LA
RÉVOLTE DES VIGNERONS DU LANGUEDOC EN 1907
Manifestations
Viticole du 5 mai 1907, le docteur Ernest Ferroul et officiels attablés en
1907.
(Suite de l'article sur la crise viticole blog du 18/10/2018- Les Prémices)
Charles Gide, notre
économiste uzétien, est très critique devant la gestion de la crise viticole :
« on planta tout en vigne, on arracha les mûriers, on coupa les bois, on
retourna les prairies, on dessécha les marais, on laboura tous les sables de la
Méditerranée où jusqu’à alors on n’avait trouvé que du sel et des coquilles…Le
gouvernement non moins imprévoyant que les viticulteurs, s’associa à cette
furie de plantation et l’encouragea en dégravant de l’impôt foncier pendant
cinq ans toutes les plantations nouvelles et cette loi folle est encore en
vigueur… ».
Gaston
Doumergue député du Gard déclare en 1901 « on a planté beaucoup de vignes, on a négligé de
planter en même temps assez de consommateurs ».
La distillation, soupape
de sûreté contre la mévente, est freinée depuis les modifications apportées au
régime des bouilleurs de cru de 1900. Les eaux de vie industrielles remplacent
petit à petit les nôtres, donc notre distillation intéresse moins. Les exportations
de vin vers l’étranger sont secondaires. Pendant cette période on évalue la
demande de vin en France à 50 millions d’hl et l’offre nationale à 53 à 59
millions d’hl, 67 millions en 1907. Donc un excédent préjudiciable.
Le prix moyen de l’hl
était de 18 f40 en 1893-99. Il s’effondre en 1900-1901 à 12,10 frs jusqu’à 5
frs.
Un sursaut en 1902-1903,
16,60 frs puis 23 frs. Mais en 1904 jusqu’en 1909, deuxième crise : prix
de l’hl 6 frs, 7,50frs, 8frs, 9frs, 12 frs.
Les
viticulteurs s’endettent, les propriétés
sont hypothéquées ce qui entraine une baisse du prix du foncier. Signe de la
pauvreté qui s’installe dans nos campagnes : on marche pieds nus pour
économiser les galoches !
(Marcellin
Albert, vigneron d’Argeliers en croisade contre les fraudeurs dès 1905-«
Roi des Gueux »- Source Midi Libre)
1907, c’est la révolte
« des crève-la-faim ». Explosions de colère, syndrome de désespoir et
de souffrances trop longtemps accumulées ? Déjà de décembre 1903 à mars
1904, nous voyons l’émergence de mouvements ouvriers agricoles importants :
170 grèves avec un peu plus de
45 000 grévistes. L’opinion est persuadée que la baisse des taxes sur le
sucre de 1903 (60 à 25 frs), est la cause essentielle de la fabrication de vins
artificiels et l’origine de la crise viticole.
D’autres enjeux en effet
au niveau national, il faut écouler le sucre !... Depuis la Convention de
Bruxelles, les betteraviers français n’ont plus droit aux primes à
l’exportation, et le sucre de canne envahit le marché national. Le sucrage de
la vendange au moment de la fermentation pour remonter le degré alcoolique est
autorisé depuis 1880. C’est la chaptalisation. Théoriquement l’addition de
sucre ne devait jamais dépasser 10 kg pour 3 hectolitres.
Mais certains vont en
profiter, non plus pour corser un vin médiocre, mais pour fabriquer des vins de
deuxième, troisième cuvée. On ajoute des colorants, des acides, des raisins
secs grecs. En 1905, le jeune député Albert Sarraut rappelle que la
consommation de sucre dans notre pays de 1901 à 1903 est d’environ 430 000
tonnes, elle passe en 1903 à 1904 subitement à 700 000 tonnes !!
Il est vrai que l’heure
européenne est à la fraude dans tous les domaines. On falsifie tout, tampons,
feuilles d’expédition, mais aussi boules de glaise pour du meilleur moka,
poudre de brique dans la chicorée, fécule de pommes de terre mélangée au
sulfate de quinine, fraudes sur les engrais, sur les farines, le beurre,
extraits autrichiens transformant un vin en vieux bourgogne…... Allègrement
nous jouons tous au petit chimiste !!
C’est à Argeliers, petit
village de l’Aude que tout commence. Le combat contre les fraudeurs du vin
débute grâce au courage et à la détermination des vignerons. Marcellin Albert
est l’un d’eux. Il est cafetier et vigneron, « Le Rédempteur ». Il est natif d’Argeliers (1851-1921). Dès
1900, il se lance pour la défense du vin naturel contre le vin de fraude,
contre la restriction des droits des bouilleurs de cru, contre la détaxe du
sucre.
Les vendanges de 1906 se
vendent mal, la ruine des vignerons entraîne celle des commerçants, des
artisans qui vivent de la viticulture. Le marché est saturé avec les vins
d’Algérie qui arrivent dans nos ports et dont on se sert pour couper nos vins.
Le 18 février 1907 Marcellin Albert télégraphie à Georges
Clemenceau : "Midi se meurt. Au nom de tous, ouvriers,
commerçants, viticulteurs, maris sans espoirs, enfants sans pain, mères prêtes
au déshonneur, pitié ! Pitié encore pour nobles défenseurs républicains du midi
qui vont s'entre déchirer dans combat sanglant. Preuve fraude est faite. La loi
du 28 janvier 1903 la favorise. Abroger cette loi, voilà l'honnêteté. Devoir
gouvernement empêcher choc. S'il se produit, les clés ouvriront portes prison,
pourront jamais rouvrir portes tombeaux".
Le
signal de la révolte est donné le 11 mars 1907 : Marcellin Albert et Elie
Bernard sont à la tête d’un groupe de vignerons d’Argeliers. Elie Bernard fonde
un Comité de Défense viticole, le Comité d’Argeliers. Ils souhaitent obtenir
une réelle politique de répression de la fraude.
le Comité de défense viticole d'Argeliers avec Albert Cathala, Louis
Blanc et le médecin Senty
Dans
un premier temps, le 11 mars, 87 vignerons du village vont à Narbonne où une
commission d’enquête parlementaire essaie de comprendre la crise. Ils sont
entendus semble-t-il, mais méfiants, ils décident de poursuivre le mouvement
jusqu’au vote des lois contre la fraude. Tous les dimanches, des
rassemblements mobilisent ouvriers et
propriétaires.
Le journal « Le
Tocsin » du 21 avril donne le ton : « Nous sommes les proprios
décavés ou ruinés, les ouvriers sans travail ou peu s’en faut, les commerçants
dans la purée ou aux abois. Nous sommes ceux qui crèvent de faim. Nous sommes
ceux qui ont du vin à vendre et qui ne trouvent pas toujours à le donner ;
nous sommes ceux qui ont des bras à louer et ne peuvent guère les
employer ; nous sommes ceux qui n’ont des marchandises que pour manquer
d’acheteurs. Nous sommes ceux qui crèvent de faim ».
« Le
sucre au café, l’eau au canal », « vin de raisin, pain de blé »,
« mort aux fraudeurs », l’ennemi est désigné pendant tous les
rassemblements de 1907. Dès mai de
grands rassemblements agitent les préfectures et les sous-préfectures devant
les hôtels de ville. Le mouvement se politise le 5 mai avec Ernest Ferroul
maire de Narbonne et ancien député. Il fixe un ultimatum au 10 juin avec menace
de grève de l’impôt et de la démission des municipalités. C’est un appel à la
désobéissance civique. Un journaliste du Figaro, bouleversé, écrit :
« c’était fou, sublime, terrifiant ».
docteur Ernest Ferroul maire de
Narbonne - président du Comité de Défense Viticole en 1907.
Béziers- manifestation 1907 |
Narbonne - le docteur Ferroul au milieu |
Le
5 mai 80 000 à 100 000 personnes à Narbonne, le 2 juin 200 000 à
Nîmes, 500 000, 800 000 peut être le 9 juin à Montpellier, soit plus
d’un tiers de la population des quatre départements en révolte. Ce jour-là, on
assiste à la plus grande manifestation de la Troisième République. Les cartes
postales, les photos des événements montrent une marée humaine, signe
incontestable de l’angoisse et de la colère des vignerons et des métiers
annexes.
Narbonne |
Des
mots d’ordre en occitan, des relents régionalistes inquiètent le gouvernement.
Clemenceau peu inquiet au début, qualifie Albert et Ferroul de « meneurs
séparatistes ». La tension monte lorsque des membres du Comité et Ferroul
sont arrêtés le 19 juin pour ce dernier à 4 h du matin à son domicile de
Narbonne.
(Narbonne arrestation du docteur Ferroul)
Ce sont les militaires du 139è régiment d’infanterie qui opèrent et le conduisent à la prison de Montpellier. Les autres membres du comité se livrent aux gendarmes d’Argeliers. Les gens se couchent devant les gendarmes pour empêcher la progression, une manifestation spontanée réclame la libération et crie vengeance. La sous-préfecture est prise d’assaut, des barricades barrent les rues…. La cavalerie tire sur la foule et l’on déplore deux morts dont un adolescent de 14 ans. Le lendemain, Perpignan s’embrase, la préfecture est pillée et incendiée. Le préfet Dautresme se réfugie sur le toit. Encore des coups de feu à Narbonne pour dégager l’inspecteur de police Grossot auteur avec d’autres de l’arrestation du maire. Cinq morts dont Julie-Cécile Bourrel 20 ans qui faisait simplement son marché ! Trente blessés, le café Paincourt mitraillé....
(Narbonne arrestation du docteur Ferroul)
Ce sont les militaires du 139è régiment d’infanterie qui opèrent et le conduisent à la prison de Montpellier. Les autres membres du comité se livrent aux gendarmes d’Argeliers. Les gens se couchent devant les gendarmes pour empêcher la progression, une manifestation spontanée réclame la libération et crie vengeance. La sous-préfecture est prise d’assaut, des barricades barrent les rues…. La cavalerie tire sur la foule et l’on déplore deux morts dont un adolescent de 14 ans. Le lendemain, Perpignan s’embrase, la préfecture est pillée et incendiée. Le préfet Dautresme se réfugie sur le toit. Encore des coups de feu à Narbonne pour dégager l’inspecteur de police Grossot auteur avec d’autres de l’arrestation du maire. Cinq morts dont Julie-Cécile Bourrel 20 ans qui faisait simplement son marché ! Trente blessés, le café Paincourt mitraillé....
Montpellier 9 juin 1907 |
Carcassonne le 25 mai Place d'Armes |
(Béziers – Les mutins du 17è sur les allées Paul Riquet – 1907 – Les
fusils levés en signe de refus de tirer – Midi Libre)
Clemenceau promet de
réprimer la fraude si Albert retourne dans le Languedoc pour calmer les
vignerons. Albert accepte de se constituer prisonnier à son retour s’il échoue.
Clemenceau lui signe un sauf-conduit et lui remet 100 frs pour payer son voyage
de retour. Naïvement Albert accepte le billet et les promesses. L’homme
politique va évidemment en profiter pour donner sa v ersion à la presse en
racontant l’histoire du billet de banque. Marcellin Albertde « rédempteur »
devient le « vendu », totalement discrédité aux yeux de ses
compagnons. Il doit se cacher de retour dans son village. Le 26 il se constitue
prisonnier à Montpellier. Après sa libération il part s’installer en Algérie et
meurt dans la misère malgré le soutien des viticulteurs de là-bas.
(Manifestation Narbonne 5-5-1907-
Midi Libre)
Le 29 juin 1907 le vin
est enfin légalement défini : « la loi tendant à prévenir le
mouillage des vins et les abus du sucrage est adoptée ». Déclaration
obligatoire des récoltes et stocks, contrôle des ventes et achats des mouts,
interdiction de la fabrication et vente de vins fabriqués, surtaxe sur le
sucre, déclaration par les commerçants des ventes de sucre supérieure à 25
kg…..et apaisement de la révolte des vignerons. Le 2 aout le Comité d’Argeliers
est libéré, les troupes évacuent notre sol. Sous la présidence Ferroul une
Confédération Générale des Vignerons est fondée le 22 septembre, organisme où
les ouvriers refusent d’adhérer mais qui jouera un rôle important dans la
répression des fraudes. Les vignerons commencent à penser sérieusement à la
création de caves coopératives viticoles.
Vendange 1910
Narbonne charrette étanche.
Le prix de l’hectolitre
devient plus attractif dès 1910 : de 21 à 35 frs. Une réflexion s’engage
dans tout le pays. Comment être plus forts face aux négociants, comment avoir
la main sur les prix de vente ?
A
la fin du 19ème siècle, Uzétien célèbre, Charles Gide, économiste
brillant, devient le théoricien de "l’Ecole de Nîmes". Il s’agit d’un
mouvement coopératif très actif dans le sud du pays. « Le régime du profit sans étatisme
doit tomber devant une coopération émancipatrice, apprentissage de la
démocratie et de l’efficacité économique ».
C’est une voie entre libéralisme et marxisme. Concept repris par des
sociologues, des économistes comme Emile Durkeim. On a parlé de Christianisme
social. Sous cette influence, des coopératives agricoles, des mutuelles et du
crédit mutuel agricoles voient le jour. « La
solidarité est un fait d’une importance capitale dans les sciences naturelles
puisqu’elle caractérise la vie ».
En
Allemagne dès 1853, en Suisse, en Serbie, en Italie dès 1890, des caves
coopératives existaient déjà. En Alsace à l’époque sous la domination du Reich
à Ribeauvillé, mais en France s’est créée la première cave coopérative viticole
en 1895. Dans l’Hérault, à Maraussan, en 1901
une première coopérative viticole se monte, des viticulteurs se regroupent pour
vendre leur vin. « Les Vignerons libres » avec pour devise parodiant
les Trois Mousquetaires de Dumas « Tous pour chacun, chacun pour
tous ». Jean Jaurès visita les travaux de construction du caveau de cette
cave en mai 1905. Il s’agissait dans un premier temps de mettre en commun les
moyens de commercialisation des productions vinifiées chez les adhérents. La
vinification en commun, viendra après, « travail de vinification qui se
fera dans des conditions scientifiques » écrira Jaurès. Les vignerons de
Maraussan ont des débouchés réels et le système fera vite école. Bessan,
Maureilhan, Cébazan….
La
cave de Marsillargues, plus moderne, très rapidement va compter 700 adhérents.
Elle était équipée d’une turbine à vapeur, produisant de l’électricité, d’une
cave mécanisée disposant d’une importante capacité de vinification. En 1913 ses
coopérateurs reçoivent les félicitations de la Société d’Encouragement à
l‘Agriculture. D’autres caves existaient aussi en Champagne, en Alsace, dans le
Var.
Dans l’Uzège, les
premières caves coopératives apparaissent dans les basses vallées où la
replantation de la vigne après la crise du phylloxéra a été plus rapide. En
1914, sur les 79 caves existant en France, le Gard en comptait 5. De 1919 à
1929, dans les neuf cantons de l’Uzège, 19 caves sont construites, 26 de 1930 à
1939. De 1945 à 1950, on crée encore 8 caves. En 1939, on compte 750
coopératives viticoles dans toute la France, 340 dans le Languedoc-Roussillon,
presque la moitié.
En
1966, dans le canton d’Uzès, sur 14 villages on compte encore 6 caves
coopératives vinicoles, et sur les 659 viticulteurs, 646 sont adhérents
coopérateurs. A cette date le Gard compte 152 caves coopératives. Cet élan
associatif permettra une vinification et une conservation de qualité très
régulière, un logement assuré pour le gérant, une surveillance et un
savoir-faire, des négociations avec les acheteurs qui ont en face d’eux non
plus des petits et moyens exploitants mais un seul interlocuteur. Avantages
fiscaux, facilités de prêts avec le Crédit Agricole, les caves sont mieux
équipées que le « petit » exploitant.
Actuellement
les vignerons s’orientent vers une production de qualité et non plus de
quantité. Les caves coopératives ferment ou s’associent. Les vins bio ou
naturels arrivent jusqu’au consommateur. Plus chers à l’achat, peut-être aideront
ils à lutter contre cette maladie très invalidante qui est l’alcoolisme, fléau
que nous traînons depuis le 19ème siècle. Maladie qui détruit les
individus et leur famille et coûte cher à la collectivité.
Le Vin, un produit
à consommer avec modération, ne serait-ce que pour en apprécier toutes ses
qualités et ne pas faire injure au travail du vigneron et du maître de chai.
Cette révolte va laisser des traces dans le monde viticole et même politique. Il semble que pendant la guerre de 1914-18, le régiment du 17ème paiera son refus de tirer sur les manifestants. (voir sur ce blog Le crime des Midis 12/11/2017)
Mutins du 17è camp des allées Paul-Riquet Béziers |
Affiche Guerre 1914/18- distribution de vin
aux troupes- archives communales Nîmes
Sources : wikipedia--Bernadette Voisin-Escoffier La Socicété Coopérative de Vallabrix –couradou mai
2012 site internet de Vallabrix Fonds Historique ou médiathèque—archives
départementales Gard et Hérault--- Charles Gide Ecole de Nîmes Colloque 11/1993
Société d’ Histoire du Protestantisme de Nîmes et du Gard 1995—Alfred Chabaud
l’Uzège et la Région Bagnolaise T- T3 édit Péladan Uzès—Félix Napo La Révolte
des Vignerons 1907 édit Privay1982+Félix Napo : 1907, la révolte des vignerons,
éditions E&C, mars 2007.—Jean Sagnes Le Mouvement Ouvrier du
Languedoc édit Privat 1980-+ Jean Sagnes (s. dir.) : La révolte du Midi viticole cent ans après,
1907-2007, Presses universitaires de Perpignan, Perpignan, 2008.+ Jean
Sagnes : Le Midi Rouge,
1982.--Maffré-Beaugé
Vendanges Amères --Christophe Deroubaix, Gérard Le Puill,
Alain Raynal, Les Vendanges de la
colère, midi viticole 1907/2007, Au diable vauvert, 2007--Georges
Ferré : 1907, la guerre du vin.
Chronique d'une désobéissance civique dans le Midi, éditions
Loubatières, 1997.—photos wikipedia + midi libre + Hérodote.net +musee/vignerons
+ collec privée---Christian Signol roman Les Vignes de Sainte Colombe 1996
Livre de Poche ou Albin Michel---www.herodote.net/19_juin_1907-evenement-19070619.php---www.jeantosti.com/musee/vignerons.html---
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.