La plante du diable :
Ce
printemps les sangliers ont eu raison de ma plantation de pommes de terre.
J’espère qu’ils les ont trouvées à leur goût !
Lorsque la pomme de terre débarque discrètement en Europe
vers 1520, une formidable aventure l’attend avant de se retrouver sur nos menus
quotidiens.
Elle est appelée d’abord « artichaut des Indes ».
Les
conquistadors la découvrent dans les cordillères des Andes, ce que l’on
nommait encore les Indes Occidentales. A ce moment-là elle est une curiosité
botanique. Des religieux espagnols commencent par la cultiver dans les jardins
de leurs couvents en Italie. Puis ils vont la faire cuire pour les animaux et
ensuite pour les humains.(Atlas des plantes 1891 Amédée Masclef (1858-))
Le grand agronome Olivier de Serre en parle ainsi en 1600:, « Cet arbuste, dit Cartoufle porte fruict de mesme nom, semblable à truffes, et par d'aucuns ainsi appelé[ » « Quant au goust, le cuisinier les appareille de telle sorte, que peu de diversité y recognoist-on de l'un à l'autre».
Bizarrement le topinambour qui vient de la Nouvelle France
(Québec), va se retrouver très vite dans les jardins et sur les tables
bourgeoises. Il portera d’ailleurs parfois le nom de pomme de terre.
Elle traverse les
frontières. 1610 en Alsace qui n’est pas encore française. La guerre de Trente
ans ruine les campagnes de ce qui est aujourd’hui l’Allemagne, et les soldats puis
le peuple adoptent la pomme de terre, faute de mieux. Sa consommation va rester très localisée ou
contrainte au gré des disettes.
Les classes aisées l’ignorent
encore sur leurs tables. Mais dès 1616 au jardin royal en France elle est cultivée. Par farce
elle est proposée au jeune roi Louis XIII qui n’y goûte évidemment pas. On dit
que ceux qui en mangent attrapent les fièvres, la lèpre… En Suisse les
épidémies d’écrouelles seraient dues à la pomme de terre, c'est la plante du diable !!.
Seuls les soldats la trouvent mangeable, mourir pour mourir !!.
On va malgré tout essayer d’en
faire quelque chose. Cela va de la confection de vermicelle sec à de la poudre
à perruque.
Au 18ème siècle, le petit peuple consomme largement ce légume. Diderot et d’Alembert dans l’Encyclopédie
en 1765 en font l’étude : les paysans consomment une bonne partie de
l’année la racine de cette plante. Cuite à l’eau, au four, sous la cendre, en
ragoûts. Les plus riches la consomment avec du beurre, de la viande ou en
beignets.
Comment Monsieur Parmentier la
rencontre-t-il ?
Antoine Augustin Parmentier à la
suite d’ "erreurs de jeunesse" fait plusieurs séjours en prison. Il
est alors préparateur en pharmacie. Il deviendra pharmacien militaire,
agronome, nutritionniste et hygiéniste. On le considère comme le précurseur de
la chimie alimentaire et de l’agrobiologie. Connu surtout pour sa promotion de
la pomme de terre dans l’alimentation humaine, il va organiser le service
pharmaceutique de santé sous l’Empire napoléonien. Durant les périodes de
famines ou de sous-alimentation il préconise l’utilisation de nouveaux aliments
et une hygiène alimentaire… Il est né à une période charnière de notre
histoire : 1737 et décède en 1813.
De ses séjours à « l’ombre » nourri de pommes de
terre, il comprend l’importance de ce légume. En 1772 l’Académie des Sciences Belles
Lettres et Arts de Besançon et de Franche-Comté lance un concours sur le thème
« le retour de la Disette ». « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer
en cas de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des
hommes et quelle en devrait être la préparation ». Parmentier
remporte le premier prix. Les famines de 1769 et 1770 avaient laissé des
traces. Dès 1772 la Faculté de médecine de Paris déclare la pomme de terre sans
danger.
Parmentier contacte tous ceux qui ont un poids social pour en faire la publicité. Dont Voltaire qui en avril 1775 lui répond de son
domaine de Ferney:
« J 'ai reçu, Monsieur, les deux excellents mémoires que vous avez bien voulu m'envoyer, l'un sur les pommes de terre, désiré du gouvernement; et l'autre sur les végétaux nourrissants, couronné par l’académie de Besançon. Si j'ai tardé un peu à vous remercier, c'est que je ne mangerai plus de pommes de terre dont j'ai fait du pain très savoureux, mêlé avec moitié de farine de froment, et dont j'ai fait manger à mes agriculteurs dans les temps de disette avec le plus grand succès. Mes quatre-vingt et un ans surchargés de maladies, ne me permettent pas d'être bien exact à répondre, je n'en suis pas moins sensible à votre mérite, à l'utillité de vos recherches, et au plaisirs que vous m'avez fait. J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, Voltaire, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi » |
Les gens de « la Haute », la trouve fade,
farineuse. Elle donnerait des gaz qui sont bons pour les organes des paysans et
des gens du peuple. Elle n'est pas pour les gens raffinés. Mais la mode est lancée, on va peu à peu aimer la pomme de terre.
Le roi Louis XVI donne un terrain de 54 hectares dans la
plaine des Sablons à Neuilly pour que Parmentier expérimente cette culture. En
1785, jour de la Saint-Louis, Parmentier fait livrer au roi un bouquet de
fleurs et une corbeille de pomme de terre. Le roi qui n’était pas si nigaud que
le dit l’Histoire, mit une fleur à sa boutonnière et une autre dans la coiffure
de la reine. Et le lendemain la pomme de terre était à sa table.
(Gravure Petit Journal mars 1901 –Samuel Austin 2013)
A ce moment-là elle entre dans l’Histoire, elle a toutes les
vertus. Elle corrige le sang, augmente le lait des nourrices, guérit les
coliques. C’est le remède à presque tout !!
Les révolutionnaires s’en emparent, on en fait de la
bouillie d’amidon.. Dans le calendrier républicain, la pomme de terre a son jour, le 11ème
jour du mois de vendémiaire.
Un arrêté de la Commune du 21 ventôse 1793 ordonne un
recensement des jardins d’agrément pour y cultiver des pommes de terre. Ainsi
la grande allée du jardin des Tuileries et ses carrés de fleurs se
convertissent à cette culture. L’année suivante la Convention demande la
généralisation de cette culture dans tout le pays : les récoltes de blé
sont insuffisantes et les émeutes exigent du pain.
« Les autorités constituées sont tenues
d’employer tous les moyens qui sont en leur pouvoir dans les communes où la
culture de la pomme de terre ne serait pas encore établie, pour engager tous
les cultivateurs qui les composent à planter, chacun selon ses facultés, une
portion de leur terrain en pommes de
terre. »La culture de la pomme de terre va s’intensifier lors des famines de 1816 et 1817, l’ »année sans été », et cela dans toute l’Europe. Les guerres napoléoniennes, les incertitudes politiques ont mis à genoux la France. Les denrées alimentaires de base manquent et le prix de la pomme de terre va par endroit être multiplié par sept alors que le prix du blé est multiplié par trois ou quatre. D’où l’expansion de cette culture.
L’Académie d’Agriculture de France organise des concours dès 1818 pour encourager les « cultivateurs, inspirés sans doute par la Providence à laquelle on doit rendre grâce de ce nouveau bienfait, ont confié à de vastes champs la plupart en jachères, ou à des terres jusqu'alors incultes, de nombreux plants de pommes de terre, et sur un espace beaucoup plus grand que les besoins ne semblaient l'exiger». De nombreux ouvrages lui sont consacrés, manuels d’hygiène militaire, agronomiques, médicaux, culinaires. Le mythe « Parmentier » est en train de se construire.
On envisage même d’en faire du pain pour remplacer le blé
objet de toutes les spéculations. En 1847 un boulanger de Marmande en vend même
quelques pains.
Un coup sérieux est porté à cette culture en 1846 et 1847
lors de l’épidémie de mildiou associée à un déficit en blé et à la clé une
famine qui va faire près de 180 000 morts en Europe, Irlande, Belgique,
Flandres, Angleterre, France, Prusse, Pays-Bas …. Avec une perte à naître
colossale. Dans les Highlands écossaises 1,7 million de personnes émigrent au
Canada et USA. On a parlé d’ »holocauste irlandais ».
Nous retrouvons ce légume dans notre pays pendant la guerre
de 1870, sur les barricades de la Commune. Les gardes nationaux la mangent en
bouillie, en frites, en ragoût (dans le rata).
Le botaniste français Alexis Millardet met au point un
traitement contre le mildiou entre 1882 et 1885. Traitement universel encore
utilisé aujourd'hui « la bouillie bordelaise ». Dans les dix ans qui suivent plus
d’un million d’hectares seront consacrés à cette culture.
Affiche du Ministère de l'Agriculture
Guerre 1914-1918
Mais toute victoire a son revers. Cultivée aux Etats-Unis,
le doryphore la guette. D’abord sur la côte ouest vers 1855, puis dans la
région atlantique vers 1873. En 18 ans toute l’Amérique est contaminée. En
France la petite bête arrive avec la guerre de 1914-1918, d’abord dans le
Bordelais. La femelle pond jusqu’à 2500 œufs sur une plante.
Ce sera un autre combat.
Chasseurs Alpins 14-18 corvée de peluche |
Prisonniers allemands 1914-1918 |
Eugène Zelenko 2005- wikipédia |
Sources J-L Beaucarnot Ainsi vivaient nos ancêtres édit Laffont -1989- archives départementales Charentes-Maritimes, Allier- BNF- photos wikipédia
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