Le Fort de Peccaïs
Un monument à visiter au cœur de la Camargue, bordé d'étangs aux envols d'oiseaux, au clapotis de fleur de sel, aux horizons infinis....
Le fort de Peccais ou Peccaï en provençal est une construction du 16ème siècle, au cœur d’une nature languissante et silencieuse, proche d’Aigues-Mortes en Camargue. Etrange construction au milieu des marais. Bateau fantôme qu’on imagine peuplé d’êtres d’un autre univers. Le delta du Rhône autrefois fut hérissé de forts et de tours de guet au gré de la mouvance des cours d’eau qui ont modifié constamment la géographie de la Camargue. Le fort et l’abbaye de Sylveréal construit sous le règne d’Henri III en 1577, détruit puis rebâtit au 18ème siècle, l’abbaye de Psalmodi, celle d’Ulmet à l’est de l’étang du Vaccarès ne sont plus que dans nos mémoires… la tour Saint-Louis à Port Saint Louis du Rhône, construit vers 1737 encore debout. La Camargue affamée de pierres engloutit les œuvres des hommes dans ses sables.
Le fort de Peccais ou Peccaï en provençal est une construction du 16ème siècle, au cœur d’une nature languissante et silencieuse, proche d’Aigues-Mortes en Camargue. Etrange construction au milieu des marais. Bateau fantôme qu’on imagine peuplé d’êtres d’un autre univers. Le delta du Rhône autrefois fut hérissé de forts et de tours de guet au gré de la mouvance des cours d’eau qui ont modifié constamment la géographie de la Camargue. Le fort et l’abbaye de Sylveréal construit sous le règne d’Henri III en 1577, détruit puis rebâtit au 18ème siècle, l’abbaye de Psalmodi, celle d’Ulmet à l’est de l’étang du Vaccarès ne sont plus que dans nos mémoires… la tour Saint-Louis à Port Saint Louis du Rhône, construit vers 1737 encore debout. La Camargue affamée de pierres engloutit les œuvres des hommes dans ses sables.
Tour Saint-Louis |
Le fort de Peccais est
inscrit monument historique par arrêté du 13 décembre 1978. Il est en fort
mauvais état, longtemps ignoré même des habitants d’Aigues-Mortes. Il est vrai
que la promenade n’est pas de tout repos : c’est le royaume des moustiques
et des arabi, petites mouches très actives.
ruines de Psalmodi |
Peut-être un ingénieur romain
du nom de Peccius serait à l’origine du nom de ce marais. Il aurait été en
charge de l’exploitation des salines.
Grenier à sel Moyen Age -BNF |
(grenier
à sel Moyen-Age)
Une convention entre le
seigneur d’Uzès et les moines établissait un règlement commun pour
l’exploitation des marais. «…. les mesures, boisseaux ou setiers employés dans leurs salins
respectifs seraient de même dimension et que les ouvriers chassés de la
propriété des uns ne seraient point reçus dans la propriété des autres… » . Il semble que l’exploitation d’un nouveau salin, le Salin de
l’Abbé » date de cette époque. La Confrérie du Sel de Mer date du 12ème
siècle. Elle est réactivée actuellement avec un Grand Prévôt, trois membre de
droit les « protecteurs-nés ». Elle tient son chapitre pour la fête
de la Saint-Louis avec l’intronisation de nouveaux chevaliers et ambassadeurs.
(
Départ de la septième croisade d'Aigues-Mortes, sur un chenal creusé
dans le marais de Peccais)
Puis arrive le roi Louis
IX, Saint-Louis, qui a des vues sur le secteur pour construire Aigues-Mortes,
son port pour embarquer vers l’Orient. Dès 1244, les maçons d’Alès sont requis
pour travailler « sous peine de leurs personnes et de leurs biens ».
En 1248 le roi achète une partie des terres de Peccais à l’abbé de Psalmodie. Le
pape Innocent IV autorise la transaction avec l’évêque d’Uzès (archives
nationale J295n°12 Layette III p45 n°3706 et archives départementales du Gard H
109 n°12) Le roi accorde aux habitants du secteur, le droit de
prélever librement dans les salines le sel nécessaire à leur consommation.
Philippe III son fils
achète aux Hospitaliers la Terre des Ports à l’ouest de Psalmodi en 1272. Son
petit-fils Philippe le Bel en 1290/92 récupère à l’est du territoire les terres
seigneuriales en échange de divers châteaux de la région. Ainsi Bermond d’Uzès
en cédant ses droits sur Peccais devient seigneur de Pouzilhac,
Saint-Martin-de-Jonquières et Remoulins, ville verrou sur le Gardon et le Rhône
proche. Le roi donne les salins en fermage contre le septième de la récolte.
Des fortunes vont se construire sur le droit d’exploiter à ferme les salines.
Un grand négociant du 14ème siècle Francesco di Marco Datini,
finança le retour du pape Grégoire XI à Rome contre le droit d’exploitation de
Peccais, avec son associé Nastagi di ser Tommaso : le sel entreposé et
vendu à partir des greniers à sel de Beaucaire, Orange, Pont Saint esprit
remontait le Rhône et fit de Datini une puissance économique incontournable alliée
aux drapiers, autre puissance économique de l’époque…. Nous sommes dans les
années 1367-1376.
(Aigues-Mortes Porte
de la Reine ou de Peccais- une glacière sur le devant).
Pendant la Guerre de Cent
Ans, les Bourguignons tiennent la ville d’Aigues-Mortes. En janvier 1421 les
troupes royales les attaquent avec succès les soldats bourguignons qui sont
passés par les armes et la légende dit que leurs corps sont entassés dans la
« Tour des Bourguignons » en plusieurs couches bien salées en attendant
d’être enterrés.
Dans les années 1500,
l’exploitation s’intensifie. François 1er en 1532 fait creuser un
canal qui relie les salins à la mer. C’est le chenal du Grau-Henri qui
s’ensabla rapidement. Il restreint aussi le droit des habitants d’Aigues-Mortes
à prendre du sel pour leur consommation en fixant un plafond. Ce sera le
résultat d’une longue procédure entre la ville et le roi qui ne put abolir la
franchise accordée par Saint-Louis.
En 1546, les salines s’agrandissent :
le Grand Prieur de Saint-Gilles fief de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem construit
le salin de Saint-Jean dans un étang proche de Peccais.
Mais il faut
lutter contre la contrebande et le pillage des salins. Le roi a le monopole de
la distribution du sel qui assure une source importante de revenus par le biais
des impôts (la gabelle).
Enfin en 1568, la construction du fort de Peccais
est décidée pour protéger les salines et les canaux qui servent au transport.
Pirates, pilleurs, contrebandiers infestent la Camargue et nos côtes. Les
« barbaresques » venaient s’embusquer dans les bras du Rhône pour
attaquer les bateaux qui venaient à la foire de Beaucaire. François 1er
d’ailleurs exemptera de toute peine le meurtre de ces pilleurs même en cas
d’erreur de la part du meurtrier ! Des braconniers de poissons en feront
les frais… Le sel est le principal mode de conservation des aliments. Celui qui
domine l’exploitation du sel domine l’économie. Le sel va générer des conflits
entre pays mais aussi entre provinces : contrôle des voies de passage pour
le transport du précieux ingrédient, installation de monopole, utilisation du
sel comme arme entre belligérants, développement du transport maritime et des
échanges commerciaux…arrivée des harengs de la mer du Nord sur le marché
européen !
Ce fort à quelques 5 kilomètres de la mer, était
là pour maintenir l’ordre dans ces temps troublés des Guerres de Religion
naissantes. Il était essentiel pour l’économie de la Camargue, dont le sel et
la pêche étaient les seules sources de richesse. Et puis, Aigues-Mortes était
située entre la Provence et le Languedoc, avec le Rhône, voie de transport. Il
va suivre de très près notre Histoire, prenant toute sa place dans les épisodes
sanglants des guerres de religion. Pendant longtemps ce secteur sera la plaque tournante du commerce, des déplacements, des enjeux politiques.
(au fond les camelles
blanches de sel)
160 mètres entre les pointes des deux bastions
est-ouest, des fondations supposées sur pilotis comme la Tour de Constance
d’Aigues-Mortes. Des archives du 17ème siècle nous décrivent une
porte monumentale à fronton, trois corps de bâtiments autour d’une cour
centrale, des logements pour le gouverneur, le major, la troupe, des hangars,
des magasins, une boulangerie, une petite chapelle. Deux citernes de grande
capacité surmontées d’une petite coupole. Une glacière très utile dans ce pays
où l’eau était saumâtre et le soleil de plomb. La glace venait des Cévennes. Un
lieu insalubre où sévissait le paludisme. En 1742, on trouve dans les archives
le curetage du fossé et de l’avant-fossé pour « enlever toutes les vases qui corrompent l’air et nuisent à la
santé de la garnison »..
Tout cela a disparu pour servir de carrière aux
Camarguais. Il ne reste qu’un quadrilatère flanqué aux quatre angles d’un
bastion, un fossé et un contre-fossé que l’on devine. Tapi dans les salicornes
et les tamaris nains. Peu visible dans les vastes horizons plats camarguais.
En 1569, le fort est un
temps aux mains des protestants. Peccais est constamment disputé entre troupes
catholiques et soldats huguenots. Le roi envisage de démolir le fort, mais
Montmorency désobéit et le fait réparer. En 1598, sous le roi Henri IV, le fort
devient place de sûreté et est confié au pouvoir des protestants avec une
garnison de 18 hommes. Montpellier et Aigues-Mortes reçoivent une garnison de
128 soldats, la Tour Carbonnière, trois hommes. C’est en 1599 que Henri IV crée
le poste de contrôleur général en Languedoc, qui remplace les Visiteurs de Gabelle,
emploi crée en 1411 et ancêtre de notre percepteur.
Le fort abrite parfois
des personnages hauts en couleur. En 1627 pendant la guerre de religion
déclenchée par Rohan, le gouverneur protestant de Peccais Jacques Gautier
seigneur de Saint-Blancard, lieutenant de Rohan, s’autoproclame amiral du
Levant, arme des bateaux et entreprend la guerre de course, pillant nos côtes
jusqu’à l’Ile de Ré où il trouvera la mort.
(Porte de la Reine ou
de Peccais- remparts d’Aigues-Mortes-gravure 19ème –anonyme BNF)
Le gouverneur
suivant Charles de Saint-Simon de 1634 à 1644 ne mettra jamais les pieds à
Peccais. Mais le roi ordonne en 1636 des réparations importantes du fort.
L’intendant des fortifications d’Argencourt nous a laissé un devis qui laisse
entendre qu’il s’agit de réparations importantes, peut-être une reconstruction.
Un impôt est levé sur tous les contribuables du Languedoc pour ces réparations,
36 000 livres au moins. Ce tribut plus la gabelle, des émeutes
ensanglantent notre province. Celle de Carcassonne aboutit en 1657 à la
décision de justice très lourde : les cloches qui avaient sonné le tocsin
seront fondues, la ville écope d’une très forte amende, ses foires et marchés
sont supprimés, la maison consulaire rasée, plus de grenier à sel, canons transférés,
des peines de mort…. Heureusement cette sentence ne sera pas appliquée dans sa
totalité car il faut préserver l’essor économique de la ville.
D’autres
réparations du fort auront lieu au 17ème siècle, mais il a perdu de
l’importance. Sa présence ne décourage pas les faux-sauniers. La contrebande
était pourtant punie par l’envoi aux galères ou de peine de mort en cas de
contrebande armée. En 1637 l’intendant du Languedoc se plaignait des
difficultés à lutter contre les faux-sauniers : « les marais remplis de
roseaux et de broussailles qui leur servent d’entrepôts et de retraite leur
donnent une sûreté à n’être pas découverts… ». « Ils se servent des
petits bateaux utilisés pour la chasse aquatique… ».
A la fin du 17ème siècle dix-sept salins étaient en activité dans le marais de
Peccais : L’Abbé, Les Aubettes, Bourbuisset, Les Brassives, La Courbe, La
Donzelle, Les Étaques, La Fangouze, La Gaujouze, Le Gay, La Lone, Le Margagnon,
Mirecoule, Roquemaure, Saint-Jean, Les Tuillières et Les Terrasses. Un
consortium de propriétaires sauniers est créé en 1716 ; l’Eglise ne
s’associe pas à cette société. Elle possède encore les salins de l’Abbé et de
Saint-Jean. Un syndic élu tous les ans gère l’exploitation commune. Plus tard
l’évêché d’Alès propriétaire du salin de l’Abbé les rejoignit.
La garnison du fort en
1775 n’était composée que d’une compagnie d’invalides. La Révolution en 1790
décréta les salins de Peccais propriété de l’Etat. Puis ils seront restitués à
leurs propriétaires sauf ceux de l’Abbé et de Saint Jean qui restent dans le
giron de l’Etat. Comme à bien d’autres endroits, la bourgeoisie montpelliéraine
achète les salins classés biens nationaux.
L’abolition de la gabelle
en 1791 signe la fin du fort qui va tomber en décrépitude.
Porteurs de sel --Groupe Salins |
Au début du 19ème siècle, le fort est déclassé. Après les grandes inondations du Rhône de 1840 et 1842, une société Renouard et Cie de Montpellier rachète et exploite les salins des marais de l’Abbé et de Saint Jean. En 1842 Achille Durand fermier du salin de Villeneuve convoque en assemblée générale les propriétaires des autres marais qui en 1847 s’associent dans une première Compagnie des Salins. Les débouchés commerciaux sont favorisés par le développement des chemins de fer, l’apparition des bateaux à vapeur sur la Rhône et surtout par les besoins de l’industrie naissante de la soude. En 1856 la Compagnie des Salins du Midi est créée par Auguste Renouard avec son siège social à Aigues-Mortes. Cette société va prospérer et prendre le contrôle et la propriété de tous les salins de la côte méditerranéenne française. La situation est plus fluctuante depuis quelques années. Mais c’est une autre histoire que nous compterons peut-être ici un jour.
Pendant la guerre de 1914-1918, le fort sert de
prison. Nous avons vu précédemment que le marquis de Baroncelli en a été le
pensionnaire bien malgré lui.
Les troupes allemandes d’occupation pendant la
seconde guerre mondiale s’installent dans le fort, construisant à l’intérieur
du bâtiment plusieurs petites casemates et un fortin plus important à
l’extérieur, proche de l’entrée. Le fort devient ou redevient un emplacement
stratégique contre un éventuel débarquement. A la Libération ces ajouts seront
dynamités, laissant des ferrailles tordues et des blocs de béton, témoins d’un
proche passé.
En 1978 les quelques vestiges et le fossé sont
classés à l’inventaire général des monuments historiques. La Cie des Salins du
Midi cède le site en décembre 2012 au Conservatoire du Littoral. Des travaux
sont envisagés par le Conservatoire des Monuments Historiques.
Tout
est salé : les bons mots, l’histoire un peu leste, la note du restaurant,
la correction, l’impôt, la peine salée qui condamne le demi-sel, peine
prononcée par un juge poivre et sel. Et même le mari paresseux qui selon la
coutume, devait être salé au lieu de sa paresse pour lui rendre sa vigueur. On
n’oublie pas le salaire (part de sel attribuée au soldat romain), la sauce, le
saucisson, la salade….. On en trouve d’autres ?
Plan Aigues-Mortes gravure de Belin 1764 BNF |
Sources :
Henri-Paul Eydoux Monuments Méconnus Provence 1978 édit Librairie Académique Perrin -- Christiane Villain-Gandossi Les salins de
Peccais au 14ème siècle d’après les compte du sel de Francesco
Datini Annales du Midi 1968 + Comptes du sel Paris 1969 collection des
documents inédits sur l’Histoire de France VolVII –Ménard Histoire de Nîmes
archives nationales J295 n°33 Preuves p
388 + Pagézy – Jean Raybaud Histoire des Grands Prieurs de Saint-Gilles 1904
édit Abbé Nicolas Nîmes in 8è T1 p188 – wikipedia –photos collection privée +
France-voyage, tripadvisor.fr -- Guilaine (J.) et Fabre (D.), dir, Histoire de
Carcassonne, Privat, 2001.-- Jean-Félix Cuny Le Sel que j'aime édit Hachette Art de Vivre ---Groupe Salins --Aigues-Mortes Musée du Sel --
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.