Bédoin l’Infâme :
Bédoin est un petit village au pied du Mont Ventoux. Lavande, tilleuls,
cigales, tout respire la paix, la sérénité. Pourtant un drame a endeuillé ce
bourg en1794.
A cette époque Bédoin
compte autour de 2700 habitants. La France est plongée dans un climat de
terreur depuis les massacres de septembre 1792 et la loi des suspects de
septembre 1793. On emprisonne, on guillotine à tout-va.
A Bédoin, les habitants
sont restés très attachés au Pape malgré le rattachement du comté du Venaissin
à la République en 1791. Ils acceptent mal les changements dus aux
bouleversements politiques. Peut-être un foyer contre-révolutionnaire ?
Tout au moins un foyer royaliste qui lui vaut le surnom de « Vendée du
Midi ».
Depuis novembre 1793 le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône sont en guerre contre-révolutionnaire, guerre larvée. Marseille y perd temporairement son nom de janvier à février 1792 à la suite d’une révolte contre la Convention.
Jean-Baptiste Lesueur (1749-1826). "Plantation d'un arbre de la
Liberté". Gouache sur carton découpé collé sur une feuille de papier lavée
de bleu. Paris, musée Carnavalet.
Cependant jusqu’en 1794,
le village de Bédoin est relativement calme. Mais dans la nuit du 1er
au 2 mai 1794,( 12 au 13 floréal an II) l’arbre de la Liberté planté deux ans
auparavant, est arraché, les décrets de la Convention affichés devant la maison
commune sont traînés dans la boue et retrouvés au matin près de la fontaine à
côté de la porte Saint-Jean. L’arbre est abandonné au pied des remparts dans le
« pré aux porcs ». Le bonnet phrygien qui le surmontait est jeté dans
un puits !!
L’affaire demande des
sanctions exemplaires. L’administration d’Orange et de Carpentras nomme un
certain Etienne-Christophe Maignet représentant du Gouvernement révolutionnaire
pour les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse. Celui-ci délègue l’agent
national Le Go accompagné du 4ème Bataillon de l’Ardèche basé à
Carpentras commandé par Louis-Gabriel Suchet. Le 5 mai avant le lever du jour,
les soldats occupent le village.
Le 14 floréal Maignet
prend un arrêté imprimé à 12 000 exemplaires aux frais de Bédoin affichés
dans les département du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône par lequel il ordonne
d’indiquer les coupables.
Maignet saisit
probablement ce prétexte pour faire un exemple dans le Comtat où les
contre-révolutionnaires sont nombreux, essentiellement issus de la petite
noblesse et des notables installés. Il s’était fait remarquer lors du siège de
Lyon et des répressions des insurrections fédéralistes. Il est lui-même avocat,
député, fils de notaire, un personnage ambigu, maniant sévérité et une certaine préservation
des grandes villes comme Lyon et Marseille. A Avignon il se met en chasse des « bandes
noires », une coalition
d'influences locales et de notabilités, protégée par « Jourdan
Coupe-Tête ». A Marseille il souffle le froid et le chaud. Il
s’en prend aux cimetières mais redonne son nom à la ville dans un souci d’apaisement :
« Considérant que l'homme en paraissant sur la terre y vient sans
préjugé et, qu'en la quittant il ne doit laisser aucune trace de ceux qui ont
pu l'assiéger pendant sa vie, ordonne d'enlever des cimetières tous tableaux,
peintures ou inscriptions capables d'alimenter le fanatisme, et d'inscrire ces
seuls mots sur la porte d'entrée : « Silence, ils
reposent ! »
A Bédoin, première
mesure, les membres de la municipalité n’ont pas fait enfermer les nobles de la
commune : ils sont arrêtés. Les militaires vivent chez les habitants comme
c’était l’habitude avant la Révolution, (les mauvaises habitudes ne se perdent
pas). On presse les habitants de dénoncer les coupables, on vol, on viole, on
détruit…On perquisitionne, on profane les objets de culte, la flèche du clocher
est renversée, les maisons sont pillées… Les conseillers municipaux, les
nobles, les prêtres et autres notables sont paqués dans l’église. En vain…
Extraits de l'arrêté du 17 floréalII :
.. »
que le sort de l’ancienne Sodome étant réservé à l’infâme Bédoin, il faut à l’exemple
de l’Etre Suprême avertir le juste qui pourroit s’y trouver, d’abandonner ses
frères corrompus, et de venir à nous pour nous faire connoître les coupables et
les égarés »…
« Considérant que la justice ne saurait donner
trop d’éclat à la vengeance nationale dans la punition du crime abominable qui
s’est commis à BEDOUIN que ce n’est qu’en frappant sur le lieu même où il a été
commis […] que l’on pourra porter l’épouvante dans l’âme de ceux qui oseraient
encore méditer de nouveaux attentats […]
« Ordonne que le Tribunal criminel du département de Vaucluse […]
se transportera dans le plus court délai à BEDOUIN, pour y instruire la procédure
et y faire exécuter de suite le jugement qu’il rendra ».
Cet
arrêté ordonne « que le pays qui
a osé renverser le siège auguste de la Liberté est un pays ennemi que le fer et
la flamme doivent détruire ».
Alors, furieux Maignet
menace de brûler le village et le 21 floréal (10 mai) le tribunal criminel
d’Orange arrive à Bédoin avec la guillotine. Le procès doit montrer le bon
exemple. Les charges retenues contre les accusés sont de l’ordre de «
négligences coupables », « parent d’émigré »… On enquête sur les
relations sociales et familiales de tout un chacun, on creuse les moindres
détails… Déjà lors du rattachement du comté du Venaissin à la France en 1791
des troubles avaient eu lieu dans le village. Les conseillers municipaux penchaient vers le
fédéralisme en 1793. On reproche aussi à la municipalité, tenue par des
Jacobins, des abus de pouvoir et le peu de zèle lors du déclenchement de
l’affaire. Maignet qualifie le village d’être « en état de
contre-révolution ».
Bref la cause était
entendue dès le début du procès.
Le 28 mai (9 prairial), le tribunal est installé sur la grande place en plein air, là où se tenait l’arbre de la liberté. 130 personnes sont arrêtées !!
(archives du Vaucluse)
Les condamnations :
63 personnes à mort dont 8 femmes, la plus jeune a 19ans, 2 religieuses, 10
« mis hors la loi », un condamné aux fers, 13 à la réclusion et 1 à
un an de détention. 52 sont remises en liberté mais soumises à l’arrêté du 17
floréal. Parmi les 63 condamnés à mort, le maire, des membres du comité de
surveillance de la Garde Nationale, des
nobles, des prêtres réfractaires, des notables… Quatre femmes sur les 130 personnes
refusent de porter la cocarde au tribunal, bien que le port en soit obligatoire
depuis le décret du 14 germinal an 1 (3avril 1793) et feront l’objet d’une
ordonnance spéciale.
Les exécutions ne
peuvent avoir lieu qu’avec l’accord de la Convention à Paris. L’autorisation
n’arrive que le 26 mai (7 prairial). Trois longues semaines que la troupe est
arrivée et en action dans le village. Mais dès le 23 mai les deux prêtres sont
guillotinés, le 28 mai c’est le tour des autres condamnés à mort.
35 des condamnés sont
guillotinés mais pour aller plus vite et l’odeur devenant insupportable, les 28
autres sont fusillés. (ou 16 et 47 selon les sources). Une fosse commune sur la
route de Flassans a été creusée à la hâte pour recevoir les corps dénudés.
Cela ne suffit pas à
Maignet qui ordonne de faire disparaitre le village en l’incendiant. Les 3 et
4 juin, l’église, la mairie, le château,
les moulins à huile, les magasins de soie, 433 maisons sont en grande partie
brûlés. Ses terres agricoles stérilisées au sel. Le
village est interdit et le territoire est partagé entre les communes voisines.
Les habitants sont déportés et assignés à résidence dans les villages voisins.
Huit chapelles sont détruites, les soldats font sauter une partie de la voûte
de l’église paroissiale … On cherche à tuer l’identité, le passé de ce village
par ces symboles.
L’arrestation de Robespierre et son exécution les 27 et 28 juillet 1794 (9thermidor an 2) sonnent la fin de la Terreur Révolutionnaire. Une pétition est lue devant la Convention en faveur de « Bédoin l’anéanti » le 15 frimaire an 3 (5 décembre 1794). Maignet n’est pas désavoué. Le 24 frimaire an 3 (14 décembre 1795) une indemnité est accordée à ceux dont la maison a été incendiée, les terres sont restituées.
Le 14-15 floréal An 3 (4
mai 1795), Bédoin est réhabilité. Le nouveau représentant en mission Jean Antoine
Joseph Debry ou De Bry, préside une
cérémonie solennelle de réhabilitation.
Une foule participe à la
cérémonie, 15 000 nous dit-on. Le village reçoit un dédommagement, mais
leurs bourreaux, les procureurs ne seront pas condamnés. Une colonne expiatoire
est dressée sur le lieu de l’exécution des victimes de la Terreur sur
l’emplacement de la guillotine.
Maignet se retire
prudemment de la scène politique mais il reprend son métier d’avocat, estimé
sous le Directoire et l’Empire, exilé sous la Restauration, et accueilli dans
sa ville lors des Trois Glorieuses. Il finit bâtonnier au barreau d’Ambert
jusqu’à son décès en 1834
En 1866 les familles des
victimes font construire une chapelle, la chapelle de Beccaras sur
l’emplacement de la fosse commune. Une plaque mentionne le nom et l’âge des
victimes. François-Xavier Allemand rescapé de 1794 donne le terrain pour bâtir
cette chapelle et demande à y être enterré, rejoignant ainsi les onze membres
de sa famille victimes de la Terreur. Grâce aux dons faits par les descendants,
en 1866, Pierre Allemand, curé de Bédoin se charge de faire construire la
chapelle. Alexis Faravel et Etienne Gravier en sont les constructeurs.
Les extrémismes de tous les bords sont
toujours un recul de l’Humanité…. Jusqu'où peut-on aller pour imposer et justifier ses idées ? Le doute est une vertu !!!
Chapelle de Beccaras
Sources et pour en savoir plus : D'après le texte rédigé
pour le lutrin du monument aux victimes de la Révolution française, par
Stéphanie Collet du service "Culture & patrimoine" de la CoVe.--
/archives.vaucluse.fr/ressources/dossiers-pedagogiques-enseignants/laffaire-de-bedoin-un-exemple-de-terreur-provinciale-2114.html---
Le Drame de
Bédoin - (marquise-de-florans.fr)-- www.bedoin-mont-ventoux.fr/vie-locale/bedoin.html--
Sous la
Terreur, l’affaire de Bédoin (Vaucluse) – Famille Ginoux--- www.horizon-provence.com/bedoin/---
wiipedia.org --- www.bedoin-mont-ventoux.fr/vie-locale/bedoin/sites-et-monuments/la-chapelle-de-beccaras.html---
Bédoin
l'infâme - Mes petites histoires de Marseille et de Provence (canalblog.com)---
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