Santons-fèves- collection perso
Les Santons et la Crèche :
(déjà publié sur ce blog le 7/12/2017)
Bientôt Noël et ses décors scintillants. Depuis quelques années dans notre belle province se pose et se repose la question de la Crèche : cultuelle, culturelle, traditionnelle, laïque ? Dans quel lieu est-elle permise, lieu privé, public ? On accepte sans rien dire les marchés de Noël, les guirlandes, les étoiles lumineuses dans les rues, qui sont pourtant espace public… Un marché de Noël bientôt à Dubaï. Comme dit ma voisine, au lieu de s’occuper des crèches il y en a qui ferait mieux de s’occuper de la hausse de la CSG pour (ou contre) les retraités !!.
La crèche s’enrichit de l’âne et du bœuf au 4ème siècle, animaux absents de l’Evangile. La crèche apparait au grand jour sur des sarcophages dans des lieux comme Rome, Milan, Ancône, Syracuse, Arles, Saint-Maximin. Elle se dévoile sur des manuscrits, des miniatures, des ivoires, peintures d’Orient….
Contrairement à la tradition, il n'y a aucune trace d'un âne ou d'un bœuf dans les deux évangiles qui racontent la naissance de Jésus (celui de saint Matthieu et celui de saint Luc). Les textes apocryphes comme l’évangile Pseudo-Mathieu du 6ème siècle mentionnent les deux animaux. Légende, besoin d’enjoliver les choses, de les rendre plus proches des fidèles avides de détails ? Pourtant des représentations des deux animaux sont bien plus anciennes. Un fragment de sarcophage avec le bœuf et l’âne porte le nom des consuls Placide et Romulus, donc vers 343. Une tradition venue de témoins oculaires et transmise de bouche à oreille ? La question n’est pas tranchée actuellement. L’historien René Grousset nous dit « C'est à Rome surtout que la sculpture chrétienne avait fait son œuvre et que de nombreux bas-reliefs avaient habitué l'œil à voir près de Jésus naissant un Ane et un Bœuf : c'est à Rome que, sous cette influence toute plastique, les deux animaux avaient commencé d'exister véritablement. Nous n'avons plus qu’à suivre désormais notre légende à travers les âges. Jusqu'au seizième siècle on ne la mettra pas en doute ; et d'ailleurs, quels que soient les arguments qu'on puisse lui opposer, elle restera toujours vraie pour le sentiment populaire ». Nous nous garderons bien d’avoir une opinion. Et puis ces animaux sont bien sympathiques et faisaient partie de la vie des familles.
Sculpture en bois Philippe Péneaud
Le concile de Trente avait épuré certaines croyances fondées sur les évangiles apocryphes : le bœuf et l’âne disparaissent des crèches et représentations de la Nativité fin 16ème et 17ème siècle, à quelques exceptions près. Ils sont oubliés par Velasquez, Rubens… Mais sous la pression des fidèles et avec le temps, ils réapparaissent au 18ème siècle.
Traditionnellement on attribue à François d’Assise la création en 1223 de la première crèche vivante à Greccio en Italie, dans un ermitage établi dans une grotte donnée par le seigneur du village. Les personnages sont joués par les gens du village, les animaux bien réels. Une querelle d’attribution : est-ce la mère de François d’Assise, de Tarascon ou Beaucaire, qui lors de son mariage avec un drapier de Lombardie, emmena sa crèche dans ses bagages. Les marchands napolitains vendaient sur les marchés de Provence et d'ailleurs jusqu'aux Flandres des « Santibelli », figurines religieuses en plâtre. D’où pour certains historiens l’existence de crèches provençales avant le 13ème siècle. Pour les Italiens au contraire, la première crèche vivante naquit à Greccio et de là la tradition gagna les couvents franciscains, des clarisses, les églises de France durant la seconde moitié du 13ème siècle. Quoiqu’il en soit, François d’Assise est le saint patron des santonniers.
Petit à petit les personnages de la crèche sont sculptés en bois, en cire, en carton-pâte, en verre. Des chefs-d’œuvre, si fragiles qu’on les fixait dans des caisses en bois avec une vitre sur le devant. Les verriers d’Arles étaient célèbres pour ce travail, souvent des religieux, chartreux, carmélites, … La cire de leurs ruches était utilisée pour faire ces « Belèn » peints. Ce sont des pièces de musée maintenant.
Les personnages de la crèche de Louis XIV étaient en porcelaine coloriée, en costume de l’époque. Monseigneur Chabot nous raconte : « la crèche reflète la distinction et la noblesse qu’on trouvait à la cour du grand roi…les bergers portent culottes courtes et bas blancs….Les rois Mages ont grand air, avec leur coiffures empanachées de plumes flottantes… » . La crèche de Louis XV est « en satin bleu, aveuglante de paillettes.. ». La crèche de Louis XVI n’a pas la même grâce et la même finesse. Des coquillages et des arbustes en trop grand nombre nuisent à l’effet. Toute une époque !
Le peuple voulait aussi sa crèche. En 1775 à Marseille, Laurent construit une crèche à montrer au public avec des mannequins articulés vêtus de costumes provençaux. Mais il y ajoute des girafes, des rennes, des hippopotames. Jean-PaulClébert raconte : « À l'époque du Concordat, Laurent montrait même un carrosse qui s'avançait vers l'étable ; le pape en descendait, suivi des cardinaux. Devant eux s'agenouillait toute la Sainte-Famille et le pape lui donnait sa bénédiction. Pendant l'adoration des bergers, un rideau se levait, dévoilant la mer sur laquelle voguait un bâtiment de guerre. Une salve d'artillerie saluait l'enfant Jésus qui, réveillé en sursaut, ouvrait les yeux, tressaillait et agitait les bras ».
La Révolution française supprime la messe de minuit et bouleverse l’organisation des églises. Les représentations publiques de la nativité sont parfois autorisées. Alors dans l’intimité des foyers de chaque famille provençale sont apparus les « santoun », les petits saints, les santons. Ce que le peuple veut…. La crèche entre dans l’espace privé.
Foire aux santons à Marseille au milieu du XIXe siècle .En 1803, a lieu à Marseille la première foire aux santons. Santons peints, habillés, santons d’ailleurs. Et tous les accessoires pour le décor : la crèche est devenue un ensemble : l’étable, mais un village, avec son église, des maisons, des ponts, des puits, des arbustes…. Combien de villes maintenant ont pareille foire pour la joie de tous.
Jean-Louis Lagnel de Marseille eut le premier l’idée de construire des moules pour ses figurines en argile. Il représentait ses voisins dans différents métiers, vêtus dans la mode populaire de l’époque Louis-Philippe. Ces moules permettaient de reproduire à l’infini les sujets à moindre coût. Ses premiers santons sont sans bras, sans coiffure, sans accessoires qui sont moulés à part et collés au corps à la barbotine (argile diluée). Puis expérience aidant, il créa ses santons d’une seule pièce, installant le véritable santon
de Provence en argile différent des santibelli italiens en plâtre. Moules de Jean-Louis Lagnel (1764-1822) premier santonnier marseillais. Musée Marcel Carbonnel (collection privée M Carbonnel – photo Ph Renoux-Carbonnel mars 2012- wikipedia-wikimedia common)
Les santonniers d’aujourd’hui réalisent d’abord un modèle dans l’argile crue placé sur un socle qui fera partie du sujet. Ensuite vient la confection du moule coulé en plâtre. Dans une moitié du moule talquée, on presse un colombin d’argile fraîche. Après pression des deux parties du moule, le santon est sorti, mis à sécher, ébarbé pour éliminer toute trace du moulage. Après un nouveau séchage, il est cuit dans un four à 800°. La décoration se fait à la main. Les santons habillés à l’origine étaient confiés à des familles qui confectionnaient les vêtements. Des petits métiers qui aidaient financièrement les familles.
lavandières Arles |
Toutes les catégories sociales, les métiers, et maintenant des célébrités du moment sont représentées. Le Vieux Grasset et sa Vieille Grassette qui marchent dans l’innocente vie santonnière, bras dessus bras dessous rivés l’un à l’autre dans la tendresse, le Ravi, le Tambourinaire, le pêcheur et la poissonnière, le boulanger, le porteur d’eau, la lavandière, le vannier, le pistaché aux nombreux gilets et son gros ventre….. et l’Arlésienne, l’aveugle et son fils, les bohémiens, Margarido la grognon…. Des vies !! Le maire a revêtu ses plus beaux habits, son écharpe tricolore, son chapeau haut-de-forme, son parapluie. Une montre en or pend de sa poche de veston, habituellement appelé Mathieu et il inscrit la naissance de l’Enfant sur le registre d’Etat-Civil du village. Le brigand et l’enfant volé offrent un sujet de morale qui se terminera par la rédemption finale. Le curé traditionnellement représenté bedonnant, joues rouges. Un moine capucin, souvent présent en hommage à celui qui dans son couvent de Marseille avait eu l’idée de distribuer aux pauvres des petites sujets en mie de pain parfumés à l’anis. Son supérieur fit cesser cette distribution, peut-être parce que les petits pains étaient mangés avant le 25 décembre, ou parce que le succès de l’opération les dépassait.
Au moment de la crèche, nos rues, nos centres commerciaux résonnent de chants de Noël, s’illuminent de guirlandes. On prépare les cadeaux, on imagine les repas de fêtes… Même si l’on manque de moyens, on fait un geste, pour marquer le coup. Actuellement la tradition des crèches existe dans beaucoup de pays. Chaque santonnier apporte sa touche personnelle. Les Chinois nous en envoient en plastique, en résine. Les Polynésiens les sculptent dans des noix de coco, habillés de fibre de palme.... Les expositions nous enchantent par la diversité des sujets. Et chaque spectateur y trouve ce qu’il a envie d’y trouver. Les non-croyants ne sont pas les derniers à se réjouir du spectacle. Je connais nombre d’athées ou de protestants qui chaque année font leur crèche avec des décors modifiés d’une année sur l’autre, des nouveaux santons. On ne peut pas les taxer d’infantilisme. Peut-être un besoin de merveilleux !
La crèche, légende, religion, folklore, traditions, Histoire ? Quand on aborde la Pastorale provençale qui fait naître Jésus chez nous et non en Palestine, avec le maire pour l’inscrire sur notre registre d’Etat-civil, il y a de quoi s’interroger !!!! Toutes les catégories sociales y sont représentées, de la gardienne d’oies, à la marchande de légumes, du curé qui n’existait évidemment pas à l’époque de la naissance, le bohémien, du boulanger à la vendeuse d’ail…., tous naturellement présents pour célébrer la naissance de l’Enfant. Il y a de quoi rêver à Noël, respirer le chocolat, le sapin, et surtout admirer le savoir-faire de nos santonniers !! Le message de Noël c’est avant tout un message de paix, d’amour. Une trêve dont nous avons bien besoin, un renouveau, un espoir ! C'est un message qui échappe à la seule sphère religieuse. Ce n’est pas innocent si la tradition a fait naître Jésus en décembre au lieu de l’été, lorsque la lumière revient, et que les jours paraissent s’allonger petit à petit. "A la sainte Luce les jours allongent d'un saut de puce et pour la Noël d'un pied de coq ». ("Avant 1582, dans le calendrier julien, la Sainte-Luce tombait deux jours après le solstice d'hiver, le calendrier grégorien a avancé la Sainte-Luce de dix jours et elle tombe aujourd'hui huit jours avant le solstice). Ce besoin de fête lors du renouveau de la lumière a existé bien avant le Christianisme, bien avant les Romains, l'Antiquité, probablement depuis la nuit des temps. Quoi de mieux que la naissance d'un enfant pour illustrer ce renouveau ?
Et puis Jésus est aussi mentionné dans le Coran (par exemple Sourate 19, 16-35). Une forme de laïcité avant l’heure ?!!
Et puis Jésus est aussi mentionné dans le Coran (par exemple Sourate 19, 16-35). Une forme de laïcité avant l’heure ?!!
Pour répondre à nos reboussiers, Gaston Doumergue, président de la République avait reçu en son temps santons et santonniers dans les salons de l’Elysée.
(Autres réflexions que suggère cette polémique : attention à l'intégrisme laïc qui peut tuer la laïcité - ce que le peuple veut, il finit toujours par l'obtenir - nous payons encore maintenant l'intégrisme républicain de la période de la Terreur e 1794.)
(Autres réflexions que suggère cette polémique : attention à l'intégrisme laïc qui peut tuer la laïcité - ce que le peuple veut, il finit toujours par l'obtenir - nous payons encore maintenant l'intégrisme républicain de la période de la Terreur e 1794.)
Farandole des santons, fresque de David Dellepiane
Sources : Marie Mauron Le Monde des Santons ISBN 2-262-00052-2 octobre 1976 - Françoise Lautman, Crèches et traditions de Noël, Ed. de la Réunion des Musées nationaux, 1986, p. 39 – René Grousset Le Bœuf et l’Ane à la Nativité du Christ 1884 V4 N°1 Persée.fr - Jean Paul Clébert Guide de la Provence mystérieuse, Éd. Tchou, Paris, 1972 - www.peneaud.com/sculpture-noel/noel-1.htm - wikipedia - VFhorizon-provence.com - Régis Bertrand "Crèches et Santons de Provence"publié en 1992, éditions Barhélémy. - A voir Le Salon international d’Arles des Santonniers, santons d’ici et d’ailleurs -Du 18 novembre 2017 au 14 janvier 2018 Cloître Saint-Trophimesalondessantonniers.over-blog.fr
Collection privée- la bergère à la lanterne, le tambourinaire et une vache ancienne
Collection privée – quelques santons
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