(fruit du mûrier)
Le Faiseur de Bas de Soie
L’artisanat et l’industrie de la soie ont amené dans notre pays, emplois, renouveau économique, parfois fortune pour certains du 12ème au 19ème siècle.
A
côté des tisserands, des filateurs de soie, des éleveurs de vers à soie, on
oublie parmi les métiers de la soie, les faiseurs de bas de soie, qui confectionnèrent
sur des métiers cet accessoire de l’élégance masculine et féminine pendant près
de deux siècles.
De
Chine, l’art de fabriquer la soie se serait progressivement transmis aux autres civilisations par le biais d'espions de tous genres (moines,
princesses…), de pillards et de marchands.
Dans
nos Cévennes, Anduze, Saint Jean du Gard… le travail de la soie est très
ancien. La période fait encore débat chez les historiens. Un document de 1234
signale l’exportation vers Marseille d’ouvrages en soie provenant des Cévennes.
En 1296 un dévideur de cocons est mentionné à Anduze : le vers à soie déjà
élevé chez nous ? Nous savons que l’Italie produisait des soieries que
nous achetions à prix d’or. Nous savons aussi que la technique de l’élevage de
ce petit vers fera l’objet d’espionnage, de vols, d’essais divers et variés
avant que sur les conseils d’Olivier de Serres, Henri IV ne fasse planter des
mûriers en masse dans la plupart des régions de France, pour nourrir les vers à
soie, développant ainsi la production de cocons.
(Portrait de Charles IX, roi de France
(1550-1574) ; François Clouet ; 1566 ; Musée du Louvre)
Les Arabes, entre le VI et XIIe siècle vont, par leurs conquête étendre le
royaume de la soie. Egypte où ils s’approprient la soie, Afrique du Nord, Espagne et Sicile, où ils créent une colonie en
827. Les soieries mauresques sont alors très recherchées en Occident, ramenées
à la faveur des croisades. A la fin du XIIIe siècle, Marco Polo ouvre une
nouvelle route maritime et découvre que le fameux Cathay et la Chine ne font
qu’un. A la même époque, une crise de succession pour le trône de Sicile fait
s’exiler les tisserands de la soie vers les villes italiennes, la sériciculture
remonte vers le nord pour atteindre au XVe siècle Venise, Florence, Lucques et
Gênes. Les chemins de l’exil enrichissent les uns et appauvrissent les
autres !!. Les soieries étaient pour l’économie des pays ce qu’est le
pétrole pour nous…
La Renaissance teintée d’influences byzantines accouche de chefs d’œuvres
textiles, qui conquièrent les cours et les églises d’Europe. La fin des
croisades et l’arrivée des papes à Avignon installent le raffinement italien en
France. A la fin du Moyen Âge, Lyon devient un grand centre de transit puis de
création d’étoffes, qui fera d’elle la capitale de la soie. C’est sous François 1er, vers 1535, qu’est accordée une charte à deux commerçants, Etienne Turquet et Barthélemy Naris pour développer la soierie à Lyon. En 1540le
roi accorde le monopole de la production de soie à la ville de Lyon.
S’il est difficile de dater exactement
l’apparition du bas de soie, on sait que dans la première moitié du XVIe siècle son port est encouragé par François 1er. Il s’agissait alors de bas faits en
tissu de soie et ajustés. C’est vers 1564 que l’anglais William Rider
remet au goût du jour les bas tricotés. En
1554,
le roi Henri II, fils de François Ier,
ordonne par un édit la plantation des mûriers ; on dit que ce prince fut
le premier qui porta des bas de soie tricotés.
Entre
1540 et 1570, le costume masculin évolue et apparaissent des bas plus longs,
s’attachant aux chausses, tricotés, la maille donnant plus de souplesse et
d’élasticité aux mouvements de la jambe, mettant en valeur la rondeur du mollet
de ces messieurs.
On
commence à comprendre le lien entre les mûriers et les vers à soie. Henri IV
prit beaucoup d'intérêt à la production de la soie, l’importation de soieries
coutait très cher au royaume. Il fait planter un peu partout des mûriers même à
Paris, dans le jardin des Tuileries (1601). Mais c'est principalement sous le
ministère de Colbert (1619 - 1683), fils de drapier, que cette culture reçut
une grande impulsion.
Le métier de faiseur de bas va bénéficier d’une invention, celle du « métier à faire les bas ». Un anglais, Lee en est le découvreur vers 1610. Il s’installa à Rouen et développa une industrie florissante, encouragé par le roi Henri IV et son ministre Sully. Mais à sa mort ses ouvriers anglais retournent en Angleterre avec les métiers. Dès lors les Anglais défendirent « sous peine de vie, de la transporter hors de l’ile ni d’en donner modèle à un étranger ».
Mais un Français Jean Hendret (Hindret)
avait surpris le secret de la machine, en fit construire et en 1656 installa la
première manufacture de bas au métier dans les annexes du château de Madrid à
Neuilly au bois de Boulogne. Cette installation est autorisée par lettres
patentes et la manufacture est confiée à Hindret et Blaise. Lorsque le
privilège s’éteint, les ouvriers se réunissent en corporation avec des statuts
donnés en 1672. « le métier et manufacture de bas, canons,
camisoles, caleçons et autres ouvrages de soye qui se font au métier ». Par autorité royale, 100 premiers
maîtres parmi les ouvriers sont nommés et quatre jurés parmi les plus âgés. Par
la suite le fonctionnement de la corporation sera calqué sur celle de Paris.
(métier à tisser 18ème siècle)
Mais dès 1700 un arrêté va considérablement
restreindre la liberté d’exercice du métier : « Défense d’établir aucun métier ailleurs qu’à Paris, Dourdan,
Rouen, Caen, Nantes, Oléron, Aix, Toulouse, Nîmes, Uzès, Romans, Lyon, Metz, Bourges, Poitiers, Orléans, Amiens
et Reims. Tous les faiseurs de bas établis dans une autre place doivent se
retirer dans les dites villes ». Défense de travailler ou de faire
travailler sans avoir été reçu maître. Obligation pour les compagnons de se
faire reconnaitre par les jurés de leur communauté et de se faire inscrire sur
un registre avec mention de leur demeure et du nom de leur maître. Interdiction
pour eux de vendre un ouvrage fait au métier. Interdiction aux femmes et aux
filles de travailler au métier, exception faite pour les filles de maître mais
seulement dans l’atelier de leur père. On réglemente sur la taille des métiers,
la qualité de la soie à employer, la précision du travail…..
Cette réglementation oppose jusqu’en 1712
les facturiers de laine et les marchands de drap et soie. Par ailleurs le
monopole des dix-villes est difficile à respecter et peu à peu les habitants
d’autres lieux sont autorisés à exercer le métier. La production cévenole était
destinée à la consommation intérieure mais aussi à l’exportation, Espagne,
Indes Espagnoles, Russie… En 1760 Lima au Pérou achetait deux millions de bas
de soie par an !! Les bas parisiens étaient considérés comme plus solides
que ceux de Nîmes.
Hommes et femmes portaient des bas. Ils
peuvent être unis, ajourés ou brodés. Au sortir du métier, le bas se présente
comme une bande plate à sinuosités symétriques. Le talon a été renforcé par
doublement du fil. La pointe, aussi renforcée, est confectionnée à part. Les
bas sont ensuite assemblés par des couturières spécialisées. Dans un premier
temps elles rassemblent les deux moitiés des talons et des semelles et ajustent
les pointes. Ensuite, elles plient les bas longitudinalement pour réaliser la
couture, besogne délicate et toute en finesse. D’autres femmes interviennent,
ce sont les brodeuses, la broderie étant un élément important de la
commercialisation. Lorsqu’il est noir, le bas ne doit recevoir sa nuance
qu’après complet achèvement au métier, sauf s’il entre dans sa confection des
fils d’or ou d’argent. Pour les autres teintes, c’est le fil de soie qui est
préalablement teinté avec des colorants comme la cochenille, le safran,
l’indigo, l’épine vinette, la gaude ou encore le bois des îles. Chaque douzaine
de bas est marquée avec un plomb portant les noms de la ville et du fabricant
avant d’être commercialisée.
Le faiseur de bas travaille chez lui et
peut avoir jusqu’à quatre métiers. A la
fin du 18e siècle, sa journée de travail s’étend en été de cinq heures du matin
à la tombée de la nuit, en hiver de six heures du matin à dix ou onze heures du
soir. Il travaille debout à la lumière du jour ou à la lueur d’une lampe
associée à un globe qui démultiplie la
lumière. Une paire de bas se réalise en une journée ; le dimanche et le
lundi sont chômés, mais le travail ne s’arrête pas pour autant : entretien
du métier, lopin de terre à travailler. On est encore un cultivateur-artisan et
non l’inverse. Une grande propreté est nécessaire pour ne pas salir l’ouvrage
délicat et fragile.
Le métier se transmet comme un meuble de
famille, le nom du premier utilisateur est gravé sur la barre transversale. Il
figure dans les inventaires après décès. A la fin du 18ème siècle à
la veille de la Révolution, c’est une classe d’artisans assez privilégiés, la
mieux nourrie, la moins exposée aux maladies. Le faiseur de bas est renommé
pour sa propreté, plus économe, de meilleures mœurs malgré des revenus
modestes.
La fabrique de bas à domicile va se
maintenir tant bien que mal jusque vers 1880, date de l’apparition du métier
mécanique mu par la vapeur. C’est la mort du métier à bras. Le savoir-faire si
patiemment acquis pendant les années n’est plus nécessaire. L’artisan ne peut
plus travailler chez lui, en famille, libre de gérer son temps. Il abandonne
son art pour l’atelier qui peut regrouper jusqu’à vingt machines dans un bruit
assourdissant ou bien il s’engage comme employé ou surveillant dans les
filatures de soie qui se sont développées depuis le milieu du siècle. Doucement
on se dirige vers les bas en nylon du 20ème siècle…
La Révocation
de l’Edit de Nantes de1685 va pousser à l’exil certains de nos artisans, dont
les faiseurs de bas de soie. L'usage du métier à confectionner les bas alors se
répandit en Suisse et en Allemagne. Et notre pays perdit le quasi-monopole de
la confection des bas de soie. Nîmes sera moins impactée, tout au moins
dans un premier temps.
Le nom des « faiseurs de bas » disparait
vers 1723, le métier continue mais est absorbé par la corporation des
bonnetiers.
C’est Simon-Pierre Grizot qui dès l'année 1680 introduisit à Nîmes le métier à faire des bas de soie ou filoselle. En fait il rapporte de Londres les dessins des pièces composant le métier à tisser les bas de soie. D’autres sources attribuent à Louis Félix l’importation du métier à tisser en 1680.
Grizot
devient syndic puis doyen de la communauté des maîtres fabricants de bas et il
déclare en 1710, 25 métiers, se situant au sommet de la hiérarchie économique
des marchands-fabricants de bas nîmois. En 1717, il déclare trente métiers…
Dans
les années 1650, la ville connait une crise manufacturière très grave :
l’industrie lainière est fortement touchée. Les négociants vont se tourner très
rapidement vers la soie. Les contrats d’apprentissage se multiplient. En trente
ans, la communauté des soyeux voit le nombre de ses membres triplé,
essentiellement dans la communauté
protestante. Les persécutions contre eux ont déjà commencé depuis les
années 1640, mais les soyeux de cette religion seront un temps acceptés. En
1680 le duc de Noailles lieutenant général de la province fait son entrée à
Nîmes escorté par la bourgeoisie marchande, protestante, avec au premier rang … »marchands
de soie, taffetattiers, passemantiers et ouvriers en soye ».
A Nîmes
la profession va évoluer. En 1700, marchands, facturier, ouvriers, faiseurs de
bas au métier se réunissent en assemblée générale : ils se déclarent
eux-mêmes maîtres et nomment Grizot syndic. Dès 1706, 870 métiers à bas faisait vivre autour de mille familles, en
1711 plus d’un millier de métiers!! Les marchands nîmois profitent de
l’effondrement de l’industrie de la soie en Italie dans la seconde moitié du 17ème
siècle. Bourgeoisie intelligente, entreprenante qui prend conscience très vite
de son poids économique. L’intendant du Languedoc, le pourtant très sévère Lamoignon-Basville
dira des marchands de Nîmes :
« Ils
sont appliqués à leur commerce, habiles négotiants, hardis dans leurs
entreprises, et ont tout le génie que l’on peut avoir pour réussir dans leur
profession, …et si tous ces marchands sont encore mauvais catholiques, du moins
ils n’y ont pas cessé d’estre bons négotiants ».
Le protectionnisme
de Colbert envers les marchands de Nîmes va ruiner ceux d’Avignon. En Italie,
les états du Piémont et le royaume de Naples se replient sur la production et
l’exportation de la soie grège.
Mais
avec la Révocation de l’Edit de Nantes, après 1685, l’intolérance, ou la tolérance de façade va
s’appliquer aux moins argentés, aux moins solidaires, aux plus têtus ou moins
souples…. Et nos savoir-faire vont s’exiler avec nos artisans.
Le
déclin des bas de soie peu à peu s’installe avec l’arrivée du nylon synthétique
vers 1946 et des grands métiers rectilignes Reading et Kalio à 30 et 32 têtes.
Des tonnes de nylon deviendront des millions de paires de bas.
Les bas vont perdre leur couture avec les métiers circulaires, et le collant fera son apparition avec la mini-jupe. Le nylon sera détrôné par l’élasthanne d’une qualité supérieure. L’automatisation de ces métiers et une concurrence étrangère impitoyable entrainent petit à petit la fermeture de nos usines et le chômage pour des ouvrières et ouvriers. Les bas de soie, symbole de raffinement, de luxe, de sensualité ne sont plus qu’un souvenir nostalgique….
1905
Ganges (Hérault) filature de soie-atelier de fabrication de bas de soie
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