Révolution ou quand
le peuple perd la tête
Nous n’en avons pas fini d’analyser notre Révolution, celle de 1789 ou plutôt ce que la Terreur de 1792 en a fait. Historiens, Politiques, hommes et femmes de la rue, tous nous fantasmons sur cette période, cherchons à comprendre ce déferlement de violence qui nous a plongés au bout du compte dans des guerres avec l’Europe puis dans l’Empire et les royautés qui ont suivi. Mais quand on y regarde de près, toute révolte, toute émeute portent en elles le germe de cette violence, quels qu’en soient les acteurs et les revendications. On assiste à un raz de marée, une hystérie collective. La raison n’est plus là et gare à celui qui plaide pour le dialogue, l’écoute de l’autre, pour des réformes. Les avocats, les journalistes sont les premiers à en faire les frais (voir en fin de texte un exemple de liste des condamnés à Lyon).
Avec la
plupart du temps un retour en arrière : la République de 1848, la Commune,
la IIIème République ont plus apporté d’innovations, de progrès social que
celle de 1792… Et pourtant on les oublie. Ce retour en arrière s’accompagne souvent de la naissance d’une
autre classe de parvenus, de dirigeants politiques.
On oublie aussi que les droits
garantis par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 sont
suspendus en 1792 et que le Comité de Salut Public lance alors la campagne de
milliers d’exécutions contre les ennemis réels ou supposés de la République. La
guillotine sera surnommée le « rasoir national » ! Il faudra
attendre novembre 1795 pour que le Directoire organise un pouvoir un peu près
démocratique dans l’esprit de 1789.
La République de 1792 coupable
de « crimes contre l’humanité » ? Arriverons-nous un jour à
avoir une vision apaisée de cette période ?…. Certains encore rêvent de
mettre le pays à feu et à sang et se revendique de Robespierre qui pourtant a bien mal fini. Et nous savons bien que ce sont
toujours les plus démunis qui en font les frais.
Et on oublie que le
tribunal révolutionnaire né de cette période de 1792 dispense de toute preuve,
et que la seule peine prononcée est la peine de mort, sans possibilité d’appel
ni présence de défenseurs. C’est la fête à la délation, aux règlements de
comptes politiques, familiaux, de voisinage….. Des listes de condamnés existent,
bien qu’incomplètes loin de là. On doit y ajouter les lynchés, les suicidés, les
fusillés, les morts de leurs blessures, ceux qu'on tue pour leur paire de bottes….. Autant de bras qui vont manquer pour
redresser l’économie, cultiver, combattre, construire le pays, améliorer les
conditions de vie de tous, gérer la révolution industrielle qui va sérieusement
bouleverser la société du 19ème siècle…..
François-René de
Chateaubriand dans son « Abrégé de l’Histoire de France » paru en
1836 nous raconte sa version des faits. Il nous avait déjà raconté la Prise de la Bastille. (voir sur ce blog 18/07/2018). Parti-pris, romantisme ? Nous devons malgré tout d'entendre.
« Le
premier n° du Bulletin des lois contient le décret qui
institue le tribunal révolutionnaire : on maintient ce décret
à la tête de ce recueil, non pas, je suppose, pour en faire usage en temps et
lieu, mais comme une inscription redoutable gravée au fronton du Temple des
lois, pour épouvanter le législateur et lui inspirer l’horreur de l’injustice.
Ce décret prononce que la seule peine portée par le tribunal
révolutionnaire est la peine de mort. L’article 9 autorise tout
citoyen à saisir et à conduire devant les magistrats, les conspirateurs et
les contre-révolutionnaires ; l’art. 13 dispense de la
preuve testimoniale ; et l’art. 16 prive de défenseur les
conspirateurs. Ce tribunal était sans appel.
Voilà
d’abord la grande base sur laquelle il nous faut asseoir notre
admiration : honneur à l’équité révolutionnaire ! honneur à la
justice de la caverne ! Maintenant, compulsons les actes émanés de cette
justice. Le Républicain Prudhomme, qui ne haïssait pas la Révolution et qui a
écrit lorsque le sang était tout chaud, nous a laissé six volumes de détails. Deux
de ces six volumes sont consacrés à un dictionnaire où chaque criminel se
trouve inscrit à sa lettre alphabétique, avec son nom, prénoms, âge, lieu de
naissance, qualité, domicile, profession, date et motif de la condamnation,
jour et lieu de l’exécution. On y trouve parmi les guillotinés 18 613
victimes ainsi réparties :
Ci-devant
nobles : 1 278
Femmes nobles : 780
Femmes de laboureurs et d’artisans : 1 467
Religieuses : 350
Prêtres : 1 135
Hommes non nobles de divers états : 13 633
TOTAL : 18 613
Femmes
mortes par suite de couches prématurées : 3 400
Femmes enceintes et en couches : 348
Femmes tuées dans la Vendée : 15 000
Enfants tués dans la Vendée : 22 000
Morts dans la Vendée : 900 000
Victimes sous le proconsulat de Carrier, à Nantes : 32 000 (dont
Enfants fusillés : 500 ; Enfants noyés : 1 500 ;
Femmes fusillées : 264 ; Femmes noyées : 500 ; Prêtres
fusillés : 300 ; Prêtres noyés : 460 ; Nobles noyés :
1 400 ; Artisans noyés : 5 300)
Victimes à Lyon : 31 000
Pour
l’exécution de la loi des suspects, du 21 septembre 1793, plus de
cinquante mille comités révolutionnaires furent installés sur la surface de la
France. D’après les calculs du conventionnel Cambon, ils coûtaient annuellement
cinq cent quatre-vingt-onze millions (assignats). Chaque membre de ces comités
recevait trois francs par jour, et ils étaient cinq cent quarante mille ;
c’étaient cinq cent quarante mille accusateurs, ayant droit de désigner à la
mort. A Paris, seulement, on comptait soixante comités révolutionnaires ;
chacun d’eux avait sa prison pour la détention des suspects.
Vous
remarquerez que ce ne sont pas simplement des nobles, des prêtres,
des religieux, qui figurent ici dans le registre mortuaire ;
voilà 18 923 hommes non nobles, de divers états, et 2 231 femmes de
laboureurs ou d’artisans, 2 000 enfants guillotinés, noyés et fusillés. A
Bordeaux, on exécutait pour crime de négociantisme.
Des
femmes ! mais savez-vous que dans aucun pays, dans aucun temps, chez
aucune nation de la terre, dans aucune proscription politique, les femmes n’ont
été livrées au bourreau, si ce n’est quelques têtes isolées à Rome sous les
empereurs, en Angleterre sous Henri VIII, la reine Marie et
Jacques II ? La Terreur a seule donné au monde le lâche et
impitoyable spectacle de l’assassinat juridique des femmes et des enfants en
masse.
Le
Girondin Riouffe, prisonnier avec Vergniaux, madame Rolland et leurs amis à la
Conciergerie, rapporte ce qui suit dans ses Mémoires d’un détenu :
« Les femmes les plus belles, les plus jeunes, les plus intéressantes,
tombaient pêle-mêle dans ce gouffre (l’Abbaye), dont elles sortaient pour aller
par douzaine inonder l’échafaud de leur sang.
Mathieu
Jouve Jourdan, dit « Jourdan Coupe-tête ».
Gouache de Lesueur, Paris, musée Carnavalet, vers 1793.
« De jeunes femmes enceintes, d’autres qui venaient d’accoucher et qui étaient encore dans cet état de faiblesse et de pâleur qui suit ce grand travail de la nature qui serait respecté par les peuples les plus sauvages ; d’autres dont le lait s’était arrêté tout-à-coup, ou par frayeur, ou parce qu’on avait arraché leurs enfants de leur sein, étaient jour et nuit précipitées dans cet abîme. Elles arrivaient traînées de cachots en cachots, leurs faibles mains comprimées dans d’indignes fers : on en a vu qui avaient un collier de fer au cou. Elles entraient, les unes évanouies et portées dans les bras des guichetiers qui en riaient, d’autres en état de stupéfaction qui les rendait comme imbéciles ; vers les derniers mois surtout (avant le 8 thermidor), c’était l’activité des enfers : jour et nuit les verrous s’agitaient ; soixante personnes arrivaient le soir pour aller à l’échafaud le lendemain ; elles étaient remplacées par cent autres, que le même sort attendait le jour suivant.
Charrette de condamnés par le Tribunal révolutionnaire. Gravure extraite |
« Quatorze jeunes
filles de Verdun, d’une candeur sans exemple, et qui avaient l’air de jeunes
vierges parées pour une fête publique, furent menées ensemble à l’échafaud.
Elles disparurent tout-à-coup et furent moissonnées dans leur printemps. La
Cour des Femmes avait l’air, le lendemain de leur mort, d’un parterre dégarni
de ses fleurs par un orage. Je n’ai jamais vu parmi nous de désespoir pareil à
celui qu’excita cette barbarie.
« Vingt femmes du
Poitou, pauvres paysannes pour la plupart, furent également assassinées
ensemble. Je les vois encore ces malheureuses victimes, je les vois étendues
dans la cour de la Conciergerie, accablées de la fatigue d’une longue route et
dormant sur le pavé... Au moment d’aller au supplice, on arracha du sein d’une
de ces infortunées un enfant qu’elle nourrissait, et qui au moment même
s’abreuvait d’un lait dont le bourreau allait tarir la source. Ô cris de la
douleur maternelle, que vous fûtes aigus ! mais sans effet... Quelques
femmes sont mortes dans la charrette, et on a guillotiné leurs cadavres.
N’ai-je pas vu, peu de jours avant le 9 thermidor, d’autres femmes
traînées à la mort ; elles s’étaient déclarées enceintes... Et ce sont des
hommes, des Français, à qui leurs philosophes les plus éloquents prêchent
depuis soixante années l’humanité et la tolérance !
« Un aqueduc immense,
qui devait voiturer du sang, avait été creusé à la place Saint-Antoine.
Disons-le, quelque horrible qu’il soit de le dire, tous les jours le sang
humain se puisait par seaux, et quatre hommes étaient occupés, au moment de
l’exécution, à les vider dans cet aqueduc.
« C’était vers trois
heures après midi que ces longues processions de victimes descendaient au
tribunal, et traversaient lentement, sous de longues voûtes, au milieu des
prisonniers qui se rangeaient en haie pour les voir passer avec une avidité
sans pareille. J’ai vu quarante-cinq magistrats du parlement de Paris,
trente-trois du parlement de Toulouse, allant à la mort du même air qu’ils
marchaient autrefois aux cérémonies publiques ; j’ai vu trente
fermiers-généraux passer d’un pas calme et ferme ; les vingt-cinq premiers
négociants de Sedan, plaignant, en allant à la mort, dix mille ouvriers qu’ils
laissaient sans pain. J’ai vu ce Baysser, l’effroi des rebelles de la
Vendée, et le plus bel homme de guerre qu’eût la France ; j’ai vu tous
ces généraux que la victoire venait de couvrir de lauriers qu’on changeait
soudain en cyprès ; enfin tous ces jeunes militaires, si forts, si
vigoureux... ils marchaient silencieusement... ils ne savaient que
mourir. »
Prudhomme va compléter ce
tableau : « La mission de Le Bon, dans les départements frontières du
Nord, peut être comparée à l’apparition de ces noires furies si redoutées dans
les temps du paganisme. » Dans les jours de fête, l’orchestre était placé
à côté de l’échafaud. « Des enfants corrompus lui formaient une garde, et
étaient les espions de leurs parents. Quelques-uns avaient de petites
guillotines, avec lesquelles ils s’amusaient à donner la mort à des oiseaux et
à des souris. »
Carrier se distingua à
Nantes : « Environ quatre-vingt femmes, extraites de l’entrepôt,
traduites à ce champ de carnage, y furent fusillées ; ensuite on les
dépouilla et leurs corps restèrent ainsi épars pendant trois jours. Cinq cents
enfants des deux sexes, dont les plus âgés avaient quatorze ans, sont conduits
au même endroit pour y être fusillés. Jamais spectacle ne fut plus
attendrissant et plus effroyable ; la petitesse de leur taille en met plusieurs
à l’abri des coups de feu ; ils délient leurs liens, s’éparpillent jusque
dans les bataillons de leurs bourreaux, cherchent un refuge entre leurs jambes,
qu’ils embrassent fortement, en levant vers eux leur visage où se peignent à la
fois l’innocence et l’effroi. Rien ne fait impression sur ces
exterminateurs ; ils les égorgent à leurs pieds. »
Noyades à Nantes : « Une quantité de femmes, la plupart enceintes, et d’autres pressant leur nourrisson sur leur sein, sont menées à bord des gabares... Les innocentes caresses, le sourire de ces tendres victimes versent dans l’âme de ces mères éplorées un sentiment qui achève de déchirer leurs entrailles ; elles répondent avec vivacité à leurs tendres caresses, en songeant que c’est pour la dernière fois !!! Une d’elles venait d’accoucher sur la grève ; les bourreaux lui donnent à peine le temps de terminer ce grand travail ; ils avancent, toutes sont amoncelées dans la gabarre, et, après les avoir dépouillées à nu, on leur attache les mains derrière le dos.
|
« Les
cris les plus aigus, les reproches les plus amers de ces malheureuses mères se
font entendre de toutes parts contre les bourreaux ; Fouquet, Robin et
Lamberty y répondaient à coups de sabre, et la timide beauté, déjà assez
occupée à cacher sa nudité aux monstres qui l’outragent, détourne en frémissant
ses regards de sa compagne défigurée par le sang, et qui déjà chancelante vient
rendre le dernier soupir à ses pieds. Mais le signal est donné ; les
charpentiers d’un coup de hache lèvent les sabords, et l’onde les ensevelit
pour jamais. »
Et
voilà l’objet de vos hymnes ! Des milliers d’exécutions en moins de trois
années, en vertu d’une loi qui privait les accusés de témoins, de défenseurs et
d’appel ! Songez-vous que le souvenir d’une seule condamnation inique,
celle de Socrate, a traversé vingt siècles pour flétrir les juges et les
bourreaux ? Pour entonner le chant de triomphe, il faudrait du moins attendre
que les pères et les mères, les femmes et les enfants, les frères et les sœurs
des victimes fussent morts ; et ils couvrent encore la France. Femmes,
bourgeois, négociants, magistrats, paysans, soldats, généraux, immense majorité
plébéienne sur laquelle est tombée la Terreur, vous plaît-il de fournir de
nouveaux aliments à ce merveilleux spectacle ?... »
A voir aussi l'excellent article Les arrestations de suspects en 1793 et en l'an II. Professions et repression-- Jean Louis Matharan-
Annales historiques de la Révolution
française Année 1986 263 pp. 74-85
Sources et pour en savoir plus : La France Pittoresque--Extrait de
« Abrégé de l’Histoire de France, détaché textuellement des études
historiques » (par François-René de Chateaubriand), paru en 1836) Publié / Mis à jour le DIMANCHE 28 MAI
2023, par LA RÉDACTION---- Gallica BNF Tableau
général des victimes & martyrs de la Révolution, en Lyonnais, Forez et
Beaujolais : spécialement sous le régime de la Terreur, 1793-1794 ([Reprod.]) /
par Antonin Portallier ---
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