lundi 23 septembre 2024

Maison ronde ou notre première école-mairie


 Maison Ronde ou notre première école-mairie

 

De tout temps, il est apparu que l’éducation, les apprentisages, sont des enjeux de société importants.Régulièrement les écoles ou les lieux d’enseignement seront favorisés mais contrôlés par les pouvoirs politiques en place. Le XIXème siècle en est un exemple ; avec le triomphe  de la République, les rivalités idéologiques retrouvent de la vigueur et l’Eglise et l’Etat se disputent nos enfants.

Dans notre Midi, après la fermeture des écoles gallo-romaines, le concile de Vaison (la Romaine) de 529, sous la houlette de l’évêque Sant Césaire, décide la création d’écoles paroissiales rurales où les enfants apprendront les psaumes et les textes divins. On va surtout checher à former des futurs clercs.

A Uzès la Charte de 1346 mentionne un maître d’école. Les archives de temps en temps indiquent le paiement d’un loyer, d’un muid de vin, le remplacement du maître…Au cours des siècles les rivalités religieuses vont d’une certaine manière favoriser la création d’écoles pour les enfants puis pour les adultes au 19ème siècle.

A Vallabrix, à la veille de la Révolution de 1789, nous louons pour 5 livres une chambre chez l’habitant pour le maître d’école et sa classe. Nous lui versons un salaire annuel de 120 à 140 livres. Parfois chambre et école sont situées dans le Grand Membre (le vieux château, chez Ruffier ou Agniel). Les enfants sont scolarisés quand les travaux des champs ne les réquisitionnent pas. La plupart aident à la ramasse des feuilles de muriers pour les vers à soie, leurs petits doigts encore souples et pas encore calleux sont mis à contribution dans la confection des bas…. Certains travaillent chez l’artisan du coin, maréchal ferrant, menuisier, fermier….Pour la plupart des enfants, les apprentissages de la lecture, de l’écriture et du calcul ne sont pas encore considérés comme des outils d’émancipation, d’ouverture et de compression du monde …. Les mentalités vont mettre un certain temps pour évoluer. Les enfants seront pendant encore longtemps des bras, une aide économique non négligeable pour les familles.

Le 21 novembre 1831 un projet de construction d’une école primaire voit enfin le jour dans notre village. Mais il nous faudra attendre faute de moyens financiers et d’adhésion des Vallabrixois. La loi du 12 juin 1833 nous donne six ans pour construire. Pour le gardois François Guizot, ministre de l’Instruction publique de 1832 àfévrier1836 et d’octobre1836 à avril 1837, l’instruction est une nécessité économique et une obligation sociale. Il va donner à l’école du peuple une impulsion nouvelle qui va nous emmener pas à pas vers l’obligation, la gratuité, la laïcité de l’enseignement primaire pour tous avec les lois de 1881.

En 1839 à Vallabrix on réaffirme la nécessité d’une école et d’une mairie : les raisons en sont que des archives et des papiers ont été égarés, les réunions municipales se font chez le maire qui pourrait penser qu’il est propriétaire du village….. (avant la Révolution réunions à l’étage du four).Nous allons faire des sacrifices, une réimposition, des coupes de bois, une demande de subvention… La révolution industrielle du 19ème demande des ouvriers instruits un minimum (développement du chemin de fer et des industries associées, métallurgie, mécanique, charpente.. et industrie chimique avec la crise viticole). Il nous faut donc un endroit neutre pour la mairie et une école pour instruire nos enfants.

Un devis et un plan de la future école-mairie arrive le 1er août 1839, architecte d’Uzès Pralong. Le plan est de 1836. Le bâtiment sera situé à l’intérieur du fort, contre les remparts, sur un terrain communal, face à l’église : un étage, trois cheminées et un tuyau pour un poêle dans la salle de classe. C’est en gros, l’actuelle « maison ronde » qui à ce moment n’avait pas d’enceinte ronde de prévue. (maintenant propriété privée). Ce plan reçoit l’accord du comité local d’instruction. Le procès-verbal nous dit que « cette construction offre un local sain et commode, un logement convenable pour l’instituteur…. Un emplacement commode soit pour sa position soit par sa centralisation qui est dans la commune la plus agréable ». Les grandes fenêtres répondent au souci moderne d’hygiène. On a vraiment l’impression que le village tourne une page. Centralisation car à cette époque, le Grand Planat n’était pas construit.

 


Il faudra encore attendre faute de moyens. Mais ce plan est intéressant. On voit que les remparts existent encore à cette date, il faudra les démolir au niveau de la rue et construire dessus. Une croix à l’angle marque une ouverture dans les remparts, vraisemblablement ancienne porte du fort.  Elle sera plus tard déplacée. La rue n’est pas encore percée entre le presbytère et l’église. Le portail 18ème devant le presbytère existait à cette époque, donc peut-être une maison noble s’abritait derrière ce portail, éventualité renforcée par la mention d’une basse-cour à l’emplacement de l’actuelle maison de la famille Gouffet-Pol.. Peut-être le logis de Denis de Bargeton, le dangereux homme de  guerre de Vallabrix qualifié ainsi par l’intendant Lamoignon en 1680 et époux d’Honorade de Guiraud Vallabrixoise huguenote non convertie..

Devant la future école, un vacant communal, donc un terrain qui a eu un propriétaire à une époque. Ce qui renforce notre intuition de constructions démolies au cours des orages politico-religieux des années 1700. Nos élus relancent le projet en 1842, en 1845, on repense à une coupe de bois pour payer le bâtiment.

En septembre 1845 une institutrice est nommée, Adélaïde Roche en attendant « Un » remplaçant qui semble plus apte qu’une femme. Elle devra « se contenter de 200f pour gages et loyer », quand son remplaçant viendra, les gages seront revus. On ne nous dit pas où elle enseigne.

Mais nous manquons de ressources. Il nous faut réparer le clocher, payer une partie de la nouvelle cloche, payer des travaux sur la D5…..Notre situation financière n’est pas très bonne.

La situation politique peut expliquer le fait que les villages tournent au ralenti. Les troubles qui agitent l’Uzège dans les années 1830 ont nécessité la présence de la garde nationale, logeant chez l’habitant dans nos villages jusqu’à fin 1831. La Terreur Blanche et ses Taillons avaient déjà par sa sauvagerie immobilisé la région en 1815. Le pays avait du mal à se stabiliser après les revers politiques de la première moitié du 19ème siècle. Les villages sont passés en une génération, de1804 à 1860 d’un empire à trois régimes royalistes puis à une république pour finir par un autre empire avec Napoléon III, avec tout ce que cela veut dire de tâtonnements, de retournements, de conflits, d’emprisonnements. Sans compter la Révolution de 1789 qui avait laissé des traces dans les mémoires.

 

En mai 1845 nous envisageons une coupe de bois pour financer notre école-mairie. En mai 1846 un devis de Bègue se monte à 5237 frs contre les 4800frs de Pralong. Le comité d’instruction approuve, nous sommes déjà très en retard sur les délais. Nous relançons ce projet en juin 1847. Le sous-préfet trouve la salle du conseil trop grande. Nous allons la cloisonner pour faire un logement pour l’instituteur.

En février 1848 quatre offres se présentent pour la construction. Un maçon d’Uzès remporte le marché, Etienne Laurent. Le devis tombe de 5093 frs à 4390 frs. En mai les travaux sont engagés, le financement est à débloquer. (Sur le plan à voir modernité oblige,les toilettes extérieures avec leur creux à fumier).

 Bègue est l’architecte diocésain, mais ici on le voit intervenir. Grosso modo il reprend le plan de Pralong.  Les travaux ne seront engagés qu’en 1848 pour un devis de 4390 frs. C’est le maçon Dumozel qui a le travail et non Laurent (sous-traitant ?). Son fils se blesse lors des travaux, la commune paie les frais. Les Assurances accidents du travail n’existaient pas encore !!

On va couper du bois pour renflouer les finances en 1848, en 1849. A l’occasion, on évalue la surface des bois sur la commune à 312 hectares. Mais lors de la réception des travaux de l’école-mairie, le 11 novembre 1849, la somme de 1020 frs plus les intérêts, reste à payer.

Nous avons un potentiel de 40 enfants à scolariser. Les enfants sont « élevés dans l’ignorance et ils sont privé de la connaissance indispensable soit du devoir de citoyen ou surtout du devoir de religion ».

Ceci dit sur les quarante susceptibles de suivre l’école, 15 la fréquenteront et payeront la quote-part mensuelle pendant huit mois : 1franc pour la première année de classe, 1,50 f pour le deuxième niveau, et 2 f pour le troisième. Par le coût, on encourage toujours l’apprentissage de la lecture (1er niveau) au détriment de l’enseignement de l’écriture et du calcul (2è et 3è niveaux).  Ecole pour les garçons, car pour les filles se sera la valse-hésitation, les premières oubliées lorsque les finances ou la philosophie du moment le demanderont. Des religieuses les prendront en charge dès 1872, sœur Théresa, sœur Anna, sœur  Odilon dans un local donné par Mme Foussat (maison Salers). Elles venaient de St Régis d’Annonay.

 

Lorsqu’en 1882 on décidera de construire une autre école à l’entrée du village (actuelle mairie), le bâtiment Maison-Ronde sera jugé « peu pratique ni disposé convenablement pour sa destination ». Les filles s’en contenteront un temps. Et pour elles, le chemin sera encore long. En 1933 le conseil municipal désapprouvera la mixité scolaire au nom de la morale et des bonnes mœurs !!!

 


Sources : archives communales –décisions municipales de 1838- 1838/1850 1850/56/68/70  – Couradou de Vallabrix septembre2011 – février 2015 Fonds Historique de Vallabrix Biblio Vallabrix  -  Jean Bernard Vazeille   St Quentin (1981)  - archives départementales du Gard (plan et devis projet Pralong) –

 

 

 

 

mercredi 4 septembre 2024

Le Marquis de Montcalm

 

(château de Candiac en Petite Camargue)

 

Le Marquis de Montcalm

 


Au Québec, une ville porte le nom de Candiac.

Candiac nom du château où Louis-Joseph de Saint-Véran marquis de Montcalm-Gozon nait en France, le 28 février 1712, en Petite Camargue près de Uchaud, Vergèze (maintenant Vestric-Candiac).

La Ville de Candiac du Québec est fondée en 1957, Son nom est choisi en hommage et en souvenir du marquis de Montcalm.

C’est un gentilhomme et un militaire français. Fils de Louis-Daniel de Montcalm et de Marie-Thérèse-Charlotte de Lauris de Castellane, il épouse Angélique Louise Talon de Boulay avec laquelle il aura 10 enfants. Il fait partie de la noblesse d’épée où l’on retrouve l’essentiel des officiers français de l’époque de nos rois Louis XIV-Louis XV. Il est baptisé à Vauvert, toujours en Petite Camargue. Un hameau de cette ville portera d’ailleurs son nom. Gardois, et même Camarguais…. Comment se retrouve-t-il au Québec ?

On le décrit petit, de teint olivâtre, les yeux foncés, méditerranéen. En 1735 au décès de son père il hérite des titres de marquis de Montcalm-Gozon, baron de Gabriac, de Saint-Véran, Candiac, Tournemine, Vestric, Saint-Julien et d’Arpaon.

La famille n’est pas riche de terres et de revenus. Une carrière dans l’armée s’impose. Il suit les traces de son père lieutenant-colonel au régiment de Hainault. Il y sera reçu enseigne dès l’âge de 9 ans. Militaire dans l’âme, il est promu capitaine à 17 ans, colonel à 31 ans, maréchal de camp puis lieutenant général. En 1743 il avait acheté le grade de colonel du régiment d’Auxerrois. À l’époque, on pouvait acheter et vendre les postes d’officiers dans l’armée française, c’est ce qu’on appelle la vénalité des offices.

Il participe aux campagnes des guerres de succession d’Autriche, Pologne, à la guerre de Sept Ans…. Au total 11 campagnes, blessé 5 fois, 7 sièges, 31 ans dans l’armée… Chevalier de Saint-Louis. Marque de la confiance de la Cour, on lui confie toutefois la création d'un nouveau régiment de cavalerie à son nom en 1749. Sa devise est « Mon innocence est ma forteresse ».

E, 1752, le roi lui accorde une pension. Il se retire un temps dans son château de Candiac pour une retraite paisible et pour veiller à l’éducation de ses enfants.

Mais il est envoyé en 1756 au Canada pour défendre la Nouvelle-France menacée par les Anglais. Il va les tenir en échec pendant trois ans. Puis, symbole fort ? lui et son rival anglais James Wolfe seront tués lors de la bataille des Plaines d’Abraham, sonnant le début de la fin des ambitions françaises au Canada.

Un peu réticent avant de s’engager en Nouvelle-France, prémonition ou fatigue, malgré le titre de maréchal de camp, il écrira : «Je crus devoir accepter une commission aussi honorable que délicate qui assurait la fortune de mon fils, objet intéressant pour un père, commission que je n'avais ni désirée ni demandée». Il négocie aussi une rente de veuve pour son épouse, si les choses devaient mal tourner.

Il quitte Brest en 1756 sur la frégate La Licorne pour a Nouvelle-France. Il s’est entouré d’officiers professionnels et d’ingénieurs. A son arrivée il trouve une situation intenable : 65 000 habitants en Nouvelle France, 1 610 000 dans les colonies anglaises, une marine britannique puissante. Lui doit faire face avec quelque 5 000 soldats français, et 10 000 hommes des compagnies franches de la Marine et des milices locales. À peine débarqué, Montcalm se retrouve en conflit avec le gouverneur général Vaudreuil sur la stratégie à employer. À l’instar de plusieurs de ses camarades, il note ses observations sur la géographie, le climat, les  autochtones et la société coloniale dans un petit carnet. Le marquis constate ainsi que les Canadiens parlent un très bon français ponctué d’expressions tirées de la marine.

(Bataille de Fort William Henry – Montcalm essayant d’empêcher les amérindiens d’attaquer les soldats et civils britanniques -1870-1880)


Fin tacticien, il est économe du sang de ses hommes tout en étant audacieux dans la conduite des opérations. Lors de la destruction de Fort William Henry, il va intervenir rapidement pour faire cesser les violences de ses alliés autochtones envers des petits groupes anglo-américains qu’il fera escorter vers les lignes britanniques par ses soldats.

Ce sera les victoires de Chouagen en 1756, William Henry en 1757, Carillon en 1758. Puis en 1759 ce sera la défaite d’Abraham. Mortellement blessé, mais ayant toute sa lucidité il est ramené à Québec où il décède après avoir reçu les derniers sacrements et après avoir mis ses affaires en ordre. Il aurait dit à l’un des frères du chirurgien André Arnoux :

 « - Combien de temps me reste-t-il à vivre ?
- Une douzaine d'heures, tout au plus, Votre Excellence.
- Tant mieux, je ne verrai pas la reddition de Québec. »

Louis-Joseph marquis de Montcalm, lieutenant général du roi en Nouvelle-France, s'éteint à Québec le 14 septembre 1759, à 5 heures du matin.

Sa mort démoralise les troupes qui quittent Québec le jour-même. Malgré une contre-offensive française et la victoire de Sainte-Foy, les Britanniques gagnent tout le Canada. En 1763, le traité de Paris entérine la fin de la Nouvelle-France.

A Nîmes à deux pas de la Porte de France, une place lui est consacrée. Elle donne sur la rue de la République.. La Nouvelle-France a disparu mais Québec et Montréal sont encore  francophones, peut-être même pour Montréal la deuxième en monde.

Montcalm est enterré au carré militaire à Québec. En 2001, les restes du marquis de Montcalm sont transférés au cimetière de l’Hôpital-Général de Québec au cours d’une cérémonie présidée par le premier ministre Bernard Landry. Il y repose toujours dans un mausolée qui lui est consacré.

En France, une frégate de la Marine nationale porte son nom, et de même une promotion de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr.


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Le mausolée de Montcalm à Notre-Dame-des-Anges.

/francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/40082—




A Québec, la maison Montcalm où le marquis avait séjourné, a été classée monument historique en 1973.

 Une souscription internationale est lancée et grâce à la ténacité de Gaston Bouzanquet (1866-1937), viticulteur, poète, une stèle surmontée d’une statue du Marquis de Montcalm est érigée à Vestric-Candiac le 17 juillet 1910. Elle est du sculpteur gardois Léopold Morice (1846-1920). Une réplique trône à Québec dès 1911.

 

Son adversaire James Wolfe fera l’objet d’une controverse tant en Angleterre qu’au Canada. Un obélisque à la mémoire de Wolfe victorieux était en place à l'endroit de sa mort sur les Plaines d'Abraham depuis le XIXe siècle. Régulièrement vandalisée, elle a fini par être isolée dans un carrefour giratoire tandis que la mention « victorieux » a été définitivement effacée. La maisonnette occupée par Wolfe pendant la majorité de la campagne de 1759 n'a pas été transformée en monument, mais en toilette publique, sans la moindre inscription

 


 Montcalm conduisant ses troupes aux Plaines d'Abraham.

(avec la permission de Charles William Jefferys/Bibliothèque et Archives Canada/e010999530)

 

Sources et pour en savoir plus : Joy Carroll. Wolfe et Montcalm : la véritable histoire de deux chefs ennemis, Montréal : Éditions de l'Homme, 2006, 362 p. (ISBN 2-7619-2192-5) [traduit de l'anglais par Suzanne Anfossi].--/francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/40082— Bibliothèque et Archives Canada/C-27665)--- wiipedia.org--- www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/montcalm-louis-joseph-de-marquis-de-montcalm

www.biographi.ca/fr/bio/montcalm_louis_joseph_de_3F.htmlwww.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/montcalm-louis-joseph-de-marquis-de-montcalm--- /heritage.bnf.fr/france-ameriques/fr/montcalm-article-fondationlionelgroulx.org/programmation/19/06/05/figures-marquantes/louis-joseph-de-montcalm---

 

 

mercredi 14 août 2024

Nicolas Froment

 

 


Le Christ et Sainte Marthe
Panneau gauche de La Résurrection de Lazare

Nicolas Froment et Uzès


Autoportrait présumé extrait de La Résurrection de Lazare, panneau central 1461

Une rue, des bâtiments d’Uzès portent le nom de Nicolas Froment. Qui était-il ?

Un peintre peut-être venu de Picardie et qui s’installe un temps à Uzès vers 1465, puis c’est Avignon. En 1482 il rédige son testament et meurt à Avignon en 1486.

Les peintres ont toujours été attirés par notre Gard, son histoire, ses ruines. Le passé dans les pierres, les paysages qui reflètent les passions, les activités des hommes… Contemplation, rêveries, qui conduisent à l’art du paysage. Au 14ème et 15ème siècles, les artistes arrivent d’Italie, de Flandre, de Bourgogne pour décorer le Palais des Papes et les belles demeures d’Avignon et des alentours. La Guerre de Cent ans se termine autour du milieu du 15ème siècle, la Renaissance n’est pas loin ; dans notre pays on relance l’économie mise à mal pendant toute cette période. La bourgeoisie s’installe et influence la gouvernance, l’ancienne petite noblesse a été décimée en grande partie par les guerres. La mode est aux portraits « véridiques », qui montrent les visages tels qu’ils sont, sans enjoliver, on est fier d’être bourgeois, influents, aisés sinon riches.

On pense aux conquêtes de pays lointains, Christophe Colomb et ses confrères ne sont pas loin.  Mais le siècle que l’on vient de vivre entre guerres, épidémies, routiers.. nous pousse vers un art religieux austère, le clair-obscur.

Nicolas est né vers 1430-35. Il est formé par des maîtres flamands dans les années 1460-1465. Il sera très influencé par ce style. Il aurait été élève en particulier de Dirk Bouts,  un spécialiste des tableaux religieux qui dominait bien la peinture à l’huile sur bois. Nicolas comme la plupart des peintres apprentis voyage en Italie. De son premier voyage en 1461 il peint pour le couvent des Observantins de Mugello « La Résurrection de Lazare ».

A Avignon il rencontre Enguerrand Quarton, un artiste d’un courant très actif de la Seconde Ecole d’Avignon qui mélange les clairs obscurs italiens et la sévérité flamande. Très vite Nicola Froment jouit d’une très bonne notoriété locale. Il possède plusieurs maisons à Uzès. Les commandes affluent.


Une grande partie de ses œuvres a disparue malheureusement. Nicolas est un peintre plutôt traditionnel, mais capable d’immenses compositions. Il arrive à concilier le réalisme des peintres flamands et les paysages toscans des peintres florentins.

Il sera le peintre officiel du roi René d’Anjou dont il décorera la maison d’Avignon. Les livres de comptes royaux montrent de nombreuses commandes de tableaux. A cette époque le Bon Roi René règne sur l’Anjou, la Lorraine et la Provence en souverain efficace.

(Portraits de René, duc d'Anjou, comte de Provence, roi de Sicile et de Jérusalem ( 1409-1480) et de sa seconde femme, Jeanne de Laval (décédée rn 1498). Au revers une tige de lis couronnée, entourée d'une banderolle portant la devise de Jean de Matheron, "Ditat servata fides". Donné par le roi René à Jean de Matheron, président de la Cour des Maîtres rationaux de Provence).

Sources et pour en savoir plus : ://www.rivagedeboheme.f—wikipedia.org---Léon Honoré Labande Le peintre Nicolas Froment –Persée 1931 p273--- www.universalis.fr>encyclopedie--- www.untoitpourtous.fr/29-patrimoine/tout-secteur/261-fiche-le-nicolas-froment--office du tourisme Uzès— 

 

 

 

dimanche 4 août 2024

La langue Occitane

 

La  Lenga occitana

La langue occitane, d’où vient-elle ? Un Occitan de Bordeaux comprend, à peu près, un habitant de Nice ou de Limoges. Ma mère avec son patois du Haut-Bugey et Maria de son Valais italien se racontaient leurs vies. En 1904 Fréderic Mistral (1830-1914) est le premier écrivain à recevoir le prix Nobel de littérature pour un long poème écrit dans une langue non reconnue officiellement par l’Etat : « Mirèro », (Mireille), une œuvre en vers de douze chants qui raconte les amours contrariés de Vincent et Mireille, deux jeunes Provençaux. Avec Mistral, Joseph Roumanille et Théodore Aubanel vont relancer la langue occitane dès 1854, Les Félibres, en établissant une orthographe dite graphie mistralienne.

Les langues sont toujours le résultat de mélanges, d’évolutions s’étendant sur plusieurs siècles. Elles racontent notre histoire ou sont le résultat de notre histoire…. Et elles continueront leurs chemins bien après nous.

Avant l’installation des Romains en Gaule, (-119 avant notre ère à 486) on parlait dans notre pays des langues venues de l’est, du sud, parfois de très loin, du fin fond de la méditerranée ou des confins de la Germanie et même de la Sibérie actuelle. Déjà résultats d’invasions, de commerce, d’inventions d’artisans, de contacts entre les gens. Toutes ces langues seront peu à peu transformées, malaxées par le latin des Romains jusqu’à la création d’un latin dit « populaire ». Mais quelques racines resteront : au nord de la Loire, une influence germanique, et au sud une influence méditerranéenne et latine : les fameuses langues d’oïl et d’oc que l’on retrouve de façon très nette à l’époque de Charlemagne (IXème siècle).  « Oui » se dit différemment de chaque côté du fleuve la Loire, oïl et oc.

 La langue d’oïl qui englobe le chtimi, picard, champenois, lorrain, franc-comtois, morvandiau ; bourbonnais, saintongeais, angevin, gallo….. La langue d’oc : limousin, auvergnat, gavot, languedocien, béarnais, gascon, vivaro-alpin, provençal…. Le flamand, le corse, l’alsacien, le francique mosellan, le basque, le breton font bande à part. Le catalan, certains y voient une influence plutôt espagnole, mais… Ne perdons pas de vue que l’occitan est une langue romane, comme l’espagnol, le français, l’italien, le portugais, le roumain.

Oïl et Oc, un vocabulaire, une grammaire, une prononciation différents. Les mots latins n’ont pas été déformés de la même manière. Une oralité et une écriture.

Entre l’an 1000 et l’an 1350 dans cette deuxième partie du Moyen Age, sept millions d’habitants communiquent quotidiennement en langue d’oc, de la côte basque à l’Italie et même plus loin. C’est l’âge d’or de cette langue. Et c’est une forme d’unité territoriale qui rend bien service au commerce, aux échanges philosophiques, artistiques, religieuses… On la retrouve dans les échanges commerciaux internationaux de l’époque. Ce qui ne plait pas toujours aux autorités politiques des pays voisins, y compris au royaume de France.

Nous allons transporter cette langue au cours des croisades au Moyen-Orient, des immigrations vers les Amériques. Les protestants de la Révocation de l’Edit de Nantes, les émigrés de la Révolution de 1789 vont l’emmener dans leurs besaces dans d’autres contrées, d’autres pays. Je me souviens d’une rencontre dans les années 1992 : un Syrien dont une arrière-grand-mère s’appelait « Solliesa » probablement une déformation de  l’occitan «lo solelh », le soleil ou un endroit ensoleillé !! Un prénom qui venait du fin-fond de l’Histoire. 

Dans cette période du Moyen Age, la langue d’oc est alors une grande langue de culture en Europe. La poésie courtoise avec ses quelques cinq cents troubadours connus à ce jour, s’y développe, avec un mode de vie où la femme a sa place, surtout dans les classes sociales aisées. Dante (1265-1321) le père de la langue italienne, disait que la langue d’oc est « la plus douce et la plus parfaite ». On la retrouve dans un code écrit qui donne une orthographe assez uniforme, dans les textes techniques comme le Traité d’Arpentage, ou dans des documents administratifs comme « le Petit Thalamus de Montpellier » qui raconte la ville jour après jour. L’occitan devient dès le 13ème siècle la langue utilisée dans les traités de médecine, de chirurgie, d’arithmétique.

En 1355 lorsque le roi de France réunit les Etats Généraux, il doit organiser deux sessions : une pour les régions de langue d’oïl, et une autre l’année suivante pour les régions de langue d’oc.  Loin de l’Occitanie, Richard Cœur de Lionroi d'Angleterre et duc d'Aquitaine, occitanophone de naissance grâce à sa mère Aliénor d'Aquitaine, utilisait l’occitan et le latin.


(Carcassonne 1962-collection privée)

La guerre de Cent Ans, la peste du 15ème siècle, les bouleversements démographiques et sociétaux, les guerres de religion du 16ème siècle vont faire entrer l’occitan dans une période d’anarchie graphique. Au royaume de France on s’oriente vers une unité : une langue, un roi, une autorité politique.

François 1er (1494-1547) impose en 1539 l’usage exclusif de la langue française proche de l’orléanais dans les actes juridiques et administratifs. C’est l’Edit de Villers-Cotterêts. Pendant quatre siècles environ, dans le quotidien on continue à parler en langue d’oïl ou d’oc, mais dans l’écrit le français gagne du terrain. La langue d’oc se déstructure plus vite, sans dictionnaire, sans grammaire et surtout sans encouragement royal. Mais elle continue à être parlée dans les classes populaires jusqu’aux années 1950.

Rappelons Jean Racine qui écrit à son ami Jean De La Fontaine lors de son séjour dans notre bonne ville d’Uzès : « Je vous jure que j’ai autant besoin d’interprète en ce pays qu’un Moscovite dans Paris »…

Notre 3ème République n’a pas compris que le bilinguisme était une richesse. Au début du 20ème siècle il était honteux de parler sa langue maternelle, celle de ses aïeux, tout en se servant du français national. Chaque langue porte en elle une manière de présenter, de définir les choses. Et puis le bilinguisme est une gymnastique du cerveau qui facilitera pour l’enfant l’apprentissage d’autres langues, des mathématiques, de la musique….

Aujourd’hui, entre 600 000 et un million de personnes parlent encore l’occitan, soit 3 à 6 % en régions occitanes (20% en Lozère et Aveyron, moins de 3% dans le Gard et l’Hérault), surtout utilisée par les plus de 68 ans. L’UNESCO définit la langue occitane comme une langue en grand danger d’extinction. Elle est reconnue par l’Union Européenne et l’ONU via l’Unesco. En Catalogne elle est la troisième langue officielle derrière le catalan et l’espagnol. Chez nous, la loi du député breton Paul Molac adoptée par le parlement en 2021 institue des mesures de protection et de promotion dans les domaines du patrimoine, de l’enseignement et les services publics….. Ici et là la culture occitane connait un essor : maisons d’édition, journaux, radios…Environ 4000 élèves dans les écoles bilingues laïques les calandretas, en primaire et secondaire. Et bien d’autres initiatives… Elle n’est plus seulement parlée mais aussi à nouveau écrite.

L’occitan s’est introduit en douce dans notre vie, le francitan. On dit « le poutou », « s’entraver », « une couillonnade », « la ratoune », « se calciner », « la panouille », « le pan-bagnat », « péguer », « rouscailler »….. et bien d’autres !!! Une appli magique pour envoyer ses mails en occitan comme si nous parlions couramment cette langue : « revirada » (gratuit pour les petits textes).

« comme un refrain défendu qui vibre au cœur de chaque pierre, il reste un murmure fragile, malgré la ronde de vigiles qui veillent au silence absolu » nous chante Francis Cabrel en 2017 dans son tube « In extremis »

A écouter aussi le groupe Los de Nadau, avec son chanteur Michel Maffrand.

L’occitan n’a pas dit son dernier mot !!!

 


Sources et pour en savoir plus : Jean Sagnes Petite Histoire de l’Occitanie éditions Cairn Morlaas—Cirdoc Grande Médiatique Occitane  Béziers 1bis bd Bertrand du Guesclin BP 180—La Gazette de Nîmes  n)1304 30mai2024----wikipedia.org---

 




jeudi 4 juillet 2024

Les grandes Epidémies à Vallabrix

 

                                                  Flagellants 15ème siècle - anonyme - miniature sur bois BNF
(voir et revoir sur ce blog 7/03/2017)

Les épidémies de peste, de choléra, de variole, de rougeole entre autres,  vont scander la vie de nos anciens, à différentes époques. Elles modifieront très largement et profondément le cours de l'Histoire. Au 13ème et 14ème siècle, la mort due aux épidémies de peste, raréfie la main d'œuvre. Le coût salarial en forte hausse dans l'agriculture va pousser à l'abandon de villages, de terres avec parfois une reforestation. C'est semble-t-il une des causes de la fin du servage. Au 14ème siècle, les redevances seigneuriales s'effondrant, la bourgeoisie peut acheter des domaines,  accéder ainsi au pouvoir consulaire ou à l'anoblissement.
 Ce fut aussi l'opportunité de persécutions des juifs, des handicapés, des "sorcières", de tout ce qui ne semblait pas dans la norme. Les potiers de Bordeaux seront accusés de transmettre la peste en 1605 et seront molestés.. Les étrangers sont particulièrement soupçonnés de transmettre les maladies, qu'ils viennent de loin ou de quelques kilomètres.
Ce sera aussi l'occasion d'une piété redoublée encadrée par le clergé. Les processions avec ses flagellants se multiplient pour implorer la clémence divine ou des saints. Ces épidémies étaient pour la population une malédiction, une punition envoyées périodiquement par le "Très Haut", ce qui ne va pas aider à imposer au 19ème siècle une éventuelle vaccination. Elles étaient souvent la suite de guerre, d'une famine, quand la population était déplacée, affaiblie par les privations, et les infections.

Ibn Khaldoun philosophe musulman du 14ème siècle écrit "la culture des terres s'arrêta, faute d'hommes ; les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins s'effacèrent, les monuments disparurent : les maisons, les villages, restèrent sans habitants ; les nations et les tribus perdirent leurs forces, et tout le pays cultivé changea d'aspect". (Prolégomènes 1863 trad William Mac Guckin de Slane Edit Librairie Orientaliste Geuthner Paris)
De nos jours nous oublions trop facilement les ravages causés par la variole jusqu’au 19ème siècle. Un malade sur cinq en mourait, et chez les moins de 10 ans, 90 à 95% ne survivaient pas. Ceux qui s’en sortaient avaient des séquelles et pas seulement esthétiques : perte de la vision, déformations osseuses, du visage, avortement, peut-être stérilité. Cette maladie sévissait aussi bien chez les nantis que chez les pauvres. On en trouve des traces chez les pharaons, elle accompagnait les invasions arabes en Europe, la conquête des peuples amérindiens. Elle mit à mal la succession de Louis XIV chez nous, de Henri VIII d’Angleterre…

En 1720-1722, elle fait des ravages en Uzège de Foissac au Pin en passant par Uzès et Vallabrix. Des familles entières sont touchées et parfois décimées. On agrandit les cimetières. Dans les familles pauvres la promiscuité favorisait la contagion : comment l’éviter quand un même lit sert pour toute ou partie de la famille, quand on a qu’une seule pièce à vivre ?

Pourtant dès le XIème siècle les Chinois pratiquaient une forme de vaccination par inoculation, technique qui devait se répandre d’abord en Chine puis en Europe par la Route de la Soie. On se servait d’abord de pustules d’un malade, forme espérée peu virulente de la maladie. Cette méthode n'était pas sans danger : transmission d'autres maladies, infections dues à l'incision, eczéma généralisé, zona, mortalité. Puis dans les années 1760, on va se servir de la variole des vaches. Le grand Pasteur au 19ème siècle fera triompher les vaccins antivarioliques à base de pulpe animale.

Cette technique n'enthousiasmait pas les familles, et même les milieux médicaux ou scientifiques étaient réticents. Napoléon donne l’exemple en vaccinant son fils en 1811. Il rend la vaccination par inoculation obligatoire dans l’armée. Pour les médecins récalcitrants, il s'agissait malgré tout de développer volontairement une maladie certes très affaiblie. Les vaccinés étaient appelés les "inoculés" et ils étaient regardés de travers, soupçonnés de transmettre la maladie, de contrevenir aux lois du destin...Pour cette technique les historiens parlent de « variolisation » et non de vaccination à proprement parlé.
(Palette et lancettes à saigner 17ème siècle Expo Musée Hôpitaux de Paris 1997)        
 Une quarantaine est infligée aux inoculés. A Uzès, en 1775 (arch communalesFF15ACUzès) il est fait défense aux inoculés de rentrer dans la ville sans permission du procureur du roi. En haut lieu, on craignait que l'inoculation entraine une contagion. Alors les nantis nobles ou bourgeois rejoignaient leurs domaines dans nos villages avec leurs enfants inoculés.

A Vallabrix à cette date, une famille d'Uzès, les d'Hubac de la Croisette, après avoir fait inoculer ses enfants, rejoint ses terres et sa maison dans notre village, sans contaminer les habitants semble-t-il. Des Larnac, Castagnier d'Uzès, des Cordier d'Avignon suivent cet exemple l'année suivante, certainement accueillis dans leurs familles de Vallabrix. Des de Bargeton se réinstallent momentanément à Arpaillargues sur leurs terres. Pendant cette période, les décès sur Vallabrix ne paraissent pas avoir augmentés, ni chez les enfants, ni chez les personnes âgées, donc on peut penser que l'on n'a pas eu à déplorer de contagion due aux inoculés.
Les familles Verdier, Abauzit, ont aussi fait inoculé trois de leurs enfants certifiés guéris par le docteur Guillaume Cabrol donc permission de retour à Uzès accordée. (archives communales d’Uzès).

Plusieurs essais de vaccination obligatoire à l'échelon national sont tentés mais qui échoueront, sauf pour les nourrices et les enfants confiés, les conscrits, les écoliers en 1882, lycéens et collégiens l'année suivante....

Une nouvelle épidémie de variole fait des ravages en 1887 parmi les personnes non vaccinées. L'année suivante un service gratuit de vaccination et revaccination par le vaccin de génisse est mis en route.  En 1890 le conseil municipal de Vallabrix vote 25 frs pour le service gratuit de la vaccine sur injonction préfectorale. A nouveau en 1891, 1892.. On traine un peu les pieds, le budget est reporté sur l'année suivante.... Un règlement sanitaire sera adopté dans notre village en 1903, "modèle B du règlement inséré dans le recueil des actes administratifs n° 37 en conformité avec la loi du 9 février 1902 de la protection de la santé publique". Cette loi rend enfin la vaccination antivariolique obligatoire sur tout le territoire. C’est le point de non retour d’une évolution profonde des mentalités face à la maladie.
 Dernière épidémie de variole en 1972 en Yougoslavie, variole attrapée en pèlerinage à la Mecque et en Irak : 38 personnes et 6 décès. Quelques cas ici et là. La bataille est-elle gagnée définitivement ?

Il nous faut dire quelques mots d’une autre maladie contagieuse, très fréquente en Uzège au 16ème siècle constate Thomas Platter lors de son voyage en Uzès : les écrouelles ou escrouelles. Il s’agissait d’une forme de tuberculose chronique qui s’installait sur les glandes du cou, aisselles, poitrine ou d’ailleurs, et qui se manifestait par des lésions cutanées purulentes. Elle se transmettait de parents aux enfants, sans véritable espoir de guérison. On la disait héréditaire alors qu’elle était surtout très contagieuse. Nos rois étaient censés avoir reçu le don de guérison de cette maladie par le toucher. La source miraculeuse de Meynes près de chez nous apportait un peu de réconfort : les malades venaient de loin pour y laver leurs plaies, buvaient son eau et se pansaient avec des feuilles des vignes alentour car supposées elles aussi bénéficier de l'eau miraculeuse. Cette source était très célèbre, même des Espagnols venaient s’y soigner. En un autre temps, Charles Martel puis son petit-fils Charlemagne s'y sont rendus.

Les épidémies de peste ont beaucoup plus marqué les esprits. Cette maladie fait l'objet de nombreuses enluminures, gravures, romans... L'une d'elles fut certainement la cause du déficit démographique du milieu du 14ème siècle : 25 millions de morts en Europe en cinq ans, estimation probablement basse. C'est la peste noire bubonique. Les villes seront plus touchées que les campagnes du fait de la concentration de population et de l'insalubrité des rues. Elle est à Uzès en 1378, probablement aussi à Vallabrix si l'on en croit la chute vertigineuse du nombre d'habitants de notre village. 

On connaît un peu mieux l’épidémie de 1597 d’Uzès grâce en partie au récit de voyage de Thomas Platter et aux billets de laissez-passer qu’on délivre. En mai 1598 tout  va bien à Uzès, en juin de même à Manguio. Plus de peur que de mal semble-t-il. Les gardes de Montpellier, ville fermée aux voyageurs, examinent les billets passés sous la porte du rempart et laissent les voyageurs à l’extérieur en attendant que les consuls de la ville décident de les accepter ou non dans la ville. « Nous fûmes contraints de faire le pied de grue hors des murs, toute la journée, les auberges refusaient de nous recevoir, elles ne daignaient même pas de prendre nos bagages en consigne : nous les avons donc laissés en vrac sur la grand-route à la garde de notre laquais ; il ne nous restait plus qu’à tuer le temps dans un jeu de paume » nous raconte Thomas Platter. Le consul de Montpellier qui les délivre leur apprend qu’"à Marseille et à Aix ça mourait dur ».
La quarantaine pour les personnes était de 40 jours, un peu moins pour les marchandises. En septembre 1598 la peste n’est toujours pas à Uzès, grâce certainement aux précautions très sévères prises par les autorités.
Les marchandises suspectées de transporter la maladie puisqu'elles ont voyagé, ne rentrent plus dans la ville, elles sont entreposées dans des granges, des mas à l'extérieur sous bonne garde En s'appuyant sur des ordonnances royales ou celles de l'intendant du Languedoc, "Nous ordonnons", somment les consuls que les pièces d'étoffes de quelque qualité qu'elles soient, caddies, bas de laine, soie...doivent être déballées, tirées des caisses, mises à l'air dans les chambres ou greniers, retournées tous les dix jours. Un consul ou un commissaire des Bureaux de la Santé ira contrôler chaque jour le lieu de quarantaine. Les contrevenants verront la quarantaine prolongée et seront sous le coup d'une amende. Toutes les marchandises doivent être déclarées sous peine de confiscation. A la fin de la quarantaine, 20 à 30 jours selon, un certificat de santé sera délivré pour les marchandises qui seront autorisées à partir après avoir réglé les frais de garde et de transport au lieu de quarantaine. Un soldat de quarantaine touchait 25 livres.

A chaque épidémie, Vallabrix est coupé du monde : les chemins de St Quentin-Uzès, de Bagnols à St Quentin, de La Capelle sont fermés, gardés par des soldats. Il faut vivre en autarcie sur ses réserves. Des familles partent dans les bois avec vaches, cochons, couvées. On a peur de la promiscuité, du mauvais œil qui plane sur son voisin. Des « bonnes femmes » procurent des simples, herbes-remèdes qui, si elles ne guérissent pas, au moins apportent un peu de réconfort et d'espoir.

La peste reviendra souvent dans notre région. En 1629, la ville d'Uzès fait provision de blé et envisage d'engager 20 soldats. On ira plus tard jusqu'à 50 soldats payés. Les consuls achètent des piques et des mousquets pour la garde. Sont nommés quatre "corbeaux", c'est à dire des personnes qui seront chargées d'aller chercher les morts la nuit et de les enterrer. On les appelle aussi "carabins" ou escarrabins" mot qui plus tard désignera les étudiants en médecine. Ils reçoivent un habit de treillis et 12 livres par cadavre, somme importante correspondante à un loyer annuel d'appartement. Ils seront enfermés le jour sous la chapelle Notre Dame

Un quartier des pestiférés est créé du côté de St Ferréol, on se méfie des pauvres qui seront réunis dans une maison à l'écart pendant la durée de l'épidémie. Les portes cochères de leurs maisons seront murées. On soupçonne son voisin, celui qui est différent...Les apothicaires sont partis ou enfermés dans leurs maisons sauf un. On doit en engager un d'Avignon. Deux chirurgiens de Laudun et un médecin de Cabriac viennent en renfort contre salaire.
Les étrangers ne peuvent entrer, les marchands vendre, les aubergistes et hôtes loger. L'épidémie est à Lyon, Montélimar, Bagnols. On fuit les villes, mais on ne fait que précéder le fléau, ou bien on l'amène avec ses chaussures. Les billets de santé sont obligatoires pour entrer en ville. Mais ils sont délivrés un peu facilement à ceux qui partent, surtout s'ils sont étrangers à la ville, toujours suspects. On ne les pousse pas dehors, mais il y a un peu de cela...
Exemple de billet de santé accordé à Thomas Platter : "Nous consuls de la ville de Nismes certifions estre parti dicelle ou Dieu graces a bonne santé, monsieur Thomaz Platter ce XII aoust 1598 pour aller à Uses. Le présent ne servant que pour ung (pour une seule personne). Le XII aoust 1598 - Rozel consul" le tout sur papier timbré aux armes de la ville.

sauf-conduit1722 
A Vallabrix, des balles de draps et autres marchandises ont été engrangées en quarantaine dans le Mas Brun appartenant à une veuve Cabrol habitant Uzès. Une nuit, le garde a été assommé et les balles ont été volées, peut-être par leurs propriétaires, leur évitant ainsi de payer la quarantaine de leurs marchandises. La rumeur a vu leurs charrettes partir vers La Capelle.  Par son de trompe, on prévient la population de ne pas abriter les voleurs et les marchandises qui sont peut-être contagieuses sous peine de prison et de confiscation des biens !!
A ce jour nous ne savons pas où se trouvait ce mas. Les marchandises envolées étaient stockées dans la clède du bâtiment. Il est ordonné de murer portes et fenêtres de cette maison. En 1608 lors de "l'épidémie de Toulouse", ce mas avait déjà servi pour la quarantaine des étrangers. Les personnes qui y étaient hébergées devaient payer les deux gardes qui leur étaient imposés par les consuls d'Uzès. (arch communales d'Uzès- arch départementales de l'Hérault)).
La peste sera encore chez nous en 1640. Les bouchers d'Uzès protestent. Tout est devenu difficile : le bétail est plus cher, on ne peut le faire venir d'ailleurs. Ils ont dû augmenter le salaire de leurs salariés peu nombreux, les enfants qui leur restent ne pourront pas les aider et même reprendre la boutique. Ils ont débité 8 à 900 moutons au lieu des 2000 habituellement...(arch dép du Gard). A Vallabrix les troupeaux de bêtes à laine (moutons) ne se vendent pas, grossissent au point de mettre en danger les pâturages, les blés et les bois. Les jasses ou bergeries ne sont pas assez grandes, les bêtes restent dehors à la merci des chiens vagabonds et des voleurs. Ce doit être le cas un peu partout car le prix de la laine après l’épidémie va chuter du fait de la quantité, certainement aussi du fait de la baisse du nombre des marchands et des artisans utilisateurs
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 En 1649, le fléau est dans l'Uzège, peu violent semble-t-il. Mais les mesures de sauvegarde sont mises en place. Pierre Raffin dans son Livre de Raison nous raconte qu'en septembre pour ses vendanges, il se voit refuser l'entrée de Castillon, pour cause de "bruit du mal contagieux".
En 1664, tout commerce entre Provence et Languedoc est interdit pendant quinze jours en raison de l'épidémie de Toulon et d'Aix.

Une quarantaine à Beaucaire est décrétée pour les gens venant de Provence en 1720. A Uzès l'autopsie du sieur Soleyrol marchand coûte 36 livres à la communauté, la chaux 45 livres... (archi UzèsBB8 CC101). Lors de l'épidémie de 1720, Uzès emprunte pour faire des provisions de blé, sel, bois, toile, et surtout chaux et remèdes. Pour près de 20 000 livres. Des noms de préteurs  que nous connaissons : Marie de Pujolas veuve du seigneur de Foissac, Mlle de Bargeton-Vallabris, Mme de Brueys, Mr d'André de St Victor.... A chaque épidémie, le temps s'arrête : l'argent ne rentre plus mais file à toute vitesse, on se calfeutre chez soi, on fait le dos rond, on attend en priant !!

Le choléra ou trousse-galant (qui enlève le galant, le jeune homme) a été décrit pour la première fois par un officier de Vasco de Gamma en Inde où la maladie fait 20 000 morts en quelques heures. C'est surtout au 19ème siècle en Europe que nous allons la rencontrer. Arles connait neuf épidémies successives, Marseille, la Provence... Cette maladie va nous réapprendre à avoir soin de notre eau : lavoirs obligatoires, eau potable protégée des tanneries, des troupeaux, du travail du chanvre, et cimetières déportés à l'extérieur des villages... (arch communales de Vallabrix, d'Uzès, de Nîmes - Couradou juin 2011sur les réparations de la fontaine communale...)
 (Choléra à Soho 1854 Dark-Stories.com)
 A Vallabrix en 1854, le choléra frappe à notre porte. Notre adjoint Jean Boutaud remplace le maire Jean Etienne Guiraud, malade. Amable Brun est élu l'année suivante et en 1856 Jean Etienne Guiraud n'aura plus de troupeau. Trop faible pour travailler ? Pour un de ses descendants il serait mort des suites de la maladie.

On sait que notre fontaine nous donne une eau verdâtre, qu'il est défendu expressément de faire rouillir son chanvre à la rivière et de creuser des trous à chaux sur ses berges. Les troupeaux, en particulier les porcs, rendent les abords de la fontaine impraticables. Le responsable du four communal sera payé pour prendre en charge les porcs du village en les faisant garder par un berger. Toutes les conditions pour avoir une épidémie sont là. (ci-contre rafraîchissoirs du lavoir)
 Et c'est le cas !  Nous avons des malades du choléra et nous devons payer 79 frs de frais médicaux. Somme considérée comme exagérée, 60 frs seulement seront votés par le conseil municipal.

Tableau officiel paru dans les comptes-rendus de l'Académie Royale du Gard de 1854-55, (travail du docteur Philippe de Castelnau -BNF).
 Le choléra nous vient d'Avignon, il est à Vallabrègue le 9 juin, à Aramon le 22 juin, à Roquemaure le 26 juin. La Capelle est touchée le 23 juillet, Vallabrix  le 25. De là le fléau part sur St Quentin la Poterie, Fontarèche, Lussan, Cavillargues, Uzès, Montaren......
 Nous aurons 21 morts pour une population de 412 personnes, l'épidémie chez nous durera 31 jours. Uzès enregistrera proportionnellement moins de décès que nous : 25 morts en 20 jours pour une population de 8000 habitants.Ville mieux organisée ou plus vraisemblablement, Uzès est touchée le 20 août donc par une épidémie en fin de parcours ? Ou bien les habitants qui le pouvaient sont partis dans leurs domaines aux alentours comme à chaque épidémie. Certains sont peut-être comptés dans les chiffres des décès des villages qui les recevaient.

Nous pouvons voir aussi dans ce tableau la vitesse de contamination. Deux jours entre La Capelle et Vallabrix. L'épidémie va durer entre 17 et 88 jours selon les endroits. La contagion se propage entre villages voisins distants de moins de 10 km.
 En suivant la piste de la maladie, nous pouvons imaginer ce que ressentait la population. Tous les villages étaient touchés, personne n'était à l'abri, comme dans un étau.

 Une autre maladie faisait des ravages jusqu'en 1852 dans notre village et chez ses voisins : "les fièvres" (le paludisme) qui vont disparaitre lorsque l'étang ou les marais de La Capelle-Masmolène seront asséchés. En ce qui concerne l'Alzon, en 1853 le docteur Jules Teissier-Rolland propose de creuser un réservoir sur cette rivière : les lieux préconisés sont Castelnau, Vallabrix, La Capelle avec une préférence pour ce village et ses étangs. Projet abandonné fort heureusement pour nous. (Ville de Nîmes - Ballivet-Fabre BNF)


Sources : archives communales de Vallabrix, municipales d'Uzès, de StQuentin, de Pont St Esprit -  Archives départementales du Gard-Pont St Esprit GG  - Jean-Noël Biraben Les Hommes et la Peste en France  T1-2 Paris Mouton La Haye 1975 - La Peste Fléau Majeur  Medica Histoire de la Santé BIU Santé Paris  - Société Historique de l'Uzège déc 97 n° 22  - Ménard Histoire de Nîmes Edit Lacour 1989 - - Le Livre de Raison Pierre Raffin arch Uzès - Pierre Darmon La longue traque de la variole, Paris Perrin 1986 - Pierre Darmon, La variole, les nobles et les princes Ed Complexe 1989 - Emmanuel Le Roy Ladurie  Le voyage de Thomas Platter II 1595-1599 edit Fayard - Comptes-rendus de l'Académie Royale des Sciences  Edit Bachelier Gauthier-Villars Paris BNF