Nos Hommes en blanc
Nous sommes en pleine saison des
courses camarguaises ou courses à la cocarde qu'il faut absolument ne pas confondre avec la corrida. Il nous faut expliquer ici de
quoi il s’agit. Les touristes, les nouveaux arrivants, les
« pointus » ont du mal à comprendre. Et nous, nous n’avons pas toujours
envie d’expliquer nos jardins secrets !!
Il nous faut partir de la
tradition. Les taureaux camarguais sont en liberté sur leurs terres
camarguaises. Un jour ou l’autre il faut bien les marquer pour que chaque
propriétaire retrouve ses petits. C’est la ferrade : chaque éleveur
imprime au fer rouge sa marque sur la cuisse du veau, et c’est l’occasion maintenant
de se mettre à jour des vaccins, de repérer les bêtes fragiles. Il était
habituel de convier voisins, amis, familles à cette fête qui marquait un rite
de passage pour le troupeau. Le
grand camarguais Denys Colomb de Daunant de Cacharel (auteur de Crin-Blanc et
co-scénariste du film) nous avait raconté, que ces fêtes étaient l’occasion
autrefois pour les propriétaires de manades de repérer les gardians habiles à
ne pas laisser s’échapper des bêtes qui pourraient blesser ou se blesser voir
se tuer dans les vignes ou les marais. Pour soigner les bêtes, les marquer, on
n’avait pas encore l’habitude de faire appel au véto et à sa seringue pour endormir
ou immobiliser une bête. Il fallait des hommes costauds, et expérimentés pour
obliger un toro à se coucher sans risque en le prenant par les cornes. Nous
devons nous rappeler que le toro camarguais est semi-sauvage et le reste même
lorsqu’il a été élevé au biberon et donc théoriquement plus proche de l’homme.
Entre propriétaires on ne se gênait pas pour débaucher le vacher du voisin. Et
c’était l’occasion pour les atrapaïres de montrer leur force et leur astuce aux
belles arlésiennes et à un futur patron.
Après la messe et un bon repas,
des vachettes ou des toros enfermés dans un bouvaou, sorte de petite arène,
offraient à l’habilité et au courage des amateurs, des cocardes, des rubans, attachés
entre leurs cornes. Pas besoin d’arène au début : des charrettes mises
bout à bout assez hautes pour éviter tout accident et pour abriter les
spectateurs, des bottes de paille. C’était aussi l’occasion pour les
propriétaires de repérer les toros les plus prometteurs. Chaque village avait
son champion, homme ou animal. Il n’était pas question de tuer ces animaux. Les
bleus, les éraflures, parfois un peu plus, sont pour les raseteurs. Les
déchirures de pantalon sont très prisées par les spectateurs !! Des hommes
en blanc sont morts des cornes du toro, ce qui fait qu’actuellement les animaux
les plus vindicatifs ou les plus inexpérimentés entrent dans l’arène les cornes
emboulées ou caparaçonnées d’un manchon de cuir. Il parait que certains fans pariaient
autrefois, malgré le curé, le pasteur, les épouses, le patriarche familial... peut-être
encore maintenant. Mais c’est une autre histoire.
La
première course officielle dans une arène date du début du 19ème
siècle, avec un début de réglementation. On a encore dans les mémoires la ferrade sanglante de 1898 d'Arles. Mais nous savons que des jeux gardians ont été parrainés par Henri IV
et avant par Catherine de Médicis lors de leurs passages à Arles. Probablement
dans un mas car les arènes de cette ville étaient habitées. Au moment de la
Révolution de 1789, les députés qui viennent réquisitionner des chevaux pour
l’armée sont reçus dans notre région à bras ouverts avec des jeux taurins,
probablement pour qu’ils ne regardent pas de trop près dans les écuries et dans
les champs, le temps de cacher nos bêtes dans les garrigues comme nous avons
toujours fait dans ces circonstances.
La Gazette de mai 1805 relate
cette première course à la cocarde : « Une fête brillante à la gloire
de l’Empereur Napoléon fut donnée à Arles le 20 mai 1805 à l’occasion de
l’inauguration de l’obélisque antique situé place du Marché face à l’Hôtel de
Ville. Plus de 10 000 étrangers assistèrent à cette fête qui fut suivie de
courses de chevaux, de repas et de bals. MMs les commissaires lancèrent
successivement dans les arènes des taureaux amenés en ville pendant la nuit par
une centaine de cavaliers armés de tridents. Des cocardes étaient attachées aux
cornes des animaux les plus furieux. Des prix étaient destinés aux champions
qui auraient l’audace de les arracher. Deux tasses d’argent furent distribuées
au bruit des fanfares à deux d’entre eux qui parvinrent à les enlever… ». Les
« étrangers » ce sont des gens qui ne sont pas d’ici, et non pas d’au-delà
des frontières, des « étranger d’ici » et non des « étrangers
d’ailleurs » comme on dit encore !!
Depuis 1975, le caractère sportif
de ces courses à la cocarde est reconnu par le Ministère de la Jeunesse et des
Sports. Une règlementation a vu le jour en 1966. Une fédération, une école de
raseteurs ont été créées. Spectacle qui cache de a part des raseteurs, une discipline, une endurance toutes sportives,
un art du raset qui traduit une grande habilité car il faut absolument éviter
de blesser le toro. Ce qui serait une perte financière pour le propriétaire, la
honte à tout jamais pour la famille de l’homme en blanc.
Après la course, le retour des
toros aux prés toujours encadrés par les gardians s’appelle la bandido.
Actuellement souvent les toros arrivent et repartent en camion.
Les festivités commencent par un
tour d’honneur dans les arènes avec galoubets, tambourin, Arlésiennes.
Maintenant trop souvent une musique enregistrée annonce le début des
festivités.
Puis les hommes en blanc, les raseteurs
entrent en piste à l’opposé de la tribune présidentielle, saluent la Présidence,
les spectateurs (on parle d’assistance car le public est là pour vibrer ce sont
les afeciounados !). « Messieurs les raseteurs, en
place pour la capelado !". Ils traversent l’arène
accompagnés par Bizet et Carmen. La capelado fait partie des rituels
règlementés de 1933. La tenue blanche de haut en bas ne comprend pas de chapeau
ou casquette mais on parle malgré tout de « capelado », chapeau bas
pour le salut.
La vraie vedette peut apparaitre,
le toro cocardier. Une minute pour qu’il observe son environnement. Sonnerie et
la foule retient son souffle : les raseteurs se partagent la piste, les
droitiers à gauche de l’animal, les gauchers à droite. Un premier raseteur,
souvent un ancien confirmé, le tourneur, appelle le toro, devant lui, et un
autre, crochet à la main, court dans un mouvement semi-circulaire pour avoir un
bon angle pour essayer d’attraper la cocarde, puis les deux glands et la
ficelle enroulée autour des cornes.. Si le taureau est particulièrement
astucieux pour se défendre, il est salué par l’air d’ouverture de Carmen et les
raseteurs toucheront des primes plus élevées s’ils réussissent. C’est
l’occasion pour les sponsors, les commerçants de montrer leur générosité en
offrant des petites sommes tout en se faisant un peu de pub.
Un quart d’heure pour montrer ses prouesses. Les hommes en blanc engrangent des points qui les classent. Pour l’instant ils sont non professionnels ce qui pose un sérieux problème pour leur entrainement physique. Jusqu’à présent, la plupart étaient fonctionnaires dans la territoriale ce qui leur assure un métier et un salaire lorsqu’ils ne seront plus capables de raseter et le corps vieillit vite dans ce sport. Les raseteurs autrefois étaient souvent des ouvriers saisonniers de la société rurale, du Massif Central puis italiens, espagnols qui venaient travailler le sel ou les vignes. Ces dernières années avec la création des écoles taurines, les courses camarguaises ont souvent été facteur d’intégration de jeunes hommes d’origines diverses comme Sabri Allouani de l’école de Vendargues. Son palmarès est impressionnant : vainqueur du Trophée de l’Avenir en 1999, Trophée des As en 2000, il enchaîne avec la Cocarde d’Or, la Palme d’argent et d’or, le Trophée Pescalune….jusqu’en 2010 quand il fait ses adieux dans les arènes de Lunel. On n’oublie pas Bensalah après une belle carrière, président de l’association des Raseteurs et Tourneurs en 2014. Cocarde d’Or à Arles en 1998-99, Trophée ds As à Nîmes Arles en 1998-1999.
Mais sur les affiches les noms des raseteurs sont à peine
mentionnés. Les vraies vedettes ce sont les taureaux.
Nizam et Mathis 2009
On ne doit absolument
pas confondre le taureau camarguais (malheur !!) avec le toro de combat
espagnol, même si des élevages de ce dernier existent dans notre pays. Le taureau de Camargue est vif, infatigable,
élégant, un caractère bien trempé et des cornes en lyre. Le cocardier un peu
cabot, malin. Capable de savoir se placer sur la piste, d’anticiper le
mouvement des hommes. Intelligence qui lui a permis de faire face aux dangers
de la Camargue et de devenir un stratège et la vedette des courses
camarguaises, mâle comme femelle....
Au fil des siècles, le camarguais
a su s’adapter au mistral glacial de l’hiver, à la cagna de l’été, au sel, au
peu de nourriture, aux marais, aux colères du Rhône et du Vidourle. Il est à sa
place ici, et sa race existe encore un peu grâce à ces jeux. Evidemment dans le
respect de l’animal. Peut-être sa vie en Camargue a-t-elle développée des
capacités que n’ont pas les autres bovidés. Il fait profit de son expérience
dans l’arène et comprend très bien son succès lorsqu’il oblige les raseteurs à
détaler vers les barrières et voltiger au-dessus du couloir. Certains
« biou » rapportent largement à leur propriétaire qui les engage dans
les courses. Les vachettes ou les jeunes taureaux participent plutôt (aussi contre "salaire") aux jeux plus légers, toros piscine, clownerie....
Les exploits des vedettes des
arènes cocardières alimentent les conversations bien longtemps après. On se
souvient de la vache cocardière Zerogosa qui coursait les hommes en blanc non
pour les renverser ou les encorner mais pour les mordre ! Et Sanglier de
la manade Granon qui remporta 60 courses. Animal de légende dont l’histoire se
raconte encore aujourd’hui comme un conte de Noël aux petits enfants. Un autre
jour nous raconterons dans ces pages Sanglier. Et des histoires de toros il y
en a ! Frédéric Mistral nous en a chanté une :
Tombeau de Sanglier |
« Ainsi
dans un grand troupeau, si une génisse a succombé, autour du cadavre étendu
pour toujours, neuf soirs consécutifs, taureaux et taures viennent, sombrent,
pleurer la malheureuse... Et le marécage et l'onde et le vent de leurs
douloureux mugissements retentissent neuf jours " Frédéric Mistral, Mirèio, cant XII
Le gardian de métier Jean Pierre
Durieu nous raconte que lors de l’enterrement du cocardier Ourrias de la manade
de Jean Lafont, les quatre-vingt vaches et le simbeù ont formé un long cortège
silencieux pour accompagner le défunt mort de vieillesse. Le simbeù, celui qui
guide le troupeau repérable à sa cloche, est resté de longues heures devant la
tombe. Il a refusé de s’alimenter et trois mois plus tard il est parti pour les
prairies éternelles.
Un autre simbeù Paco compagnon de
Rami de la manade F Mailhan s’est laissé mourir après le décès du cocardier.
Les toros les meilleurs finissent
leur vie au pré, et s’ils n’ont pas été castrés deviennent papas de nombreux
petits toros et vachettes. Il parait que leur sperme se vend même en Argentine. On ne peut
pas les laisser tranquilles !! Les bovins moins bien lotis finissent à l’abattoir.
Une AOC existe maintenant et les manadiers ont beaucoup travaillé depuis le
début du 20ème siècle pour retrouver la race camarguaise qui est la
mieux adaptée à l’environnement des marais. La tradition voulait que les cocardiers soient
enterrés debout dans leur univers. Tradition qui n’est plus autorisée aujourd’hui.
Les abrivado ou bandido de village sont trop souvent maintenant
des spectacles pour touristes qui ne tiennent pas compte de la personnalité et
de la grandeur des taureaux. Motos pour les encadrer et les effrayer, sol
glissant, camions laissés au soleil… Nos jeunes attrapaïres n’ont plus de racines
familiales avec les manades camarguaises. Il en est de même pour les manadiers
de l’arrière pays. D’où incidents, accidents, désaffection. Et leur corollaire,
des règlementations justifiées. Si ces spectacles de villages devaient un jour
disparaitre, il faut espérer que la course camarguaise et les hommes en blanc
continueront à nous enthousiasmer avec la vedette le toro camarguais. Si
les manades devaient disparaitre, que deviendraient la Camargue et les terres
marécageuses alentour ? Nous n’avons pas l’âme ni l’énergie des moines et
des hommes qui ont participé à la mise en valeur de ces terres au fil des temps
anciens. Si le paludisme a reculé dans notre sud, c’est un peu grâce au taureau
camarguais. Nous ne devons pas oublier ce que l’animal en général nous apporte
dans notre environnement, et pas seulement du CO2 ce qui justifierait parait-il
pour certains écologistes la diminution voir la suppression de nos élevages.
Moutons, chèvres, bovins entretiennent nos herbages, nos paysages, ce que nous
ne pourrions pas faire.
Autre question : pourquoi
dans l’imaginaire des gens, le taureau de Camargue, garçon ou fille, est toujours pensé masculin, cabochard, toujours un sabot ou une corne prêts à en découdre, et la belle
Saler, la Bleue de Lorraine …sont considérées comme féminin, quel que soit
leur sexe ? Où le sexisme va-t-il se nicher ?
St Andiol (13) |
Bouvaou Manade Raynaud mas du grand Radeau Les Saintes Maries de la Mer |
Camargue secrète - Manade Laurent aux Marquises Salin de Giraud |
Fanfonne Guillierme La Grande Dame de la Camargue 1974 - photo Robert Faure |
Sources : Emblème de Isabel Marchand - Le taureau Camargue de J. Flandreysy et G. Bouzanquet - In Manades et taureaux –-Bouvine Manifestations Courses Hors Trophée – Actu – Lou Carmen internet – Union des Club Taurins Paul Ricard - Jacky Siméon Dictionnaire de la course camarguaise Vauvert édi Au Diable Vauvert 2013(ISBN978-2-846-26424) –Jacques Durand Office des Sports Hérault –Pays et Gens de France Languedoc Larousse Reader’sDigest 1984 –photos J Verroust, M Viard – Robert Faure La Grande Dame de la Camargue Fanfonne Guillierme édit Camariguo Nîmes 1987 + wikimedia - Alain Colombaud et Jacques Maigne Camargue vue du ciel édit Au Diable Vauvert 2013 - Région Languedoc-Roussillon -
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