Le tombeau du Sanglier
En Camargue, les
taureaux de légende ont leur statue. Des marques de reconnaissance pour des
« bious » d’exception qui ont procuré des émotions fortes aux
amateurs de courses camarguaises et qui ont marqué les mémoires. Rappelons ici
que la course à la cocarde ou camarguaise n’est pas la corrida, loin de là.
Dans cet exercice, ce sont les hommes qui prennent les coups.
Sur le rondpoint du
Cailar trône Le Sanglier. « Ici est enterré Le Sanglier de la manade F.
Granon-Combet 1916-1933 ». En fait, la stèle a été déplacée et il n’est
pas enterré là. Il était le fils du grand Belcita, cocardier d’avant-guerre.
Un certain flou (ou de merveilleux)
quant à sa naissance. Nous sommes en pleine guerre de 14-18, au cœur du Bois
des Rièges, derrière le château d’Avignon, dans une Camargue sauvage, dans une
atmosphère de brouillard, de légende, de mysticité. Sa mère Caillette met bas à
côté d’une laie qui vient de mettre au monde ses petits. Caillette meurt et
c’est le facteur Claudius (ou le gardian Chabalet) qui les découvre, d’où le
nom de Sanglier. La laie aurait nourrir le taurillon. Le Sanglier est un veau
solitaire, courageux, espiègle. Curieux il arpente les quatre coins du bois.
Il effectue sa première
course dans le plan d’Aigues-Vives à l’âge de trois ans. Lansagues, Lunel …. Il
construit sa légende. Cocardier complexe, barricardier, explosif, audacieux,
malin… Il ne pardonnait pas la moindre erreur. Il enthousiasmait les foules.
Autre
taureau Muscadet (manade Rouquette)dans ses coups de barrière à Maugio et à
Nîmes
Prompte comme la foudre
dans les arènes, Le Sanglier était le premier à avoir effectué les « coups
de barrière ». Il poursuivit les raseteurs Julien Rey et Benoît,
Margaillan jusqu’aux planches, passa ses cornes derrière pour les attraper ou
les taper d’un redoutable coup de tête. Il va tuer de deux coups de cornes en
1925 Pierre Vite le portier des arènes d’Aramon. On dit aussi qu’il est
responsable du « coup de sang » fatal arrivé au peintre en bâtiment
Coulet, quelques temps après avoir été sévèrement secoué à Lansargues par un
Sanglier jeune qui pourtant n’avait pas encore fait ses preuves… Ses cornes d’or faisaient la fortune des
parieurs, de son raseteur préféré le beaucairois Julien Rey. On se pressait à
toutes ses courses. Les primes que l’on mettait à chaque course sur ses cornes
approchaient les 1000 euros actuels. (Les primes : argent gagné par le
raseteur qui enlève qui un ruban, qui la cocarde…en plus de l’engagement pour
raseter). En 1927 Julien Rey touchera 8000francs pour raseter Sanglier à Lunel.
16 fois son salaire de charretier. Son nom s’inscrivait en grand sur les
affiches, « Rey et Cie ». Mais cette fortune trop vite gagnée, Rey
flambera tout et finira employé municipal.
Ce sera pour Sanglier qu’on jouera l’air du toréador de Carmen de Bizet. Un jour de retour d’une de ses courses, le train de Nîmes-Le Grau du Roi cala, trop lourdement chargé d’admirateurs. La locomotive n’arrivera pas à passer la côte de Générac.
Le
Sanglier et le taureau du Trocadéro - midilibre.fr
Hemingway,
le grand écrivain, en parle admiratif. Il assiste à une course où la cocarde
entre les cornes du « Sanglé » rapporte 3000 francs à celui qui
l’enlève.
Des primes de 500 à 1000 francs
étaient gagnées pour seulement toucher sa tête et déclencher l’ovation du
public.
Entre 1925 et 1929, ses cornes
rapportèrent pas moins de 120 000 francs de primes à ceux qui lui enlevait
sa cocarde..
Il est l’orgueil de la Camargue, le héros, un guerrier…..peut-être la revanche pour certains après l’accusation injuste de désertion de 1917 contre les bataillons venus du Midi.
Mais la gloire a aussi
ses revers même pour les taureaux talentueux. En 1927 dans les arènes d’Arles,
les provençaux jaloux et pensant sa réputation usurpée vont lui tendre un
piège. Trente raseteurs entrent en piste, enragés comme une meute de chiens,
ils vont tenter de lui prendre sa cocarde. Les portiers refusent de lui ouvrir
les portes pour qu’il sorte de l’arène. Pendant 25 minutes Le Sanglier reste en
piste et il rentre enfin avec sa cocarde entre les cornes. Echec et mat pour
les provençaux. Plus jamais, son manadier acceptera de conduire un seul taureau
à Arles.
Le Sanglier fera ses
adieux le 31 août 1930 à Nîmes devant plus de 12 000 personnes. Pour son
biographe le taureau sera encore dans les arènes d’Aigues-Vives pour une
dernière course le samedi 3 octobre 1931.
Mais
avant de prendre définitivement une retraite bien gagnée, le Sanglier fit
encore quelques sorties en 1930 et c’est ainsi qu’il parut en présentation dans
les arènes d’Aramon, le 15 juin ; du Cailar, le 3 août ; de
Châteaurenard, le 4 août ; de Nîmes, le 31 août et de Saint-Gilles, le 28
septembre. Enfin, sa dernière présentation eut lieu le 7 juin 1931 dans la
piste de Lunel où seuls Julien Rey et Charles Garonne eurent l’honneur de lui
faire les deux derniers rasets.
(ci-contre Saumade)
Il
prit une retraite méritée dans les pâturages du Cailar. Monsieur Bouzanquet,
une personnalité de Nimes souhaitera faire naturaliser (empailler) Le Sanglier
pour l’installer au musée de la Ville. Granon refusa car il voulait que son
taureau meure sur ses terres où il serait enseveli et où il était né.
Mais un jour Le Sanglier
décida de quitter les près, suivit le Vistre, traversé le Cailar de nuit et
vint se coucher devant la maison de son maître Fernand Granon. Dès lors il
finira ses jours dans la cour de Granon, visité régulièrement par ses
admirateurs. Son patron venait le visiter chaque soir sauf le soir du 22
octobre 1933. Le lendemain Sanglier gisait mort les deux cornes plantées dans
un tas de fumier, ultime « coup de barrière ». Il sera enterré dans
des draps neufs.
D’autres taureaux de légendes
auront leurs statues : Clairon,Goya, Gandar, Muscadet, Pascalet….. Nous
nous intéresserons à leurs histoires dans quelques temps….
Autre taureau de légende Pascalet, la Bombe noire, et le raseteur Jacky Siméon, fin des années 1970
Sources et pour en savoir
plus : La légende du
SANGLIER de Fernand Granon. - TORILTV LE BLOG—Gazette de l’été
juillet 2006 Jacques Durand Alain
Laborieux—photos André Hampartzoumian--
Le Sanglier
(taureau de Camargue) - Data BnF
https://data.bnf.fr ›
le_sanglier__taureau_de_camargue_---
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