Un groupe de travailleurs à Sorgues (Vaucluse) 47e cie, 1941. © Collection
Pham. Source : Liem-Khe LUGUERN
Travailleurs Indochinois en
France en 1939
Déjà pendant la guerre de 1914-1918, des travailleurs, des soldats
indochinois avaient été recrutés. 90 000
travailleurs et tirailleurs indochinois avaient été déplacés en métropole.
Salut aux
couleurs de la 58e cie au camp "Bao Dai" dans la forêt de la Ferté en
1941. © Collection Pham. Source : Liem-Khe LUGUERN
Tout un arsenal législatif est
mis en place en 1939 pour recruter, acheminer, administrer les travailleurs
coloniaux. Ils sont mis au service des industries de la Défense Nationale par
le Service de la Main-d’œuvre Indigène, Nord-africaine et Coloniale, la MOI,
service qui est rattaché au ministère du Travail. Mandel, ministre des Colonies
demande l’appoint de 300 000 travailleurs coloniaux dont 100 000
Indochinois pour pallier à l’effort de guerre. L’arrêté du 29 août 1939 fixe
les limites de la réquisition sur tout le territoire d’Indochine. La
paysannerie pauvre est essentiellement mise à contribution : 90% des
20 000 travailleurs requis viennent de ces familles, surtout des
protectorats de l’Annam et du Tonkin, les autres de la colonie cochinchinoise.
Les autorités locales indigènes ont fixé l’obligation pour chaque famille de
fournir un fils âgé de plus de 20 ans, tous les trois enfants. (Une précision ici : l’Annam est une des
trois régions du Vietnam donc il est faux de parler d’Annamites pour l’ensemble
des Vietnamiens…mépris colonial ou ignorance volontaire ?). Une sorte de
STO colonial se met en place. En vietnamien, ces requis prennent le nom de
« Công Binh », ouvrier-soldat.
Les colons
français ne sont pas suffisamment nombreux pour diriger ces requis. L’encadrement
de ces « volontaires » sera fourni par d’autres requis volontaires,
avec un niveau d’études qui permet la maitrise du français. Ils sont de milieux
plus aisés, et espèrent d’échapper au blocage de la société coloniale qui leur
refuse la citoyenneté et les chances de promotion sociale. Ils seront
interprètes ou surveillants, un pour 25 travailleurs. Ils vont aider
l’administration coloniale à acheminer vers la métropole dès 1939 les premiers
Indochinois, 19 000 jeunes la plupart illettrés, paysans arrachés à leur
terre et leurs rizières. Le navire Yang-Tsé le 20 octobre 1939 part avec son
chargement, via Suez pour un mois de traversée. Entassés dans les cales du
bateau avec interdiction de monter sur le pont.
Le 21 novembre, les premiers travailleurs débarquent à Marseille et sont
installés dans deux camps dont la toute nouvelle prison des Baumettes. On a
fait mieux comme accueil : ils passent leur première nuit en France dans
les cellules d’une prison. La prison des Baumettes avait été construite pour
des prisonniers allemands. Il y avait un hôpital que les requis appelaient
« antichambre de la mort ».
Les derniers
arriveront le 6 juin 1940. La guerre est vite perdue et nous ne déplacerons pas
les quotas prévus. En tout 27 000 Indochinois répartis ainsi : 7000
tirailleurs et 20 000 travailleurs. Après la défaite, 5 000 seront
rapatriés rapidement dans leur pays mais les autres seront bloqués en
métropole. Après la Libération de 1945, le rapatriement de ces travailleurs
prendra fin en 1952.
(Poudrerie
de Sorgues Vaucluse)
Bien que
requis civils, ils sont assujettis à une discipline militaire. Ils sont
répartis en 73 compagnies de 200 à 300 hommes, rattachées à 5 légions. Les
commandants des compagnies et leurs adjoints sont des militaires et
fonctionnaires de l’administration coloniale. Ces travailleurs ou ouvriers non
qualifiés (ONS) seront employés par les services publics et les entreprises
privées. Jusqu’en juin 1940, essentiellement dans les entreprises de défense
nationale comme les poudreries qui utilisent autour de 70% de cette main
d’œuvre. On les trouve dans 24 départements. Pas loin de chez nous, à Sorgues
dans le Vaucluse près d’Avignon, aussi à Saint-Chamas dans les Bouches-du-Rhône.
Près de 5000 Indochinois rien qu’à Sorgues seront installés dans trois
camps : Bécassières, Poinsard et Badaffier. Les baraquements étaient
sommaires, avec interdiction de sortir des camps. Ils fabriqueront des poudres
et des explosifs nous rappelle Pierre Daum, auteur de Immigrés de force, les travailleurs
indochinois, 1939-1952 (Actes Sud, 2009). Le camp de Poinsard servira
de prison entre 1944 et 1945. En juin 1940, la poudrerie cesse de fonctionner
mais sept compagnies de travailleurs indochinois y stationnent et sont
affectées à divers travaux dans la région.
Toulouse,
Bordeaux, Bergerac, Angoulème, Roanne….. une répartition des compagnies un peu
partout dans le sud.
Camp Bécassières de Sorgues, avril 1940. © Raymond Chabert
Dans ces
usines, on travaille en 3 équipes de 8h, avec une cadence qui privilégie le
quantitatif au qualitatif. Les compagnies se replient en zone libre après la
défaite de juin 1940. 3 000 à Agde, Vénissieux, Toulouse... De 1941 à 1942, les requis seront essentiellement utilisés dans des travaux
forestiers ou agricoles : riziculture, salines en Camargue, forestage en
montagne…. Un salaire est versé par les entreprises à l’Etat mais les
travailleurs ne reçoivent rien ou pas grand-chose, logés, nourris.
(Briqueterie
Lot-et-Garonne )
octobre 1942 La récolte de riz en Camargue |
Le risque de pénurie alimentaire se faisant sentir début 1941, le
gouvernement de Vichy utilise cette main-d’œuvre pour relancer la riziculture et le maraichage. La fortune de grandes familles
arlésiennes sera faite sur le dos des requis qui connaissaient parfaitement les
secrets de la culture du riz. En 1938 notre pays importait 600 000 tonnes
de riz dont 577 000 arrivaient de nos Colonies (Indochine, Madagascar,
Afrique…). Henri Maux commissaire adjoint au Commissariat à la Lutte contre le
Chômage affecte la 25ème compagnie de travailleurs indochinois à la
relance de la culture du riz en Camargue. Dès 1942, 250 hectares sont mis en
culture avec succès. Ce sont les requis
qui ont vraiment créé nos rizières, transformant en profondeur l’économie et
les paysages du delta. Avant la guerre, le riz cultivé en Camargue était
immangeable pour nous et servait à nourrir les animaux. En 1944 sur 800
hectares on a récolté 2 200 tonnes de grains non décortiqués. Les
principaux mas qui les employaient étaient les mas d’Arbaud, Guinot, Paulon, de
Vert, Thibert… La MOI louait aussi 20 hectares appartenant à la Société St
Gobain entre le mas du Sauvage et celui du Pin Fourcat pour sa propre
production. Les travailleurs indochinois, les ouvriers, auxquels se mêlaient
des étrangers itinérants participaient à tous les travaux : préparation
des terres, semailles, moisson à la faucille, décorticage. Ils travaillaient
aussi la vigne. La MOI recevait 50 frs par jour et par requis, et elle leur
reversait théoriquement de 15 à 20 frs. Ils étaient nourris, logés et équipés
par les propriétaires. Mais dans la France occupée, les chaussures et les
couvertures
Le requis
peintre sculpteur célèbre Lê Ba Dang sera pionnier de la culture irriguée du
riz en Camargue en 1941.(décédé à Paris en 2015)
D’autres
requis travaillaient dans les salines de Salin de Giraud en Camargue, logés
dans des baraquements du village.
Récolte du riz 1943 –Histoires coloniales
.
Travailleur indochinois dans les rizières de Camargue pendant la guerre. © Collection Pham Van Nhân. Source : Liem-Khe LUGUERN
De 1942 jusqu’en 1944, à partir de l’envahissement de la zone libre par les troupes allemandes, ces travailleurs, un peu près la moitié, vont œuvrer directement ou indirectement en usine pour les troupes d’occupation. Les décès essentiellement dus à des maladies pulmonaires, la malnutrition, l’épuisement sont nombreux : un peu plus de 1000 soit 5,5% des effectifs. A Sorgues il reste 1800 requis qui travailleront pour l’occupant sans salaire.
Souffrance
physique et surtout souffrance morale, déracinés, sans nouvelles de leur
famille. Les préjugés racistes des cadres coloniaux, puis des nazis plongent
ces hommes dans un contexte hostile où leur « compagnie », les copains
sont les seuls repères, les seuls soutiens.
Carnet de
travailleur délivré à M. Nguyên Van Thanh par le service de travailleurs
Indigènes Nord-Africains et coloniaux. © Collection Nguyên Van Thanh. Source :
Liem-Khe LUGUERN—Thanh avait à peine 18 ans lors de son engagement volontaire
voulant fuir son milieu d’élite indigène. Son collègue Muu du même âge n’eut
pas le choix, son père était menacé de prison par les gendarmes.
D’abord
travailleur en Dordogne à
Prendeignes pour
ramasser les chataignes, Thanh se fait gifler pour être arrivé en retard. Il
riposte et se retrouve au camp de Badaffier de Sorgues, où sont envoyés les
« fortes têtes. Après trois mois il se retrouve à Lattes dans l’Hérault.
Coopérative
vivrière de Lattes, dans l'Hérault, vers 1942.
|
A la fin de la guerre, les
« fils protégés de la France » sont mal vus dans le pays :
indésirables en métropole, dangereux dans la colonie. Les évènements
d’Indochine et la désorganisation de l’après-guerre sur le sol français font
que le rapatriement tarde. Ce sera très vite le temps de la colère pour ces
expatriés. Ils ont beaucoup donné, souffert pour notre pays qui semble les
ignorer.
Dès 1945 ils réclament un
rapatriement dans leur pays et l’indépendance du Vietnam. A leur arrivée dans
leur pays, la plupart sont emprisonnés et après leur peine de prison ils
rejoignent le Viet-Minh. Ils
revendiquent l’égalité des droits avec les travailleurs de la métropole.
Manifestation pour le
rapatriement et l'indépendance du Vietnam à Sorgues en 1945. © Collection Lê. Source : Liem-Khe LUGUER.
Salut aux couleurs à Sorgues en 1945 devant le drapeau de la République
socialiste vietnamienne naissante. © Collection Lê.
Source : Liem-Khe LUGUERN
En
France, travailleurs, tirailleurs, intellectuels indochinois se réunissent à
Avignon en décembre 1944 pour former la Délégation Générale des Indochinois
soit 25 000 personnes représentées. Les ONS agissent en métropole comme le
bras du Viet-Minh. Grèves, mouvements de désobéissance, manifestation qui
culminent en 1948, le ministère des Colonies fait arrêter quelques centaines de
meneurs, d’abord regroupés à Bias en Lot-et-Garonne, puis embarqués en
Indochine pour y être emprisonnés.. A partir de 1948 les rapatriements vont
s’accélérer. En fait le gouvernement français va d’abord privilégier l’envoi de
troupes pour vaincre les envies d’indépendance des Vietnamiens. (Le camp de Bias servira plus tard pour loger les rapatriés d’Indochine,
puis les rapatriés d’Algérie ainsi que les Harkis).
Ces hommes
de retour au pays vont être accueillis comme des collaborateurs de l’armée
française, des traitres, des « Linh Tho », des soldats-ouvriers. Ils
devront se faire tout petits même s’ils rejoignent pour la plupart les rangs du
Viet-Minh. Autour de 15 000 retourneront au Vietnam.
Finalement un millier de
requis vont rester en métropole, essentiellement les surveillants ou les
interprètes qui avaient un bon niveau scolaire et donc des facilités pour
s’installer, fonder une famille, s’insérer dans le monde du travail, s’intégrer
dans notre société sans trop de heurts. Il est vrai qu’ils n’auraient peut-être
pas été accueillis à bras ouverts au Vietnam.
Un couple franco-vietnamien en septembre 1953 à Thiers (Puy-de-dôme). ©
Collection Pham. Source : Liem-Khe LUGUERN
Ces hommes
ont dû s’adapter au travail industriel, au modernisme. La puissance coloniale
qui faisait plier les Vietnamiens chez eux, est en proie à la défaite. Une
espèce de tri social s’est opérée : la paysannerie pauvre acquise au
Viet-Minh et à l’indépendance du Vietnam de retour au pays et l’élite des
travailleurs requis captée par la métropole. Dans l’Histoire régulièrement on
vide un pays de ses cadres, de son intelligence, de sa force de travail au
profit d’un autre pays. Nous le vivons encore actuellement et nous devrions y
réfléchir avant de le payer très cher !!
Le maire de Sorgues Thierry Lagneau
le 6 septembre 2012 remettra la médaille
de la ville à Nguyen van Thanh, ainsi qu’à un de ses anciens
camarades, Thieu Van Muu.
Le 5 octobre
2014 est inauguré à Salin-de-Giraud, en Camargue, le premier Mémorial national
aux travailleurs indochinois..
Arles aussi fêtera
et rendra hommage aux travailleurs indochinois, reconnaissant ainsi le tort que
notre pays avait fait subir à ces hommes. D’autres villes leur rendront aussi
hommage.
Cette
bande dessinée raconte l’histoire des 20 000 travailleurs forcés indochinois
employés dans les années 40 à la culture du riz en Camargue. Elle est co-signée
par Pierre Daum, journaliste, et Clément Baloup, dessinateur et scénariste.--https://pierrickauger.wordpress.com/2017/10/15/des-indochisois-etaient-forces-a-cultiver-le-riz-en-camargue-durant-la-seconde-guerre-mondiale
Nous parlerons sur ce blog une autre fois de la culture du riz
dans notre chère Camargue.
Thanh et sa future femme Juliette à Lattes,
en 1943. © Nguyen Van Thanh
Sources : Pierre Daum « Quand
la Camargue était vietnamienne », Geo Histoire avril-mai
2013, p. 118-126 -- + "Les travailleurs indochinois en France au cours de la Seconde Guerre Mondiale (archives internet) --belleindochine.free.fr (consulté le 18 mai 2015) --Pierre Daum, 20 000 travailleurs forcés d'Indochine oubliés par la France Rue 89, 7 décembre 2009 (consulté le 18 mai 2015) -- "La riziculture en Camargue" - Jean
Brugnot - Mémoire ENFOM - 1945 ainsi que deux documents de France Actualités
conservés à l'I.N.A, "Récolte du riz en Camargue" du 23 octobre 1942
et "Riziculture" du 5 novembre 1943 . -- Lê Huu Tho, aux éditions
L’Harmattan, Itinéraire d’un petit mandarin, en 1997. --- Thieu Van Muu, Un
enfant loin de son pays, en 2003.---
Liêm-Khê
Luguern, professeur d'Histoire-Géographie, doctorante IRIS (EHESS) maitrise sous la direction
de Philippe Viguier Les Travailleurs Indochinois en France de 1939 à 1948-- Cong Binh, la longue nuit
indochinoise. (www.travailleurs-indochinois.org)---Joël Pham,www.travailleurs-indochinois.org -- Nguyen Van Thanh,
Saïgon-Marseille : Aller-simple,
Elytis éditions, .Rue89--photos Pham Van Nhâm-
http://www.herault.fr/2011/03/09/immigres-de-travailleurs-indochinois-france-1939-1952-8993---https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/2014/10/05/salins-de-girault-le-memorial-des-travailleurs-indo-chinois-565062.html
à voir Riz amer "Les Indochinois en Camargue
(1939-1952)" ! Un film écrit par Pierre DAUM et Alain LEWKOWICZ Réalisé
par Alain LEWKOWICZ Produit par Valérie MONTMARTIN Une production POINTE SUD
PRODUCTIONS avec la participation de FRANCE TELEVISIONS—
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