Notre
fontaine et ses abreuvoirs-photo collection privée.
Soldats « volontaires »
de Poutine ou de Louis XIV
En
Russie en ce moment, des policiers prennent des hommes dans les trains, dans
les bus pour en faire des soldats « volontaires ». Rien de nouveau,
sous le règne de Louis XIV, nous avions fait la même chose : les hommes
étaient réquisitionnés dans les villages, les cafés, les marchés en dépit de
toute règle.
Un
épisode que notre village a vécu. Une émeute à Vallabrix
En 1676, Louis XIV, comme ce sera souvent le cas, a
besoin de nouveaux soldats. Pour lui la guerre est le meilleur moyen
d’augmenter sa gloire. C’est la vocation naturelle de tout roi. Il va prendre
un soin tout particulier de son armée, la réformant, la réorganisant.
Les paysans
étaient renommés pour leur endurance à la marche et à la douleur. Par ailleurs
ils n’avaient pas de parent bien placé qui leur éviterait l’enrôlement. Il
était facile de leur faire signer leur engagement du fait de leur quasi
illettrisme, et souvent ils avaient bien besoin des quelques sous que leur
donnait le sergent recruteur. C’étaient donc des proies toutes trouvées.
Mais
sur le terrain, les choses ne seront pas toujours aussi évidentes.
A Vallabrix, ce jour de juin, vers la fontaine du
village, près du lavoir, un groupe de femmes vociférant, armées de bâtons, de
cruches, de battoirs de lavandières, toutes griffes dehors, se ruent sur les
quatre recruteurs qui voulaient à toutes forces entraîner un laboureur Etienne
Vidal. Le tambour avait sonné, les jeunes hommes s’étaient vraisemblablement
cachés. Mais Etienne était un peu porté sur le bouteillon et les soldats
n’avaient pas eu de peine à lui glisser subrepticement dans une poche les cinq
livres de l’enrôlement. Ils n’entendaient pas reculer : les dés étaient
jetés, ils le tenaient par les bras, le soulevant de terre, et essaient de
l’entrainer vers les chevaux.
Les femmes très vite interviennent, « telles des
sorcières échevelées », attaquent les soldats, leur coupent la route, les
séparent, les entourent. Les chapeaux volent, à quelques pas les chevaux
piaffent, se cabrent, malgré le soldat qui les tient.
Le rapport du sergent recruteur indique la présence de
plus de cinquante femmes (sic ! le chiffre est certainement très exagéré
étant donné le nombre de familles de l’époque), hurlant, tapant, tournoyant
autour des soldats qui ne savent plus à quel saint se vouer. Etienne à quatre
pattes sort de la mêlée suivi d’un cochon qui se trouvait là malgré lui. Quelques
moutons venus s’abreuver à la fontaine s’affolent et coupent le chemin,
ajoutent au désordre, («malignement» dit le rapport). Il faut dire que la place
de la fontaine était très animée à cette époque de l’année. Les soldats
glissent dans la boue, s’étalent de tout leur long sous les quolibets des
spectateurs. Ils menacent de revenir, mais pour l’heure, s’enfuient vers leurs
chevaux. Les nez saignent, on boite bas, les dos se voûtent sous les derniers
coups, les uniformes ont subi divers outrages de nos furies. Le village suivant
fera certainement les frais de leur déconvenue, mais Etienne de Vallabrix n’est
pas parti à la guerre. L’averse
a été rude, un des soldats a, semble-t-il, dû avoir recours à un rebouteur. Le
rapport du sergent recruteur est de 1678, deux ans après les faits.
Pourquoi ? Erreurs de transcription de date ou y a-t-il eu des suites
judiciaires ? Nous n’avons rien trouvé à ce jour en ce sens.
Uzès avait vécu la même chose en février. Un médecin
anglais John Locke de passage dans notre région, nous le raconte dans son Carnet
de Voyage de 1676. Remoulins, Sernhac, Castelnau, Bezouce virent aussi leurs
femmes intervenir violemment lors de recrutements. Dom Vaissette dans son
Histoire du Languedoc (1874-1905), Jean Baumel dans son livre « Montpellier
au cours du XVI et XVIIème siècle » (1969) nous rapportent des faits
semblables. Le premier écrit : « On reprochait à beaucoup d’officiers
recruteurs d’enlever des hommes dans les rues, de les mettre en prison, de les
séquestrer et de les pousser à la frontière comme des forçats ».
L’intendant d’Aguesseau en 1677 devra intervenir pour sortir des pères de
famille recrutés de force alors qu’ils se rendaient au marché.
Parfois le sergent recruteur enivrait des hommes, leur
glissait dans la poche les cinq louis d’or offerts à celui qui s’enrôlait, ou
plus simplement demandait de boire à la santé du roi, ce qui était difficile de
refuser sous peine de prison pour lèse-majesté et celui qui acceptait se
retrouvait soldat. Les jours de marché étaient fatidiques pour nombreux
paysans. Théoriquement les hommes mariés ne devaient pas être enrôlés.
Les désertions
étaient très nombreuses. Louvois, le ministre des armées de Louis XIV pendant
la guerre de Hollande va compter plus de deux mille déserteurs. Des mercenaires
étrangers seront engagés, environ 40 000 en 1672, soit le tiers des effectifs
de l’armée française de l’époque. Le nombre total de soldats va passer de 72
000 hommes en 1667 à 120 000 en 1672 et 360 000 en 1710 dont 300 000 français. La France à cette époque
comptait un peu moins de vingt cinq millions d’habitants. On comprend pourquoi
les évêques, les consuls se plaignaient dans les campagnes du manque de bras
pour récolter le blé, labourer, cultiver.
Ces épisodes nous montrent que le pays n’était pas
aussi calme que l’on pouvait le penser. Mévente du blé, du vin, de l’huile du
Languedoc jusqu’en 1690, impôts qui augmentent, de la part des pays en guerre
constitution de stocks d’intendance qui sortent du marché les produits de
première nécessité….Cette guerre civile dite « de religion » qui
commande de lutter contre son voisin, son cousin, son frère…Et les hivers trop
froids, les étés trop humides ou trop secs pour l’agriculture…
Nous avons évoqué plus haut la révolte d’Antoine du
Roure de 1670 : les oliviers gelés et donc aussi les blés sur un
territoire s’étendant d’Aubenas à Montpellier et l’Etat qui répond (rumeur
peut-être ?) par des impôts sur les chapeaux, sur les souliers, sur les
journées des travailleurs et sur la naissance des enfants. Cette révolte se
terminera dans le sang, à Montpellier par l’exécution d’Antoine du Roure pour
le dernier acte. D’Artagnan avait semble-t-il participé à la répression des
mutins. (Pauvre d’Artagnan, l’histoire vraie ne lui a pas fait de
cadeaux ! Heureusement qu’Alexandre Dumas s’est occupé de sa renommée).
Il nous faut aussi nous rappeler de Denis de Bargeton
« dangereux homme de guerre habitant Vallabrix », cousin de notre seigneur et qualifié ainsi par
notre intendant Lamoignon-Basville en 1680.
Mise
en scène très valorisée d’un recrutement : à droite, la signature sur le
tambour, à gauche, la première solde – XVIIIè- - BN –
(Sources :
Histoire de la France,
Castelot-Decaux– Service Historique des Armées – Les Paysans du Languedoc,
Leroy Ladurie)
Enseigne
et capitaine des Gardes-Françaises à Pieds 1697 – Gravure de D de Noirmond - BN
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