mardi 14 juillet 2020

Robespierre et les paratonnerres


Un nommé Robespierre :



Nous sommes en juin 1783 à Arras dans le Pas-de-Calais. Maximilien de Robespierre est encore un avocat inconnu sauf pour quelques bourgeois de la ville. Il va faire connaitre son nom grâce à sa plaidoirie sur « le par-à-tonnerre ». Il a 24 ans. Il habite avec sa sœur Charlotte qui lui fait office de servante après le couvent où elle a appris à tenir une maison avec renoncement, soumission comme il sied à une fille sans dot. Elle a 23 ans. Une autre sœur Henriette décédée en 1780, un frère Augustin-Bon-Joseph plus jeune, au destin étroitement lié à celui de son frère. Ils sont orphelins de mère et leur père abandonne le foyer ; ils seront élevés  par leur grand-père maternel, un brasseur d’Arras, plutôt prospère et très pieux.
(Claude-André Deseine 1791-terre cuite-collection Musée de la Révolution Française-achat1986 ---/commons.wikimedia.org/wiki/File:Robespierre_IMG_2303.jpg?uselang=fr)
Leur père était avocat, issu d’une famille de petite noblesse de robe. Maximilien après de bonnes études et une licence en droit, devient avocat, tradition familiale oblige. Il s’inscrit en 1781 au Conseil Provincial d’Artois occupant un temps la charge de juge au tribunal épiscopal, ce qui prouve qu’il avait ses entrées dans les milieux ecclésiastiques et la bourgeoisie traditionaliste.
On ne lui connait pas d’épouse, ni d’aventure sentimentale. Il est décrit introverti, studieux, mais très élégant, jusqu’à la manie.

En 1783, il n’est pas riche, quelques grappilles d’héritages, quelques plaidoiries. Sa vie est réglée comme du papier à musique : lever à 7 heures, 6 les jours de procès, travail jusqu’à 8 ou 9 heures sur ses dossiers soigneusement rangés dans son cabinet. Puis le perruquier chaque matin pour le rasage, le poudrage des cheveux…. Un réflexe qui ne le quittera plus et qui est essentiel dans son milieu : paraître…
(Charlottte –wikipédia.
Ensuite, un repas de laitages et il se remet au travail jusqu’à 10 heures. Puis il s’habille et va au Palais de Justice à pied. Il rentre dîner chez lui avec sa sœur Charlotte ; ils font bourse et table communes. « Il mangeait peu et ne buvait que de l’eau rougie. Il ne témoignait aucune préférence pour tel ou tel aliment. Il aimait les fruits et la seule chose dont il ne pouvait se passer c’était une tasse de café… ». Puis il s’octroyait une promenade hygiénique d’une heure à la mode de Rousseau. Il reprenait ses dossiers jusqu’à 8 heures. La soirée se passait parfois avec ses tantes ou les quelques amis de son milieu. « Lorsqu’on jouait aux cartes ou qu’on ne parlait que de choses insignifiantes, il se retirait dans un coin de l’appartement, s’enfonçait dans un fauteuil et se livrait à des réflexion comme s’il avait été seul. Cependant il était naturellement gai, savait plaisanter et riait quelquefois jusqu’aux larmes… »(Mémoires de Charlotte in A J Paris La Jeunesse de Robespierre et la convocation de Etats-Généraux en Artois édit Robert Laffont –BNF)

Jusqu’à ce juin 1783 il plaide pour ceux qui le payaient, en pratiquant l’attaque ou la défense. Mais l’affaire des « par-à-tonnerre » va tout changer, cette innovation qui provoque disputes dans tout le pays, de l’Artois jusqu’à Montpellier.
Un médecin Ansart raconte à son ami Langlet, étudiant en droit à Paris : « Rien de nouveau dans notre ville d’Arras, si ce n’est qu’un  nommé Robespierre nouveau débarqué du pays, vient de débuter ici dans une cause fameuse, où il plaida trois audiences d’une manière à effrayer ceux qui voudront dans la suite suivre la même carrière…. Il laisse bien loin après lui par la manière de débiter, par le choix des expressions, par la netteté du discours tous les avocats les plus connus… ».

Le client de Robespierre est Vissery de Bois-Valé, un avocat retiré, inventeur à ses heures qui avait construit et planté un paratonnerre sur sa cheminée, un engin qui correspondait relativement aux normes appliquées par Franklin. Le fil conducteur  est installé sur le pignon de la maison voisine. La propriétaire a peur du tonnerre, de cet engin nouveau, peur qu’elle communique à d’autres.. La rumeur envahit la ville, pétitions, requête, plainte et Vissery endosse l’habit de martyr du progrès. L’affaire se retrouve en appel au tribunal d’Arras. Un avocat connu pour son intérêt pour les sciences de la nature Antoine Buissart se charge de l’essentiel de l’argumentation, des informations que son confrère Robespierre va mettre en forme, lui donner du relief et le présenter publiquement. Juristes et académiciens de Paris envoient de la documentation. Dont Guyton de Morveau futur conventionnel pendant la Révolution, Maret, futur duc de Bassano bras droit de Napoléon…De Montpellier, le Franklin du Languedoc l’abbé Bertholon…
La rhétorique de Robespierre se met en place ;  son style cadencé, malgré une prolixité et une certaine pédanterie, se retrouvera dans tous ses discours jusqu’à la fin. Il s’exprime debout, face aux trois juges, vu de côté par un public assez dense car l’affaire intéresse aussi bien les pro que les "anti-par-à-tonnerre". Un dossier très fouillé, très charpenté. La pensée est là soutenue par le verbe. Refuser la foudre c’est refuser le doigt de Dieu. Mais « Les Arts et les Sciences sont le plus riche présent que le Ciel ait fait aux hommes, par quelle fatalité ont-ils donc trouvé tant d’obstacles pour s’établir sur la terre ?... ». « L’ignorance, les préjugés et les passions ont formé une ligue redoutable contre les hommes de génie, …. ». Son ton est monocorde, demande une écoute, mais la conviction, la richesse du texte sont là. Un texte rationnel, ironique, un panorama des sciences physiques de l’époque avec les persécutions dont on les a poursuivies.
Maximilien s’appuie sur Galilée, Descartes, Franklin, Harvey qui avait découvert la circulation du sang et condamné pour cela…. Il raconte l’installation des paratonnerres de par le monde, sur les magasins à poudre de Genève, de Venise, sur le Sénat, chez le Grand-Duc de Toscane, Voltaire, Buffon, l’Electeur de Bavière, l’Impératrice de Russie…. Il flatte les juges, il les endort, occupe tout le terrain. Le monde entier connaîtra la décision des juges, Paris, Stockholm, Saint-Petersbrourg…, « ce monument de votre sagesse, et de votre zèle pour le progrès des sciences… ».

Il a gagné ! « Le Mercure de France » publié à Paris mais diffusé dans tout le pays raconte le procès dès le 21 juin et récidive le 1er mai 1784. Un bénédictin d’Arras, Dom Devienne y fera référence dans divers écrits parisiens ou de province. Cet érudit semble à l’origine de l’impression et de la diffusion des plaidoyers qui »font le plus grand honneur à M de Robespierre à peine sorti de l’adolescence… ». Cette brochure sera tirée à cinq cents exemplaires, vendus dans les librairies parisiennes ou chez Topino libraire d’Arras. Une centaine seront destinées par Robespierre aux savants qui les avaient aidés. Franklin en recevra une avec une lettre d’accompagnement qu’on retrouvera dans ses papiers en 1903, un temps à la bibliothèque de Philadelphie.
Antoine Buissart, pourtant d’une certaine manière co-auteur, laissera à Robespierre tout le triomphe à la cause défendue.
Robespierre et toute la famille sont heureux. Un cousin se souvient de lui et l’invite à Carvin l’Epinoy pour fêter cette victoire ; il est pâtissier et notre Maximilien va oublier sa frugalité. Il va y rencontrer et même dîner avec  les édiles de la ville et le représentant du roi, le commandant militaire de la garnison. Champagne, sourires… »J’ai vu tout cela moi.. » Robespierre est aux anges !
Ce verdict des juges d’Arras marque l’orée de la carrière de Robespierre, mais aussi un changement des mentalités même en province. Le pays est-il en marche vers un autre monde ?


Robespierre et sa gestion de la Révolution de 1789 font encore débat à l’heure actuelle. Les fondateurs de la IIIème République et les historiens de l’Ecole Libérale lui reproche son rôle dans l’instauration de la Terreur et la nature autoritaire du Comité de Salut Public. Il n’a pas été tendre avec ses opposants et la guillotine a tué un peu à tort et à travers, pour finir par lui. Il a des phrases qui nous glacent pour justifier la Terreur :  « La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier qu'une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie ».(5/2/1794)
Pour ses défenseurs il aurait tenté de limiter les excès de la Terreur ; il aurait essayé de soutenir la démocratie directe et la justice sociale. On ne peut lui nier d’avoir été l’un des acteurs de la première abolition de l’esclavage. Il nous faut remarquer que le 9 Thermidor, date de sa chute, coïncide avec l’arrêt des mesures sociale en faveur des pauvres comme la loi du maximum général qui contrôlait les prix du pain et du grain. C’est aussi l’avènement du libéralisme économique…


Sources : Claude Manceron Les hommes de la Liberté Le Bon Plaisir 1782-1785-édit Robert Laffont1976--/www.herodote.net/L_Incorruptible-synthese-224.php
---AJ Paris La Jeunesse de Robespierre et la Convocation des Etats-Généraux en Artois BNF -- wiipedia.org--






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