lundi 14 mai 2018

Le bout de Zan






(Musée Haribo jour d’affluence – passerelle avec panneaux photovoltaïques 2014)

a Le bout de Zan :
 












Quand nous arrivons de Remoulins aux portes d’Uzès sur la droite, de grands bâtiments nous interpellent : l’usine Haribo et son musée, son grand parking et un parfum de réglisse qui nous ramène loin dans notre enfance. L’usine de confiserie est installée sur la rive gauche de l’Alzon, le musée sur la rive droite de la rivière emblématique de l’Uzège. Les très nombreux visiteurs pénètrent dans des bâtiments à l’histoire très ancienne, symboles de l’industrialisation de l’Uzège du 19ème siècle. Le secteur était riche en filatures, moulinages, moulins à blé, surtout chemin de La Californie, en face dans la continuation du chemin Bargeton (et de l’actuel usine de confiserie),….grâce à la rivière. On ne dira jamais assez l'importance de l'eau pour l'humanité. Des noms de familles qui ont marqué l’industrie d’Uzès, Lafont, Téraube, Abauzit, Vincent…… Beaucoup de bâtiments ont disparu, des archives qui se contredisent quant aux emplacements… Les industriels de l’époque ont su rebondir pour transformer leurs usines et devenir les premières fabriques de réglisse française. Le chemin de fer très en avance dans notre secteur pour le transport de marchandises participe au désenclavement de notre région. La faculté de médecine de Montpellier joue aussi un rôle indéniable dans l’essor de cette industrie : elle fait fabriquer et expérimente des remèdes à base de réglisse avec les plants locaux.

En 1818, ce sont deux bâtiments appartenant à la papeterie Gentil, un moulin à foulon pour feutre et draps épais et l’autre à usage agricole. Encore en 1825. La papeterie existe depuis 1770. Notre industrie est encore textile et fournit du travail aux femmes et enfants de notre secteur. Des industriels lyonnais, dauphinois et ardéchois investissent dans le Gard où les bâtiments existent déjà. En 1830 le moulin est déclaré moulin à blé. Puis vers 1845, est propriétaire Marc-Antoine Téraube dont la famille vient des Vans commune ardéchoise avec laquelle nous commerçons depuis au moins le 15ème siècle. Moulinier de soie à Aimargues il déclare les bâtiments sur Uzès détruits et remplacés par un moulin à blé (au nord) et un à huile (au sud). Une moulinerie de soie installée en 1825 chemin de La Californie par F Chevalier sur un ancien moulin à blé emploie encore 25 femmes et 2 enfants à la veille de 1895.
La crise textile commence à se faire sentir, la culture des vers à soie connait une récession. Mais la région fournit des céréales et des olives. Les propriétés changent de main très rapidement jusqu’à l’arrivée de Henri Lafont.


En 1852 les moulins à huile et à foulon de Mathieu Broche sont remplacés par une usine d’impression sur étoffes appartenant à Veyrun. Puis le banquier et tanneur Henri Lafont rachète l’usine en 1856 et une amidonnerie avec un moulin à blé qui perdurera probablement jusqu’à la guerre de 1914.. En 1863 ses deux gendres Henri Abauzit et Léonce Vincent reprennent les lieux pour en faire un atelier de fabrication de suc de réglisse.  Alphonse Perdrix en est le directeur. Puis en 1873 la société Abauzit-Perdrix-Aubrespy est formée. Paul Aubrespy est le gendre d’Abauzit. Les biens restent dans la famille. En 1882 Perdrix disparait du nom de la société. On fabrique des petites boules ou perles noires, mélange de suc de réglisse et de gomme arabique. La marque Zan est déposée en 1884. Paul Aubrespy aurait entendu dans un restaurant un enfant demander manger de tout et le faisait

savoir en zézayant « z’en veut, z’en veut ». Le nom de la marque était né.

En 1870 Charles Téraube apparait dans les archives. Fin 19ème siècle d’abord location de ses bâtiments à Paul Aubrespy, propriétaire de l’usine de réglisse située de l’autre côté de la rivière. La société Terssonière et Kreitmann successeurs et gendres d’Aubrespy achète les bâtiments pour en faire une usine à broyer la réglisse en 1924. Transformation de la société en SARL Zan en 1926.. La société Ricqulès-Carénou et Tur de Moussac fusionne avec la société Zan en 1970. La société Florent s’ajoute en 1975. Puis le tout est racheté en 1986-87 par Haribo, entreprise allemande.
La famille Teraube avait acheté aussi son moulin à foulon à André Julien et l’avait transformé en filature et moulinerie entre 1824 et 1827. Guillaume Téraube était négociant à Nîmes, puis il s’installe à Uzès et agrandit les bâtiments en 1835. Jacques Téraube prend le relais. Après un passage difficile avec François Thomas vers 1870, on reconstruit des bâtiments en 1876-77. L’ensemble sera vendu en 1892 à Henri Abauzit, beau-père d’Aubrespy, banquier et son usine de réglisse installée chemin de la Californie traverse la route. La ligne de chemin de fer le long de la route est ouverte avec une gare du Pont-des-Charrettes toute proche.
L’usine prospère : on passe de 1827 à 2 chaudières pour 80 bassines à 100 bassines en 1835 ; en 1853 deux chaudières cylindrosphériques de 3,619 m3, 2 atmosphères. Puis en 1859 chaudière en fer à foyer intérieur et dôme de 8,137m3,3atmosphères. Deux cheminées en briques l’une carrée, l’autre circulaire…(archives privées).
Pastilles, tablette, bâton à sucer… Zan fabriquait des confiseries avec différents arômes. Commercialisation appuyée par une publicité très attractive. Paul Aubrespy et ses successeurs vont se servir d’une politique de marketing très judicieuse : objets vantant les mérites du Zan, affiches, présentoirs, images, buvards, cartes postales, chansons, films…. Des emballages qui marquent les esprits, tout un art qui fait date !!
(Affiche publicitaire lithographiée pour les produits Zan (bâton suc pur, pastilles) datant de 1888.)
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Les réglisseries employaient des femmes recrutées sur plusieurs kilomètres à la ronde. Peseuses, piqueuses, billeuses, emballeuses…Elles arrivaient le lundi matin et vivaient en internat toute la semaine, ne rentrant chez elles que le samedi après-midi. Même si le travail était dur, c'était déjà une libération encadrée certes, mais loin du cocon familial et villageois. Elles commençaient dès 11-13 ans, et quittaient l’usine lors de leur mariage ou de la naissance de leur premier enfant. En 1860 des logements patronaux pour ouvriers sont installés dans le secteur.





D’où vient la réglisse ? Cette plante a besoin d’un climat chaud, d’un sol riche et humide. On la retrouve sur le pourtour méditerranéen, au sud des Etats-Unis, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, sur l’île Maurice. C’est une plante invasive, le moindre fragment repousse. Elle a été cultivée dans notre Midi sans problème. Les villes d’Uzès et de Moussac sont connues dès le 19ème siècle pour produire de façon intensive cette plante.
Dans l’antiquité les Grecs, les Romains l’utilisaient notamment pour éclaircir la voix. Mélangée avec de la racine de chiendent torréfiée, elle composait une boisson « hospitalière » que l’on retrouvait dans tous les hôpitaux au Moyen-Age. Ulcères, gastrites, bronchite, elle calmait tout, au moins si elle ne guérissait pas tous les maux. Paul Ricard en 1920 l’introduit dans son « pastis ». Boisson « coco » tisane ou poudre de réglisse, antésite concentré liquide de réglisse, bâton à mâcher comme substitut au tabac… ou alcool finlandais au goût de réglisse, dans la pâtisserie, la cuisine… mille façons de l’accommoder. (A déguster avec modération pour tous ceux qui ont de la tension artérielle).







L’Empereur Napoléon était accro à ce remède naturel à cause de ses nombreuses douleurs et problèmes digestifs. Des caisses entières de racines lui étaient livrées. Pour son haleine il suçait des cachous de réglisse. Ses dents en étaient tachées de noir.
Le calendrier républicain ne l’oublie pas : le 9ème jour du mois de fructidor.


Les poètes comme Apollinaire, Boris Vian lui font l’honneur de quelques mots dans leurs textes. Un autre poète en 1907 écrivait lors de la naissance d’un enfant : «Pour qu'il n'ait point de caprices, Et soit bien obéissant, Faites infuser du Zan, Dans le lait de sa nourrice».  En 1975 le CNRS dans le Trésor de la Langue Française s’empare du mot « Zan » ou « bout de Zan » qui devient affectueux pour désigner une petite femme, un joli petit enfant, un animal adoré. Ces mots entrent au Larousse Universel en 1982, et passent rapidement dans le langage commun.


Le musée du Bonbon Haribo sera inauguré en 1996, de concert municipalité d’Uzès et société Haribo-Ricqlès-Zan. Des bâtiments entièrement restaurés avec une passerelle sur la rivière Alzon qui relie les deux rives. Une exposition « Mémoires d’un Bout de Zan », en 1991 sur l’histoire de la réglisse dans notre ville remporta un vif succès. Organisée par l’office municipal de la Culture dans l’ancien Évêché elle nous avait fait revivre la vie des hommes et des femmes à l’usine. Le musée sera agrandit en 2006. En 2010, 300 000 visiteurs par an, 400 employés à Uzès, un pôle d’attraction économique important pour la ville. Actuellement des plans de réduction du personnel sont en cours, avec peut-être un jour une restructuration sur Marseille ou l’Allemagne. Pourtant les bonbons ont encore de bons jours devant eux !!




Sources : Type : Inventaire général du patrimoine culturel-Epoque : 3ème quart 18ème siècle --1er quart 2e quart 3ème quart 4ème quart 19e siècle--Auteur(s) : maître d'oeuvre inconnu -- Moulin à huile, moulin à foulon Broche, puis usine de papeterie Gentil, puis Lafont, usine d'impression sur étoffes Veyrun, puis usine de produits alimentaires [archive], Monuments historiques d'Uzès, .l-- en ligne. -- « Causerie: la réglisserie Zan, sa création et sa publicité » [archive], avec Jacques Roux, Le Midi libre, en ligne. -- « Musée du Bonbon de Pont des Charrettes: mémoires d'un bout de Zan » [archive], Le Midi libre, en ligne. –Katia Fache-Cadoret  L’Histoire du Pastis  wwwmarie-claire.fr.lifestyle –histoiredelareglisse rue-paradis.fr/la reglisse/histoire – Le Républicain d’Uzès et du Gard Monique Demerson n°3276 8 juillet 2010 –n°3575 31 mars 2016



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