L’overdose de la Duchesse ?
ou L’irrésistible ascension du tabac.
Plan de tabac |
Dès
la fin du 19ème siècle, quelques médecins commencent à étudier
sérieusement les effets du tabac sur les organismes humains et des animaux. Il
semble exister une accoutumance et même une dépendance au tabac. En 1894, les
docteurs Chéreau, Kohos, Pellet, Jaucent en 1900 vont étudier les effets du
tabac sur la gorge et la voix, sur la digestion. La nicotine et les extraits de
tabac en décoction sont utilisés depuis longtemps comme médicaments mais on
s’aperçoit que ces médicaments font plus de mal que de bien et même tuent. Les
travailleurs de l’industrie du tabac semblent touchés et en 1901, l’Office du
Travail considère cette substance comme un des poisons industriels. Les
docteurs Amouroux, Prieur et Abel Gy en 1909 vont confirmer les effets
cancérigènes et cardiovasculaires sur les utilisateurs du tabac.
Calumet |
Christophe
Colomb découvre le tabac en 1492 en Amérique où il est cultivé par les
Amérindiens depuis belle lurette. Les feuilles de tabac sont roulées pour
former une sorte de cigare qu’ils appellent « tabaco ». C’est semble-t-il
un médicament universel, qu’ils fument dans leur calumet dans un mélange avec
d’autres herbes. Le tabac fait partie des cadeaux offerts par les natifs à
Christophe Colomb.
A
la cour d’Espagne et du Portugal ce sera d’abord une plante d’ornement. On se
méfie un peu de cette plante, du goût des Indiens, ces sauvages, et de leur
incapacité à s’en passer. La première description est de la main de l’historien
espagnol d’Oviedo. Le tabac va devenir un médicament dans ce royaume vers le
milieu du 16ème siècle grâce au médecin personnel du roi Philippe II
d’Espagne. Les soldats du roi y goûtent et très vite ne peuvent s’en
passer !
André Thivet |
A la même
époque Jacques Gohory publie un traité sur le tabac considéré comme une plante
médicinale « L’instruction sur l’herbe petum »(1572).
Jean Nicot |
L'herbe
à Nicot ou herbe "à la reine" (Catherine), se consommait à cette
époque en cataplasme, en onguent, en fumigation, poudre et même en lavement !!
Pour les contemporains, c’est « une espèce d’herbe de vertu admirable pour
guérir toutes navrures, playes, ulcères, chancres, dartres, et autres tels
accidents du corps humain ». Le pape Urbain VIII en 1642 menace
d’excommunication ceux qui usent et abusent de cette plante mais rien n’y
fait : la mode est là ! On parle de sorcellerie. Le duc de Guise
proposa d’appeler cette plante nicotiane pour rappeler Jean Nicot. Le botaniste
Jacques Daléchamps la décrit dans son Histoire générale des Plantes sous le nom
de Petum ou Herbe à la Reine.
La plante
reçut de très nombreux noms : « nicotiane »,
« médicée », « catherinaire », « herbe de Monsieur Le
Prieur », « herbe sainte », « herbe à tous les maux »,
« panacée antarctique » et finalement « herbe à
ambassadeur ». Le nom de Tabac apparait fin 16ème.
Jean
Nicot sera aussi célèbre pour un premier dictionnaire en langue française, qui
servira souvent de base par la suite. Le français de cette époque n'étant pas
encore fixé, cet ouvrage est surtout intéressant comme référence sémantique et
étude du "vieux langage". Jean Nicot mériterait une plus belle rue à
Nîmes.
Le
cardinal de Richelieu qui ne perdait pas le Nord, fait en 1629 un monopole
royal de sa production et de son commerce avec des droits de douane sur
la circulation du tabac..
Nous produisons dans l’Est et le Sud-Ouest, dans les îles des Antilles. Notre
production est la plus importante d’Europe à ce moment-là. C’était l’époque du roi Louis XIII. La guerre de Trente Ans nous a amené
la pratique de la prise. Les marins propageront l’habitude de la chique et de
la pipe.
feuilles de tabac au séchoir |
Avec
Louis XIV, Colbert prend la suite et établit le Privilège de Fabrication et Vente
en 1674. Et la Compagnie du Sénégal qui va participer très activement à la
traite négrière. Madame de Maintenon la maîtresse du roi, sera un des premiers
particuliers à bénéficier de ce privilège. Les Manufactures des tabacs sont
fondées à Morlaix, Dieppe, Paris… La Compagnie des Indes prendra la suite de la
Compagnie du Sénégal. Pourtant le roi Louis XIV déteste la fumée du tabac et
l’odeur. Pour lui les gens raffinés ne peuvent pas s’adonner à ce vice
« vil et vulgaire ». Il tolère la prise seulement hors de sa
présence. Pourtant une marque élémentaire de courtoisie sera d’offrir une prise de
tabac à la personne que l’on rencontre. Tout le monde prise, même les femmes
les plus intrépides ou les plus raffinées. Une querelle nous est rapportée :
le chanoine Monsieur de L’Attaignant et le comte de Clermont-Tonnerre se
disputent, le ton monte et le chanoine refuse une prise de tabac au comte. Une
chanson du chanoine qui va passer les siècles : « J’ai du bon tabac
dans ma tabatière, j’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! ».
Molière en
1665 fait dire à Dom Juan (in « Le Festin de Pierre ») « qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre,
non seulement il réjouit, et purge les cerveaux humains, mais encore il
instruit les âmes à la vertu… ». On chique, on prise, on fume dans
toutes les couches sociales.
L’overdose
de la Duchesse ? :
Saint Simon nous raconte cet épisode dans ses Mémoires. Le 18 janvier 1712, le
roi Louis XIV s’installe dans son château de Marly. La dauphine,
Marie-Adélaïde, duchesse de Bourgogne, y
arrive avec « une grande fluxion sur le visage ». Elle a de très
mauvaises dents avec des abcès qui provoquent un œdème au visage. Malgré tout elle
tient salon. « Elle y joua en déshabillé toute embéguinée ». Après
avoir visité la marquise de Maintenon qu’elle appelle gentiment sa
« tante », elle soupe au lit tant elle se sent mal. Deux jours plus
tard, après une médication de tabac, en fumée et à mâcher elle va mieux.
Mais
une épidémie de rougeole et de petite vérole (variole) met à mal la Cour et
l’entourage royal. Le 5 février la fièvre reprend. Le 7 la douleur est là,
lancinante. . "Cette sorte de rage de douleur résista au tabac
en fumée et à mâcher, à quantité d'opium et à deux saignées du bras",
note Saint Simon. Des vertiges, une prostration intermittente avec des douleurs
abdominales « pires que celles endurées à ses accouchements », des
céphalées qui lui vrillent le crane ! Puis elle est au bord de l’inconscience,
la famille royale ainsi que Mme de Maintenon sont à son chevet. Des plaques
rouges couvrent la peau, on diagnostique une forme de rougeole. Elle
dira : "Princesse aujourd'hui,
demain rien, dans deux jours oubliée". Il est plus que probable que le tabac et
l’opium en surdose, plus les saignées n’ont pas aidé cette jeune femme à
survivre. Septicémie ou rougeole ? Céphalées, convulsions, vertiges,
diarrhées et douleurs abdominales sont plus des symptômes d’une overdose de
nicotine que d’une rougeole ! Mais la nicotine et ses méfaits seront
« découverts » début 19ème siècle.
Esclaves travaillant dans un atelier de production de tabac. 1670, Virginie. |
Qui
dit monopole, dit aussi contrebande qui se développe sur nos côtes bretonnes.
Le tabac de Virginie moins cher que celui des Antilles françaises est bientôt très
recherché, au goût du jour.
La Compagnie royale d’Afrique créée par les planteurs
de Virginie va participer activement à la traite des esclaves dès 1672. Les
importations françaises de tabac de Virginie vont passer de 20 à 70 % de la
consommation intérieure du tabac. Au milieu du 18ème siècle ce pays
contrôle le marché mondial avec le Maryland.
Les
« tabagies » du 18è et 19ème siècle étaient l’occasion
pour les hommes d’affaires de se réunir et discuter à l’abri des oreilles indiscrètes.
Le roi de Prusse en faisait autant avec ses proches conseillers en fumant les
fameuses longues pipes allemandes. C’étaient les Tabakskollegium.
Machine à lavement de tabac 1750 (hitek.fr) |
Apparu
dans les années 1750, cet instrument était utilisé pour infuser de la fumée de
tabac dans le rectum des patients. Cela avait différents buts médicaux, mais la
principale était la réanimation des personnes s'étant noyées. La chaleur de la
fumée était censée améliorer la respiration.
Dès 1775, on soupçonne le tabac d’être cancérigène. Mais
le pli est pris. Les prêtres interdisent que l’on fume dans les églises lors
des cérémonies.
Au moment de la Révolution de 1789, les cahiers de
doléances se plaignent du prix trop élevé du tabac. Dans le calendrier
républicain, le tabac a son jour : le 16ème du mois de Messidor.
La cigarette arrive en France vers 1830, déjà en vogue
en Espagne, au Brésil et en Crimée. Elle est peu coûteuse et va redonner un
élan à la consommation. En 1868 l’Association française contre l’abus du tabac
est créée suivie en 1875 par la Société Française contre l’Abus du Tabac.
Voltaire 19ème Houdon |
Tabatière Louis XVI |
La
pipe devient tendance, surtout celle « à tête » représentant des
personnalités qui mesurent ainsi leur degré de popularité. Les usines Gambier
fabriquent 30 millions de pipes par an vers 1860. Il nous faut reconnaître
qu’elles montrent un grand savoir-faire, souvent de petits chefs-d’œuvre. Notre
voisine St Quentin la Poterie a longtemps vécu des accessoires du tabac, pipes,
papier à rouler…
James Bonsack invente en 1881 la machine à rouler
les cigarettes, ce qui baissera encore considérablement les coûts de production.
Les Anglais inventent le « smoking », vêtement
sans basques qui risquaient d'être brûlées par les cendres de cigarette et
confortable pour s'asseoir aux tables de jeu.
C’est une variante de la veste (smoking jacket) que les Britanniques portent au fumoir. On trouve des calottes de fumeurs
pour éviter que les cheveux s’imprègnent de l’odeur du tabac.
Fume-cigarette Les Noces Siciliennes in visiteaquitaine.fr |
On cherche à rendre le tabac
inoffensif. Apparaît le « tabac désintoxiqué » selon la méthode
Gérold, mais les médecins ont des doutes sur l’efficacité du procédé. On vend
aussi des pipes et fume-cigares désintoxiquants.
A Lons-le-Saunier au début du 20ème siècle
le docteur Parant vend du tabac dénicotinisé en cigares et tabac à pipe et à
cigarette. Mais sans grand succès.
Pendant les
guerres de 14-18 et de 39-40 la consommation de la cigarette monte en flèche
chez les hommes et chez les femmes symbole d’indépendance pour ces dernières. En
janvier 1915, les soldats ont reçu du tabac dans leurs colis de Noël mais pas
de pipes. A Poitiers on appelle la population à faire cadeau de cet instrument
pour « nos braves guerriers » ! Les GI américains en 1944
distribuent des cigarettes blondes et les marques d’outre-Atlantique nous
envahissent.
On sait les
ravages qu’occasionne le tabac, dans les familles, chez les enfants. Ce qu’il
coût à la collectivité en terme de santé. Revanche d'outre-tombe des Amérindiens pour avoir détruit leur civilisation ?!! Nous avons tous autour de
nous des personnes qui souhaitent se débarrasser de ce fléau, difficilement, parfois douloureusement. Existe-t-il
un remède miracle ?
Tabatière Française 19ème sabot avec tête de Bagnard secouette corazo |
Jeunes Femmes travaillant à l'usine de pipes de St Quentin La Poterie |
Sources : Musée du Tabac Bergerac – Les Bourbons
cliannaz @free.fr2003- France-Tabac Histoire – unairnaf.org Journée
Mondiale sans Tabac- Voir aussi Fichier PDF Petite histoire du tabac, réalisé par le ministère de la Santé et
l'OFT- le site info-tabac.noname.fr- Cap’culture santé, Histoire du tabac et de ses méfaits,
accessible sur pointsdactu.org -Dr M. TOLEDANO, Brève histoire du tabac, version
PDF - Fabrice Preyat, « Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), Duchesse
de Bourgogne, enfant terrible de Versailles »,
Études sur le XVIIIesiècle,
vol. XXXXI, 2014, p. 292 (lire en ligne ) - Dominique Gaulme, François Gaulme, Les habits du pouvoir :
Une histoire politique du vêtement masculin, Flammarion, 2012, 287 p. (ISBN 2081242923) -
Sylvain Bouyer et Alain Gaffet, Anthropologie du tabac, Editions L’Harmattan, 1997 (lire en ligne [archive]),
« Industrie pipière et guerre industrielle ». - Musée de la Terre St Quentin la Poterie (30) - photos musées-
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