Bercy, autrefois le Cellier du
Monde
Bercy évoque maintenant les impôts,
une technocratie sans âme, des fonctionnaires hors-sol… Mais fut un temps où
les rues de ce qui était encore un village s’appelaient rue Saint Estève, rue
du Minervois, rue de Château Lafitte, cour Saint Emilion, les rues de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne, de
Languedoc et de Touraine, ainsi appelées du nom des principaux vignobles de
France.…. C’était
le temps où la majeure partie des vins et alcools destinés à la consommation
parisienne était amenée par voie d’eau. La Seine servait de moyen de
communication en particulier avec la Bourgogne. Le bois de chauffage du Morvan
venait aussi par ce moyen. Et cela depuis le Moyen Age.(Henri
Rivière 1854-1961—Chevaux de Haquet port de Bercy –photo Run Grand Paris-
www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy)
Pour
échapper à l’octroi de Paris (péage et taxes), les barriques étaient déchargées
avant les barrières de la ville. D’abord au port de la Rapée, puis à partir du
18ème siècle, aux rives dans le village de Bercy.
Le site est
occupé depuis très longtemps. En 1991 lors de travaux d’aménagement du
quartier, des pirogues, de nombreux objets de la vie quotidienne sont trouvés
dont un arc en bois d’if vieux de 6500 ans. Il s’agit des plus anciennes traces
d’habitat trouvées en région parisienne. Les musées dont le Carnavalet en ont
hérité. Il semble que Gaulois et Romains aient dédaigné le lieu, trop
marécageux. Mais la légende raconte que le nom de Bercy remonterait à la
fondation d’un petit village par une population venant de l’île de Belsinaca
située dans l’estuaire de la Seine vers 850. Ils auraient fui les Normands en
s’établissant près des Parisiis aux abords de Paris. Bercy ou Percy apparait
officiellement au 12ième siècle dans une donation du roi Louis VI le
Gros aux moines de l’abbaye de Montmartre : « Insula Berciliis ».
La seigneurie de Bercy appartient vers 1415 à la famille des Montmorency.
La Fronde de
1649 à 1652 n’épargne pas l’Hôtel de
Bercy.
Au 17ème
siècle, le nouveau propriétaire fait construire un château d’une grande
splendeur à la place de la forteresse. Charles Henry de Malon, seigneur de
Bercy, petit-neveu de Colbert fait appel à l’architecte Le Vau pour la
construction et à Le Nôtre pour dessiner ses jardins qui descendaient jusqu’à
la Seine. Ses boiseries présentaient « les modèles les plus variés, les
plus exquis, les plus grandioses de l’art français de la sculpture ornementale
du bois »… Charles Henry a semble-t-il inspiré Molière pour son Harpagon de
L’Avare. Une chanson le brocarde : » Que le Bercy dans l’or fondu satisfasse son avarice,
et que, malgré l’horreur de son supplice, il meurt après l’avoir rendu ».
Là commence la légende. Un jour de 1660 (date improbable étant
donné la date de naissance de Claude) ou plutôt en 1704, un vigneron du Mâconnais, de
Charnay-Lès-Mâcon, Claude Brosse (né en 1656) décide d’aller jusqu’à la
capitale pour vendre son vin. Sa charrette tirée par deux bœufs met 33 jours
pour faire le trajet. Louis XIV assiste à la messe à Bercy (ou à Versailles
selon les auteurs). Et crime de lèse-majesté un homme ne s’est pas agenouillé.
En fait notre vigneron avec ses presque deux mètres était bien à genoux.
-Un de mes sujets se permet de rester
debout durant le Saint Office… Chambellan, portez l’ordre à ce malotru de se
mettre à genoux. Ce dernier se rend immédiatement auprès du paysan et constate que ce
dernier est bien agenouillé… mais qu’il a une taille de géant.
On l’amène auprès de sa Majesté, et Claude ne se
laisse pas impressionner, raconte qu’il ne peut pas vendre son vin faute de
transport. Le roi demande d’en déguster, trouve le breuvage bien meilleur que
celui de la Cour.
Le
vin de Claude Brosse était lancé, tous les courtisans demandèrent d’en acheter.
. Amusé par la situation, Louis XIV lui assure qu’à partir de ce jour, l’octroi
serait levé et qu’il pourrait faire commerce de son vin à Bercy, sans taxes.
Chais Lheureux en 1996 |
On
retrouve la commune de Bercy en 1790 lors de la création des municipalités par
l’Assemblée Nationale. Et les premières guignettes aussi, en 1784 le Rocher de
Cancale, les Marronniers, les Deux Perdrix….. Les Parisiens viennent s’y
amuser. Fêtes, joutes, bals, feux d’artifices…. On s’encanaille, on s’accoquine et on canote le
long de la Seine. Négociants, clients, ouvriers, artistes, dandies se côtoient.
Des gens de toutes conditions. On oublie le carcan bourgeois, on se donnait un
autre air… Canotiers, marins d’opérette donnent naissance à un des symboles de
la vie parisienne. Les artistes s’inspirent des lieux mais aussi des habitants
du quartier…Daumier et ses caricatures, les peintres comme Renoir, les
photographies d’Eugène Atget, Julien Duvivier en 1951 avec son « Sous le
ciel de Paris coule la Seine », et tant d’autres…
Auguste
Renoir -19ème siècle
La
consommation de vin à Paris augmente sérieusement dès le début du 19ème
siècle, environ de un million d’hectolitres en 1800 à trois millions cinq cents
cinquante mille en 1865. Des entrepôts plus grands devenaient indispensables
pour un bon ravitaillement. Un décret du 30 mars 1808 stipule : «
« il sera formé dans notre bonne ville de Paris un marché et un entrepôt francs pour les vins et eaux-de-vie, dans les terrains situés sur le quai
Saint-Bernard. Les vins et eaux-de-vie conduits à l'entrepôt conserveront la
facilité d'être réexportés hors de la ville sans acquitter l'octroi. Cette exportation
ne pourra avoir lieu que par la rivière, ou par les deux barrières de Bercy et de la Gare. Dans ce cas les transports devront suivre les quais et sortir en deux heures. Les
vins destinés à l'approvisionnement de Paris n'acquitteront les droits d'octroi
qu'au moment de la sortie de l'entrepôt. L'entrepôt sera disposé pour placer
tant à couvert qu'à découvert jusqu'à 150 000 pièces de vin »
La
halle aux vins Saint-Bernard de 1808 est devenue insuffisante. En
juin 1859, la commune de Bercy indépendante est dissoute et partagée entre les
villes de Paris et Charenton. Paris doit gérer une démographie galopante,
l’industrialisation est mère de l’urbanisation. Bercy représente un de ces
nouveaux espaces pour le ravitaillement de la capitale.
Le
1er janvier 1860 le village de Bercy avec vingt-trois autres
communes est rattaché à Paris, ce qui va entraîner à terme l’annexion des
entrepôts et le paiement des droits d’octroi sur les marchandises.
En 1869, on décide de bâtir de nouveaux entrepôts de l’autre côté de la Seine à Bercy sur 42 hectares. Les célèbres entrepôts de Bercy sont construits selon les plans de Viollet-Le-Duc de 1878 à 1885. Ils feront l’identité du quartier qui se structure autour d’eux. .
Bercy
devient le plus grand marché aux vins du monde installé sur près de 43 hectares.
Une vie intense s’est développée. Un verre de Bercy à la main, on conclut des
affaires. Cortèges de tonneaux, courtiers, commis, odeur de vin et de fûts. Le
grincement et le tintamarre des charrettes, le mouvement perpétuel des
voitures, des sabots des chevaux, les cris, les plaisanteries bruyantes et
colorées… Jusqu’à 6000 personnes travaillaient aux entrepôts, des hommes en
cotte et grand tablier de toile ou de cuir, les haquetiers
vêtus de la blouse traditionnelle des travailleurs menant les attelages.
Albert
Sabatier un contemporain nous raconte : « Ce n’était que négociants,
commis allant et venant, munis de leurs instruments, outils, tasses d’argent,
petite pince et forêt… » « vous voyez ces messieurs du commerce,
assis dans un doux farniente, deviser gaiement enfumant des cigare, sous des
tentes dressées vis-à-vis des entrepôts… ». A la mi-octobre, les berges sont couvertes de
piles de fûts, de magasins, de caves. « De lourds bateaux arrivent sans
cesse, élevant à peine au-dessus de l’eau leur carcasse grossièrement chevillée
venus dans la Seine les uns par la Loire et le canal de Briare, les autres par
la Marne… »
La halle Saint-Bernard se spécialisera plutôt en vins fins et
alcool. L’agrandissement de Bercy en 1910 permet en 1930 de gérer 70% du
stockage et des sorties contre 30% pour la halle aux vins. Bercy avait aussi à
sa disposition un organe de presse le Moniteur Vinicole qui se chargeait de la
communication, des petites annonces….
Dans
tout cela, que devient le château de Bercy ? Il passa la période de la
Révolution sans trop de dommage, mais fut purement et simplement démantelé en
1861, son mobilier, vendu à l’encan, qui aurait parait-il, intéressé Napoléon III et
son épouse !! « Tout ce qui pouvait rester encore de splendeurs passées,
dont avec quelques pierres, il ne demeure que quelques arbres centenaires,
disparut.. ». Déjà en 1842, dix hectares servent à la construction des
fortifications de Thiers, la ligne de chemin de fer passe près du perron du
château. En 1861, ce sont 92 hectares qui sont vendus à la ville de Paris pour
agrandir le bois de Vincennes.
Le chemin de fer supplante petit à petit le transport
fluvial. Des gares sont reliées entre elles par des liaisons de petite et
grande ceintures. L’activité de Bercy continue vaille que vaille en particulier
par le transport d’autres produits que le vin.
Bercy ne sera pas épargné par de nombreuses calamités,
incendies, crues de la Seine comme celle de 1910 où les entrepôts sont
submergés et des tonneaux se retrouvent dans les platanes.
Mais c’est l’invention de la mise en bouteille au
château, c’est à dire sur place au plus près des vignes, qui va sonner la fin de
Bercy dans les années 1960. La ville de Paris propriétaire des entrepôts
pendant un temps loue les locaux à des entrepreneurs, courtiers,
embouteilleurs, imprimeurs d’étiquettes… Bercy deviendra peu à peu délaissé,
insalubre et peu fréquentable. Jusqu’aux années1980 où ce quartier sera
profondément restructuré. En 1979, le Conseil municipal de Paris décide la
construction d’un Palais Omnisports et d’un vélodrome sur huit hectares. C’est
le début d’une longue série de démolitions. 14 hectares de jardins romantiques
préservent et rappellent l’âme, l’atmosphère, le village de Bercy.
Aujourd’hui, les Pavillons de Bercy, anciennement
Chais Lheureux, témoignent de l’architecture industrielle de la fin du 19ème
siècle avec six bâtiments, 8200 m2 couverts, deux rues pavées et privatives, 17
platanes centenaires. Murs en pierre de meulière, ouvertures voûtées de
briques, grandes structures métalliques intérieures signées. Lheureux avait été
élève de Victor Baltard lui-même élève de Gustave Eiffel. Ces chais sont
inscrits depuis 1986 à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
On peut donc leur espérer longue vie.
La Seine à Meudon', détail d'un tableau
d'Alfred Bachmann, visible au Musée de Meudon)
Sources : www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy
--Historia déc 1985 n°468 Dossier Vignes et Vins – Jacques
Champeix et Lionnel Mouraux « Bercy » édit LM 1989 –
arts-forains.com/notre-histoire/histoire-de-bercy—Jacques Hillairet Bernard
COLOMB, « Paris : le port de Bercy », Histoire par l'image [en ligne],
consulté le 24 janvier 2019. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy--www.delabelleepoqueauxanneesfolles.com/Lesguinguettes.htm
-https://www.histoire-image.org/fr/etudes/representer-guinguettes
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