La Tannerie une
vieille histoire
« A la tannerie,
tous bœufs sont vaches, à la boucherie, toutes vaches sont bœufs » !!
·
(Gravure extraite du livre des métiers de Jost Amman (Das
Ständbuch, 1568), représentant des tanneurs travaillant des peaux à deux stades
différents : grattage des poils extérieurs et bain dans un bassin de tanin).( Anne-Marie
Lesca, le 2012-07-27-Auteur : Jost Amman-
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lederer-1568.png)
Le patronyme de mes
ancêtres indique qu’au 11è-12è siècle lors de l’installation des noms de
famille, nous étions tanneurs, ouvriers du cuir, cuirassiers. Tout au long du
couloir rhodanien, Languedoc, Ardèche, Vaucluse, jusqu’au Lyonnais nous étions
très nombreux à porter ce nom. Lorsque le cuir n’a plus équipé soldats et
chevaux et qu’il n’a plus été employé autant dans l’ameublement, nous nous
sommes reconvertis en particulier à Nîmes, Beaucaire dès le 15è-16ème
siècle…dans la fabrication d’armes de guerre, épées, protections diverses en
fer, acier, et armures. Puis vers le milieu du 17ème siècle certains
seront chaussatiers, fabricants de souliers, bottes etc et d’autres s’orienteront
vers la production de velours, comme à Avignon au 17ème siècle et le Lyonnais
au 19ème siècle.
Depuis la nuit des temps,
nous avons utilisé et donc traité les peaux des animaux, bœuf, mouton, chèvre,
cochon, et la peau de leurs petits, veaux, agneau… D’où des tanneurs et des
tanneries nombreux dans les contrées d’élevages de moutons, de chèvres. Les bœufs attaqués par les
mouches et donc une peau de moins bonne
qualité vont moins être utilisés en tannerie, tout au moins pour des grands
ouvrages. Vêtements, chaussures, bottes, tentures, protections, puis livres ou
codex… Le vélin sera une spécialité ardéchoise pendant
un temps : c’est une peau de vélot (veau ou agneau mort-né), très fine,
recherchée par les calligraphes, les miniaturistes et les relieurs pour sa
blancheur, sa douceur et sa finesse. Le vélin est apparue à la fin du Moyen Âge : épilées, raclées, saupoudrée
de chaux éteinte puis séchées, les peaux étaient ensuite blanchies, poncées. On
les découpait en feuillets que l’on pliait en cahier. Le scribe ou l’enlumineur
pouvait travailler.
Transformer
les peaux en cuirs était un travail long et minutieux. Les peaux étaient
trillées, nettoyées, épilées. La face intérieure de la peau enlevée. Puis les
peaux étaient trempées dans des bassins contenant du tan, tanin issu du chêne
dont on broyait les écorces dans un moulin à tan. On pouvait utiliser d’autres
essences forestières, comme le châtaignier au 19ème siècle dans nos
Cévennes. Plus tard la chimie de
synthèse se chargera de l’opération. Et le monde moderne laissera de côté les
artisans tanneurs.
A la fin les
peaux étaient retirées des bassins, lavées et séchées.
Comment se procurait-on
le fameux tanin ? Dans notre Sud, le chêne vert des garrigues en
fournissait.
Les « ruscaires » se chargeaient de récolter l’écorce de chênes verts. C’était une activité très répandue dans notre Sud jusqu’à la fin du 19ème siècle. Jusqu’à mettre en danger la ressource. Vers 1870 la demande d’écorces de chêne vert avoisine les 6000tonnes. On pense en planter en Algérie pour subvenir à nos besoins.
(rusquet ou
écorçoir) L’écorçage des troncs ou rusque commence à la montée en sève à partir
du mois de mai. La montée en sève permet de décoller l’écorce du tronc. Le
ruscaire commence par enlever les branches sur les parties où l’écorce sera
enlevée. Une incision circulaire au bas du chêne, puis le ruscaire introduit
son rusquet ou écorçoir entre l’écorce et l’aubier et il détache de larges
lanières d’écorce. Il fait des bottes de ces lanières. Un hectare de bois
fournit autour de 20 bottes. Les écorces étaient mises à sécher pour perdre de
son eau. En juillet elles étaient vendues aux tanneries. Elles représentaient
un revenu supplémentaire pour les adjudicataires des coupes de bois.
La foire de Beaucaire
dans le Gard a été un lieu important de vente de l’écorce de chêne. Epaisseur,
couleur, la façon dont elle se casse, tout était source de palabres et le coût
s’en ressentait.
A ce stade, les tanneries vont prendre le relais. Les écorces vont être broyées, concassées à l’aide d’une meule. Balzac nous dit que chaque tannerie avait son moulin à tan. (Balzac Méd Camp 1833p51). Les moulins à tan sont positionnés le long d’un cours d’eau car ils s’actionnent grâce à l’énergie hydraulique, bien moins souvent chez nous à l’énergie éolienne. Le broyage est effectué à l’aide de pilons actionnés par un jeu de cannes montées sur un arbre rotatif par des meules horizontales ou verticales comme dans le cas des meules des papeteries.
Une poudre, le tan, en résulte. Poudre particulièrement astringente qui évite aux peaux de pourrir.
Puis dans de grandes cuves les tanneurs posent en couches alternativement les peaux et un lit de tan pour environ 6 semaines. Et on renouvelle l’opération après avoir tourné les peaux et remis un lit de tan nouveau. Et on recommence…jusqu’à obtenir des peaux parfaitement tannées. Le résidu du tan est transformé en petites galettes qui vont servir à chauffer des maisons malgré une odeur très désagréable. Mais recyclage oblige !!
Au milieu du 19ème
siècle, le bois de châtaignier est mis à contribution. En 1846 un procédé de
fabrication d’extraits tannants à partir du châtaignier est découvert.
L’industrie chimique s’empare du produit. A Génolhac l’usine Ausset-Hermet est
fondée en 1847. Paul Hermet banquier à Nîmes finance l’installation, Ernest
Ausset droguiste en gros se charge de vendre les produits sur la région.
Dès 1870 les châtaigniers cévenols sont atteint de la maladie de l’encre qui les rend peu productifs ou malades et ils sont vendus par leurs propriétaires, d’où une ressource qui parait importante.
L’usine de Génolhac va
occuper jusqu’à 120 employés, ouvriers, bûcherons, manœuvres. L’ouverture de la
voie ferrée en 1867 passant par Génolhac permet le transport d’une plus grande
production. Le tanin en sacs ou en tonneaux est déplacé de l’usine à la gare en
charrettes. En 1888 la cheminée de l’usine est reconstruite, circulaire haute
d’une quarantaine de mètres. Signature de la ville, visible de loin. La
Gardonnette au pied de l’usine est captée pour assurer le fonctionnement
hydraulique des machines. Et en 1889 l’usine de par son importance et sa
production figure à l’exposition universelle de Paris !
Mais face à la
concurrence des produits chimiques de synthèse, l’usine ferme en 1964. Un
premier projet de réhabilitation de l’usine en 1967, une fabrique d’objets en
matière plastique, projet qui n’aboutit pas. En 2002 la ville de Génolhac est
propriétaire du bâtiment. Avant de songer à sa réhabilitation, son objectif
premier sera de sécuriser les lieux.
Jusqu’aux
années 1960 et avant l’arrivée des produits chimiques de tannage d’autres
usines gardoises traitaient ce bois : c’est le cas de Progil de St Jean du
Gard, (entreprise créée par Levenstein et fils en 1913, rachetée par Progil en
1925 et fermée en 1939). Le bois était débité en copeaux grossiers puis
déversé dans l’eau bouillante et la solution était distillée dans de
grands alambics de cuivre. Les usines du Vigan, de Castres vont continuer un
temps, puis ce sera la fin. Le chrome et d’autres produits remplacent nos
écorces.
Les tanneries
deviendront des gites touristiques, des musées, des lieux artistiques…
Un joli texte oublié d’André Gide sur notre Uzège, texte qui n'a rien à voir avec les tanneries mais qui nous parle :
« Au pont Saint-Nicolas (la route)
traversait le Gardon ; c’était la Palestine, la Judée. Les bouquets de
cistes pourpres ou blancs chamarraient la rauque garrigue, que les lavandes
embaumaient. Il soufflait par là-dessus un air sec, hilarant, qui nettoyait la
route en dépoussiérant l'alentour. (…) Aux abords du Gardon croissaient des asphodèles et, dans le lit
même du fleuve, presque partout à sec, une flore quasi tropicale » (André Gide, Si le grain ne meurt, 1926).
Sources ou pour en savoir plus : bienvenuealestrechure.fr/tanin.htm Fernand PIASTRELLI. --.wikigarrigue.info/files/Cahier-Cave2pt.pdf---cerig.pagora.grenoble-inp.fr/histoire-metiers/extraits-tannants-chataignier/page03.htm--Hubert Delobette Alice Dorques Trésors retrouvés de la Garrigues édit Papillon Rouge 2003 Isbn 2-9520261-0-6
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