L’Assassinat deTancrède Cabot de Dampmartin maire d’Uzès
Depuis quelques années, des personnes se voient incriminées,
condamnées par d’autres grâce aux réseaux sociaux, sans preuves que des affirmations
qui tiennent plus du besoin de faire du bruit, d’exister. Des pratiques qui
tiennent plus à des lynchages médiatiques. Des vies, des familles parfois
détruites.
Mais bien avant notre période, la vox populi a condamné des
gens en oubliant que le Droit et les tribunaux sont là pour éviter, autant que
se faire se peut, des erreurs. C’est aussi cela la civilisation.
L’exemple qui suit nous montre à quel point c’est
pernicieux : l’instruction de l’affaire a été menée à charge, gangrénée dès
le départ par l’opinion publique et nous ne savons pas en définitive si c’est
le « bon assassin » qui a été guillotiné et si oui pourquoi…
Le 30 septembre 1852 le maire d’Uzès Tancrède Cabot de Dampmartin est assassiné sous les arceaux de la place du Puits-des-Cercles. Il est 4h et demi du matin. Il partait pour Nîmes, convoqué par le préfet pour régler les dispositifs du passage du nouveau président le futur Napoléon III. Deux coups de feu tirés à quinze ou seize pas de distance, et le maire meurt. Son domestique court après l’assassin en vain.
Tancrède (Jean Antoine Roch Anne Tancrède) Cabot de
Dampmartin est né à Uzès le 6 novembre 1786 (ou peut-être plutôt à
Montségur-sur-Lauzon dans le département de la Drôme). Il décède à 65 ans après
avoir été élu maire légitimiste en 1848. Dampmartin était aussi
membre du Conseil Général du Gard.
Une vie bien remplie au
service de l’Etat : à 24 ans il est au Conseil d’Etat ; en 1813 il
est attaché au 4è Régiment des Gardes d’Honneur, 1816 chevalier de la Légion
d’Honneur, sous-préfet sous la Restauration à Carpentras puis à Orange. Il est
maire d’Uzès depuis 1848. Des ancêtres conseillers à la Cour des Aides de
Montpellier, commandant de la ville d’Uzès, grand voyer général aux finances de
Montpellier, maréchal de camp et littérateur distingué (Henri son père)…. Des
ancêtres communs au 16ème siècle avec les Clausel et les
Bargeton de Vallabrix.
Ci-après mention des
Cabot de Dampmartin dans l’ »Armorial de la Noblesse du Languedoc »
de Louis de La Roche. (Gallica BNF)
Square Cabot –Montreal –Canada--photo Andrevruas 19/8/2013wiipediz.org
Il appartient à une vieille famille
d’Uzès. Peut-être un lointain ancêtre vénitien Giovanni Caboto (vers
1451-1498), en français Jean Cabot, marchand, navigateur, explorateur au
service de l’Angleterre. C’est l’époque des Christophe Colomb, des découvertes
de routes vers les Indes…Le roi d’Angleterre Henri VII lui donne le droit de
naviguer à la rechercher d’une route vers l’Asie en passant par l’Ouest. Il
veut aussi des terres non revendiquées par un monaque chrétien. Trois voyages,
des bancs de morues gigantesques, et surtout la possibilité pour l’Angleterre
de revendiquer un droit sur l’Amérique du Nord. Le Canada se souvient de cet
aventurier. Mais c’est une autre histoire.
La famille a passé relativement bien
la période de la Révolution. Son père (1755-1825) Anne-Henri Cabot est un
militaire, colonel des Dragons et homme politique. Il commande les troupes
d’Uzès qui répriment la révolte des Masques Armés. Il est nommé vicomte sous la
Restauration.
Il émigra en 1792 et publia à Berlin le « Journal de Littérature », "Evénements qui se sont passés sous mes yeux pendant la Révolution Française" 1792…
Il rentre en France après brumaire 1799. Il continue d’écrire différents
ouvrages comme « la France sous ses rois » en 1810. Il est membre de
l’Académie de Nîmes. Député au corps législatif (1813-1814-1814-1815), censeur impérial
des journaux en 1815, conseiller au Conseil des prises en 1812, bibliothécaire
du Dépôt de la Guerre en 1816…. Il est enterré à Paris au cimetière du
Père-Lachaise.
Tancrède a épousé à Nîmes Marie Gabrielle Clémentine de
Mérignargues (1796-1876) le 22 mai 1817. Trois enfants de cette union, deux
filles et un garçon Jean Anatole Cabot de Dampmartin dont une fille Jeanne
épouse François de Broglie. Tancrède sera Chevalier de la Légion d’Honneur.
Une de ses sœurs est prénommée joliment Fanny Gracieuse.
Portrait XIXe Henri Cabot de Dampmartin Uzès Gard Révolte des Masques Armés
1821 Musée Borias d’Uzès – père de Tancrède -
Mais revenons à ce 30 septembre 1852. Dampmartin est apprécié
à Uzès et les habitants sont consternés par ce drame. Il faut aussi se souvenir
que depuis la Révolution de 1789, le calme dans la ville et les alentours est
très précaire. On enchaine les régimes politiques, république, empire, royautés,
révoltes… rerépublique et reempire… Crime politique ?
L’enquête s’oriente vers une brouille, un différend
personnel. Peut-être un peu vite, depuis 1848 les tensions se sont amplifiées,
légitimistes-monarchistes (comme Dampmartin) contre républicains et
bonapartistes, socialistes contre conservateurs. La République de 1848 tangue
et glisse doucement mais surement vers
le Second Empire et le Languedoc n’est pas épargné. Des Languedociens se sont
retrouvés au bagne.
Décembre 1851 c’est le coup d’état du président Louis-Napoléon Bonaparte. Le parti de l’Ordre espère faire élire à la présidence en 1852 un candidat monarchiste…. Mais le 2 décembre 1852 l’Empire est proclamé et Napoléon III est empereur.
Un suspect est vite arrêté, un certain Pierre Monet, (Mounet
selon les certaines archives), maître-maçon, et ancien conseiller municipal qui avait
plusieurs fois menacé le maire verbalement. L’instruction va vite. En juillet
1853 moins d’un an après le crime, le procès a lieu. La cour d’assises de Nîmes
ne jugera pas le dossier pour cause de suspicion légitime et c’est
celle de la Drôme à Valence qui jugera l’affaire. Pourquoi soupçonner une
suspicion légitime s’il s’agit d’une affaire banale, presque une querelle de
voisinage qui tourne mal. Monet est condamné à mort fin juillet et exécuté à Valence le 19
septembre 1853 sur la place St Félix à 6 h du matin. Une rapidité qui laisse penser qu'on veut se débarrasser de l'affaire.
Les débats à l’audience
laissent peu de chance à l’accusé. Le
journal « La Gazette » nous raconte le procès. (22/7/1853 et suivants—source
RetroNews)
Pierre Monet ancien
conseiller municipal, ancien officier et porte-drapeau de la Garde Nationale
est condamné d’abord par la voix populi. On nous le décrit ainsi : il a 55
ans, d’une taille moyenne, mais d’une carrure de taureau. Une tête au poil ras
et d’un gros volume, brun de teint, un front large et rugueux ; une
mâchoire carrée, des pommettes saillantes, un « nez vigoureusement
attachés à des sourcils épais »… Une petite mouche noire (verrue) sous la
lèvre. Un aspect peu engageant, bestial.
Plus tard on dira de lui après une tentative de suicide en prison qu’il est
d’une « nature énergique et demi-sauvage ». C’est l’époque où l’on
pense que le criminel a forcément la tête de l’emploi.
Le lieu de l’assassinat
ne se prêtait pas à un tel forfait : un clair de lune, une place
fréquentée par des Uzétiens qui se préparaient au départ pour Nîmes pour voir
le chef de l’Etat et participer aux fêtes offertes par le département du Gard.
Aucun nuage, ni obscurité pour faciliter l’acte. Il fait tiède, les fenêtres
sont ouvertes donc peu de chance de passer inaperçu. Une audace de la part de
l’assassin, une inconscience ou un coup de sang ? Mais il y a
préméditation car on ne se promène pas à cette heure avec un fusil à moins
d’être braconnier, et encore !!
Les coups de feu ont été
tirés par un chasseur ou un ancien soldat expérimenté, six projectiles ou
fragments dans le corps de Monsieur de Dampmartin, trois dans la porte de la
maison de Maitre Poncin, notaire.
Le sieur Cavalier dans
une rue adjacente a vu l’assassin ajuster le maire à une distance d’à peine 18
mètres.
Dampmartin s’était fait
beaucoup d’amis à Uzès et dans le Gard. Il avait été élu haut la main en 1848 à
un scrutin de liste. En 1852 il avait fait entrer au conseil des hommes sur
lesquels il pouvait compter et avait empêché d’autres d’être élus ou réélus, dont
Pierre Monet. Il était suffisamment riche pour ne pas profiter de la situation
et ses débiteurs étaient poursuivis avec humanité.
Dès l’annonce de cet
attentat, des voix unanimes d’Uzès à Nîmes désignaient Monet comme l’assassin.
« C’est cadet Monet…c’est une bête féroce qui a commis cet acte de
barbarie…il m’a fait peur…. ». « il a du sang dans les yeux…c’est un
habile chasseur… », »ça ne peut être que lui… ». Monet assiste à l’enterrement de
Dampmartin : les témoins le trouvent pâle, défait, tremblant. Il n’entre
pas dans la maison de la victime pour la levée de corps, ni dans l’église,
n’assiste pas à l’offrande. Plusieurs personnes l’avaient vu après le crime,
marchant dans la rue d’un pas assuré, essayant de cacher contre lui un fusil.
Une jeune fille entend marcher sur le toit au-dessus de sa chambre : c’est
forcément Monet qui rentre chez lui, son forfait accompli. Pourquoi passe-t-il
par les toits ? Pour cacher son fusil…
Des incidents ponctuent les audiences du procès. Un gendarme
à côté du prévenu l’entend dire « donnez moi votre sacre que je lui coupe
le cou » pendant qu’un témoin dépose à la barre. Des témoins contredisent
cette déclaration : Monet aurait dit « donnez moi votre sabre que je me
coupe le cou ». Mais il parle en
patois.. Une personne raconte ce qu’une autre lui a dit avoir entendu…Des
témoins se rétractent ; ils n’ont en fait pas vu Monet assassiner le
maire. Des discordances dans la description du bonnet, des vêtements de Monet
ce jour-là ; une blouse blanche ou grise, une veste verte ?… Ils
n’ont pas vu le visage de l’assassin. Un se trompe de jour. Monet se défend
mal, agace le président de la Cour, fait rire le public aux dépends des
magistrats. Il s’en prend aux témoins, souvent violemment, les accusant d’avoir
reçu de l’argent de Monsieur de Dampmartin. Il n’est pas sympathique. C’est du
pain béni pour l’accusation.
Son attitude à l’enterrement de Monsieur de Dampmartin est
analysée : il est une superstition
qui veut que l’assassin ne peut s’approcher de sa victime sinon les blessures
se rouvrent et saignent. Ce qui expliquerait que Monet ne se soit pas approché
du cercueil. Monet répond qu’il y avait trop de monde dans la maison et à
l’église, mais qu’il était présent au cimetière et qu’il peut répéter ce que le
prêtre a dit.
Les déclarations de l’architecte Bègue nous rapprochent peut-être plus de la vérité ou d’une des vérités. Monet a été exclu des contrats de rénovation des prisons d’Uzès par le maire essentiellement à cause de son mauvais caractère. Et Bègue avait peut-être des plans qui convenaient mieux. Monet travaillait régulièrement pour la municipalité, en 1830-31 par exemple au cimetière catholique. Bègue va remporter beaucoup de contrats de travaux, églises, mairies, écoles dans tout l’Uzège. Des menaces ont été proférées par le maitre-maçon à l’encontre du maire, déjà en 1848. Monet aurait prêté de l’argent à l’architecte. Il avait aussi des ambitions municipales qui n’aboutirent pas : le 12 et 19 septembre 1852 il n’avait pas remporté les élections.
Et la condamnation tombe : c’est la peine de mort.
Monet va faire une tentative de suicide en prison en se tailladant les veines
avec des morceaux de verre d’une bouteille de vin qu’on lui avait apportée. ( ?)
Etait-il l’assassin, avait-il été manipulé par des opposants
au maire, avait-il tué pour une question d’ego, d’argent, de jalousie, un trop
plein de rancune ?…. A quatre heures du matin on peut supposer qu’il n’était
pas ivre. Pourquoi avait-il ce fusil ce matin-là s’il n’avait pas prémédité son
geste ? Monet apparait comme quelqu’un de primaire, sanguin, réagissant au
quart de tour, ce qui ne plaide pas pour la préméditation. Comment avait-il
prévu que le maire passerait là à cette heure ? Il a toujours clamé son
innocence, mais est-ce suffisant pour se faire une opinion ?
Comment s’y retrouver quand les témoignages affluent mais qui
ne s’appuient que sur des impressions, des « on-dit », des « à
peu près ». Des bavardages…. Aucune autre piste n’a été explorée ni même
imaginée par les magistrats instructeurs. On n’aura jamais la réponse.
Hôtel de Dampmartin avant et après rénovation-Uzès
Sources : La Gazette de France Procès 23-29 juillet 1853 --Gallica
BNF
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