mardi 4 novembre 2025

Notre four-vieil--de la Boule à la baguette

Notre Four-Viel—de la Boule à la Baguette

Le pain nous accompagne depuis la nuit des temps dès l’instant où nous avons découvert la cuisson des galettes de céréales sur des pierres chauffées. Le four à pain le plus ancien connu remonte à 5000 ans en Mésopotamie…Le pain symbole de survie, de communauté….et des liens très forts avec le pouvoir en place. Denrée de première nécessité, parfois l’unique aliment en période de disette, le pain a été taxé très tôt dans l’histoire de France. Au VIIe siècle, le roi Dagobert est la première autorité connue à faire usage de la taxation.  Le fameux Tour du Chat est obligatoire dans la construction des fours villageois au XIVème siècle sous le roi Charles VI : un espace plus ou moins grand est aménagé entre les murs du four et ceux des maisons alentours par crainte du feu. De même en1719 il est interdit de cuire son pain chez soi. La Révolution de 1793 s’empare du symbole avec le « Pain de l’Egalité ». Napoléon et bien d’autres Politiques vont s’y intéresser…Au XVIIIe siècle, le pain constitue 90 % de la nourriture française. On en consomme jusqu’à un kilo et demi par jour : le pain blanc, signe de pureté et d’élégance, pour les bourgeois et les aristocrates, et le.pain brun pour les autres, voire très noir pour les pauvres. ..

Les premiers fours étaient souvent creusés dans le sol ou construits en pierre, comme en témoignent les vestiges retrouvés dans les cités romaines. Ces installations étaient conçues pour conserver la chaleur et garantir une cuisson régulière. Au Moyen Âge, les fours communautaires se multiplièrent, devenant des lieux de rassemblement où les habitants apportaient leur pâte à cuire. Nécessité pratique mais aussi moment de partage, d’entraide : les familles se succédaient pour cuire leur pâte en respectant un tour de rôle, échangeaient des nouvelles. On cuisait pour la semaine, la quinzaine, parfois plus, des gros pains, miches ou boules, chargés de mie sous une grosse croûte afin d’assurer la plus longue conservation naturelle possible. Les villageois devaient marquer leur pain en indiquant le jour du dépôt. Le responsable du four, le fournier ou baliste, acceptait de faire cuire à la porte du four les tartes et les plats des clientes.. Le four était au cœur de la vie sociale.

Ce qui reste du "four vieil" de Vallabrix route de Masmolène.(propriété privée) .Au 16ème-17ème siècle il était au centre  du village avec la fontaine et le lavoir plus bas. Comme dans les autres villages, notre four a d'abord été un four seigneurial avec droits de banalité. Ces droits seront abandonnés rapidement à la Communauté. En effet dans des délibérations du 17ème siècle, les consuls nomment le tenancier du four et signent le bail. Appelé "four vieil" dans les textes, notre four avait un étage.  Les consuls de 1682 à 1783 s’y réunissaient, profitant de sa chaleur, mais aussi manifestant un certain cérémonial. Le symbole du pain était associé au symbole du pouvoir.


 
 
Thomas Platter nous raconte les pratiques de la fin du 16ème siècle : « ….c’est à la maison qu’on pétrit la pâte pour le pain ; on y met une marque et on l’apporte au boulanger ; on attend que soit achevée la cuisson, afin que ce personnage ne puisse rien garder pour soi de pâte ni de pain ; car la confiance mutuelle ne règne pas dans cette affaire » (p282). A cette époque les blés d’Uzès passaient pour être les meilleurs. (Emmanuel Le Roy Ladurie Le voyage de Thomas Platter II édit. Fayard)

Des travaux récents nous révèlent l’intérieur du four ou ce qui en reste. Chainage d’angle, traces d’une fenêtre à l’étage, belle voute (le four ?)…. De l’ouvrage soigné, un bâti fignolé, nos moellons à bâtir de notre carrière…des modifications probablement au 20ème siècle (escalier, encadrement en ciment …) .

Au 19ème siècle, dans les villages, la frontière entre boulangerie, entreprise privée, et le fermage du four communal devient floue. Déjà en 1830, chez nous, un four privé appartenant au sieur Guiraud enlève 1/3 du fournage du four communal ce qui occasionne une perte de revenus au baliste le sieur Aubert. La commune lui allouera une indemnité compensatoire. En 1835 c’est le sieur Aubert qui a un four privé, peut-être celui du Plan Du Four, construit contre le mur du fort ou en face, quant au lieu,  les archives et les mémoires sont défaillantes. Construit sur un terrain communal sans autorisation !! Mais à cette date nous avons encore un baliste le sieur Agniel et ses deux ouvriers donc nous avons un four communal, le  four-vieil ou un autre ?.Les élus municipaux se réunissent chez le maire en attendant la construction de notre première mairie, « la Maison Ronde ». Les élus vont refuser la démolition de ce four privé, démolition pourtant accordée par le préfet, et diminuent la redevance du baliste le sieur Agniel.

 

En 1772-1773, le fournier-baliste doit aussi contre salaire prendre en charge les cochons des villageois ou prendre un berger. Ces bêtes vagabondent et causent des dégradations dans les champs de blé et dans une pépinière de jeunes oliviers : les villageois donneront  2sols 6 deniers par cochon par mois, pendant 9 mois, 3 sols les 3 mois d’été, 5 sols par truie allaitante—pour les cochons à tuer, gratuit du 11 octobre au dernier  jour de carnaval et une amende de 5 sols pour les gens qui laissent vagabonder leurs bêtes… Les porcs vont ainsi nettoyer, désherber les chênaies. En 1789 le baliste est autorisé à prendre dans la garrigue du »bois broussailleux ».

En 1861 le four communal de Vallabrix est à reconstruire, presque hors d’usage : les travaux coûteront 2162frs. Le maçon  est de St Quentin, M Fillioux et l'architecte M Chabanon. Trois ans après la facture n’est pas réglée, il  manque 196 frs. Un architecte est nécessaire pour garantir la sécurité.

La cuisson du pain se fait par contrat d’affermage. Ce système va perdurer au moins jusqu’en 1924 chez nous. En 1866 on attribue la ferme du four communal à un adjudicataire (le fournier ou baliste) avec un contrat pour quatre ans, et non plus deux ans, paiement en deux fois à verser au receveur municipal de Vallabrix. L’adjudicataire est tenu de cuire deux jours par semaine, le jeudi et le vendredi après être allé chercher la pâte chez l’habitant. Il doit rapporter le pain cuit au domicile du client. Son tarif est indiqué : un pain pour lui contre 30 pains cuits ou 1kg contre 30 kg au choix des habitants. (En 1789 son tarif était différent : 8 gros pains contre 50, mais possibilité de faire des petits pains d’une livre : les gouts évoluent !!) Il peut vendre les pains qui lui restent aux personnes qui ne cultivent pas de blé ou qui préfèrent vendre leur récolte. Il doit fournir une caution et est responsable de tout dommage advenu aux fournées ou aux locaux. La commune lui fournit 3000 fagots de bois. Déjà il est possible de payer son pain en farine donc l’adjudicataire avait la possibilité de pétrir lui-même ou avec un commis.

En 1876, il est urgent de changer diverses clauses du cahier des charges : en particulier les habitants peuvent toujours payer en pain (1 contre 30 ou 1kg contre 30 kg) mais ils peuvent par voie d’abonnement de 3 ou 6 mois, payer en argent : 3 francs par tête pour les plus de 12 ans, 1,50 francs pour les 10-12 ans, gratuit en dessous. De l’argent à cette période rentre donc dans les foyers, artisans, ouvriers, les temps changent !!

Patrice François le 24 décembre 1876 remportera l’adjudication pour quatre ans et pour 310 frs l’an. Affiches « en lieu et époques voulus » ont prévenu de l’adjudication qui s’est faite au plus offrant avec une mise à prix à 250 frs. Donc plusieurs candidats se sont manifestés. 

En fait, le fermier du four communal des siècles précédents s’était transformé au fil du temps en boulanger.

Jusqu’en 1901 la commune fournit 3000 fagots par an pour le four. Puis de 1907 à 1911 on ne parle dans les PV municipaux que de 400 fagots pour les besoins de l’administration municipale (mairie, école).  Pendant la guerre de 1914 et jusqu’en 1924 le four reprendra du service (« avec conditions de ne pas mettre de substances dégageant de mauvaises odeurs »), mais chacun apportera son bois. En 1924 l’adjudication se fait à 40 frs pour un an….au lieu des 300 à400 frs un demi-siècle avant.

Des boulangeries se sont installées à Vallabrix et dans les environs livrant du pain, les routes étant plus praticables.  Marius Bouchet en 1901 était notre boulanger. Faustin Gouffet dans son ouvrage sur Vallabrix nous donne quelques noms de boulangers : Mrs Robert, Bouchet, Basile Pascal et Marius Pascal… Il est certain que des boulangeries existaient sur notre commune en 1883 à côté de l’activité du four communal comme le montre le résumé du conseil municipal qui suit.

« L'arrêté communal du 23 août 1883 interpelle nos boulangers et détaillants de pain. Des plaintes fondées démontrent que le prix de vente du pain est trop élevé. Ils sont mis en demeure de se conformer à la taxe officielle. Un bulletin de taxe est à récupérer à la mairie et doit être affiché dans leurs boutiques à un endroit le plus visible pour le client ». Le tampon officiel de la mairie indique encore le nom ancien de la commune : « Vallabris ».

Le 6 novembre 1928 l'alambic sera installé dans le four au centre du village ; ce sera la fin de la cuisson du pain.

Et la baguette détrônera la boule ou la miche. Quand ? Sous Napoléon III, sous la 3ème République ? Petit à petit…De façon plus certaine, on parle de  baguette en 1904 dans un manuel de boulangerie. D'une longueur de 80 cm et d'un poids de 250 g, cette baguette se diffuse dans toute la France entre les deux guerres mondiales, après le vote d'une loi interdisant aux boulangers de travailler avant 4 heures du matin, ce qui ne leur laisse plus le temps de façonner la boule traditionnelle….

« Les savoir-faire artisanaux et la culture de la baguette de pain » sont inscrits à l'inventaire du patrimoine culturel immatériel en France le 23 novembre 2018 et au patrimoine culturel immatériel l'UNESCO le 30 novembre 2022 »     ---Archives  municipales Vallabrix +archives Gard