Napoléon Chaix et les trains de plaisir
Naissance du "Tourisme" ?
Dès juin, les touristes vont réinvestir notre
Languedoc. Ils viennent chercher chez nous, détente, sport, distractions, un
peu de culture. Nous sommes maintenant loin des Grands Tours de nos jeunes
aristocrates ou bourgeois du 17ème-18ème siècle qui
parcouraient l’Europe en quête de connaissances, de découvertes. Parfois nos
touristes oublient que s’ils font la fête jusqu’à la fin de la nuit, nous
autres, nous devons nous lever tôt le matin pour travailler. Mais nous les
aimons bien malgré tout.
Le mot « tourisme » apparaît dans notre pays
en 1813. Il nous revient d’Angleterre d'où il était parti pour nommer
« promenade circulaire ». Ce mot va rapidement remplacer le mot
« voyage », en signifiant plutôt voyage d’agrément, pour le plaisir.
Stendhal l’emploie ainsi en 1837 dans ses « Mémoires d’un touriste ».
Il va de paire avec la naissance du chemin de fer.
Le 21 août 1837 la reine Marie-Amélie
inaugure la première ligne de Paris au Pecq, le rail n’allait pas encore
jusqu’au château de Saint-Germain. La plupart des hommes d’affaires, des
banquiers croient en l’avenir du chemin de fer, pour le transport des
marchandises mais aussi des voyageurs. Tous ne partagent pas cette opinion
comme Adolphe Tiers qui dit : « il faut donner le chemin de fer aux Parisiens
comme un jouet, mais jamais on ne transportera un voyageur ou un
bagage… ». D’autres s’interrogent, Théophile Gautier, Musset… Le
déraillement du 8 mai 1842, ses 55 morts et ses plus de 100 blessés, les brûlés
vifs dans des wagons fermés de l’extérieur, le spectacle atroce, tout cela
inquiète. Lamartine, notre grand poète, affiche un certain fatalisme :
« …la civilisation est un champ de bataille où beaucoup succombent pour la
conquête et l’avancement de tous. Plaignons-les, plaignons-nous et marchons !! ».
Tous sentent bien que nous sommes à un tournant de la civilisation avec le
développement du chemin de fer.
En 1839, une ligne Paris-Versailles, puis jusqu’à
Chartres. Notre pays se couvre rapidement de voies ferrées, d’abord pour le
transport de marchandises, puis de voyageurs. Paris-Chartres en 45 mn au
lieu de deux heures auparavant. Au
château de Versailles les Grandes Eaux fonctionnent à nouveau, un musée des
Gloires de la France s’installe au château-même. Les foules parisiennes se
précipitent vers la cité royale à laquelle le roi Louis-Philippe veut redonner
un certain lustre et surtout rappeler qu’il est légitime. Le fameux 8 mai 1842,
750 personnes sur le train de retour !!
Daumier-wikipedia.org- Les trains de Plaisir--
Nos hommes d’affaires ont l’idée des « trains de
plaisir » qui étaient un convoi spécial à tarif réduit à destination de
stations balnéaires, de centres touristiques ou pour des événements
particuliers, courses, fêtes, expositions…. Des tarifs très promotionnels, de
40 à 70 % du prix normal. Ces trains étaient surtout destinés à une clientèle
aisée car ouverts seulement en première et seconde classe. Il faudra attendre
1880 pour la création d’une troisième classe. A partir de 1860 on peut même
s’arrêter dans les principales gares d’un itinéraire prévu : ce sont les
billets circulaires. Des affiches de paysages, de monuments, des stations
balnéaires ornent les gares ; c’est tout un art qui se développe. La pub attractive est née qui va s'intéresser à tout ce qui se vend, gâteaux, pâtes, cirage....
Plus tard le rail rejoint les bords de mer, Dieppe, Rouen. Le 19ème siècle prépare les "congés payés" et le tourisme du 20ème.
Plus tard le rail rejoint les bords de mer, Dieppe, Rouen. Le 19ème siècle prépare les "congés payés" et le tourisme du 20ème.
Déjà en Angleterre ces trains spéciaux
circulaient depuis 1844. La ligne Paris-Le Havre sera mis en service le 13 juin
1847, départ le samedi soir et retour le lundi matin et deux nuits en train
pour 10 Frs aller-retour. Le voyage durait 6 heures.
Ils vont circuler jusqu’en 1930 environ.
Paris-Boulogne, Dunkerque, Caen, Bayeux… et inversement pour les provinciaux qui visitent Paris. La popularité des trains de plaisir a inspiré de nombreux
artistes, Rossini, Strauss, Bollini, des films, des romans, et surtout des
affiches, des estampes qui sont arrivées jusqu’à nous.
La compagnie des chemins de fer de l’Ouest s’associe
avec des entrepreneurs de voyages et propose pendant la belle saison des trains
de plaisir pour Rambouillet. Le parc de cette cité largement ouvert aux
promeneurs se dote d’attractions, de boutiques foraines. Un restaurant
s’installe dans le château. La forêt apporte grand air, sport…. Le Second Empire
reprend le château, et les Parisiens durent se contenter de la forêt. Aspiration
au voyage qui devait être pour le corps médical une distraction… le train n’a
pas inventé le voyage touristique mais lui a donné un nouvel élan.
Il ne suffit pas de transporter les
gens, il faut aussi les renseigner sur les contrées qu’ils traversent. Le guide
touristique est devenu une nécessité avec le développement du chemin de fer et
du voyage touristique. Les éditeurs privés s’emparent du marché ; à chaque
ouverture de ligne, des guides parfois volumineux prolifèrent, dus à des
notables, des érudits locaux ou des journalistes désireux de célébrer leur
province. On redécouvre un intérêt historique à des monuments, à des villes.
Un des premiers est imaginé par Napoléon Chaix,
imprimeur-éditeur parisien. Il est né en 1807 à
Châteauroux dans l’Indre. Son père est prote chez l’imprimerie Bayvet de
cette ville, c’est à dire chef d’atelier d’imprimerie, le représentant du
patron. Napoléon Chaix y fait son apprentissage. Un temps ouvrier imprimeur à
Bourges, puis il revient chez Bayvet reprendre la place de son père qui vient
de mourir. Enfin il part à Paris travailler chez Paul Dupont. Une grosse
imprimerie, 2000 ouvriers, 5 presses à vapeur et 20 presses à bras. On y
imprime surtout des feuilles de comptabilité. Chaix y est particulièrement
apprécié, consacrant « une partie de ses veilles » au travail.
« Les hommes d’un pareil dévouement sont rares » dit de lui son
employeur. Mais Napoléon Chaix a d’autres ambitions.
Après un premier refus du préfet en
1836, il redemande un brevet d’imprimeur en lettres en 1845 pour Paris. Il est
recommandé par son patron et par le directeur des chemins de fer d’Orléans qui
soutient financièrement son projet : imprimerie des documents,
publications (comptabilité, exploitation) des chemins de fer. Pour se retrouver
dans les horaires et l’imbrication des différentes compagnies, il crée d’abord
« l’Indicateur des chemins de fer, seul journal officiel paraissant tous
les dimanches, contenant les heures de départ et d’arrivée des trains, le prix
des places, le tarif des bagages….de tous les chemins de de fer ainsi que leurs
correspondances par diligence et bateau vapeur, publié par Napoléon Chaix avec
le concours et sous le contrôle direct des administrations de chemins de fer… ».
C’était un coup de maître !! Avec l’aide directe des dirigeants des
chemins de fer, sa publication hebdomadaire prenait un caractère officiel. Le Livret
Chaix, "guide officiel des
voyageurs sur tous les chemins de fer français et les principaux chemins de fer
étrangers", pour lequel il obtient en 1847 l'autorisation d'une vente
dans les gares. L’indicateur se présente sous la forme d’un petit livret vert
de format in-4°. Il est très vite apprécié par une abondante clientèle.
Vont suivre L'Indicateur (1849), Le Recueil général des
tarifs (1858), les cartes des réseaux de toute l'Europe, des guides-itinéraires
et publications diverses (Livret des environs de Paris, Livret des
rues de Paris, Manuel de l'expéditeur...) L'Indicateur
(1849), Le Recueil général des tarifs (1858), les cartes des réseaux
de toute l'Europe, des guides-itinéraires et publications diverses (Livret
des environs de Paris, Livret des rues de Paris, Manuel de
l'expéditeur...).
Les affiches évoluent, indiquent toujours les horaires mais sont moins administratives, plus décorées, en couleurs, « communicantes » comme on dit aujourd’hui. Il imprime des grands auteurs publicistes.
Les affiches évoluent, indiquent toujours les horaires mais sont moins administratives, plus décorées, en couleurs, « communicantes » comme on dit aujourd’hui. Il imprime des grands auteurs publicistes.
Plan
de Paris(1907)
prairies
plus agréable à contempler que les quais poudreux et bruyants de la
capitale.. ». A Orléans, il devient lyrique pour parler de Jeanne d’Arc et
de la délivrance de la ville. Lyrisme qui fait oublier sa description
excellente des édifices de la ville. Et de conseiller la visite de la ville
pendant les 20mn d’arrêt, la cathédrale, les églises, les édifices civils, le
grand pont sur la Loire….
Les guides renseignent aussi sur les
ressources hôtelières, les commerces etc. Ils deviennent plus pratiques, moins
volumineux, dispensent des conseils. Ils activent un tourisme hôtelier,
balnéaire, thermal.
Si on oublie le style déclamatoire des guides
Chaix, ils sont des petits bijoux pour les historiens auxquels ils fournissent
des notations, des détails précieux sur les villes et villages du milieu du 19ème
siècle qui vont se transformer pour beaucoup sous le Second Empire et le 20ème
siècle. Des détails qui vont disparaître au fil du temps.
Pour le prolongement de la ligne de Paris
jusqu’à Saint-Nazaire, Chaix écrit : « ainsi la locomotive ira saluer de ses
sifflements aigus l’immense Océan et ces deux puissances désormais réunies
porteront au bout du monde avec les trésors de notre industrie les bienfaits de
notre civilisation !! ».
La concurrence est rude, comme avec Louis Hachette,
une querelle qui va durer dix ans.
Napoléon Chaix tout en continuant d’être éditeur, est
avant tout un imprimeur typographique. En 1865 à sa mort, il est à la tête
d’une entreprise qui compte 400 ouvriers, l’une des plus grosses en France, qui
s’est développée dans différents secteurs. Elle imprime des livres et
périodiques, les déclarations d’intention et bulletins de vote des années 1848-50.
En lithographie des plans, des cartes pour illustrer ses guides, des
affiches…..
(Alice Russelle Glenny -wikipedia.org)
L’imprimerie Chaix édite "Les Maîtres de l’Affiche" une publication
mensuelle de reproduction des plus belles affiches illustrées de grands
artistes français ou étrangers, J Chéret, Toulouse-Lautrec, Lucien Lefèvre,
Choubrac, Georges Meunier….
Napoléon Chaix est condamné à plusieurs reprises pour non
déclaration ou non dépôt d’impression, mais son importance commerciale et
surtout sa modération politique en ces périodes compliquées, l’aident à passer
au travers d’une quelconque censure. Il
a de bonnes relations avec l’administration de la Librairie qui lui permettent
d’obtenir l’autorisation de s’agrandir en juillet 1858 malgré l’avis contraire
du préfet de police, pour imprimer le Cours Général de la Bourse. Il obtient le
brevet d’imprimeur en taille-douce en février 1860.
Son fils Alban prendra les rênes de l’entreprise à sa
mort. En 1881 l’imprimerie centrale des Chemins de Fer prendra le nom
d’imprimerie Chaix, au 126 rue des Rosiers à Saint-Ouen avec seulement 100
ouvriers.
Sources :
. Alain Frerejean, La grande aventure des
chemins de fer, Flammarion, 2008, 502 p. (ISBN 978 2 0812 0436 2), p. 220 à 222 – Jacques Levron Napoléon Chaix le Père des Guides de Tourisme Historia mars 1982n°424--- François Caron
Histoire des Chemins de Fer en France édit Fayard 1997 ISBN2-213-0253-8---
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