L’Amérique de 1923
Edouard Herriot
BNF El-13 Gallica btv1b9024124v/fr-
photo agence Meurisse -wikimedia.org
Nos plus jeunes lecteurs ne connaissent pas Edouard Herriot. Né en 1872 il décède en 1957 après une carrière politique bien remplie. Membre du Parti Radical, ministre de nombreux gouvernements, président de la Chambre des Députés sous la IIIème République, président de l’Assemblée Nationale sous la IVème république, trois fois président du Conseil des ministres et maire de Lyon de 1905 à 1940, puis de 1945 à 1957. En 1946 il est membre de l’Académie Française. Nous pouvons dire que faire de la politique était son métier.
En 1923 il entreprend un voyage
d’étude aux USA et Canada. L'Europe sort de la guerre de 14-18. Il relate ses rencontres dans un petit livre
« Impressions d’Amérique ». Etude rapide mais intéressante et qui traduit
bien l’époque. Il va rencontrer gigantisme, technicité, abondance, réalisme… De quoi épater le
Français qu’il est.
« The first, the biggest,
the largest in the world » entend-il, ce qui nous rappelle quelqu’un d’actuel.
Du fait de son étendue, c'est un pays aux contrastes du sol, du climat, de sa
population. Waldo Franck dans son livre « Notre Amérique » nous dit « L’Amérique
est un composé de lumières se jouant sur des milliers de plans. Son unité est
dans l’œil du spectateur… »
La population des Etats-Unis est
de composition hétéroclite. Sur 81 millions de « blancs » (on
comptait ainsi à ce moment-là), 14 millions sont nés à l’étranger : un peu
plus d’1 600 000 d’Allemands, autant d’Italiens, 1 400 000
de Russes, 1 139 000 de Polonais, des Canadiens, des Irlandais qui
n’entrent pas dans les statistiques américaines (pourquoi ?), des Anglais,
des Français en petit nombre, Suédois, Danois, Autrichiens, Mexicains…. Faculté
d’intégration ? Pourtant Les Américains commencent à
parler de » saturation d’étrangers » (The Indépendant du 17-3-1923).
C’est encore un pays très
agricole, coton, laine, élevage, céréales, tabac, fruits, bois, pêcheries…..et
bien sûr pétrole, charbon, l’industrie minière qui annoncent le 20ème
siècle.
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Edouard Herriot va visiter des
usines, des abattoirs où le taylorisme est monnaie courante. Taylorisme ou la loi
de la division du travail qui avait déjà été pensée à la fin du 18ème
siècle par le physicien français Charles Augustin Coulomb qui chronométrait
déjà le travail. (voir Adam Smith 1776 La Nature et les Causes de la
Richesse des Nations).
Les abattoirs de Chicago les
fameux Stock Yards ont impressionné et même stupéfié notre homme politique. Une ville spécialisée
avec ses rues que parcourent les cavaliers, les éleveurs, le train qui pénètre
partout dans les cours, entre les bâtiments, les sirènes, les cris des bêtes,
l’odeur de sang… Six minutes après avoir été tué un porc est complètement
préparé pour la chambre froide !! Le tueur d’un geste automatique sacrifie
environ mille bêtes à l’heure. La carcasse défile devant chaque opérateur pour
un acte, un geste précis. Les ouvriers doivent suivre sans perdre une seconde
le travail du tapis roulant et des machines à découper. Charlie Chaplin n’a
rien inventé dans son film « Les Temps Modernes ».
Les usines automobiles Ford de Détroit, ce sont
des bâtiments de quatre étages en façade sur l’avenue. 63 000 ouvriers de
toutes les nations y travaillent. Chacun n’a à faire que quelques gestes,
toujours les mêmes. C’est la machine qui commande. Manque de place, d’air, du
bruit, l’éclairage qui laisse échapper des vapeurs de mercure. Toujours les
trains garés entre les bâtiments dominés par des ponts roulants. 500 voitures
par jour sont montées. Taylorisme et standardisation poussés à l’extrême.
General Motor Détroit
–Greter West Bloomfield Historical Society-
La visite de magasins l’a plus
emballé. Pourtant on y pratique aussi généralisation et simplification. Et
toujours du gigantisme, de l’ampleur… Edouard Herriot se sent plus à l’aise
avec ces grands magasins, cousins des nôtres, les « cathédrales du
commerce » de Zola. Depuis le milieu du 19ème siècle, ils
remplacent chez nous petit à petit les petites échoppes médiévales et les riches et élégants magasins
de nouveautés du 18ème siècle ouverts dans les rues-galeries, les
passages couverts de nos grandes villes. A Paris, Les Grands Magasins du Louvre
d’Alfred Chauchard ouvrent en 1855, La Belle Jardinière en 1856, Le Printemps
en 1865 etc.. Pas aussi gigantesques que ceux des Etats-Unis, mais avec des
verrières, des mosaïques, des tapis roulants…
Les magasins Wanamaker à Philadelphie
dont le personnel avait participé à plusieurs unités de combat pendant la
guerre de 1914. Visite avec fond musical (Gounod, Grieg et Marseillaise pour
cette occasion). Les noms des soldats morts sont sur une plaque de cuivre entre
deux rayons. Paternalisme et démesure.
1876 John Wanamarket-
James D McCabe « The Illustrated History of the Centennial
Exposition » Philadelphia
Les magasins de Chicago les Marshall Field and C°, les plus grands du Globe parait-il avec 14 000 employés pour la vente du détail et 4 000 pour la vente de gros. Une chambre frigorifique pour conserver les fourrures. Un petit hôpital, les soins gratuits pour les employés. 300 femmes comptables, 200 autres manœuvrent les machines à calculer. Pour les employés une bibliothèque, des pianos, un restaurant ouvert au public qui sert environ 8 000 personnes par jour. On y vend de tout : parfumerie, tapis, violons, pneumatiques, quincaillerie, fournitures de bureau….et des livres, même français Anatole France, Pierre Loti, Romain Rolland. Des objets de décoration. Tout cela dans une mécanisation rigoureuse, tapis roulants, livraisons taylorisées par quartiers et rues. On expédie autour de 98 000 paquets par jour. Un service solvabilité qui vérifie le crédit de 250 000 clients mis en fiche.
La publicité est partout dans les rues, un
accablement d’enseignes qui défilent, qui s’éclipsent pour réapparaître. C’est
la méthode de l’obsession. Les 20 étages du New York Times sont enveloppés de
panneaux publicitaires qui se voient parait-il de la pleine mer.
Parallèlement à la montée en
puissance de l’usage automobile les Etats-Unis essaient d’organiser la
circulation : les routes, les rues sont considérées comme des outils qui
permettent le travail. « Trois éléments font la grandeur d’une
nation : un sol fertile, des usines actives, et de bonnes routes ».
De 1892 à 1921, 51 millions de m2 de routes sont bétonnés. Recherche,
expérimentation, laboratoires construits pour étudier ce problème, et à nouveau le
taylorisme ….Dès la carrière d’extraction les matériaux sont testés, expérimentés..
Les tramways presque tous à
traction électrique sont placés au centre des rues sur des plateformes
spéciales qui permettent d'accroître la vitesse. Suppression des courbes,
réduction des déclinaisons, aménagement des croisements et des
carrefours, tout est fait pour faciliter le transport voyageurs et
marchandises. On réglemente les dimensions et le poids des voitures, leur équipement,
freins, éclairage… A New York des feux ouvrent et ferment la route (nos feux
tricolores ?). En 1921 en Californie, on a une voiture pour cinq
personnes. En vingt ans le nombre d’automobiles passe de 21 000 environ à
plus de 10 500 000 dans l’ensemble du pays.
MarshallField 1896 |
L’Amérique qui fait rêver l’Europe. Mais c’est aussi l’Amérique de la prohibition, de la surveillance de l’immigration avec l'instauration des quotas en 1921, du racisme et bientôt de la crise de 1929. Edouard Herriot de sa rencontre avec des ouvriers et syndicats remporte une conviction que nous devons faire nôtre et qui parait encore d’actualité : « toute organisation de la classe ouvrière si elle veut progresser, doit s’affranchir de la tutelle écrasante des partis ».
Le Syndicat ouvrier AFL a perdu 1,4 million adhérents
sur les 5 millions de 1920.
En février la Cour Suprême décide que la naturalisation peut être refusée à tout émigré sauf aux Russes blancs. L’Oklahoma interdit l’achat des livres évolutionnistes de Darwin. Edouard Herriot n'a pas eu connaissance semble-t-il du massacre de huit Noirs par trois cents Blancs à Rosewood en Floride en début d'année sans être inquiétés. En Oklahoma, en septembre devant les violences racistes du Ku Klux Klan, la loi martiale est décrétée. La fin de l'année va voir s'intensifier la guerre des gangs.
C’est aussi l’Amérique des grands
lacs, des forêts immenses et d’une soif de culture. L’université de Chicago est
prospère. L’opéra de cette ville est célèbre pour ses concerts. Cette année 1923 Jacob Schick invente le rasoir électrique et a lieu le premier essai radiophonique BBC anglaise et Etats-Unis.
Bibliothèque New York Public
Library- Wikipédia
Sur le fronton du bâtiment est
inscrit : « La diffusion de l’éducation parmi le peuple peut seule garantir
la préservation et la perpétuation de nos institutions ».
Des universités publiques où se
côtoient les classes moyennes et les enfants de paysans, des artisans, de 17 à
75 ans, évidemment des élèves masculins. A Columbia 1500 professeurs et
30 000 étudiants. Des cités universitaires avec des chambres pour 20
dollars par mois, des livres d’étude vendus au prix d’achat. Y sont enseignés philosophie,
sciences politiques ou économiques, chimie, droit, médecine, journalisme…
Et tout au long de la visite d’Herriot, l’influence française se manifeste. A l'université d'Harvard au coeur de Boston, un cours sur Guignol et le théâtre lyonnais. On y enseigne la culture générale mais aussi on y pratique des enseignements professionnels. Des bourses de voyage pour étudier les monuments classiques de France, d'Italie, d'Espagne.. La volonté d'apprendre apparaît immense. Multiplicité, variété des cours. Livres, tableaux, architecture.
« Puissent être infructueux à jamais tous les efforts qu’on oserait tenter pour séparer la France de l’Amérique » avait écrit le Comte d’Estaing, commandant du premier groupe de navires envoyé par la France en 1778 en mémoire du chevalier de Saint-Sauveur aide-major de l’escadre française mort pour les Etats-Unis.
Marshall Field |
Sources : Edouard
Herriot « Impressions d’Amérique 1923 –édit Lyon M Audin et Cie- Médiathèque municipale d’Uzès - wikipédia- artsweb
– PDX History – 123RF.com stock photo – iconeon blogspot.com – wikimédia commons année 1923 - clioweb le blog 11-2016 -carnets de cmpagne l'Appel de CTHULMU internet-
Edouard Herriot a dit un jour : "La politique, c'est comme les andouillettes, il faut que ça sent un peu la merde". Du vécu ?
Edouard Herriot a dit un jour : "La politique, c'est comme les andouillettes, il faut que ça sent un peu la merde". Du vécu ?
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