Maison de l'Histoire de la Manche -archives départementales |
Les Bains de Mer
Les vacances
sont là et c’est la saison des bains de mer. Les voitures sont plus nombreuses
à traverser notre village. Dans les rues les mollets s’exposent encore un peu
blancs. Les shorts et les chapeaux fleurissent le long des trottoirs. Les
caravanes se faufilent dans les rues pour rejoindre la mer après une escale
chez nous. Nos nuits sont plus bruyantes car c’est bien connu on fait chez les
autres ce que l’on ne ferait pas chez soi. Tout cela donne un air de fête, de
remue-manège ou remue- méninges !!
Wikimedia 1910 femme descendant
d’une cabine de bains
Nos ancêtres
avaient beaucoup de jours fériés mais ils ne connaissaient pas « les vacances », invention
récente avec le 20ème siècle, Léo Lagrange et surtout les congés
payés de Léon Blum en 1936. Richelieu disait « le peuple est un mulet qui
se gâte par le repos ». Pour les catholiques, le travail est le salut, il
permet d’échapper à la tentation. Nos cathédrales, nos églises célèbrent sur
leurs sculptures les travaux des champs et des artisans. Six jours de labeur et
un jour de repos à l’image de Dieu. Mais les semaines tout au long de l’année sont
remplies d’interdits et de jours chômés: le mercredi autrefois jeuné car
jour de Judas, le jeudi jour de bombances et de récréation, ce que plus tard
notre école reprit, le lundi souvent chômé dans les villes ouvrières, le
vendredi jour de jeûne et de deuil en souvenir de la mort du Christ, le samedi
consacré à la Vierge….Plus les fêtes liturgiques, paroissiales ou des
corporations. Bref beaucoup d’occasion
pour ne pas avoir de jours « oeuvrables ». Le savetier de La Fontaine
nous dit : « Le mal est que dans l’an s’entremêlent des jours qu’il
faut chômer : on nous ruine en fêtes. L’une fait tort à l’autre, et
monsieur le curé de quelque nouveau saint charge toujours son prône.. ».
Ce retour sur l’Histoire nous fait penser que les « vacances » font
partie naturellement de la vie de tout individu.
Et puis nos
anciens avaient peur du soleil, donc pas question pour les plus fortunés de
passer l’été sur les plages et encore moins de se baigner dans la mer par
plaisir. Longtemps la mer sera considérée comme un monde de malheurs,
terrifiant, un lieu de mystères. Pour les autochtones, c’est un monde qui
apporte les tempêtes, les naufrages, peut-être des monstres ou simplement des
pirates.
Le tourisme
d’hiver en bord de mer sera d’abord le seul pratiqué par les Grands de ce monde
dès le milieu du 19ème. Nos aristocrates avaient l’habitude des
cures thermales à base d’eau de source et les bains de mer seront pendant
longtemps considérés comme des médicaments. Et cela depuis le 14ème
siècle. Il est fortement recommandé aux personnes mordues par une bête enragée,
après cautérisation au fer rouge de prendre un bain de mer. Plus tard Henri IV
envoie un valet à Dieppe pour y conduire son chien favori mordu par un animal
sauvage. La méthode était de plonger neuf fois l’animal dans les vagues. Pourquoi
9 et non 8 ou 10 ? On nous dit que le chien en guérit.
Il fallait
selon les médecins, prendre ce bain « avant que le venin n’ait pénétré
jusqu’aux parties nobles, ce qui est d’ordinaire dans l’espace de neuf
jours. » En 1671 Mme de Sévigné voit Madame de Ludre une des demoiselles
d’honneur de la reine, être plongée dans la mer à Dieppe. « la mer l’a vue
toute nue et sa fierté en est augmentée, j’entends la fierté de la mer, car
pour la Belle, elle en était fort humiliée ».
La ville de
Dieppe est relativement proche de Paris et va s’équiper pour cette
spécialisation. En 1778 une maison de santé s’ouvre avec des
« baigneurs-jurés » pour assister les patients. Ils les attachent à
une corde et les jettent brutalement dans les vagues de la rive ou d’un bateau.
Il faut les laisser immergés le temps de trois prières. L’eau est souvent
glacée mais la brutalité fait partie du traitement. Pour le docteur Lieutaud,
premier médecin du roi, « c’est moins le bain qui guérit que la surprise
ou la terreur qu’on a l’art d’inspirer à ceux qu’on précipite brusquement dans
la mer ». Et puis la ville de Dieppe déjà connue des Anglais amateurs de
balnéo, est renommée pour le peu de risque de prendre de coups de soleil !
En cette fin
du 18ème siècle les bains de mer vont servir aussi à
« resserrer les vaisseaux et les fibres et les rétablir dans leur tonus ».
Le malade est précipité le matin à jeun dans l’eau. La suffocation doit
permettre de guérir le corps. Après vient le réconfort avec un petit verre
d’alcool et des frictions énergiques. Jusqu’en 1820 les bains des femmes et des
hommes sont séparés.
En
Angleterre dès la fin du 17ème siècle la baignade en mer sur
prescription médicale se développe. Mais elle va connaitre un franc succès un
peu plus tard le long des littoraux anglais et gallois. Dès 1750 les jeunes
nobles anglais font la fortune de quelques villes balnéaires, Margate,
Scarborough, Brighton.. On y soigne tous les maux possible : constipation,
dépression (comme le roi Georges III), impuissance, infertilité, troubles
nerveux ou mentaux, blessures, rhumatismes, anémie, problèmes de peau…La
révolution industrielle, plus précoce en Angleterre que chez nous, favorise les
loisirs et les voyages dans les classes sociales aisées qui effectuent des
migrations saisonnières vers les côtes. Le docteur Charles Russel conseille de
boire de l’eau de mer en 1753. Parait des ouvrages comme « Les effets des
bains de mer sur les glandes ». Le prince de Galles encourage la création
de la station de Brighton.
Boulogne sur mer |
En France
Marit en 1769 publie son mémoire « sur la manière d’agir des bains de mer
et leurs usages vivifiants » contre les rhumatismes. En 1785 Cléry de
Bécourt ouvre à Boulogne sur Mer un des premiers établissements de bains de mer
chauds.
Chez nous,
les bains de mer thérapeutiques deviennent un phénomène de société. Ils sont
recommandés aux élégantes dont le corps est déformé par la mode des corsets,
aux enfants à la peau trop fine et trop pâle.
Les femmes
bien nées doivent à
tout prix se protéger du soleil, les bains de mer auront lieu d’abord en hiver.
La marche sur la digue ou les terrasses est essentielle à la réussite de la
thérapie. Calme, méditation, contemplation, et vie sociale sont aussi
recommandés.
Figaro fin 19ème siècle Gravure de Mode |
En 1806, la
comtesse de Boigne de retour d’exil en Angleterre va défrayer les chroniques
par ses bains de mer La reine Hortense va l’imiter à Dieppe : elle a une
cabine spéciale où elle s’habille d’une grande blouse en laine chocolat fermant
au col, des gants en fil blanc, un serre-tête en taffetas ciré pour cacher ses
cheveux Deux matelots en gants blancs, la portent au-dessus des flots et lui
font faire le plongeon. Mais la reine va vite préférer une baignoire remplie
d’eau de mer chauffée. Puis c’est Dieppe en 1812 avec M de Paris, construction
d’un établissement où la duchesse du Berry va séjourner régulièrement en été.
La duchesse de Berry en 1825, par Thomas Lawrence (collections du château
de Versailles)
La Duchesse belle-fille du roi de
France est excellente nageuse. « elle prend plaisir à nager » s’insurgent
les bien-pensants. Elle se lance dans les flots accompagnée d’un inspecteur des
bains, en habit de ville, gants blancs et bottes contre les crabes. Chacune de
ses entrées dans l’eau sera au début ponctuée d’un coup de canon. Alexandre
Dumas trouve hideux le spectacle des dames à la plage, mais la mode est lancée
et les hôtels luxueux, les villas se construisent tout au long de la côte atlantique.
Anne de Mortemart future duchesse d'Uzès, enfant fragile dans les années 1855-56 est une adepte des bains de mer à Dieppe. Elle pique une tête dans l'eau glacée avec entrain ce qui fait dire aux spectateurs "c'est sans doute l'enfant de quelque saltimbanque!!"
Anne de Mortemart future duchesse d'Uzès, enfant fragile dans les années 1855-56 est une adepte des bains de mer à Dieppe. Elle pique une tête dans l'eau glacée avec entrain ce qui fait dire aux spectateurs "c'est sans doute l'enfant de quelque saltimbanque!!"
Les femmes
se changent dans des cabines tractées par des chevaux. Ces charrettes les
amènent directement dans l’eau jusqu’à deux mètres de profondeur. Là elles
descendent les marches d’escalier et soutenues par des
« guides-jurés », elles sont plongées à plusieurs reprises de manière
subite et de courte durée : c’est le bain à la lame. Les guides-jurés en
maillot une pièce sont assermentés pour ne pas attenter à la pudeur. Le tout
est surveillé par des censeurs. Le maillot des femmes va se composer de pas
moins de 6 pièces.
« Il est bon que le guide sache
nager, mais je n’en fais pas une condition indispensable pourvu qu’il ait le
pied marin et qu’il soit prudent et ferme à la mer » Docteur J. Le Cœur, Guide médical et
hygiénique du baigneur (1846)
A la fin du 19ème siècle, la plage et la
mer peu à peu cesseront d’être un espace médical pour devenir un lieu de
distractions. Des casinos fleurissent pour occuper la clientèle aristocratique.
Bals, salons de lecture, promenades en calèche pour être vu….On se retrouve
entre gens du même monde. L’automobile, le chemin de fer, la construction de
palaces sur toutes les côtes de la Manche et de l’Atlantique vont faciliter le
développement des bains de mer.
Les stations deviennent
coquettes : fontaines, larges trottoirs pour la promenade, jardins
exotiques, villas privées somptueuses… Des trains sont organisés pour se rendre
directement depuis Paris jusqu’aux stations balnéaires. Deauville grâce au duc
de Morny demi-frère de Napoléon III devient l’endroit où il faut être vu.
Biarritz sur la côte basque a la préférence de l’Empereur Napoléon III et
surtout de son épouse Eugénie. Ce site verra toute l’Europe huppée s’y
retrouver.
En septembre 1858 l’impératrice
Eugénie nous écrit de Biarritz : « La mer est bien froide, et il faut
beaucoup de force morale pour se décider à y entrer. Cependant je n’ai pas
encore manqué un seul bain depuis que je suis ici »…. Sissi, Elisabeth
d’Autriche fait un séjour à Madère en 1860 et elle va prendre des bains de mer
sans user de cabine en simple robe de bain, nageant sous les regards
interloqués.
En juillet 1887
M Aubry installe un tramway à vapeur sur la plage ente Pouliguen et la Baule,
le trait d’Union. En 1891 la ligne est prolongée jusqu’à Pornichet, il devient
Mademoiselle Pornichette. François Aubry était architecte paysagiste nantais et
participera activement au développement urbain de la région. La voie est posée
sur le sable et fonctionne pendant les trois mois d’été. Il sera aussi appelé
Déraillard du fait de ses pannes, de ses déraillements. Le bruit, la fumée
incommodent mais il est aussi très apprécié. On va essayer de le remplacer par
des omnibus à impériale. Mais en 1930 un nouveau train électrique celui-là, va
faire la navette sur le boulevard de mer. Certainement l’ancêtre des petits
trains touristiques qui circulent maintenant dans les villes pour nous faire
admirer les monuments et les paysages.
Pornichet et Pouliguen
Autour des voyages une industrie de luxe se développe.
Louis Vuitton va quitter son Jura natal et la menuiserie de son père pour Paris
et un apprentissage chez un malletier. L’impératrice Eugénie sera sa cliente
ainsi que les Grands de France, le Londres, de New-York. Son fils Georges
inventera une serrure de bagages incrochetable. Des malles-lit, armoires, table
pour pique-nique, pour chapeaux, pour cabine… et une malle bibliothèque pour
Ernest Hemingway en 1927. Des bagages qui vont accompagner les touristes comme
les aventuriers.
La Côte
d’Azur à la fin du 19ème siècle, depuis peu française dans sa
totalité, ne sera baptisée ainsi qu’en 1887 par le poète et sous-préfet Stéphen
Liégard dont Daudet reprendra l’histoire dans son conte « M Le Sous-Préfet
aux champs ». Mais les Anglais y ont déjà pris leurs habitudes malgré les
six jours qu’il faut de Calais pour rejoindre Nice et un petit village qui sent
bon la bouillabaisse : Canne. On traverse la rivière le Var à gué. Lord
Brougham serait le découvreur de Canne. Mais c’est d’abord un tourisme
d’hiver, sans bains de mer, aristocrates
anglais, russes se côtoient. La reine Victoria dans son train privé y vient
chaque année. Lorsqu’on va commencer à se baigner sur la Côte d’Azur, pour
éviter aussi le soleil, les dames vont s’habiller sur le sable comme en ville
mais en tissus plus légers, et dans des teintes pastel. Ombrelles, parasols,
chapeaux à voilette, manches longues. Un régal pour les peintres. Pour le bain,
elles portent un pantalon long, une blouse en lainage, corset et marmotte sur
la tête.
Les plages
proposent assez rapidement des chemins de cordage auquel les baigneurs et
baigneuses peuvent s’accrocher en entrant dans l’eau. La majorité ne sait pas
nager.
Biarritz-Second Empire -com-plume |
Les bains de soleil sont évidemment encore inconnus.
Les autochtones font du commerce, location de sièges, de parasols, de cabines,
de tentes. La mode de la bronzette démarrera avec les Américains dans les
années 1920.Scott Fitzgerald, Rudolph Valentino… Le soleil fait moins peur, on lui reconnait des vertus
thérapeutiques dans le traitement des maladies pulmonaires et des os.
Les maillots
de bains vont rétrécir d’année en année jusqu’en 1964 sur la Croisette où une
joueuse de ping-pong arbore un monokini. La Cour d’Appel d’Aix en Provence ne
retiendra aucune charge contre elle au motif : « que la nudité du
corps humain n’a rien en soi qui puisse outrager une pudeur normale, même
délicate, et qu’un tel spectacle est fréquent à notre époque pour des raisons
de sport, d’hygiène, ou d’esthétique ». La société de consommation et le
tourisme dit de masse sont passés par là.
Ostende gravure colorée 1897 |
Sources diverses : Manuella Le Bohec Histoire et
Histoires de Pornichet overblog 2010 - Frédérique Duneau, directrice des Trains de la Brière (petit train La Baule -
Pornichet). - L'intrusion balnéaire: Les
populations littorales bretonnes et vendéennes par Johan
Vincent-- Yves Perret-Gentil, Alain Lottin, Jean-Pierre Poussou,
Les villes balnéaires d'Europe
occidentale du XVIIIe siècle
à nos jours, PUPS, 2008, p. 39. -- Jean Théodoridès, Histoire de la rage: cave canem,
Masson, 1986, p. 39 - Johan Vincent, L'Intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et
vendéennes face au tourisme (1800-1945), Presses universitaires de
Rennes, 2007, p. 38 -- Rodolphe Bacquet, Normandie, Place Des Éditeurs, 2013, p. 101.-- André Rauch,
Vacances et pratiques
corporelles : la naissance des morales du dépaysement, Presses
universitaires de France, 1988, p. 171
- Alain Corbin L'avènement des loisirs :
1850-1960, Flammarion, 2001, p. 85 - -- La reine Hortense de Françoise
Wagener - La Duchesse du Berry de Jean-Joël
Brégeon – photos wikimedia et wikipedia – malles Wardrobe Louis Vuitton Gralon
– Louis Vuitton The Book News - de Olivier Saillard - Historia l'étonnante histoire des bains de mer- Eugénie ou Les larmes de la gloire Jean des Cars - Patrick de Gmeline La Duchesse d'Uzès édit Perrin 1986 p38 -
Dieppe - début 20ème siècle |
1965 La Reine Mère d’Angleterre avec Gaston Chauvet en
visite à Uzès
En arrière-plan l’Hôtel Particulier du Baron de Castille - Guide de l’Été Républicain d'Uzès 2017p6
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.