Ici seuls les hommes sont admis aux rites.
La tradition de la bûche de Noël existait dans tout le pays. La cosse de Nau en Berry, tréfoué en Orléanais….Ceppo en Italie, au Québec jusqu’à la fin des grandes cheminées au 19ème siècle. Son origine est liée au solstice d'hiver. On peut estimer que cette tradition s'est propagée grâce aux populations indo-européennes, soit vers 2500 avant J.-C. Un reste païen, bénédiction du feu au moment où les rigueurs de l’hiver se faisaient sentir. Un moment de rassemblement de tous les habitants de la maison, parents, domestiques, hôtes. Probablement aussi un reste de la fête druidique de la lumière de nos ancêtres du Nord.
Pendant toute la féodalité et même après dans certaines provinces, il s’agissait d’un impôt en nature payé au seigneur par son vassal. A Noël on apportait du bois, à Pâques des œufs ou un agneau, à l’Assomption du blé, à la Toussaint du vin ou de l’huile..

Frédéric Mistral (prix Nobel de Littérature en langue d'oc en 1904) nous raconte la bûche de Noël du 19ème siècle en Provence :
Frédéric Mistral
Les hommes apportaient à la maison un vieux tronc d’olivier, le cariguié, choisi pour brûler toute la nuit. Ils s’avançaient solennellement en chantant :
Cacho fio. Cache le feu (ancien).
Bouto fio. Allume le feu (nouveau).
Dieou nous allègre. Dieu nous comble d’allégresse !
Le papé arrosait ce bois soit de lait, de miel en souvenir de l’Eden, soit de vin en souvenir de la vigne cultivée par Noé et de la première rénovation du monde. Tout en prononçant :
Alègre ! Alègre ! Dieu nous alègre.
Calendo vèn, tout ben vène
E se noun sian pas mai, que noun fuguen men !
Dieu vous rague la graci de veire l’an que vèn.
(Dieu nous tienne en joie ; Noël arrive, tout bien arrive ! Que Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins !)
Le plus jeune à genoux récitait les paroles apprises de génération en génération : « O feu, réchauffe pendant l’hiver les pieds frileux des petits orphelins et des vieillards infirmes, répands ta clarté et ta chaleur chez les pauvres et ne dévore jamais l’étable du laboureur ni le bateau du marin. »
 « Au bon vieux temps, la veille de Noël, après le grand repas de la famille assemblée, quand la braise bénite de la bûche traditionnelle, la bûche d’olivier, blanchissait sous les cendres et que l’aïeul vidait, à l’attablée, le dernier verre de vin cuit, tout à coup, de la rue déjà dans l’ombre et déserte, on entendit monter une voix angélique, chantant par là-bas, au loin dans la nuit. » « C’est la Bonne Dame de Noël qui s’en va dans les rues, chantant les Noëls de Saboly à la gloire de Dieu, suivie par tout un cortège de pauvres gens, miséreux des champs et des villes, gueux de campagne, etc., accourus dans la cité en fête.
 « Et vite alors, tandis que la bûche s’éteignait peu à peu, lançant ses dernières étincelles, les braves gens rassemblés pour réveillonner ouvraient leurs fenêtres, et la noble chanteuse leur disait : Braves gens, le bon Dieu est né, n’oubliez pas les pauvres ! Tous descendaient alors avec des corbeilles de gâteaux et de nougats – car on aime fort le nougat dans le Midi – et ils donnaient aux pauvres le reste du festin ».
Cette description faisait partie primitivement du texte de « Mireille » de Mistral.
 « Ah ! Noël, Noël, où est ta douce paix ? Où sont les visages riants des petits enfants et des jeunes filles ? Où est la main calleuse et agitée du vieillard qui fait la croix sur le saint repas ? Alors le valet qui laboure quitte le sillon de bonne heure, et servantes et bergers décampent, diligents. Le corps échappé au dur travail, ils vont à leur maisonnette de pisé, avec leurs parents, manger un cœur de céleri et poser gaiement la bûche au feu avec leurs parents.
« Du four, sur la table de peuplier, déjà le pain de Noël arrive, orné de petits houx, festonné d’enjolivures. Déjà s’allument trois chandelles neuves, claires, sacrées, et dans trois blanches écuelles germe le blé nouveau, prémices des moissons. Un noir et grand poirier sauvage chancelait de vieillesse. L’aîné de la maison vient, le coupe par le pied, à grands coups de cognée, l’ébranle et, le chargeant sur l’épaule, près de la table de Noël, il vient aux pieds de son aïeul le déposer respectueusement. Le vénérable aïeul d’aucune manière ne veut renoncer à ses vieilles modes. Il a retroussé le devant de son ample chapeau, et va, en se hâtant, chercher la bouteille. Il a mis sa longue camisole de cadis blanc, et sa ceinture, et ses braies nuptiales, et ses guêtres de peau.
« Cependant, toute la famille autour de lui joyeusement s’agite... Eh bien ? posons-nous la bûche, enfants ? – Allégresse ! Oui. Promptement, tous lui répondent : Allégresse. Le vieillard s’écrie : Allégresse ! que notre Seigneur nous emplisse d’allégresse ! et si une autre année nous ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins ! Et, remplissant le verre de clarette devant la troupe souriante, il en verse trois fois sur l’arbre fruitier. Le plus jeune prend l’arbre d’un côté, le vieillard de l’autre, et sœurs et frères, entre les deux, ils lui font faire ensuite trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.
« Et dans sa joie, le bon aïeul élève en l’air le gobelet de verre : O feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps ! Bûche bénie, allume le feu ! Aussitôt, prenant le tronc dans leurs mains brunes, ils le jettent entier dans l’âtre vaste. Vous verriez alors gâteaux à l’huile et escargots dans l’aïoli heurter dans ce beau festin vin cuit, nougat d’amandes et fruits de la vigne. D’une vertu fatidique vous verriez luire les trois chandelles, vous verriez des esprits jaillir du feu touffu, du lumignon vous verriez pencher la branche vers celui qui manquera au banquet, vous verriez la nappe rester blanche sous un charbon ardent et les chats rester muets ! »
 
Les grandes cheminées vont disparaitre en particulier dans les appartements. Les poêles les remplaceront. Des petites bûches serviront de décor de Noël sur les tables. Et vers 1870 le gâteau arrivera sur les tables. Roulé, ressemblant à une bûche. Raisins secs qui se conservent bien et qui annonce un avenir prospère et fertile, et chocolat pour la gourmandise.




Sources : LeRoy Ladurie Le Siècle des Platters - La France Pittoresque -Bûche de Noël (Origine et histoire de la)(D’après « La nuit de Noël dans tous les pays » paru en 1912 Publié / Mis à jour le VENDREDI 23 DÉCEMBRE 2016, par LA RÉDACTION - Véronique Dumas, « La bûche de Noël », Historia,‎ novembre 2011, p. 98 (ISSN 0750-0475) - "Fêtes de la table et traditions alimentaires", par Nadine Cretin, éditions Le Pérégrinateur --. transenprovence.over-blog.com – décors Noël cabschau - Centerblog – printerest  -

 Joyeux Noël


Pour rire


jeudi 10 décembre 2020

A revoir Les Santons et la crèche

 


Santons-fèves- collection perso


Les Santons et la Crèche :

(déjà publié sur ce blog le 7/12/2017)
Bientôt Noël et ses décors scintillants.  Depuis quelques années dans notre belle province se pose et se repose la question de la Crèche : cultuelle, culturelle, traditionnelle, laïque ? Dans quel lieu est-elle permise, lieu privé, public ? On accepte sans rien dire les marchés de Noël, les guirlandes, les étoiles lumineuses dans les rues, qui sont pourtant espace public… Un marché de Noël bientôt à Dubaï. Comme dit ma voisine, au lieu de s’occuper des crèches il y en a qui ferait mieux de s’occuper de la hausse de la CSG pour (ou contre) les retraités !!.
L’histoire des représentations de la nativité qui est à l’origine des santons remonte aux premiers temps chrétiens. A Rome dans une chapelle des catacombes de Saint-Priscille une fresque de la première moitié du 2ème siècle montre la première figuration de la crèche connue. Toujours dans ce lieu une adoration des Mages peinte au 3ème siècle. Le musée lapidaire d’Arles nous montre des scènes de la Nativité, de l’adoration des Mages avec le monogramme de Constantinien.
La crèche s’enrichit de l’âne et du bœuf au 4ème siècle, animaux absents de l’Evangile. La crèche apparait au grand jour sur des sarcophages dans des lieux comme Rome, Milan, Ancône, Syracuse, Arles, Saint-Maximin. Elle se dévoile sur des manuscrits, des miniatures, des ivoires, peintures d’Orient….
Contrairement à la tradition, il n'y a aucune trace d'un âne ou d'un bœuf dans les deux évangiles qui racontent la naissance de Jésus (celui de saint Matthieu et celui de saint Luc). Les textes apocryphes comme l’évangile Pseudo-Mathieu du 6ème siècle mentionnent les deux animaux. Légende, besoin d’enjoliver les choses, de les rendre plus proches des fidèles avides de détails ?  Pourtant des représentations des deux animaux sont bien plus anciennes. Un fragment de sarcophage avec le bœuf et l’âne porte le nom des consuls Placide et Romulus, donc vers 343. Une tradition venue de témoins oculaires et transmise de bouche à oreille ? La question n’est pas tranchée actuellement. L’historien René Grousset nous dit « C'est à Rome surtout que la sculpture chrétienne avait fait son œuvre et que de nombreux bas-reliefs avaient habitué l'œil à voir près de Jésus naissant un Ane et un Bœuf : c'est à Rome que, sous cette influence toute plastique, les deux animaux avaient commencé d'exister véritablement. Nous n'avons plus qu’à suivre désormais notre légende à travers les âges. Jusqu'au seizième siècle on ne la mettra pas en doute ; et d'ailleurs, quels que soient les arguments qu'on puisse lui opposer, elle restera toujours vraie pour le sentiment populaire »Nous nous garderons bien d’avoir une opinion. Et puis ces animaux sont bien sympathiques et faisaient partie de la vie des familles.
Sculpture en bois Philippe Péneaud
Le concile de Trente avait épuré certaines croyances fondées sur les évangiles apocryphes : le bœuf et l’âne disparaissent des crèches et représentations de la Nativité fin 16ème et 17ème siècle, à quelques exceptions près. Ils sont oubliés par Velasquez, Rubens… Mais sous la pression des fidèles et avec le temps, ils réapparaissent au 18ème siècle. 
Traditionnellement on attribue à François d’Assise la création en 1223 de la première crèche vivante à Greccio en Italie, dans un ermitage établi dans une grotte donnée par le seigneur du village. Les personnages sont joués par les gens du village, les animaux bien réels. Une querelle d’attribution : est-ce la mère de François d’Assise, de Tarascon ou Beaucaire, qui lors de son mariage avec un drapier de Lombardie, emmena sa crèche dans ses bagages. Les marchands napolitains vendaient sur les marchés de Provence et d'ailleurs jusqu'aux Flandres des « Santibelli », figurines religieuses en plâtre. D’où pour certains historiens l’existence de crèches provençales avant le 13ème siècle. Pour les Italiens au contraire, la première crèche vivante naquit à Greccio et de là la tradition gagna les couvents franciscains, des clarisses, les églises de France durant la seconde moitié du 13ème siècle. Quoiqu’il en soit,  François d’Assise est le saint patron des santonniers.
Petit à petit les personnages de la crèche sont sculptés en bois, en cire, en carton-pâte, en verre. Des chefs-d’œuvre, si fragiles qu’on les fixait dans des caisses en bois avec une vitre sur le devant. Les verriers d’Arles étaient célèbres pour ce travail, souvent des religieux, chartreux, carmélites, … La cire de leurs ruches était utilisée pour faire ces « Belèn » peints. Ce sont des pièces de musée maintenant.
Les personnages de la crèche de Louis XIV étaient en porcelaine coloriée, en costume de l’époque. Monseigneur Chabot nous raconte : « la crèche reflète la distinction et la noblesse qu’on trouvait à la cour du grand roi…les bergers portent culottes courtes et bas blancs….Les rois Mages ont grand air, avec leur coiffures empanachées de plumes flottantes… » . La crèche de Louis XV est « en satin bleu, aveuglante de paillettes.. ». La crèche de Louis XVI n’a pas la même grâce et la même finesse. Des coquillages et des arbustes en trop grand nombre nuisent à l’effet. Toute une époque !

Le peuple voulait aussi sa crèche. En 1775 à Marseille, Laurent construit une crèche à montrer au public avec des mannequins articulés vêtus de costumes provençaux. Mais il y ajoute des girafes, des rennes, des hippopotames. Jean-PaulClébert raconte : « À l'époque du Concordat, Laurent montrait même un carrosse qui s'avançait vers l'étable ; le pape en descendait, suivi des cardinaux. Devant eux s'agenouillait toute la Sainte-Famille et le pape lui donnait sa bénédiction. Pendant l'adoration des bergers, un rideau se levait, dévoilant la mer sur laquelle voguait un bâtiment de guerre. Une salve d'artillerie saluait l'enfant Jésus qui, réveillé en sursaut, ouvrait les yeux, tressaillait et agitait les bras ».


La Révolution française supprime la messe de minuit et bouleverse l’organisation des églises. Les représentations publiques de la nativité sont parfois autorisées. Alors dans l’intimité des foyers de chaque famille provençale sont apparus les « santoun », les petits saints, les santons. Ce que le peuple veut…. La crèche entre dans l’espace privé.

Foire aux santons à Marseille au milieu du XIXe siècle .En 1803, a lieu à Marseille la première foire aux santons. Santons peints, habillés, santons d’ailleurs. Et tous les accessoires pour le décor : la crèche est devenue un ensemble : l’étable, mais un village, avec son église, des maisons, des ponts, des puits, des arbustes…. Combien de villes maintenant ont pareille foire pour la joie de tous.


Jean-Louis Lagnel de Marseille eut le premier l’idée de construire des moules pour ses figurines en argile. Il représentait ses voisins dans différents métiers, vêtus dans la mode populaire de l’époque Louis-Philippe. Ces moules permettaient de reproduire à l’infini les sujets à moindre coût. Ses premiers santons sont sans bras, sans coiffure, sans accessoires qui sont moulés à part et collés au corps à la barbotine (argile diluée). Puis expérience aidant, il créa ses santons d’une seule pièce, installant le véritable santon 
de Provence en argile différent des santibelli italiens en plâtre. 
Moules de Jean-Louis Lagnel (1764-1822) premier santonnier marseillais. Musée Marcel Carbonnel (collection privée M Carbonnel – photo Ph Renoux-Carbonnel mars 2012- wikipedia-wikimedia common)
Les santonniers d’aujourd’hui réalisent d’abord un modèle dans l’argile crue placé sur un socle qui fera partie du sujet. Ensuite vient la confection du moule coulé en plâtre. Dans une moitié du moule talquée, on presse un colombin d’argile fraîche. Après pression des deux parties du moule, le santon est sorti, mis à sécher, ébarbé pour éliminer toute trace du moulage. Après un nouveau séchage, il est cuit dans un four à 800°. La décoration se fait à la main. Les santons habillés à l’origine étaient confiés à des familles qui confectionnaient les vêtements. Des petits métiers qui aidaient financièrement les familles.
lavandières Arles
                    
 Pêcheur de crustacés –Lagnel


Toutes les catégories sociales, les métiers, et maintenant des célébrités du moment sont représentées. Le Vieux Grasset et sa Vieille Grassette qui marchent dans l’innocente vie santonnière, bras dessus bras dessous rivés l’un à l’autre dans la tendresse, le Ravi, le Tambourinaire, le pêcheur et la poissonnière, le boulanger, le porteur d’eau, la lavandière, le vannier, le pistaché aux nombreux gilets et son gros ventre….. et l’Arlésienne, l’aveugle et son fils, les bohémiens, Margarido la grognon…. Des vies !! Le maire a revêtu ses plus beaux habits, son écharpe tricolore, son chapeau haut-de-forme, son parapluie. Une montre en or pend de sa poche de veston, habituellement appelé Mathieu et il inscrit la naissance de l’Enfant sur le registre d’Etat-Civil du village. Le brigand et l’enfant volé offrent un sujet de morale qui se terminera par la rédemption finale. Le curé traditionnellement représenté bedonnant, joues rouges. Un moine capucin, souvent présent en hommage à celui qui dans son couvent de Marseille avait eu l’idée de distribuer aux pauvres des petites sujets en mie de pain parfumés à l’anis. Son supérieur fit cesser cette distribution, peut-être parce que les petits pains étaient mangés avant le 25 décembre, ou parce que le succès de l’opération les dépassait.



Au moment de la crèche, nos rues, nos centres commerciaux résonnent de chants de Noël, s’illuminent de guirlandes. On prépare les cadeaux, on imagine les repas de fêtes… Même si l’on manque de moyens, on fait un geste, pour marquer le coup. Actuellement la tradition des crèches existe dans beaucoup de pays. Chaque santonnier apporte sa touche personnelle. Les Chinois nous en envoient en plastique, en résine. Les Polynésiens les sculptent dans des noix de coco, habillés de fibre de palme.... Les expositions nous enchantent par la diversité des sujets. Et chaque spectateur y trouve ce qu’il a envie d’y trouver. Les non-croyants ne sont pas les derniers à se réjouir du spectacle. Je connais nombre d’athées ou de protestants qui chaque année font leur crèche avec des décors modifiés d’une année sur l’autre, des nouveaux santons. On ne peut pas les taxer d’infantilisme. Peut-être un besoin de merveilleux ! 

Paul Fouque 1990 Aix en Provence collec privée– wikipedia –photo Daniel Ferrier
 La crèche, légende, religion, folklore, traditions, Histoire ? Quand on aborde la Pastorale provençale qui fait naître Jésus chez nous et non en Palestine, avec le maire pour l’inscrire sur notre registre d’Etat-civil, il y a de quoi s’interroger !!!! Toutes les catégories sociales y sont représentées, de la gardienne d’oies, à la marchande de légumes, du curé qui n’existait évidemment pas à l’époque de la naissance, le bohémien, du boulanger à la vendeuse d’ail…., tous naturellement présents pour célébrer la naissance de l’Enfant.  Il y a de quoi rêver à Noël, respirer le chocolat, le sapin, et surtout admirer le savoir-faire de nos santonniers !! Le message de Noël c’est avant tout un message de paix, d’amour. Une trêve dont nous avons bien besoin, un renouveau, un espoir ! C'est un message qui échappe à la seule sphère religieuse. Ce n’est pas innocent si la tradition a fait naître Jésus en décembre au lieu de l’été,  lorsque la lumière revient, et que les jours paraissent s’allonger petit à petit. "A la sainte Luce les jours allongent d'un saut de puce et pour la Noël d'un pied de coq ».  ("Avant 1582, dans le calendrier julien, la Sainte-Luce tombait deux jours après le solstice d'hiver, le calendrier grégorien a avancé la Sainte-Luce de dix jours et elle tombe aujourd'hui huit jours avant le solstice).  Ce besoin de fête lors du renouveau de la lumière a existé bien avant le Christianisme, bien avant les Romains, l'Antiquité, probablement depuis la nuit des temps. Quoi de mieux que la naissance d'un enfant pour illustrer ce renouveau ?

Et puis Jésus est aussi mentionné dans le Coran (par exemple Sourate 19, 16-35). Une forme de laïcité avant l’heure ?!! 

Pour répondre à nos reboussiers, Gaston Doumergue, président de la République avait reçu en son temps santons et santonniers dans les salons de l’Elysée.

(Autres réflexions que suggère cette polémique : attention à l'intégrisme laïc qui peut tuer la laïcité - ce que le peuple veut, il finit toujours par l'obtenir - nous payons encore maintenant l'intégrisme républicain de la période de la Terreur e 1794.)


Farandole des santons, fresque de David Dellepiane



Comps 2015 crèche Romain Rodriguez

Hôtel de Ville Avignon 2010 





 
Sources : Marie Mauron Le Monde des Santons ISBN 2-262-00052-2 octobre 1976  -  Françoise Lautman, Crèches et traditions de Noël, Ed. de la Réunion des Musées nationaux, 1986, p. 39 – René Grousset Le Bœuf et l’Ane à la Nativité du Christ 1884 V4 N°1 Persée.fr  -  Jean Paul Clébert  Guide de la Provence mystérieuse, Éd. Tchou, Paris, 1972 - www.peneaud.com/sculpture-noel/noel-1.htm  -  wikipedia  - VFhorizon-provence.com - Régis Bertrand "Crèches et Santons de Provence"publié en 1992, éditions Barhélémy. -  A voir Le Salon international d’Arles des Santonniers, santons d’ici et d’ailleurs -Du 18 novembre 2017 au 14 janvier 2018 Cloître Saint-Trophimesalondessantonniers.over-blog.fr

 Collection privée – le pêcheur et la bergère santons anciens
 Collection privée – le boulanger, le gitan, la marchande d’ail et un mouton
Collection privée- la bergère à la lanterne, le tambourinaire et une vache ancienne
Collection privée – quelques santons

Crèche de la Légion Etrangère