mercredi 27 février 2019

La Dame de Beaucaire





Eglise Notre-Dame-des-Pommiers frise romane de la Passion Beaucaire photo Jacques Debru-wikimedia.org

La Dame de Beaucaire :
Ou l’Histoire d’Aucassin et Nicolette





(Illustration de 1910 par Maxwelle Armfield pour l'édition anglo-américaine d'Aucassin et Nicolette d'Eugene Mason).

Voici une chantefable attribuée parfois au troubadour Rutebeuf (1230-1285), un des plus grands poètes de son temps. En fait l’auteur ou les auteurs nous sont encore inconnus, probablement Picards ou fortement influencés par cette culture. Des adaptations diverses au cours des siècles n’aident pas à dater ce texte, joué, récité, raconté, chanté, mimé et même exporté dans d’autres pays. Probablement du 12ème-13ème siècle. Au Moyen Âge la propriété littéraire n'existe pas et donc nous avons des imitations très nombreuses.... Mais qui a imité qui ??
 Cette pièce sera encore jouée dans notre pays jusqu’au 20ème siècle et même avant la Révolution de 1789 à Versailles par la troupe des « Seigneurs » dans laquelle se produisaient la reine Marie-Antoinette, la comtesse de Polignac et le futur Charles X encore comte d’Artois à ce moment-là. Lors de la fête folklorique du 23 août 1942 la chantefable sera inscrite au programme et jouée sur la plate-forme du château de Beaucaire.

C’est l’histoire de deux enfants qui s’aimaient et s’épousèrent après de longues tribulations. Un amour ingénu qui naît et se développe dans deux jeunes cœurs, l'histoire des fiançailles d'enfants qui se sourient et se tendent les mains dès l'âge le plus tendre, contrariées par un père et un statut social. Mais nous verrons que l’histoire va plus loin et est à contre-pied des récits de l’époque.

Pourquoi Beaucaire pour situer l’action ? Nous pouvons imaginer, un troubadour de passage dans cette ville lors de sa célèbre foire. Envouté, ébloui par les parfums, les couleurs, le brouhaha de la ville. Les bateaux qui font rêver à l’Orient, l’amoncellement des marchandises et les fêtes qui enivrent, une foule bigarrée, des langues inconnues..… (voir sur ce site La Foire de Beaucaire du 14/02/2019)
Ou bien la foire passée, dans le silence enfin retrouvé, l’occasion pour notre trouvère d’écrire en paix… Voici un résumé de l’histoire.



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Aucassin est le fils du comte Garin de Beaucaire, et par là appelé à un brillant avenir. Son père envisage un mariage glorieux pour lui, une épouse digne de son rang, la fille d’un roi ou pour le moins d’un comte. Nicolette est une jeune  sarrasine achetée par le vicomte de la Ville. Elle est baptisée et soigneusement élevée. Mais son avenir est tout tracé : le vicomte en fit sa filleule avec l’intention de la donner en mariage un jour à un jeune laboureur c’est à dire à un paysan suffisamment aisé pour avoir un attelage de bœufs.
Ce qui devait arriver arriva et le jeune Aucassin s’éprend de la jeune Nicolette. Aucassin devant le refus de son père de lui laisser épouser la femme de son cœur, refuse d’être armé chevalier, d’être mêlé aux tournois, et même de prendre les armes contre leur ennemi, le comte Bonzars de Valence.
 
Les 4 premiers vers avec la notation musicale. (BNF ms. 2168 fo 70r.)

Voyant l’obstination de son fils, le comte Garin demanda à son vassal le vicomte de chasser Nicolette. Celui-ci n’eut pas le cœur de le faire et l’enferma dans une chambre du château sous la surveillance d’une vieille servante. Aucassin lui avait été enfermé dans une vieille tour. Et un soir de mai lorsque la servante fut endormie, Nicolette découpa ses draps en corde et passant par la fenêtre elle se laissa glisser sur l’herbe fraîche. Courant dans les rues de Beaucaire, recherchant l’ombre de la lune, elle arriveva au pied de la tour où son Aucassin est emprisonné. Par une fente du mur, ils purent deviser tendrement. Nicolette avait un plan : elle allait se réfugier dans la forêt toute proche et il pourrait la rejoindre aussitôt évadé. Mais brusquement le guet de la ville apparut avec la mission de tuer la jeune fille s’il la retrouvait. Une sentinelle au sommet de la tour avait vu arriver la patrouille du guet et avertit à temps Nicolette car il estimait les deux amoureux et en avait pitié.
La jeune fille laissa passer le guet, cachée dans son grand manteau derrière un pilier, puis s’enfuit dans la forêt. Là sous un épais buisson, elle s’endormit jusqu’à l’aube. A l’aurore, elle installe son nid, garni de feuilles et de fleurs des champs en attendant son bien-aimé. Le bruit ayant couru qu’elle avait disparu, le comte libéra son fils et organisa une grande fête pour l’occasion. Aucassin en profita pour fuir. Il erra toute la journée sur son destrier sans avoir retrouver sa bien-aimée. Il se mit à pleurer, se lamenter quand soudain, au milieu du sentier un inconnu à la grande barbe blanche lui dit : « Je sais qui tu es et je peux te guider ». Et par cette belle nuit Aucassin rejoignit sa belle. Mais il fallait fuir et prenant Nicolette sur son cheval, ils partirent rapidement au galop à travers champs. Arrivé au rivage, des marchands qui naviguaient non loin de la côte acceptèrent de les prendre à bord. La haute mer gagnée, une violente tempête les poussa vers une terre étrangère, puis dans le port du royaume de Torelore. Mais une escadre sarrasine attaque le château et nos deux tourtereaux se retrouvent prisonniers, pieds et poings liés et jetés dans des barques différentes. Une nouvelle séparation. Après trois ans, Aucassin rentre à Beaucaire, ses parents sont morts dans l’intervalle. Il hérite et devient le comte de Beaucaire.
Nicolette se retrouve sur le bateau sur lequel d’habitude voyageait le roi de Carthage, son pays de naissance. Elle arrive au royaume de son enfance, elle a douze frères, tous rois ou princes qu’elle ne connaissait pas. Quand ils la virent, si belle jeune fille, si noble Dame, ils lui demandèrent de raconter son histoire. Elle leur déclara qu’elle était fille du roi de Carthage et qu’elle fut enlevée enfant il y a quinze ans. Ils reconnurent en elle la fille du roi …
Après maintes fêtes et cérémonies, elle chercha par quel moyen elle pourrait rejoindre Aucassin. Puis elle décida de partir nuitamment déguisée en jongleur. Elle débarqua sur la côte de Provence et de pays en pays elle arriva à Beaucaire.
Chantant et jouant de la viole, elle aperçut son bien-aimé sur le perron du château entouré de ses hommes d’armes. Il la reconnut immédiatement malgré le déguisement. Ils se marièrent et furent heureux. C’est ainsi que la fille du roi de Carthage en épousant le comte de Beaucaire devint la Dame de Beaucaire !!




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Illustration de 1910 par Maxwell Armfield pour l'édition anglo-américaine d'Aucassin et Nicolette d'Eugene Mason

Les contre-pieds de cette fable : Nicolette est sarrasine baptisée par son tuteur. Elle est courageuse, ingénieuse. Une femme habile. Aucassin de famille chrétienne porte un prénom dérivé de l’arabe Alcazin roi maure de Cordoue (10ème siècle) ; il pleure, se lamente, loin du héros médiéval des Chevaliers de la Table Ronde. Il n'imagine rien pour retrouver son amie. Il renonce à ses devoirs de fils. Il se laisse porter par les évènements, sorte d’antihéros. Nicolette a le meilleur rôle, c’est elle qui prend l’initiative sans pleurer, sans se laisser abattre par l’infortune !! Une femme très moderne.
Dans une des tirades d’Aucassin sur le paradis et l’enfer, les valeurs de la religion sont bousculées. A un autre endroit du texte, les deux amoureux se demandent qui de l’homme ou de la femme aime le mieux .
  « Femme ne puet tant amer l'oume con li hom fait le femme ; car li amors de le fenme est en son oeul et en son le cateron de sa mamele et en son l'orteil del pié ; mais li amors de l'oume est ens el cué plantee, dont ele ne puet iscir »
« La femme ne peut aimer l'homme autant que l'homme aime la femme ; car l'amour de la femme est dans son œil et à la pointe de son sein et au bout de l'orteil de son pied, mais l'amour de l'homme est planté dans son cœur et n'en saurait sortir » Traduction : A. Bida 1878, p. 23.


Cette fable pourrait être une parodie destinée à divertir contrairement à l’usage des auteurs d’épopée de cette période qui est d’instruire ou d’édifier par l’exemplarité des comportements. D’ailleurs le manuscrit de la BNF (ms2168 f°80) commence par des vers qui montrent une intention de divertir. On peut lire sur ce manuscrit les derniers vers « no cante fable prent fin ». On l'imagine bien jouer sur les marchés des villages, sur une estrade au milieu de mimes et acrobates.

1910 Maxwelle Armfield édit anglo-américaine Eugène Mason
Des adaptations au cours des siècles : un récit en prose de Jean Moréas traduit en provençal par Marius André en 1893 et résumé par Frédéric Mistral en vers provençaux dans Le Poème du Rhône de 1897. Des opéras dont un allemand.
Un petit opéra de 40 minutes de Paul le Flem en 1910 avec chœur, cordes, harpes, piano et orgue, destiné à un théâtre d’ombres. Une adaptation de Serge Ligier parlée et chantée en vieux français, reprise en 1962-63-66 à Paris, Limoges…. Le cinéma s’y est aussi intéressé en 1976 avec Lotte Reiniger dans un court métrage d’animation.
C’est souvent dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes !!


·         Illustration de 1900 par V. Jastrau pour l'édition danoise d'Aucassin et Nicolette





Sources  wikipedia.org---Mario Roques(Éditeur scientifique), Aucassin et Nicolette : chantefable du XIIIe siècle, Paris, H. Champion, coll. « Les classiques français du Moyen Âge » (no 41), 1929, In-16, 107 p. (notice BnF no FRBNF33250981)
Aucassin et Nicolette, chantefable du XIIIe siècle [archive] disponible sur  Gallica BNF ---wikipedia.org—Comité des Musées de Beaucaire 1977Livret Beaucaire--

mercredi 20 février 2019

Les amours de Barberousse


Les amours de Barberousse


On peut être un pirate sanguinaire, mais on n’en est pas moins homme. L’Histoire nous laisse deux  épisodes de la vie amoureuse de Khaïreddine, le dernier des frères Barberousse. Son cœur s’est certainement emballé pour d’autres femmes durant sa longue vie, mais nous ne connaissons que ces deux cas.
(BD 1991 Amin Zirout Masmoudj édit Alif-www.bedetheque.com/BD-Barberousse-Tome-2-Kheireddine-Le-Lion-des-mers-19692.html)
En 1534, à la tête de 60 galères dont il a lui-même dessiné les plans, il fonce sur la Calabre, prend Reggio, pille et fait deux mille prisonniers qui seront vendus comme esclaves. Un des captifs lui parle de la beauté envoutante de Julia Gonzagua, comtesse de Fondi, duchesse de Trajetto. Un charme inoubliable, un bijou inégalé… Son blason est une rose rose sur un lit de pétales blancs…Tout un programme ! On dit que 208 poètes italiens ont chanté la beauté de Julia, en vain.
Fondi est une ville riche d’histoire. Elle a accueilli l’une des plus antiques communautés juives du monde. Elle a vécu la domination espagnole des Aragones et celle des Gonzaga, dont on peut encore admirer le château et le palais Baronal où résidait Julia. Celle-ci avait constitué une petite cour que ses contemporains appelaient « La Petite Athènes », un lieu de culture où se rencontraient des personnalités importantes. Un autre monde pour notre pirate.
(Julia Gonzague par Sébastiano des Piombo  Kimbelle Art Museum Fort Worth Texas USA)

Khaïreddine a autour de 68 ans, bon pied, bon œil. Il veut tenter sa chance. Il ne peut  résister au portrait de Julia, l’indomptable qui choisit ses amants !! Khaïreddine est très séduisant nous disent les chroniques, son sourire lui ont valu d’innombrables succès. Si quelque chose tenta jamais par-dessus tout Barberousse, ce fut bien une jolie femme. Certains historiens pensent que peut-être en bon pirate envisage-t-il un instant de l’offrir à Suleyman le Magnifique pour son harem. A-t-il longtemps tergiversé entre l’envie de dompter la comtesse, de conquérir ce bijou et l’envie de monnayer sa prise ?
(Julia Gonzaga  Sebastiano del Piombo)


La nuit du 8 au 9 août 1534, la galère capitaine s’écarte de l’escadre et met cap sur Fondi. Les pirates débarquent en pleine nuit, foncent vers le palais. Va-t-on surprendre la belle Julia au saut du lit ? Lorsqu’ils arrivent sur place, avertie on ne sait comment, la belle s’est envolée depuis une heure à peine. Départ tellement précipité, que Julia a dû se jeter sur un cheval, quasiment vêtue de sa seule pudeur et d’un rayon de lune ! Un domestique tenait les rênes. Celui-ci en avait trop vu ou un geste lui avait échappé, et Julia se dépêche de le faire pendre à l’arrivée.
Barberousse, très en colère, se vengea en détruisant la ville de Fondi qu’il laissa en ruines.

Mai 1543 : le sultan a donné ordre à Barberousse de rallier la côte provençale et de se mettre à la disposition du roi de France, François 1er. Celui-ci est encore et toujours en guerre contre Charles Quint et l’Angleterre de Henri VIII s’est déclarée contre nous dans ce conflit. Paulin de la Garde représentera le roi de France aux côtés de Barberousse. Les Provençaux et les Languedociens depuis longtemps dans leurs ports de Marseille jusqu’à  Saint-Gilles commercent avec les pirates ; ils leur rachètent à bas prix les produits de leurs expéditions pour les revendre quatre à cinq fois plus cher, fournissent matériel, nourritures….
L’escadre décide de faire eau (aiguade) devant Reggio. Quelques janissaires armés, tonnelets à l’épaule, la mine farouche, descendent à terre pour se ravitailler. Le gouverneur de Reggio, un Espagnol, se méprend, croit que les tonnelets contiennent de la poudre pour faire sauter les remparts qui viennent d’être réparés. Il fait ouvrir le feu. Aussitôt Barberousse passe à l’attaque avec le reste de ses soldats. Les pirates ouvrent une brèche dans les remparts et s’apprêtent à tuer la garnison et quelques civils.
Mais Khaïreddine arrête le carnage : il vient d’apercevoir au côté du gouverneur espagnol qui attend la mort, le visage d’une jeune fille. Elle a autour de 16 ans, elle s’appelle Maria, c’est la fille du chef de garnison. Le géant est frappé par la foudre, Le coup de foudre pour cette jeunette.
Les janissaires remontent vite sur les navires, on fait disparaître les morts. Et une fête se prépare avec lampions, guirlandes de fleurs. On fait assaut de courtoisie devant les Espagnols estomaqués. Barberousse octogénaire fait sa cour, tel un amoureux de 20 ans. Il ne cesse de sourire, courbe sa haute taille, offre fleurs et bijoux. La demoiselle est conquise et elle accepte le mariage « avec ravissement » nous disent les chroniques. Elle était fiancée en Espagne mais n’y pense plus. Le voyage de noces entraîne nos tourtereaux au long des rivages italiens, l’escadre au complet veillant jalousement sur la tranquillité des nouveaux mariés. Maria accompagnera Barberousse jusqu’à la mort de celui-ci.
Mais Barberousse a un travail à effectuer. L’escadre de Khaïreddine comprend 112 galères, 40 navires de guerre plus petits, des bâtiments de transport… La flotte française aligne 22 galères et 18 navires. Le total des bâtiments fait tenir tranquille les Espagnols de Charles Quint. Nous sommes en juillet. Le comte de Grignan gouverneur de Marseille rencontre Barberousse et Paulin de la Garde. Il dira de Barberousse « il m’a paru gentilhomme tout à fait digne et instruit…quoique je n’ai rien compris à ce qu’il m’a dit.. ! ».  On visite la ville. Pour l’occasion on hisse le Croissant sur les hauteurs de Marseille.
Début août les deux flottes (française et pirate) mettent le cap sur la rade de Villefranche. Barberousse semble-t-il veut donner une aubade à sa jeune épouse en lui montrant un combat naval. Un musicien aurait écrit une ballade pour l’occasion. François 1er un temps réticent, finit par céder, mais l’objectif sera Nice qui est savoyarde et non française, c’est-à-dire de l’Empire de Charles Quint.
Le 22 août pour les beaux yeux d’une jeune Espagnole, une armée régulière française de 7000 hommes et autant de pirates s’associent et emportent la ville de Nice après tout de même douze jours de siège. Mais le château tient bon, à sa défense un chevalier corse Paul Siméoni ancien chevalier de Malte et ancien prisonnier de Khaïreddine. La raison l’emporte et les Français décident de se retirer ou bien la ville se rend à François 1er, on ne sait pas très bien, la situation est très floue. On invoque l’arrivée prochaine d’un autre corsaire Doria, un temps au service de François 1er et maintenant au service de Charles Quint, le roi de France l’ayant privé d’une rançon d’un prisonnier qui lui appartenait. A quoi tient l’amitié entre ces gens-là !!


Quand Barberousse reprend au printemps 1544 la route sur la mer, il a toujours Maria à ses côtés. Une dernière fois il lance son immense escadre sur la Catalogne, le royaume de Valence, la Calabre. Une sorte de baroud d’honneur. Fin 1544 son bateau amiral s’immobilise le long du Bosphore et ne repartira plus. Barberousse s’éteint en juillet 1546. Avant sa mort il avait poussé son héritier sur mer Draghut, un Anatolien musulman en lui confiant une escadre de douze galères. Ce sera le commencement des Capicorsini, l’arrivée sur scène des pirates du Cap Corse. On retrouvera Draghut au côté de notre roi Henri II(fils de François 1er) lors de la tentative de conquête de la Corse en prenant Bonifacio.







--Flick--. le lycée Arroudj Kheireddine Barberousse (ex Lycée Delacroix) | by Habib Boucetta


Sources : Loup Durand  Pirates et Barbaresques en Méditerranée édit Histoire du Sud Aubanel ISBN2.7006.0057-6 --www.herodote.net/14_octobre_1543-evenement-15431014.php
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mercredi 13 février 2019

La Foire de Beaucaire



Foire de Beaucaire gravure coloriée du XVIIIe siècle-Musée de Nîmes---wwwnimausensis.com/rochefort/RocFoire.jtm12 Avril 2005,

La Foire de Beaucaire :

Clara Foro, célèbre par sa foire, dans un texte gravé autrefois sur la porte Beauregard. Cette foire de la Madeleine donna à la ville une renommée européenne surtout au 18ème siècle. Officiellement, par les Lettres Patentes de Louis XI, elle date de 1464, mais une tradition ancienne en attribue la création en 1217 à Raymond VI comte de Toulouse. Probablement son existence date du 12ème siècle comme dans la plupart des petites villes occitanes. La plus ancienne preuve de l’existence de cette foire est une donation faite à l’abbaye de Franquevaux en 1168. Elle va se développer particulièrement à partir du 16ème siècle pour atteindre son apogée au 18ème siècle. Ce sera un grand marché international avec une courbe des ventes croissante de 1730 à la Révolution de 1789. Pendant cette période, le chiffre d’affaires passera de 8 532 000 livres à 41 933 000 livres. Les premières  statistiques mentionnent une moyenne de 100 000 vendeurs et acheteurs par an, puis en 1769, 120 000 ; même en pleine Révolution, la fréquentation ne faiblit pas. En 1797 un chiffre record de 50 millions de francs/or, montant des transactions !! C’est un véritable phénomène économique et sociologique, ethnologique. C’est la « Capitale Française des Marchandises » nous disent les chroniques. Thomas Platter, étudiant en médecine et voyageur de Bâle décrit en 1597 la ville de Beaucaire envahie par des boutiques, des cabanes, jusque dans les faubourgs, le long des rues et chemins, les maisons transformées en magasin.
Au débouché du Rhône, elle attirait un monde bigarré venus de tous les points de l’Europe. Voiliers hollandais, barques espagnoles, catalanes, trabacs de l’Adriatique, brigantins d’Alep, Italiens de Venise, de Gênes, Portugais, Anglais, Allemands ….un centre commercial européen, méditerranéen pendant toute la durée de la foire.
En 1758,  on y compta 130 barques de mer, sans parler des 200 petites barques du Rhône, pour les trajets restreints.
Aussi, Frédéric Mistral, les a-t-il chantées, dans son beau poème du Rhône, dont la traduction diminue la saveur.

« Il y en a des barques au port ! Les unes portent la voile aiguë des Latins ; d'autres sont quadrangulaires ; les allèges d'Arles et les trois-mâts de Marseille ; les tartanes de Gênes et de Livourne ; les brigantins d'Alep, les balancelles de Malaga, de Naples et de Majorque ; les goëlettes anglaises du Hâvre-de-Grâce, les mourres d'Agde et de Cette et les trabacos noirs de l'Adriatique ; c'est un vacillement sur le Rhône ; une danse dans le soleil, la houle et la rumeur de tous les jargons des gens de la marine. »

L’évènement s’ouvrait solennellement et théoriquement pour trois jours plus trois jours de fêtes religieuses, du 21 juillet au soir et durait jusqu’au 27 ou 28 si un dimanche tombait un des trois jours ouvrables. En fait la foire se prolonge jusqu’au départ du dernier marchand, parfois 15 jours. Un édit royal annonçait l’ouverture de la foire à toutes les villes du royaume. A Beaucaire même, la publication de la foire dans la soirée du 21 juillet avait lieu à la clarté des torches, avec trompettes et cymbales. Une procession aux flambeaux se déroulait dans toutes les rues et places et à chaque carrefour la proclamation était lue.
Les bancs de marchandises investissaient toute la ville, les rues, le champ de foire (le Pré) le long du Rhône, sur le Rhône sur des radeaux, des barques qui encombraient le fleuve. De grands radeaux aux troncs énormes chargés de marchandises lourdes descendaient le Rhône et à l’arrivée, on les disloquait pour vendre les troncs en poutres réputées. Par exemple la ville de Salon en juillet 1654 avait décidé d’acheter ces poutres « qu’en foire de Beaucaire » pour réparer le toit de son hôtel de ville. Les habitants louaient leurs cours, leurs rez de chaussée, logeaient les marchands. Les chambres étaient retenues un an à l’avance. On dressait des tentes sur les terrains loués aux paysans. Les villages, bourgades alentour, triplaient leurs services de diligence, les voitures particulières se louaient à prix d’or. Des auberges éphémères tournaient à plein et offraient gite et couvert. « Là où nous avions un lit, nous en mettons six », dit un Beaucairois de 1771. Tout se loue au prix fort ; une maison de belle apparence, entre les mains d'un propriétaire avisé, doit rapporter 18 à 20.000 francs de loyer pour la durée de la foire, quinze jours au plus ; les arceaux de la place du Marché se donnent à 600 francs l'un pour le moins ; un banc de pierre sous un auvent, vaut de 200 à 300 francs.

En 1669 Tarascon et Beaucaire se mettent d’accord enfin pour la construction d’un pont de bateaux qui facilitera les communications entre Provence et Languedoc. Avant cette date à Tarascon 600 à 700 familles étaient bateliers et vivaient du passage du Rhône. Certainement autant à Beaucaire et dans tous les villages le long du fleuve.
La location du Pré avant 1789 rapportait annuellement 9 000 livres à la ville. Les cabanes commençaient à sortir de terre fin juin-début juillet pour occuper jusqu’à  un sixième des 15 hectares du Champ de Foire. Les cabanes étaient orientées par rapport à la chapelle pour que les marchands puissent suivre les offices tout en surveillant leurs marchandises. D’année en année les mêmes rues accueillaient les mêmes types de marchandises et d’ailleurs elles portaient le nom de leur commerce. La pluie et les inondations étaient les seules calamités à craindre comme en 1767. Dans la ville on retrouvait son chemin grâce aux Saints dans leurs niches placées en haut et au coin des rues, Saint Pierre et ses clés, Saint Sébastien et ses flèches…
Les marchands venaient par mer, par eau, par groupes sur les routes, évitant ainsi le brigandage autant que cela était possible à cette période. On redoutait les voleurs, les filous (escrocs), et surtout les barbaresques qui hantaient nos côtes pratiquement jusqu'au 18ème siècle. Contre ces derniers, des navires de guerre venus de Toulon croisaient près du rivage pendant toute la période de la foire. Louis XIV avait diligenté la galère « La Reyne », Marseille équipait un navire pour « tenir la coste nette de corsaires ».
Les lettres patentes de 1464 indiquent que l’on peut vendre toutes marchandises (quelconques) « sans paiement de péage, redevance ou impôt » donc une baisse des prix très importante et pendant toute la période de la foire, on ne peut retenir, « arrêter une personne à moins que l’énormité du crime ne requière une punition corporelle ». Un tribunal spécial jugeait et faisait exécuter immédiatement les condamnations.


André Basset, Foire de Beaucaire mai 2011 au XVIIIe siècle, Musée Auguste Jacquet de Beaucaire
On trouvait de tout : cuirs, peaux, toiles, bijoux, armes, horloges, ustensiles de cuisine. Perles, coraux, pierres précieuses… oranges, parfums, épices, poissons salés de Bretagne…. Savons, huiles, vin… Livres interdits aussi. Dentistes, notaires, charlatans, médecins et vendeurs d’élixirs miraculeux, baratineurs, croque-morts de service, et bien sûr voleurs à la tire, trafiquants …la loterie du Marquis de Sade en 1797, qui ne marcha pas très bien.
Cette foire au 16ème siècle va beaucoup aider à la propagation des doctrines protestantes par la vente de livres, de libelles, par les conversations dans les auberges. Des livres des psaumes enjolivés, rimés, dorés, conviaient les dames à la lecture, les bourgeois à acheter un objet de valeur. Les marchands sont par nécessité facteurs de modernité, de brassage des idées, des modes de vie.
C’était aussi l’occasion de faire la fête. Les visiteurs pouvaient se lâcher. Bals, feux d’artifices, prostitution,  attractions diverses. Cirques avec jongleurs, lutteurs, avaleurs de sabre. Toutes les langues européennes s’entendaient dans les auberges provisoires. Elles offraient des repas pour toutes les bourses et tous les appétits. Beaucaire était pour une semaine le centre des affaires et des plaisirs.



Le Pré de Beaucaire, Musée du vieux Nîmes  mai 2011
On entend encore des Anciens dire « La foire n’est pas encore sur le pont », c’est-à-dire nous avons encore le temps, pourquoi se presser. Pendant longtemps, Beaucaire et Tarascon étaient reliés par un pont de bateaux sur le Rhône. Lors de la foire, les boutiques s’installaient sur ce pont vite encombré et rendant difficile le trajet. D’où le dicton.
La bague de Beaucaire, la bague d’Aïe, s’achetait lors de cette foire. En pâte de verre filé elle se cassait facilement comme les amours éphémères. Le ou la propriétaire de cette bague criait « aïe » lorsqu’elle chutait. Parfois sur un chaton en cuivre était gravée une souris.
Le pain de Beaucaire, Li Gimbeleto, petite pâtisserie en forme d’anneau, enfilées comme un chapelet se dévorait pendant toute la fête.
Chacun avait à cœur de repartir avec un objet rappelant son voyage à Beaucaire. Rentré chez lui, il pourra raconter à la veillée ses journées de foire.


Pont de barques Beaucaire-Tarascon 8ème siècle –wikimedia.org JPS68via photoshop18 mai 2011
La foire sera responsable en partie de l’épisode de peste de 1720. Le navire Grand-Saint-Antoine accosta à Marseille le 25 mai 1720. Des soieries destinées à la foire par le premier échevin Jean-Baptiste Estelle échapperont à la mise en quarantaine et débarqueront rapidement. Contaminées elles répandirent la peste en Provence et en Languedoc.

Une fois achetées, les marchandises remontaient le Rhône en carate, barque à fond plat, tirées par des chevaux sur le chemin de halage. Elles arrivaient à Lyon après un mois de voyage.
Mais les marchandises achetées sont aussi convoyées à dos de mulets, jusqu’à 150 par jour en 1725. Ils prennent le chemin des villes d’Auvergne via le Languedoc jusqu’à Paris avec liqueurs, savons, eau de vie…..


(Jean Jules Antoine Le comte du Nouy 1842-1923 –Le Souper de Beaucaire photo RMN Grand Palais D Arnaudet). 
Bonaparte, pas encore Napoléon, est dans la région en juillet-août 1793. Il reste trois jours à Beaucaire du 28 au 31 juillet. Il est chargé de transporter de la poudre pour l’armée d’Italie. Il est hébergé chez un pharmacien M Renaudet. Il soupe le soir du 29 dans une auberge avec des marchands venus pour la foire. Il en fera plus tard un texte dialogué qui sera sa profession de foi républicaine : « Le Souper de Beaucaire ».
Ce texte fondateur est lu par le frère de Maximilien Robespierre, Augustin, et lancera l’ambitieux soldat qui sera en charge de l’artillerie du siège de Toulon. Il sera édité officiellement en 1798.

Après cet épisode de foire, les Beaucairois peuvent se reposer. « Ils se sont tellement enrichis, qu’ils peuvent vivre sans rien faire sinon un peu de culture et de pêche pour le plaisir, attendant de pied ferme la prochaine foire de Beaucaire ».
Le 19ème siècle sera fatal à la foire. Sur la rive droite du Rhône, le chemin de fer Paris-Marseille détourne le trafic. Le sable de l’embouchure du Rhône avait peu à peu ferme l’accès aux barques. Mais à  la foire de 1833, les fabricants nîmois envoyèrent encore 324.500 châles, de dix-neuf types ou dimensions, châles brochés, imprimés, de laine, de coton, de soie, crêpe de Chine ou façon Thibet, etc…Sur ce nombre, 236.950 furent vendus à des prix variant, suivant type et dimension, entre 2 fr. 75 et 50 francs. Une idée des transactions qui s'effectuent encore.


www.vds-phl.fr/archive/2014-05/3- Li Gimbeleto





BNF gallica
Sources : Wikipedia.org—wikimedia.commons—JJ Antier Marins de Provence et du Languedoc  édit Presses du Languedoc 2003---Jean Pierre Hugues  Histoire de l’Eglise Reformée d’Anduze  Galica BNF --- Emile Levasseur Traité du Commerce en France avant 1789-- Pierre Léon, Vie et mort d'un grand marché international. La foire de Beaucaire (XVIIIe-XIXe siècles), 1953 Persée –Charles de Gourcy (1883-1956), docteur en droit, "La Foire de Beaucaire" étude d'histoire économique,--- Jeau Paul Clébert Guide de la Provence mystérieuse, Éd. Tchou, Paris, 1972.—Joseph Fournier Le passage du Rhône entre Tarascon et Beaucaire au Moyen-Age jusqu’en 1670  Persée Revue des Etudes Anciennes 1907 pp21-26--www.nemausensis.com/rochefort/RocFoire.htm