Brandade de morue, une tradition venue du froid
« La brandade vient du participe passé du verbe provençal brandar, qui signifie « remuer », du geste qu’il faut effectuer pour
la produire comme on monte une mayonnaise. Le nom occitan de la spécialité est brandada*
de bacallá / brandada de bacalhau « nous indique le
dictionnaire-
Pourquoi Nîmes ? . Le
principal ingrédient, la morue, ne s'épanouit guère à l'ombre de la Tour Magne.
La légende raconte qu’une Nîmoise eut l’idée de broyer la chair de morue dans
un mortier de pierre, de la délayer avec un mélange d’huile et herbes des
garrigues…
Grimod de La Reynière dans son « Almanach
des gourmands » au début du 19ème siècle nous explique la
recette : « Le poisson est
trempé dans l'eau pendant vingt-quatre heures afin d'être dessalé et ramolli,
puis porté à ébullition dans une nouvelle eau. Il est ensuite coupé en morceaux
et mis dans une casserole avec de l'huile, du beurre, du persil, de l'ail,
voire du lait. L'ensemble est remué jusqu'à l'obtention d'une « espèce de crème
». Les livres de cuisine s’en emparent, « La
Nouvelle Cuisinière Bourgeoise en 1816, » avec jaunes d’œufs et crème
double….... « Le
Cuisinier méridional » (Avignon, 1835) avec ail et persil…. Le célèbre chef Antonin Carême la
propose dans des menus en garniture de croustade. Dans « La Cuisinière provençale »
de 1897 dont la première édition date de 1897, Jean-Baptiste Reboul
conseille de la servir avec des croûtons de pain frits.
/www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/cabot-jean
--Terres découvertes par Jean cabot
Avant la « découverte » du Canada et de ses bancs de
cabillaud par Jean Cabot au 15ème siècle, le merlu remplaçait la
morue dans la brandade. (voir Jean Cabot 1451-1498 sur ce blog 14/3/2021 bref
passage de « Assassinat du maire d’Uzès Cabot-Dampmartin). L’ambassadeur de Milan
en Angleterre dit avoir entendu Jean Cabot déclarer que l’océan « grouillait de poisson,
que l’on pouvait prendre non seulement au filet, mais aussi dans des paniers
descendus avec une pierre ». Il s’agissait, bien sûr, de cabillauds dont
l’abondance sur Les Grands Bancs devait, plus tard, donner naissance à
l’industrie de la pêche terre-neuvienne. La « découverte » du
continent américain ne nous a pas apporté que de l’or et une inflation
carabinée au 16ème siècle !!
Des archives de 1278 nous parlent déjà de poisson séché. Il s’appelait
« merluchon » ou « merluche » à cette époque d’une manière
générale. L’Eglise imposait de faire maigre pendant le carême, les mercredi,
vendredi, samedi et veille de fête. Dans les campagnes loin de la mer, on ne
pouvait pas s’offrir le luxe de manger des poissons de rivière. Le poisson
séché, hareng, merlu, morue faisait l’affaire.
(terroirs de chef.com)
En fait, aucun poisson portant le nom de
« morue » nage dans l’océan. Il s’agit de cabillaud conservé au sel
et séché. C’était la seule façon de le conserver avant l’invention des
réfrigérateurs et congélateurs ! Ce poisson était en abondance dans
l’Océan Atlantique et en Mer du Nord jusqu’à Terre-Neuve et les pêcheurs
venaient à Nîmes échanger leurs morues contre du sel que nous exploitions aux
salins du Midi du côté d’Aigues-Mortes.
Il semblerait même que nos toile de
coton « le Denim » aient été aussi échangées contre la morue de nos
pêcheurs de l’Atlantique pour fabriquer les bleus de travail.
La brandade un plat populaire et méprisé, au début pour les pauvres, le cabillaud étant très fertile, puis met de
riches à cause de la diminution de
l’espèce due à la surpêche et surtout à la pêche au chalut au lieu de la pêche
à la ligne, fort dangereuse pour le pêcheur.
Brandade avec ail et persil comme en Charente, brandade
parmentière comme au Pays Basque, de Nice, et Paris…. On peut aussi y ajouter du jus de
citron, de l’ail, et des épices. Plus moderne, brandade qui farcit poivrons,
tomates, courgettes, les bouchées à la reine, les crêpes…. Les restaurants
chics l’ont au menu. Elle fait maintenant l’objet de toutes les créativités
culinaires.
La brandade n’est pas un plat débordant
de saveur ni de couleur. On a parlé à son sujet d’austérité protestante mais
Nîmes c’est aussi une feria des plus débridée !
La brandade de Nîmes est une émulsion
dosée entre chair de poisson réduite en purée, lait et huile : au moins
32% et même 50% de morue. On peut l’accompagner de pommes de terre gratinées au
four. Cette recette aurait été créée vers 1851. Mais déjà en 1766 un cuisinier
natif d’Alès et au service de l’évêque de l’époque reprit la recette d’un restaurateur
de Nîmes qui mariait la morue aux ingrédients de la cuisine
méditerranéenne !
Des Gardois nostalgiques l’ont emportée
à Paris. Le Président de la République Gaston
Doumergue s’en faisait livrer dans son bureau de l’Elysée ! Il déclarait
« lorsque vous dégustez la brandade,
vous entendez chanter les cigales dans les pins de la Tour Magne ».
Alphonse Daudet par exemple écrit : la brandade
de Nîmes « n’a pas sa pareille et
permet de conserver l’accent, les dents blanches et le souvenir ! ».
Les meilleures brandades
étaient celles des Trois Frères provençaux, l'un des restaurants parisiens les
plus renommés de l'époque, qui faisait salle pleine tous les jours.
Dans les années 1960, quatre ou cinq familles nîmoises
étaient brandadières c’est-à-dire fabriquant la brandade de Nîmes à l’huile,
lait et morue.
Pablo Picasso un jour promit à des amis parisiens de leur faire manger de la brandade de
mouton !! C’était en fait de la brandade préparée par la famille Mouton
une des dernières fabriques artisanales emblématiques de la ville.
La brandade maintenant industrielle se vend dans le monde
entier. Même les mamies ne la fabriquent plus bien pour la famille, préférant l’acheter
toute faite et mieux faite par ceux qui savent. Deux sociétés continuent à la
produire dans notre région l’Alésienne Coudène et la Nîmoise Raymond Geoffroy. Ce dernier perpétue
cette même recette, au naturel. L’entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de
3,4 M avec 22 salariés dans les années 2012….
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