Vallabrix, La Croix
place de l’Hôtel de Ville :
Il y a quelques
temps, des Vallabrixois m’interrogeaient sur cette croix, son emplacement, ses
inscriptions.
Inscription
initiale : « 1875-Jubile-Pater Ave- Indulgence de 40
jours »--« Nuit du 25 au 26 juin –Réparation 23 juillet 1911 ».
Cette place en 1875 ne
s’appelait pas encore place de l’Hôtel de Ville, mais place du Coustel (du Couteau ? ou de la Colline ?).
La mairie sera construite entre 1882 et 1886. Donc à l’origine, l’implantation
de cette croix n’est pas « anti-républicaine ».
Normalement les croix
étaient érigées aux entrées des villages, aux croisements des chemins, recherche
de la protection divine et GPS de l’époque. Cette place du Coustel est depuis
la moitié du 19ème siècle l’entrée du village. L’ancienne route
d’Uzès (qui traverse encore en partie le domaine du « nouveau
château ») vient d’être privatisée (portail sur la route, cheminement qui
conduit au nouveau bâtiment) et la D5 s’élargit au travers du village en
rabotant les maisons. Le nouveau cimetière ne marque pas encore l’entrée du
village, il quitte l’environnement de l’église et sera installé fin 19ème siècle
(1897) à l’emplacement actuel. Donc il est assez logique que cette croix soit
installée à cet endroit.
1875 est l’année du
Jubilé du pape Pie IX. Le Jubilé est pour les catholiques un grand évènement
religieux. Année sainte, année de rémission des péchés, année de
réconciliation, de conversion et de pénitence. Aussi année de solidarité,
d’espérance, de justice, de paix. Cet événement a lieu au départ (an 1300) tous
les cent ans, puis petit à petit au gré de l’Histoire, tous les 25 ans. Son
origine est hébraïque, la loi de Moïse avait fixé une année particulière où les
esclaves devaient être affranchis, la terre au repos, la rémission des dettes,
la restitution des terres à leurs anciens propriétaires….
Chaque pape marque
son Jubilé : le souverain pontife Martin V en 1425 fait frapper une
médaille commémorative et ouvre la Porte Sainte à St Jean de Latran. Le pape Sixte
IV pour son Jubilé de 1475 fait embellir Rome d’œuvres nouvelles et
importantes, comme la Chapelle Sixtine et le Pont Sixte sur le Tibre. Les plus grands artistes de l'époque travaillaient à Rome:
Verrochio, Signorelli, Ghirlandaio, Botticelli, Melozzo da Forli. En 1500, le pape Alexandre VI veut que les Portes Saintes des
quatre Basiliques de Rome soient ouvertes en même temps, tout en se réservant
l'ouverture de la Porte Sainte de Saint-Pierre. Le pèlerinage de Rome draine
chaque année des milliers de pèlerins et encore plus pour le Jubilé.
Mais pour le Jubilé de
1875, la ville de Rome est occupée par les troupes de Victor Emmanuel II. Le
pape Pie IX et le Vatican se sentent prisonniers. Le Jubilé est convoqué mais
les cérémonies d’ouverture et de fermeture de la Porte Sainte ne se feront pas.
Alors dans toute l’Europe chrétienne, nous allons ériger des croix de procession, de mission, des statues de la Vierge. Nous pouvons penser que notre croix de la place du Coustel date de cette période, érigée pour le Jubilé.
Pie IX dernier souverain
des Etats Pontificaux ne va pas apaiser le jeu. Ce qui ne calme pas les escarmouches entre laïcs et
catholiques. Notre village n’échappera pas à la crise politico-religieuse de la
fin du 19ème siècle. A Vallabrix, une première mairie et une première
école laïque sont implantées par la commune près de l’Eglise qui elle est
agrandie, clocher surélevé par le conseil de Fabrique... Comme dans beaucoup de
villes et villages, la bourgeoisie du parti catholique à Vallabrix, (républicaine-protestante
pour d’autres villages) essaie de s’imploser : chez nous construction du
nouveau château, dons pour l’entretien ou l’élargissement de la voirie, cloche,
bancs à l’église, élections…. La mairie refuse d’en un premier temps de réparer
le presbytère, interdit des processions, des arcs de triomphe… Un procès entre
la commune et le prêtre Bonnefille durera jusqu’en 1926-27.(voir Couradou p35 et suivantes
L’Eglise St Etienne-fonds historique médiathèque ou site internet Vallabrix).
Dans la nuit du 25 et 26
juin 1911, au lendemain d’une procession de la Fête Dieu, la croix de la place
de la Mairie est abattue. On accuse le parti républicain.
Le prêtre Monsieur Serre
lance une souscription pour restaurer et pourquoi ne pas embellir cette croix.
Très rapidement, on a de quoi réparer. La croix est remise en place et ornée
d’un Christ en bronze verni argent. Le 23 juillet une cérémonie de réparation
et de bénédiction a lieu avec défilé des villageois. Les archives paroissiales
nous racontent cette cérémonie :
« en tête, la croix de procession précédée de l’encensoir et suivie de la bannière de l’Enfant Jésus avec les petites filles, de l’étendard de Jeanne d’Arc avec les choristes et les jeunes personnes, de la croix du suffrage avec ses associés, de la grande et vieille bannière de la Ste Vierge avec les femmes, du drapeau de Jeanne d’Arc avec ses pages, du drapeau du Sacré-Cœur avec les jeunes gens catholiques réunis, du drapeau national avec les hommes et enfin du clergé : MM les Curés de La Bastide, de Pougnadoresse et de Vallabrix et de M l’Abbé Roure vicaire de la Cathédrale d’Uzès qui fermaient la marche ».
D’où la petite plaque de marbre qui rappelle cet événement.
On distingue encore « 1875 Jubile Pater Ave » et sur la plaque « Nuit du 25 au 26 juin –Réparation 23 juillet 1911 »- Des indélicats n’ont rien trouvé de mieux que de coller des affichettes sur les inscriptions. Le grattage du papier n’arrange pas la conservation de la gravure. Manquent aussi les vis qui tiennent la plaque. Les derniers travaux sur la route d’un coup de pelleteuse ont déplacé la partie supérieure du monument, ce qui lui donne un air tordu. Le temps n’est plus à la préservation du passé qui devrait normalement nous apprendre l’avenir.
Pourtant un petit
coup de peinture pour retracer les lettres et les chiffres ne ferait pas de
mal. Je suis sure que nos tenants d’une laïcité pure comprendront qu’on ne peut
pas trier dans les pages de notre Histoire et que tout cela nous a fabriqué.
Il
semble que bien des années plus tard, un jeune homme qui avait abusé de la
bouteille escalada l’édifice qui bascula sur l’impertinent qui y gagna une
fracture de la jambe. Les archives n’en causent pas, seules les mémoires des
anciens s’en souviennent.
Sources :
archives paroissiales – Gazette de Vallabrix n°4 juin 1990- Couradou déc 2015
L’Eglise St Etienne ---
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