Gravure « Atelier d'impression de livres » par Jan Van der Straet, XVIe siècle. Musée
Plantin-Moretus, Anvers, Belgique. © Wikimedia Commons, domaine public
Grève des Ouvriers typographes
lyonnais en 1539
Lors de
l’inauguration de notre nouvelle école, un élu a dit que « le livre-papier
c’était fini ». Pourtant au moment du « déconfinement », la
lecture de « livres » en papier a très bien marché, même chez les
plus jeunes. Le livre apporte quelque chose que la « tablette » ne
donne pas….
On ne dira jamais
assez ce que l’imprimerie a apporté au genre humain. Culture, ouverture
d’esprit, connaissances, revendications et travail pour des milliers de
personnes que ce soit dans la fabrication des livres, mais aussi dans la
fabrication du papier, de l’encre, le commerce du plomb pour la fabrication des
lettres, reliure, illustrations, commerce des brochures, livres via les foires,
le colportage… Un art, un soin, une « conversation entre les différents
artisans et les auteurs ». Luther
considère l'invention de l'imprimerie comme « le plus grand don de Dieu ». Pour certains historiens, l’imprimerie va jouer un
rôle majeur dans la propagation des conflits religieux du 16ème-17ème
siècle aussi bien pour les réformateurs protestants que pour les défenseurs de
l’Eglise catholique.
Lyon au
début du 16ème siècle est un des principaux centres européens de
l’imprimerie, même Le centre international du livre prenant le pas sur Venise
et Genève. A cette époque, selon l’historien J Boucher, on compte environ à Lyon autour de 29
librairies-marchands sans presses, et une soixantaine d’imprimeurs, travaillant
le plus souvent pour les premiers, tous dans le quartier de la rue Mercière. Pour
les trente premières années du 16ème siècle, on estime la production
d’ouvrages différents à Lyon à plus de 2400, soit le tiers de la production
française pour la même époque.
Depuis 1512
Lyon est ville ouverte à la liberté des métiers : toute personne ayant
compétence a le droit d’exercer son métier librement dans la cité. Des
imprimeurs allemands et hollandais s’y sont installés avec des ouvriers rhénans
ou flamands. Cette ville attire car elle est un lien commercial avec Genève,
Marseille, Paris, l’Italie, avec les foires les plus importantes d’Europe,
comme celle de Beaucaire.
Autour de
cette nouvelle technologie va se développer une dignité professionnelle et une
corporation prestigieuse, particulièrement soudée : celle des compagnons,
compositeurs et correcteurs, liés entre eux pour se faire reconnaitre. Ce sont
des ouvriers qualifiés, souvent très qualifiés, cultivés et rarement
analphabètes. Leur métier exigeait qu’ils lisent le latin et le grec.
Ils sont
conscients et fiers de l’importance de leur travail. Les emplois se font et
défont au gré des commandes ; mais il y a peu de chômage car l’imprimerie
marche bien et chaque commande demande plusieurs mois, voire une année de
travail.
Mais la
situation économique se dégrade en cette période, guerres entre François 1er
et Charles Quint, inflation, concurrence. Les maîtres-imprimeurs sont tenus de
respecter les délais de livraison sous peine de pénalités ; les horaires
sont devenus extrêmement flexibles. Les maîtres d’atelier veulent remettre en
cause les acquis des compagnons. Ils décident de supprimer le repas de midi, le
salaire-nourriture, qui en plus permettait aux ouvriers de se retrouver, de
manger à la table du patron et d’évoquer les problèmes de l’atelier, de se
sentir impliquer dans son fonctionnement. Une
« coutume ancienne et détestable » disent les maîtres imprimeurs.
Le patronat
souhaite aussi réduire l’influence de la Compagnie des Griffarins, la
corporation des ouvriers typographes ou le syndicat dirions-nous maintenant.
(Rappel pour les Lyonnais : Griffarins qui
vient peut-être de griffon, l’animal moitié aigle, moitié lion que Sébastion
Gryphe, imprimeur-libraire allemand installé depuis 1515 rue Ferrandière
utilisa comme enseigne ? Il imprime différents titres pour la Compagnie
des Libraires Catholiques, mais a aussi de solides relations dans le camp des
Huguenots, ce qui vaut mieux dans l’air du temps. De
1530 à 1540, il va réaliser 500 éditions différentes de classiques latins ou
grecs traduits ou corrigés par des érudits locaux ou des livres religieux. Il
meurt en 1556 mais son œuvre est reprise par son fils Antoine… Une rue de Lyon porte
maintenant son nom.)
Cette confrérie des Griffarins était une organisation
secrète ; on y adhérait en prêtant serment et fidélité absolue. Ses
membres versaient une cotisation. Une caisse de solidarité permettait
d’assister les malades, les retraités, les chômeurs. Elle avait ses propres
officiers. La politique éditoriale était laissée aux maîtres, mais les
compagnons restaient théoriquement maitres des horaires de travail, des jours fériés, de la formation des
apprentis et de leur nombre. Cette formation devait durer trois ans. Les
« forfants », les ouvriers qui n’adhéraient pas à la Compagnie
étaient bannis.
Les Griffarins fêtaient Minerve, la « Mère de l’Imprimerie et
la déesse du Savoir ».
Au printemps 1539 ils vont revendiquer pour de
meilleures rémunérations, pour des conditions de travail. Le repas de midi est
à la charge du patron, mais il se dégrade… Ils réclament « pain,
vin et pitance ». Quinze
heures par jour, des salaires de misère, les apprentis utilisés abusivement par
le patronat à la place des compagnons…. Jusqu’alors les apprentis ne
travaillaient à composer et mettre les lettres qu’après trois ans de formation…
La grève est
déclarée le 25 avril 1539. Les ouvriers de toutes les imprimeries lyonnaises
quittent les ateliers. Peut-être la première grève recensée dans notre
Histoire. C’est le « Grand Tric ». Mais Lyon avait connu d’autres
mouvements populaires, 1529, 1544, 1545, 1578, 1611, 1615, 1617,
1618, 1619, 1622, 1624, 1626, …… Lyon est la première ville ouvrière de France
sous l’Ancien Régime, là où la cherté du blé parfois due à la spéculation ou à
un hiver trop froid, là où la misère touchent les ouvriers et les habitants
pauvres.
« Tric »
veut dire grève au 16ème siècle, cri de ralliement des ouvriers pour
cesser le travail. C’est le son d’une réglette annonçant les interruptions
autorisées de travail. (en anglais « strike »=grève).
Durant trois-quatre
mois aucune imprimerie lyonnaise ne fonctionne. La grève va se propager dans
d’autres villes, en particulier à Paris.
Les
compagnons qui sont autorisés à porter des armes, intimident les autorités, les
maîtres imprimeurs, les ouvriers et les apprentis qui voudraient faire repartir
la production. Des heurts ont lieu avec les forces de l’ordre, prévôt et
sergents, CRS de l’époque. Ils s’organisent en compagnies avec capitaines,
lieutenants et bannières. Ils défilent en rangs serrés, le guet n’ose
intervenir. Même la justice est impuissante à mettre à exécution les mesures
prises par l’autorité.
Les
négociations avec les maîtres imprimeurs n’avancent pas. Le 31 juillet cinq
compagnons comparaissent pour répondre en leur nom et en celui de leurs
consorts. Le sénéchal, représentant du roi, (sorte de préfet actuel),
intervient en édictant un arrêt qui énonce les droits et devoirs des
ouvriers :
Interdiction de réunion de plus de cinq
personnes -- Suppression du droit de grève sous peine de bannissement et
d’amendes -- Interdiction du port d’armes --Autorisation pour les maîtres
d’embaucher le nombre d’apprentis qu’ils désirent --Seule satisfaction pour les
grévistes, le salaire nourriture est rétabli.
« Le procureur du Roi argumente que
depuis trois ou quatre mois en ça, lesdits compagnons imprimeurs se seraient
débauchés et auraient laissé et discontinué ledit train d’imprimerie, et par
manière de monopole tous ensemble auraient laissé leur besogne et débauché
grand nombre des autres compagnons et apprentis, les menaçant de battre et
mutiler s’ils besognaient et ne laissaient ladite oeuvre et imprimerie comme
eux ; tellement que ledit art d’imprimerie serait laissé et discontinué
puis quatre mois en çà, et est en doute d’être du tout aboli, au grand dommage
et détriment de la chose publique, attendu que c’était un des beaux trains et
manufactures de ce royaume, voire de chrétienté, qui a coûté beaucoup à
l’attirer et faire venir en cette dite ville. Et seraient lesdits compagnons
imprimeurs et apprentis vagants et comme vagabonds en cette dite ville de Lyon
jour et nuit, la plupart d’eux portant épées et bâtons invisibles et faisant
plusieurs excès contre lesdits maîtres et autres ainsi que disait et maintenait
et disait monsieur le procureur du roi qui disait davantage que lesdits
compagnons sont monopolés et font serments et promesses illicites, entre autres
de cesser oeuvre quand l’un d’eux veut cesser, et ne besogner si tous ne sont
pas d’accord -, et que pis, souvent se sont rebellés contre justice et les
sergents et officiers d’icelle, ont battu le prévôt et sergents jusques à
mutilation et effusion de sang […] »
·
Extrait de la sentence
de la Sénéchaussée ; Archives municipales de Lyon. Cité in Histoire du
Lyonnais par les textes, p. 70-71
Cette décision ne fit pas
cesser les revendications. Le sénéchal dut reculer.
Le roi
François 1er fin août 1539 promulgua l’édit de Villers-Cotterêts qui
interdit les confréries pour tous les métiers. « Nous
défendons à tous lesdits maîtres, ensemble aux compagnons et serviteurs de tous
métiers, de ne faire aucunes congrégations ou assemblées grandes ou petites, et
pour quelque cause ou occasion que ce soit, ni faire aucuns monopoles et
n’avoir ou prendre aucune intelligence les uns avec les autres du fait de leur
métier… ».
Mais les
compagnons typographes tenaient bon, l’ordre ne sera pas rétabli pour autant. Le
travail reprend de façon sporadique pendant près de trois ans. Le
fonctionnement des ateliers est gravement perturbé, ce qui n’est pas du goût
des maitres imprimeurs.
Les
compagnons continuent à se
réunir en assemblée, à prendre des décisions pour défendre leurs droit. En 1540
lors de la session extraordinaire du Parlement à Moulins, les ouvriers typo obtiennent
de la Cour un arrêt qui rétablit certaines anciennes règles corporatives.
« Les
apprentis ne besogneront à composer et mettre les lettres, qu’ils n’aient
demeuré trois ans apprentis ».
Et le 28
décembre 1541, François 1er promulgue l’édit de Fontainebleau qui
interdit le droit de grève et les assemblées de plus de cinq personnes ;
le patronat est autorisé à licencier, mais le compagnon ne peut quitter son
travail sans prévenir huit jours à l’avance. La journée de travail est fixée de
5h du matin à 8h du soir…. Un point important pour les compagnons : les
maîtres doivent continuer à leur fournir « la
dépense de bouche raisonnable et suffisamment selon leurs qualités ».
Les
négociations sur l’interprétation de l’édit vont traîner jusqu’en 1542, où une
déclaration royale donne priorité aux droits des maîtres imprimeurs. Un certain
nombre d’entre eux s’est délocalisé en Allemagne ou dans des villes comme
Vienne en Dauphiné qui ne dépendent pas du roi et de ses décisions peu stables.
En octobre
1566, malgré son interdiction, la corporation des Griffarins existait encore.
On fêtait Minerve, la mère de l’imprimerie.
Extrait du récit de « l’Ordre tenu en la chevauchée faite en la
ville de Lyon (…) le dymenche dernier du moys d’Octobre Mil cinq cens soixante
six ».
« Après laquelle suyvoit MINERVE la Mere
d’Imprimerie et déesse de scavoir, montée sur les branquars d’une lytière
richement aornée desdictes couleurs, assize dans une chaire richement parée,
bien revêtue desdictes couleurs iaune, rouge et verd. Et sur lesdictz chevaux
portant lesdictz branqars, estoit monté sur le premier un Lyon de grand veüe,
et aupres du naturel bien contrefaict. Et sur le dernier un grand Dragon, aussi
fort bien contrefaict, et de grandissime veüe. Tenant la dicte Mère Imprimerie
une Sphere à la main, couverte d’un voyle de crespe blanc, chose fort
somptueuse à veoir. Estans en toute la dicte compagnie d’Imprimerie environ de
soixante hommes. »
Avec les
guerres de religion de 1562-1629, l’imprimerie lyonnaise va perdre de son
importance. Le contenu des livres est de plus en plus surveillé et bon nombre
de maîtres imprimeurs vont fuir pour s’installer à Genève ou aux Pays-Bas.
Sources : La France ouvrière
tome I sous la direction de Claude Willard. Editions sociales p 21-22---
Georges Dangon, « Orages sur l’imprimerie : le grand tric de Lyon
(1539-1544) », Le Courrier graphique, no 84, février-mars 1956, p. 7, no
85, avril-mai 1956, p. 17-- Sources documentaires : le site de la
Fédération Anarchiste Lyonnaise, page « Lyon ville rebelle » –
« L’imprimerie à Lyon au temps de la Renaissance », mémoire réalisé
par le Centre Ressources Prospectives du Grand Lyon. « Typographes des
Lumières », un ouvrage de Philippe Minard et Nicolas Contat.--- https://rebellyon.info/25-avril-1539-a-Lyon-le-Grand-Tric-des-15040
-- Henri Hauser Histoire d’une grève au XVIe siècle, p. 177-234, Chapitre X du livre Ouvriers du temps passé XVe-XVIe siècles par Henri Hauser, professeur à la Sorbonne et au
Conservatoire national des Arts et Métiers, Librairie Félix Alcan, 1927.---
https://www.magazine-histoire.com/numeros/105.htm
--André Castelot
François 1er édit de Crémille1996 --Isabelle Bernier 2019 www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/epoque-moderne-histoire-imprimerie-elle-origine-conflits-religieux-xvie-siecle-11816/
--
Jean de
Tournes Imprimeur de Lyon
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