Des contes et légendes de nos villages pour agrémenter les veillées en ces temps de pandémie
La Belle, le Pou et
le Charbonnier
Il était une fois dans
nos montagnes un noble seigneur et sa fille unique Catherine, belle et vive comme
le jour, brune et romanesque comme la nuit. Le château de Massevigues pointait
orgueilleusement ses tours sur la vallée d’un gardonnais qui serpentait entre
les prés et les moulins. Une certaine aisance, une certaine fierté de noblesse.
Catherine rêvait,
voulait, exigeait faire un mariage d’amour. Les prétendants de la région lui
paraissaient trop balourds, trop stupides, trop empotés… Mais lors d’un bal, le
coup de foudre au premier regard : un jeune homme de belle prestance et à
la conversation qui la fit rire aux éclats. Ce sera lui, Benoit d’Alzon !!!
Les renseignements que le
papa prit sur le jeune homme n’étaient pas brillants. Certes il avait
brillamment combattu dans un régiment
royal, capitaine, blessé légèrement à plusieurs reprises, médaillé, couvert
d’honneur. Des quartiers de noblesse qui remontaient loin, un ancêtre mort
croisé à Jérusalem. Mais son héritage était maigre, des bois, quelques pauvres
pâtures, peu de revenus….
Catherine ne parlait que
de lui, tannait son père d’allusions sur son Benoit. Ce sera lui et personne
d’autre !! Tant et tant que le seigneur de Massevigues entra dans une
colère terrifiante, effrayante. « Ce Benoît d’Alzon n’est qu’un seigneur
de charbonniers et ce ne sont pas ses moustaches et ses cicatrices qui te
paieront tes robes de bal !! » . Et la belle se retrouva enfermée
tout au haut de la tour….
Catherine passe ainsi plusieurs semaines à pleurer toutes les larmes de son corps. Mais un matin en la coiffant, la servante trouve entre les dents du peigne, un pou énorme, vif, remuant comme un chaton. Informé, le seigneur de Massevigues persifla et eut une idée qui lui paraissait de génie.
Il
ordonna qu’on emprisonne le pou sous une cloche à fromage, nourri chaque jour
de jus de viande. Très vite, l’animal grossit, grossit, emplit toute la cloche.
Le seigneur alors demanda
à son tailleur de faire de la peau de l’animal un manchon. Cela fut vite fait,
un manchon magnifique, souple, douillet, élégant.
« Voilà ce que j’ai décidé. Celui qui
devinera de quel animal est fait ce manchon, celui-là sera votre époux »
dit-il à sa fille. La nouvelle est annoncée aux quatre coins du royaume et les
prétendants affluèrent, tous plus magnifiquement vêtus les uns que les autres,
montés sur les plus beaux coursiers. Les jeunes gens et les moins jeunes hommes
de la noblesse de la contrée défilaient devant le curieux manchon.
-
« Cet objet admirable est taillé à
coup sûr dans la peau d’un terrible taureau de Camargue », affirma un fils
de duc
-
« Non pas, c’est de la peau du cou de
girafe, cela se voit au premier coup d’œil », vociféra un fils de comte…
Chacun tempêtait, hurlait
sa conviction, caracolant dans la cour sous les fenêtres de la belle.
Tout y passa, la peau du
ventre d’un lion, la trompe d’un éléphant, que sais-je !! Cela dura des
semaines, des mois… Mais aucun ne devina comment ce manchon avait été fait. Les
prétendants commencèrent à se faire rares.
Catherine était loin
d’être stupide. Elle avait deviné la vérité. Sa servante rencontrait chaque
semaine au marché un des valets du seigneur d’Alzon. Par son truchement elle
avertit Benoît.
Et un matin on vit
arriver au château de Massevigues un vieil homme, le dos courbé par l’âge et
les travaux. Gris, même sale, cheveux et barbe longs ébouriffés, manteau
déchiré…un vieil âne décharné. Il demanda à voir le manchon en patois. Les
serviteurs hésitèrent, mais comme le seigneur de Massevigues avait dit que tous
pouvaient tenter leur chance, on finit par l’accompagner dans la salle où
trônait le manchon.
-
« Pour sûr ce n’est pas de la peau de
lièvre », renifla-t-il
-
« pour sûr, pour sûr » pouffa le
seigneur
-
« pour sûr ce n’est pas non plus de
la peau de crapaud », reprit-il
-
« pour sûr, pour sûr » gloussa
le seigneur
-
« messire, c’est une peau de pou, de
pou » affirma-t-il goguenard
Le
tout en patois, tout en s’essuyant la bouche de sa manche.
Le seigneur s’étrangla :
« Comment ? Diantre ? Il y a de la diablerie
là-dessous !! ». Catherine tomba de sa chaise en pamoison. Le pauvre
père ayant juré qu’il tiendrait parole, fut bien obligé de voir sa fille partir
sur le vieil âne du charbonnier.
-« si
j’avais su je n’aurais pas essayé de jouer au plus malin. Benoît d’Alzon valait
cent fois plus que ce charbonnier ! »
Catherine sanglotait sur
le dos du baudet, maudissant son fiancé et son Benoît qui l’avait laissé aux
mains de cet homme. Le charbonnier lui disait « ne vous inquiétez pas,
vous serez bien dans ma chaumière.
Une heure de marche et apparut un village dominé par un vieux château. Le charbonnier dit qu’ils allaient faire halte car il avait une affaire à régler avec le seigneur du lieu. Ils entrèrent dans la cour du château et l’âne fut attaché à un anneau. « Attendez-moi là je n’en ai que pour quelques instants ».
Catherine seule
dans la cour n’osait pas s’enfuir, pour aller où ? Elle n’eut même pas le
courage de descendre de sa monture. Puis une porte s’ouvrit et Monsieur d’Alzon
parut resplendissant dans son magnifique uniforme de capitaine !
-
« alors demoiselle, on vous a
abandonnée au milieu de ma cour ? » lui dit-il tout sourire avec la
voix caillouteuse du charbonnier.
Catherine soulagée se
laissa glisser du dos de l’âne pour se retrouver dans les bras de son galant.
-« j’ai voulu me moquer gentiment de l’arrogance de
monsieur votre père et lui donner une leçon : Habillez un buisson et il
ressemblera à un baron, l’inverse est tout aussi vrai !! »
Un mois après le mariage
est célébré au château de Massevigues avec grands festins, bals, guirlandes de
fleurs, jongleurs et troubadours. Tous les gens des environs furent conviés sauf les acariâtres et les envieux !!!
Grand merci à Esther
et Solange pour leur conte à raconter au coin de la cheminée quand le vent
agace les châtaigniers des Cévennes.
Illustrations «
A l’abri des Châteaux Forts » Isbn 2-07-039720-3- Gallimard Jeunesse 1985-
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