Pleurer des larmes de
crocodile. © Crédit illustration : Araghorn
Pleurer des lames de crocodile :
Pleurer des larmes de
crocodile pour émouvoir son entourage et obtenir quelque chose, qui ne s’y pas
essayé, au moins dans sa tendre enfance !!
D’où nous vient cette
expression ? Comme toujours pour répondre à cette question, on se replonge
dans les auteurs anciens, même antiques. Le célèbre grammairien Pierre-Marie
Quitard (1792-1882) nous renvoie aux Grecs et aux Romains. Mais il semble bien
que les auteurs de l’Antiquité n’ont rien écrit à ce sujet. Aristote dans son
Histoire des Animaux en deux volumes ne fait pas référence à ce stratège
crocodilien pour attirer sa proie. L’origine de cette expression serait
probablement plus moderne.
Nous la retrouvons dans
toutes les langues de l’Europe occidentale, italien, espagnol, portugais,
allemand, hollandais, anglais… Donc nous pouvons penser qu’elle s’est répandue
grâce à un ouvrage connu dans ces pays où se parlent ces langues. On pense
alors au Livre des Merveilles du Monde de Jean de Mandeville.
Ce livre sera reproduit à
plus de 250 exemplaires dans dix langues, un exploit pour l’époque. Cet
engouement permet de penser qu’un grand nombre de personnes en occident à cette
époque considéraient la terre comme sphérique.
Jean de Mandeville de son
vrai nom Jean de Bourgogne est un personnage qui mérite tout notre
intérêt !! Il décède à Liège le 17
novembre 1372 après une vie fantasmagorique où réalité, rêves, mensonges,
chimères s’entrechoquent. On qualifie ses récits de voyages de « triomphe
du merveilleux et du rêve sur la réalité » (Charles
Valter
).Mais de toutes évidences, la société a besoin de ce »merveilleux »
après une période noire de la peste du 14ème siècle, qui a fait des
ravages. Soif de récits, de découvertes, d’ailleurs.
La date de sa mort est
parvenue jusqu’à nous grâce au géographe Abraham Orletlius qui trouve son
tombeau dans le couvent des Guillemins de Liège. L’épitaphe est la
suivante :
« Ici repose le noble D. Jean de
Mandeville, aussi appelé à la barbe, guerrier, seigneur des
Champs, né en Angleterre, professeur de médecine très pieux, orateur, et
bienfaiteur très généreux des nécessiteux qui, ayant fait le tour du monde,
finit sa vie à Liège. L'an du Seigneur 1372, le 17e jour du
mois de novembre. ».
Mediathèque d’Arras : "Jehan de Mandeville chevalier natif d'Angleterre grand voyageur tant par mer que par terre en plusieurs quartiers du monde, comme se peult veoir par ses escriptz, morut l'an 1372 gist aux Willemins lez la cité de Liege", fol. 267 du Recueil d'Arras –BVMM--
Sur la stèle était gravé un portrait de l'homme en armes,
portant une barbe fourchue, le pied sur un lion, une main bénissant son visage,
avec ces mots en langue vernaculaire7 :
« Vos
qui paseis sor mi, pour l’amour deix proïes por mi. »
Il était peut-être médecin
mais affirmait être un chevalier anglais. Il prétendait avoir voyagé pendant 34
ans en Egypte, dans différents pays d’Asie, de Chine tout en admettant n’avoir
pas été au-delà de la Palestine. Il serait parti le jour de la Saint-Michel en
septembre 1322. A son retour en 1356 il raconte avoir été mercenaire au service
du sultan en lutte contre les Bédouins. Il aurait servi quinze années dans
l’armée du grand Khan.. Dans son Livre des Merveilles il s’inspire du livre de
Marco Polo pour les parties au-delà de la Palestine. Il est admis maintenant
que ses récits de voyages sont largement imaginaires et on parle même de
plagiats.
Dans son ouvrage, il
décrit la Terre Sainte et les différents itinéraires qui y conduisent. L’Asie, Asie Mineure, Asie centrale, Inde,
Chine, îles de l’océan Indien, ainsi que d’une petite partie de l’Afrique,
Afrique du Nord, Libye, Éthiopie y sont décrites, dessinées, rêvées, révélées
au lecteur…
Marie-Hélène Tesnière :
« L'originalité réside moins dans ce qu'il dit, l'auteur n'étant
probablement jamais allé au-delà du Proche-Orient, que dans le travail de
réécriture qu'il suppose, à partir d'une vingtaine de sources ».
C’est dans ce contexte
qu’arrive notre crocodile : « En Afrique, au pays des Egyptians, proche la seconde cataracte du Nil,
habitent, parmi les roseaux, d’énormes lézards de trois toises et plus de
longueur, de figures difformes et de mœurs sanguinaires, dont le seul métier
est, quand ils ne dorment pas étendus au soleil sur la vase chaude, de guetter
les hommes et les animaux qui se hasardent sur les bords du fleuve, pour s’en
saisir et les dévorer.
« Nonobstant leur aspect farouche, leur voracité insatiable, et la
dureté telle de leurs écailles que point ne sauroit la percer un robuste archer
de son vireton le plus aigu, ces animaux féroces sont pourvus d’une sensibilité
exquise ; à ce point que souventes fois les ai moi-même ouys geignants ou
se lamentants es rozeaux, poussants des sanglots qui semblent mugissement de
bœufs, et versants, ainsi qu’il m’a été assuré, larmes qui jaillissent du
pertuis de leurs yeux, comme de pommes d’arrosoirs. »
« Maintes foys, continue le naïf conteur, au dire de mes guides, gens
réputés pour leur prud’homie et leur grande honnêteté, aucuns voyageurs,
trompés par l’effusion de ces larmes, et s’assurant que tant de gémissements ne
pouvoient provenir que de coeurs vrayment marris de tant de crimes et
assassinats, s’estant voulu approchier des pélunques èsquelles se tiennent ces
grands lézards, furent eux-mêmes saysis et méchamment dévorés par ces traîtres
et hypocrites qui pleurent non par douleur vraye de leurs péchiés, mais par
feintise pour engaigner les trop crédules, et bien et commodément se remplir le
ventre en les dévorant. »
Voici probablement l’origine de cette expression « pleurer de larmes de crocodile !!
Vision du Paradis terrestre Jean de Mandeville
Voyages Le Livre des Merveilles Paris 1410-1416
Et notre Mandeville ? Il a
probablement séjourné en Egypte si on regarde de près ses textes. Pour ce qui
concerne les autres voyages, il décrit des terres vues par d’autres : il
reproduit les déformations habituelles des géographes du Moyen Age ajoutées à
la compilation d’ouvrages de réels voyageurs dominicains ou franciscains. On
trouve aussi dans ses textes des références aux classiques de la littérature
antique (Pline le jeune, Solinus…).
Son Livre des Merveilles est
construit sur un canevas fourni par les deux plus récents récits de voyage dont
il disposait au moment de sa rédaction, en 1356 : le Liber de
quibusdam ultramarinis partibus du voyageur dominicain Guillaume de
Boldensele (vers 1285 - vers 1338) et la Descriptio orientalium partium du
missionnaire franciscain Oderic de Pordenone (vers 1286 - 1331), tous deux
datant des années 1330.
Néanmoins, l’oeuvre de Mandeville témoigne d’un état de la science géographique au milieu du XIVe siècle, et tandis que la première version imprimée date de 1478, il existait déjà 35 éditions de son récit en 1501, attestant l’influence considérable de ce dernier. Martin Behaim le cite longuement dans les notices de son célèbre globe, on assure qu’il a été utilisé par Christophe Colomb et Martin Frobisher l’emporte dans son expédition à la recherche du passage du Nord-Est en 1576. On pourrait citer une longue suite de notices louangeuses écrites entre la fin du XIVe et celle du XVIIe siècle sur ce chevalier savant, polyglotte, curieux de tout, qui avait parcouru « l’universel monde » en véritable Ulysse des temps modernes.
Frontispice de l’édition de 1371 du Livre des Voyages. De morbo epidemiae, traduction française
sous le titre Préservation de
Epidémie (Volume 1), manuscrit français NAF 4515 de la BnF
composé par Jean de Mandeville en 1371
Sources et pour en savoir plus : Jean de Mandeville, Voyages, Manuscrit
BNF, 1371 (lire en ligne [archive])----Voyage autour de la Terre (Trad. et comm. par Ch. Deluz, 1993), éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue
à Livres, XXVIII + 301 p. (ISBN 2-251-33919-1)---
wikipedia.org--- La France Pittoresque « Le Courrier de Vaugelas » paru en 1874 et « Comptes-rendus
des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres » paru en
1989)Publié / Mis à jour le VENDREDI 15
SEPTEMBRE 2023, par REDACTION--- Jean de Mandeville, Le
Livre des merveilles du monde, édition critique
par Christiane Deluz Paris, Éditions du CNRS, 2000
(Coll. Sources d'Histoire Médiévale, 31)--- /journals.openedition.org/medievales/956---
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