1910
La Cantatrice
Incendiaire
Lundi 27
octobre 1952 18h 30 : le théâtre de Nîmes est en feu !!
Robert Dauby, le chef électricien présent sur place nous dit :
« j’ai vu une lueur, puis une explosion a retenti. Le concierge M Sicard
hurlait à tue-tête : le feu ! le feu !!! » Les danseuses
qui répétaient dans une salle à côté de la scène ont cru à un orage de grêle.
Une « hirondelle », un agent cycliste finissant sa ronde, aperçoit de
la fumée et alerte M Durand le président du Syndicat d’Initiative dont les
locaux sont situés dans l’aile droite du théâtre.
Les pompiers partent de la caserne à 18 h 50, caserne route d’Avignon
située Parc à Fourrage, loin du théâtre. C’est le commandant Domergue qui
dirige les opérations. Huit pompiers présents sur les 24, trois véhicules. Le
ciel était rouge en direction du théâtre, les flammes se voyaient déjà place des
Carmes. Rapidement la scène est en feu, la toiture écroulée. Les pompiers
d’Alès sont appelés en renfort. Ils s’attaqueront au feu à l’arrière du
bâtiment, rue Racine, protégeant les loges et une partie des costumes de scène
en les jetant par les balcons. Les gens dans la rue, les ballerines, les
choristes aident de leur mieux. Les pompiers de Montpellier seront appelés avec
du matériel plus moderne, une grande échelle en particulier.
Une grosse
poutre de la scène en tombant défonce le rideau de fer qui isolait la scène de
la salle, une porte ouverte entre la loge municipale et la scène et le feu se
propage dans la salle. Le commandant Domergue 30 ans plus tard nous
explique : « le théâtre au point de
vue sécurité était bien noté, puisqu’il y avait un rideau de fer, il y avait un
rideau d’eau qui devait arroser le rideau de fer, ensuite il y avait un
Grand-secours qui devait noyer la cage de scène, en cas de feu. Ce
Grand-secours devait être manœuvré par deux vannes, une sur la scène,
l’avant-scène, et une dans un local en dehors du théâtre. Personne ne l’a
manœuvré. C’est un pompier qui l’a manœuvré après. Il était trop tard ! Pour la
bonne raison, c’est que les pommes d’arrosoir étaient en dessous la toiture, et
les poutres en tombant, ont arraché le Grand-secours ; plus rien n’existant, à
ce moment-là, il n’y avait plus rien à faire ! Si le Grand-secours avait été
actionné de suite, la scène aurait été presque sauvée. La meilleure des
preuves, c’est que le plancher de scène et tout le dessous n’ont pas brûlé et
ont été intacts. »
Le rideau de scène
Un témoin raconte « Il y avait un rideau qui faisait le dessin de
deux pans de rideaux, et qui faisait effet de store, comme le rideau était
ouvert. Dans ce rideau ouvert, vous avez au fond la Tour-Magne, la Maison
Carrée, les Arènes et une partie des Jardins de la Fontaine. ». Les samedi
et dimanche précédents, un programme particulièrement chargé avait enchanté les
Nîmois : « La Juive » avec Humbert, « Lakmé » avec
Mado Robin, et les « Pêcheurs de Perles avec François Gatto, Jeannette Vivalda
et Ernest Blanc.
Balcons et lustre |
Le théâtre
de Nîmes avait une très bonne réputation. De nombreux grands artistes lyriques
ont chanté sur cette scène : Caruso, Lily Pons, Villabella, José
Luccioni, François Audiger, André Girard que nous venons d’entendre, Charles
Hébréard, Géori Boué, Mado Robin, Régine Crespin. Des comédiens, comme Talma, y
ont joué des œuvres classiques, des grands musiciens aussi. ». Le « petit Lizt » jouera
à Nîmes lors de sa tournée dans toute la France. Il avait 13 ans !! La
saison lyrique durait six à sept mois. Les tournées des chanteurs de variété
passaient ensuite à Nîmes : Maurice Chevalier, Charles Trenet, Georges
Hulmer…. Une troupe de sédentaire de choristes, chanteurs, musiciens
travaillaient là à l’année.
Que de
souvenirs pour les Nîmois ! Lorsque le ténor Baragno chantait, le lustre
tremblait. Ce lustre qui était un don de la Compagnie du Gaz au moment de
l’installation du gaz dans la ville.
La
construction du bâtiment avait débuté en 1798 avec l’architecte Meusnier. Il
sera inauguré le 3 février 1803 bien qu’inachevé. La Maison Carrée lui fait
face. En 1827 la colonnade est ajoutée. Il est agrandi en 1837. Déjà en 1860 un
incendie vite maitrisé se déclare dans un local abritant les décors et les
accessoires. C’est un théâtre « à l’italienne », un théâtre en
hauteur pouvant contenir un millier de personnes. Des balcons
surplombaient une grande salle assise, un lustre majestueux, une scène avec un
rideau de 1830. C’était un des plus anciens de France. Il est classé
monument historique en 1949.
Les Nîmois
étaient très attachés à leur théâtre. Ils avaient la culture de la musique, des
spectacles lyriques ou dramatiques. Des bals mondains se déroulaient dans ce
bâtiment avec son lot de belles toilettes féminines et de messieurs en smoking,
un grand orchestre. Autant d'événements qui constituaient des attractions de
choix pour l’ensemble de la ville. : « Il y avait un très beau foyer, avec des
grandes glaces. C’était immense. Tous les gens qui étaient au théâtre venaient
y faire les Cent-Pas, et bavarder pendant les entractes. Un foyer très agréable
et très fréquenté. »
Parfois
l’ambiance était électrique : des bagarres qui obligeaient à appeler la
police pour remettre de l’ordre. Les spectateurs du Cinquième balcon
envahissaient les premières. Le maire recevait des lettres anonymes menaçantes
si le spectacle était troublé par des factieux. Le « sang coulera si le
maire ne prend pas les dispositions nécessaires pour assurer l’ordre
public… »
Eva Closset
Photo première page du Midi Libre du 31 octobre 1952
Photo première page du Midi Libre du 31 octobre 1952
Quelques jours après la nouvelle tombe : l’incendiaire
venait de se dénoncer : Eva Closset, artiste lyrique belge de second plan
âgée de 47 ans, divorcée. Elle était arrivée à Nîmes 20 jours auparavant pour
faire auditionner son beau-fils Henri José Faes 20 ans.
C’est l’histoire d’ambitions ratées,
d’illusions perdues : elle rêvait de défilés de mode, de grands rôles du
répertoire lyrique où elle se distinguerait. Mais elle est sans charme
remarquable, des moyens vocaux limités. Elle avait eu son heure de gloire dans les
années quarante, contralto dans Carmen ou la Traviata. Un mariage raté avec un
artiste de talent qu’elle trompe allègrement. Elle reporte toute son affection
sur son neveu que sa sœur a abandonné et qu’elle a adopté. Asthmatique dès
1947 elle doit dire adieu aux cachets confortables, aux applaudissements. De
cantatrice vedette un temps, elle doit s’intégrer à des chorales. Puis
souffleuse de théâtre, modèle, des rôles minables…Elle décide de devenir le mentor de son
neveu, s’occupera de sa carrière, elle veut en faire une star.
Elle avait
loué un modeste studio dans l’Ecusson de Nîmes avec son beau-fils.
Francis
Lenzi codirecteur du Théâtre avec Mr
Ferdinand Aymé refuse d’engager comme choriste son beau-fils. Une autre
explication : le licenciement d’Henri le 26 octobre après le troisième
gala. Il n’a pas de talent. Autre rumeur elle aurait eu une liaison avec le
directeur et s’attendait à ce qu’il engage son beau-fils. Il lui annonce la
mauvaise nouvelle après l’avoir fait attendre, elle la grande Eva
Closset !! En colère et quelques verres de vin plus tard, elle décide
alors de se venger en mettant le feu pour « donner une leçon au directeur » dira-t-elle plus tard !! « J’ai trouvé très abusif de nous avoir
fait venir de Belgique pour nous laisser sans travail »…Elle sort de
son sac une bouteille d’alcool et en projette le contenu contre les décors côté
jardin de la scène. Elle raconte lors de son procès que le feu se propagea avec
une effarante rapidité, elle n’aura que le temps de s’enfuir.
Le lendemain
de l’incendie, elle se confesse au prêtre de l’église Saint-Paul. Elle envoie
deux courriers à la police, s’accusant du geste. Puis elle se rend d’elle-même
au commissariat. Lors de la reconstitution début novembre elle tente de se
suicider.
Photo de la
façade restante du Théâtre de Nîmes,prise derrière les colonnes de la Maison
Carrée. Source Wikipédia. DR
Pour calmer
la population et faire oublier ce spectacle de désolation, la saison lyrique se
poursuit dans la salle du foyer communal place de la Calade. Ce n’est
évidemment pas pareil, mais les mélomanes dès le 29 novembre verront La Tosca
et Cavalleria rusticana.
Le procès
d’Eva Closset aura lieu le 10 juillet 1953, à Nîmes, moins de neuf mois après
les faits. La salle d’audience est comble et surchauffée par la passion des
spectateurs. Eva Closset est vêtue d’un sobre costume noir. L’acte d’accusation
la présente comme une extravagante, une exaltée. Mais les experts psychiatres
l’ont reconnue entièrement responsable de ses actes. L’avocat général requière
20 ans de travaux forcés. Me Bernard de Montaud-Manse l’avocat d’Eva, plaide le
ressentiment d’une mère pour son fils, c’est « une pauvre fille folle
d’amour maternel »…. C’est un avocat de très grand talent, il est nîmois,
félibre et manadier, de chez nous donc. Il déstabilise les témoins, questionne,
retourne la situation, devient la vedette de la salle d’audience. Eclats, émotion,
il plaide les circonstances atténuantes….. Le jury ne condamna Eva Closset qu’à
sept ans de travaux forcés qu’elle effectua dans une prison pour femmes.
Clémence qui ne sera pas comprise par la population. En prison faisant preuve
d’une grande religiosité, elle cherchera à expier ce qu’elle considérait comme
un crime. Crime gratuit car son neveu n’avait aucune envie de faire une
carrière lyrique. Elle finit sa vie à Liège en Belgique et l’on n’entendit plus
jamais parler d’elle.
1900 |
E Taihlades maire de Nîmes |
Dès le lendemain de l’incendie, le
maire de Nîmes Edgar Tailhades, s’engage à reconstruire le théâtre dans un
délai de trois à cinq ans. Son premier adjoint s’y engage lui dans un délai d’un
an.
Par cet
incendie la ville subit une perte culturelle, intellectuelle mais aussi
financière. Il fallait prendre en charge tout le personnel, une troupe sédentaire,
des choristes et parer au plus pressé pour sauver la saison lyrique.
Plusieurs
projets de reconstruction seront étudiés. Mais il faudra attendre la mandature de Jean Bousquet
qui en 1983 aborde le sujet avec un œil neuf : on ne reconstruit pas un
théâtre mais une médiathèque. Le Carré d’Art inaugurée en 1992 est un bâtiment
moderne de l’architecte anglais Norman Foster. Une page nîmoise est
définitivement tournée. On n’a gardé du théâtre que la colonnade ionique
évoquant l’architecture antique. Un temps restée en place jusqu’en 1980, elle
est transférée sur l’aire de repos de Caissargues de l’autoroute A54 entre
Nîmes et Arles. La médiathèque vient d’être remaniée.
(Arria Belli 12/2006 wikipedia) |
Nîmes -Aquarelle Second Empire- anonyme
Sources : Jean Michel Cosson Gisèle
Vigouroux Les grandes affaires
criminelles du Gard édit De Boréee 2009
ISBN 978-2-84494-676-8 -- Adolphe Pieyre
1886 Histoire des théâtres de Nîmes nemausensis.com ---Étienne Marie, 2009.
Nîmes. Equinoxe Impressions du Sud ed., 144 p., p. 49.-- Théodore Picard,
1994, réimpression de l'éd. de 1901. Nîmes,
autrefois, aujourd'hui. Lacour/Rediviva, 183 p., p. 159-160.—L’Incendie
du théâtre de Nîmes en 1952 nemausensis.com --- photos collections privées
nemausensis internet ---/www.midilibre.fr/2012/10/27/theatre-apres-le-drame-l-incendiaire-se-denonce,584878.php
- --archives
radiophoniques de Radio France 3 Nîmes, 1982. :« Archives radiophoniques de
l’incendie, comprenant des enregistrements de 1952 ainsi que ceux du trentième
anniversaire, en 1982, retranscrits par Philippe Ritter. »
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