Opération de la cataracte au
14ème siècle
Lorsque nous approchons des 70 ans, qui de nous n’a pas entendu parler de la cataracte qui commence à nous obscurcir la vue ? Heureusement maintenant nos chirurgiens maitrisent bien son opération. Mais dans les temps anciens, c’était plus hasardeux.
Les archives nous racontent
l’opération que subit en 1351 Gilles le Muisit, abbé de l’abbaye de
Saint-Martin pendant plus de soixante ans. Il semble originaire de Tournai, né
vers 1272 et décédé en 1352. Ce moine, chroniqueur et poète, âgé de près de 80
ans, était aveugle ou pratiquement depuis quatre ans. Il ne pouvait plus lire
ni écrire, ni distinguer les monnaies. Pour occuper son temps et se distraire
il composa sa Chronique Annales et Poésies, que l’éditeur Henri Lemaître
rassembla et publia en 1905. Dans son manuscrit les conditions de l’opération
sont peu développées, mais son récit est accompagné de la miniature reproduite
en entête qui montre quelles étaient les attitudes du patient, du chirurgien et
de son aide. Il est probable que le scribe qui avait calligraphié cette
miniature avait assisté à l’opération ou qu’il en avait connu tous les détails.
Le chirurgien, Jean de Mayence, vient d’Allemagne. Certainement un périodeute,
c’est-à-dire un médecin itinérant, oculiste et lithotomiste, qui avait la spécialité
comme nombreux de ses confrères, de soigner les maladies des yeux et d’extraire
les pierres de la vessie.
On opère d’abord un œil, puis cinq jours après l’autre.
Gilles le Muisit parle à la
fin du livre de ses Annales de sa maladie et de son opération :
« Il est certain,
dit-il, que moi Gilles, abbé susdit, ayant eu plus de cinquante ans à traiter
les affaires de l’Église, soit avec les Supérieurs ecclésiastiques, soit avec
les Abbés mes prédécesseurs, soit pendant que j’étais moi-même à la tête de ce
monastère, je me suis extrêmement fatigué à écrire. Aussi arriva-t-il qu’en
devenant vieux ma vue commença à faiblir, de sorte qu’en dernier lieu je ne
pouvais ni lire, ni écrire facilement.
« L’année 1348, la veille et le jour de l’Assomption de la Glorieuse
Vierge, je pus encore célébrer une messe privée, mais je dus bientôt
reconnaître que cela même me devenait impossible, parce que l’état de mes yeux
ne faisait qu’empirer et que je n’y voyais presque plus. Dès C’est à ce moment
que je devins tout à fait aveugle, supportant, grâce à Dieu, avec résignation
cette épreuve qu’il m’envoyait.
« Pour échapper à l’oisiveté et éloigner tout motif d’impatience, je
consacrai mes loisirs à faire enregistrer, tant en Latin qu’en Français, une
foule d’événements. Beaucoup de personnes s’émerveillaient de ma patience et,
de fait, je conservai tout le temps ma gaieté et ma bonne humeur, sans cesser,
grâce à Dieu, de faire tous mes efforts pour ne pas tomber dans le vice.
« Et maintenant, que ceux qui viendront après moi sachent qu’un
certain Maître, originaire d’Allemagne, vint à Tournai et qu’ayant examiné mes
yeux il promit, avec l’aide de Dieu, de me guérir. Après avoir bien réfléchi à
tout ce qu’il me dit, et malgré l’avis de mes proches et de mes amis, je finis
par me rendre à ses raisons. Je lui permis donc d’exercer son art sur mes yeux,
le dimanche après l’Exaltation de la Sainte-Croix pour le premier œil et cinq
jours après pour l’autre [les 18 et 22 septembre 1351].
« L’opération fut à peine douloureuse et consista à introduire dans
l’œil un certain instrument en forme d’aiguille pour déchirer le voile qui
obstruait mes yeux. Je recouvrai la vue, non certes comme elle était pendant ma
jeunesse, mais comme il convenait à mon âge, car j’étais déjà octogénaire. Je
voyais le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, mais je ne pouvais reconnaître
les gens. Je pouvais cependant pourvoir à tous mes besoins, excepté qu’il
m’était impossible de lire ou d’écrire. Je pense que ce fut une grâce de
Dieu ; que son nom soit bénit et qu’il me conserve en cet état jusqu’à ce
qu’il lui plaise de me rappeler à lui. Je fus aveugle trois ans ou
environ ».
Dans une de ses poésies, écrites en
français, Gilles le Muisit donne le nom de l’opérateur et nous apprend que
l’aiguille dont il se servit était une aiguille d’argent. Voici ce passage —
dans sa version originale, en vieux français — qui sert de prologue à une
longue pièce de vers composée en reconnaissance de sa guérison :
« C’est, dit-il, li loenge et li regrasciemens l’abbet Gillion le Muysit à Dieu, à le Virgène Marie, à Saint Martin, à tous Sains et à toutes Saintes, de chou que lie veue li est recouvrée, qui avoit estet aveules trois ans et plus, et n’avoit célébret, ne rien veut fors un pau d’air, et avoit estet environ siscante-deus ans abbés esleus, se fu aidiés par un maistre nommet Jehan de Meence, qui ouvra en ses yeuls d’un instrument d’argent, à manière d’aguille, sans peler, a pau d’angousce et tot passée, et fu faite cheste cure et vey des deus yeuls selon son eage souffiscamment, l’an de grâce MCCCLI (1351), environ le fieste Saint Remi. »
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Qui était le
praticien qui avait opéré notre abbé ?. Au Moyen-Age l’oculiste pouvait
être le Rusticus ou notre rebouteux, le Chirurgus expetus in oculis c’est à die
un chirurgien expérimenté, ou bien le Judeus, le Juif. Probablement pas le rusticus,
notre patient était un trop grand personnage pour avoir recours à ce genre de
praticien qui d’ailleurs sortait peu de son pays d’origine et exerçait dans un
rayon de peu d’étendue. Plus vraisemblablement un chirurgien expérimenté ou un
juif. Cette communauté a fourni beaucoup de praticiens médecins. L’oculistique
sera pendant longtemps entre les mains de praticiens juifs. Le roi d’Aragon
Jean en 1468 sera opéré par le rabbin de Lérida Abi-Abor.
Il nous faut
reconnaitre qu’au 13è et 14ème siècles les écoles de médecine de
Salerne et Montpellier ne se sont pas beaucoup occupé d’oculistique. Les
chirurgiens comme Guillaume de Salicet (1276)
semblent surtout appliquer des méthodes opératoires qui indiquent une
grande pratique. Il explique : « cette opération,
dit-il, ne pourra être comprise par l’élève que s’il l’a vue faire de ses
propres yeux par quelqu’un d’expert et d’habitué à la pratique oculaire. »
Un autre praticien Jean de Gaddesden au 14ème siècle déclare que pour l’opération de la cataracte les médecins et chirurgiens doivent d’abord s’essayer sur des yeux de chien, de coq ou de tout autre animal !!
En 1699 on va
exiger des oculistes mais aussi des rhabilleurs, des lithotomistes une épreuve
en présence des chirurgiens officiels de Saint-Côme.
Gilles le Muisit ne recouvra pas
totalement la vue ; il voyait le soleil, la lune et les étoiles. Mais il
ne pouvait reconnaitre les gens, ni lire et ni écrire. Il pouvait marcher
suffire à tous ses besoins. Jean de Mayence sera récompensé largement et se
fera une forte réclame de ce succès.
Notre abbé dut se mettre au régine sévère
pour ne pas perdre le bénéfice de l’opération : adieu le bon vin, l’ail,
les longues veilles et les « copieuses beuveries », se protéger du
vent, du froid. Il « contrefait le sage » encore un an avant de
quitter notre monde.
J’ay les ioez diffamés, un pau s’en suy honteus, |
Il me convient warder dou vent et de l’orage, |
Sources et pour en
savoir plus : « La France Médicale » 1907—La France Pittaoresque
20/2/2023--- wikipedia.org--
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