dimanche 28 mai 2017

La Plante du Diable

La plante du diable :



Ce printemps les sangliers ont eu raison de ma plantation de pommes de terre. J’espère qu’ils les ont trouvées à leur goût !
Lorsque la pomme de terre débarque discrètement en Europe vers 1520, une formidable aventure l’attend avant de se retrouver sur nos menus quotidiens.
Elle est appelée d’abord « artichaut des Indes ». Les
conquistadors la découvrent dans les cordillères des Andes, ce que l’on nommait encore les Indes Occidentales. A ce moment-là elle est une curiosité botanique. Des religieux espagnols commencent par la cultiver dans les jardins de leurs couvents en Italie. Puis ils vont la faire cuire pour les animaux et ensuite pour les humains.
(Atlas des plantes 1891 Amédée Masclef (1858-))
Le grand agronome Olivier de Serre en parle ainsi en 1600:, « Cet arbuste, dit Cartoufle porte fruict de mesme nom, semblable à truffes, et par d'aucuns ainsi appelé[ » « Quant au goust, le cuisinier les appareille de telle sorte, que peu de diversité y recognoist-on de l'un à l'autre».
Bizarrement le topinambour qui vient de la Nouvelle France (Québec), va se retrouver très vite dans les jardins et sur les tables bourgeoises. Il portera d’ailleurs parfois le nom de pomme de terre.

Elle traverse les frontières. 1610 en Alsace qui n’est pas encore française. La guerre de Trente ans ruine les campagnes de ce qui est aujourd’hui l’Allemagne, et les soldats puis le peuple adoptent la pomme de terre, faute de mieux. Sa consommation va rester très localisée ou contrainte au gré des disettes.
Les classes aisées l’ignorent encore sur leurs tables. Mais dès 1616 au jardin royal en France elle est cultivée. Par farce elle est proposée au jeune roi Louis XIII qui n’y goûte évidemment pas. On dit que ceux qui en mangent attrapent les fièvres, la lèpre… En Suisse les épidémies d’écrouelles seraient dues à la pomme de terre, c'est la plante du diable !!. Seuls les soldats la trouvent mangeable, mourir pour mourir !!.
On va malgré tout essayer d’en faire quelque chose. Cela va de la confection de vermicelle sec à de la poudre à perruque.
Au 18ème siècle, le petit peuple consomme largement ce légume. Diderot et d’Alembert dans l’Encyclopédie en 1765 en font l’étude : les paysans consomment une bonne partie de l’année la racine de cette plante. Cuite à l’eau, au four, sous la cendre, en ragoûts. Les plus riches la consomment avec du beurre, de la viande ou en beignets.
Comment Monsieur Parmentier la rencontre-t-il  ?
Antoine Augustin Parmentier à la suite d’ "erreurs de jeunesse" fait plusieurs séjours en prison. Il est alors préparateur en pharmacie. Il deviendra pharmacien militaire, agronome, nutritionniste et hygiéniste. On le considère comme le précurseur de la chimie alimentaire et de l’agrobiologie. Connu surtout pour sa promotion de la pomme de terre dans l’alimentation humaine, il va organiser le service pharmaceutique de santé sous l’Empire napoléonien. Durant les périodes de famines ou de sous-alimentation il préconise l’utilisation de nouveaux aliments et une hygiène alimentaire… Il est né à une période charnière de notre histoire : 1737 et décède en 1813.
De ses séjours à « l’ombre » nourri de pommes de terre, il comprend l’importance de ce légume. En 1772 l’Académie des Sciences Belles Lettres et Arts de Besançon et de Franche-Comté lance un concours sur le thème « le retour de la Disette ». « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation ». Parmentier remporte le premier prix. Les famines de 1769 et 1770 avaient laissé des traces. Dès 1772 la Faculté de médecine de Paris déclare la pomme de terre sans danger.
Parmentier contacte tous ceux qui ont un poids social pour en faire la publicité. Dont Voltaire qui en avril 1775 lui répond de son domaine de Ferney:

« J 'ai reçu, Monsieur, les deux excellents mémoires que vous avez bien voulu m'envoyer, l'un sur les pommes de terre, désiré du gouvernement; et l'autre sur les végétaux nourrissants, couronné par l’académie de Besançon. Si j'ai tardé un peu à vous remercier, c'est que je ne mangerai plus de pommes de terre dont j'ai fait du pain très savoureux, mêlé avec moitié de farine de froment, et dont j'ai fait manger à mes agriculteurs dans les temps de disette avec le plus grand succès. Mes quatre-vingt et un ans surchargés de maladies, ne me permettent pas d'être bien exact à répondre, je n'en suis pas moins sensible à votre mérite, à l'utillité de vos recherches, et au plaisirs que vous m'avez fait.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Voltaire, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi
 »
Les gens de « la Haute », la trouve fade, farineuse. Elle donnerait des gaz qui sont bons pour les organes des paysans et des gens du peuple. Elle n'est pas pour les gens raffinés. Mais la mode est lancée, on va peu à peu aimer la pomme de terre.
Le roi Louis XVI donne un terrain de 54 hectares dans la plaine des Sablons à Neuilly pour que Parmentier expérimente cette culture. En 1785, jour de la Saint-Louis, Parmentier fait livrer au roi un bouquet de fleurs et une corbeille de pomme de terre. Le roi qui n’était pas si nigaud que le dit l’Histoire, mit une fleur à sa boutonnière et une autre dans la coiffure de la reine. Et le lendemain la pomme de terre était à sa table.
(Gravure Petit Journal mars 1901 –Samuel Austin 2013)
A ce moment-là elle entre dans l’Histoire, elle a toutes les vertus. Elle corrige le sang, augmente le lait des nourrices, guérit les coliques. C’est le remède à presque tout !!

Les révolutionnaires s’en emparent, on en fait de la bouillie d’amidon.. Dans le calendrier républicain, la pomme de terre a son jour, le 11ème jour du mois de vendémiaire.

Un arrêté de la Commune du 21 ventôse 1793 ordonne un recensement des jardins d’agrément pour y cultiver des pommes de terre. Ainsi la grande allée du jardin des Tuileries et ses carrés de fleurs se convertissent à cette culture. L’année suivante la Convention demande la généralisation de cette culture dans tout le pays : les récoltes de blé sont insuffisantes et les émeutes exigent du pain.
 « Les autorités constituées sont tenues d’employer tous les moyens qui sont en leur pouvoir dans les communes où la culture de la pomme de terre ne serait pas encore établie, pour engager tous les cultivateurs qui les composent à planter, chacun selon ses facultés, une portion de leur terrain en pommes de terre. »

La culture de la pomme de terre va s’intensifier lors des famines de 1816 et 1817, l’ »année sans été », et cela dans toute l’Europe. Les guerres napoléoniennes, les incertitudes politiques ont mis à genoux la France. Les denrées alimentaires de base manquent et le prix de la pomme de terre va par endroit être multiplié par sept alors que le prix du blé est multiplié par trois ou quatre. D’où l’expansion de cette culture.
L’Académie d’Agriculture de France organise des concours dès 1818 pour encourager les « cultivateurs, inspirés sans doute par la Providence à laquelle on doit rendre grâce de ce nouveau bienfait, ont confié à de vastes champs la plupart en jachères, ou à des terres jusqu'alors incultes, de nombreux plants de pommes de terre, et sur un espace beaucoup plus grand que les besoins ne semblaient l'exiger». De nombreux ouvrages lui sont consacrés, manuels d’hygiène militaire, agronomiques, médicaux, culinaires. Le mythe « Parmentier » est en train de se construire.
On envisage même d’en faire du pain pour remplacer le blé objet de toutes les spéculations. En 1847 un boulanger de Marmande en vend même quelques pains.
Un coup sérieux est porté à cette culture en 1846 et 1847 lors de l’épidémie de mildiou associée à un déficit en blé et à la clé une famine qui va faire près de 180 000 morts en Europe, Irlande, Belgique, Flandres, Angleterre, France, Prusse, Pays-Bas …. Avec une perte à naître colossale. Dans les Highlands écossaises 1,7 million de personnes émigrent au Canada et USA. On a parlé d’ »holocauste irlandais ».



Nous retrouvons ce légume dans notre pays pendant la guerre de 1870, sur les barricades de la Commune. Les gardes nationaux la mangent en bouillie, en frites, en ragoût (dans le rata).
Le botaniste français Alexis Millardet met au point un traitement contre le mildiou entre 1882 et 1885. Traitement universel encore utilisé aujourd'hui « la bouillie bordelaise ». Dans les dix ans qui suivent plus d’un million d’hectares seront consacrés à cette culture.


Affiche du Ministère de l'Agriculture 
Guerre 1914-1918


Mais toute victoire a son revers. Cultivée aux Etats-Unis, le doryphore la guette. D’abord sur la côte ouest vers 1855, puis dans la région atlantique vers 1873. En 18 ans toute l’Amérique est contaminée. En France la petite bête arrive avec la guerre de 1914-1918, d’abord dans le Bordelais. La femelle pond jusqu’à 2500 œufs sur une plante.
Ce sera un autre combat.




Chasseurs Alpins 14-18 corvée de peluche


Prisonniers allemands 1914-1918




Eugène Zelenko 2005- wikipédia

















Sources J-L Beaucarnot Ainsi vivaient nos ancêtres édit Laffont -1989- archives départementales Charentes-Maritimes, Allier- BNF- photos wikipédia

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