La
situation économique dans notre pays n’était pas fameuse en cette période. Les
familles, surtout les hommes jeunes partent chercher du travail loin des
grandes villes où les difficultés alimentaires et les dangers sont bien plus
grands qu’en province. Le budget de l’Etat est en déficit chronique. Les bonnes
récoltes de céréales de 1780 et 1781 font baisser le prix du blé et encouragent
les spéculateurs. La guerre d’Indépendance des Etats Unis nous a coûté un peu
plus d’un milliard de livres depuis 1777. L’hiver 1784 handicape sérieusement
l’approvisionnement des villes. Et puis c’est "l’affaire du collier de la reine" qui rajoute une couche au climat politique nauséabond.
Atelier de menuisier 15ème siècle -BNF |
Mais
c’est aussi le temps des Montgolfier, des envies d’ailleurs, de mondes
nouveaux. Les Lafayette, Rochembeau et tous ceux qui reviennent du Québec et
des Etats-Unis, de l’Angleterre font rêver à une autre façon de vivre. Des
idées nouvelles circulent, on remet en question les dogmes.
Les
archives de Vallabrix mentionnent pour la première fois un Gouffet, Alexandre
(Jean Alexandre) lors du recensement des hommes de 12 à 72 ans en l’An IV-V
(1795) : il a 30 ans, et depuis un an dans notre village. Il est menuisier.
(archives départementales du Gard). Il avait épousé une vallabrixoise Anne Chamand, fille de Jean et de Thérèse Mejan le 17 juillet 1788.
La
famille s’intègre vite et bien : dès 1832 Etienne Benjamin Gouffet,
deuxième génération dans l’Uzège, est conseiller municipal à Vallabrix. Déjà en
1831 il est élu au premier tour au jury communal pour les élections
censitaires, 23 voix, plus que les représentants des vieilles familles du
village comme les Desplans ou les Gay. La majorité des voix était à 18. Puis ce
sera au tour de Paul-Augustin d’être élu conseiller
municipal en 1855-56-60-65, puis d’Adrien en 1876.
Denys
Breysse est un des descendants de Jean Alexandre Gouffet. Depuis plusieurs
années il se penche sur le passé de sa famille avec talent. Il nous fait cadeau
ici de certaines de ses recherches.
Grand
merci pour les Vallabrixois. BVE
Les Racines d'un
Migrant à Vallabrix, Jean Alexandre GOUFFET (1785)
Lorsque mon grand-oncle, Pierre Faustin GOUFFET, auteur en
1968 du livre sur l'histoire de Vallabrix ("Vallabrix mon village
natal"), s'est intéressé à sa généalogie familiale, il est remonté pour la
branche paternelle à la cinquième génération avec Jean Alexandre GOUFFET, dont
l'acte de mariage est dans les registres paroissiaux du village (cf image
1) :
"L'an mil sept
cent quatre vingt six le dix septième juillet après la publication d'un banc et
vu la dispense de deux autres signée Dautun vicaire général sans qu'il nous ait
apparu d'aucun empechement soit canonique soit civil j'ai béni le mariage de Jean
Alexandre GOUFFET garçon menuisier originaire de la Ville de Paris paroisse St
Sulpice habitant depuis environ deux ans dans le lieu et paroisse se St Quentin
fils légitime et naturel de feus Jean Armand GOUFFET et de Françoise JACOB
leurs extraits mortuaires deuement légalisés et exhibés d'une part et Anne
CHAMAND fille légitime et naturelle de feu Jean CHAMAND et de Thérèse MEJAN de
cette paroisse d'autre part. Ont été présents Srs Joseph DUCLAUX, Etienne
Benoit GOUFFET, Antoine CHAMAND, André MELLE (qui ont) signé avec l'époux,
l'épouse illeterée de ce requise"
Cet acte indique donc que Jean Alexandre GOUFFET est un
nouveau venu dans le Gard. Pour quelles raisons ? Sa profession pourrait
expliquer un "Tour de France" qui l'aurait vu s'arrêter dans le Gard.
Mais il ne semble pas être seul, puisque l'acte cite aussi Etienne Benoit
GOUFFET (qui signe), probable parent, mais sans qu'aucun détail ne soit donné.
Jean Alexandre et son épouse vont s'établir à Saint Quentin,
où ils donneront naissance à deux garçons, Jean Etienne Benjamin le 4 septembre
1787 et Jean GOUFFET le 1 septembre 1791. Si les parrain et marraine du second
sont tous deux issus du côté maternel, un troisième GOUFFET, prénommé Etienne
Benjamin est le parrain de l'aîné. Là non plus, l'acte ne précise pas le lien
de parenté. Il pourrait être, selon la tradition, puisque le père de Jean
Alexandre est décédé, un frère aîné. Jean Etienne Benjamin fils épousera en
1809 une fille de Vallabrix et s'établira dans le village, mais c'est une autre
histoire.
Il y a cinquante ans, Pierre Faustin GOUFFET n'avait pas pu
remonter plus haut dans la recherche de ses racines familiales. Depuis cette
époque, Internet a raccourci les distances et permet de travailler sans avoir
les documents en mains. Mais remonter une généalogie parisienne demeure
compliqué et aléatoire : en mai 1871, lors des insurrections de la Commune, des
incendies ont frappé de nombreux bâtiments parisiens et ont détruit les
archives et la plupart des registres entreposés à l'Hôtel de Ville. Les actes
ont été patiemment reconstitués au XIXème siècle, mais il ne s'agit
que d'une reconstitution partielle, principalement concentrée sur les actes du
XIXème siècle, et la plupart des sources ont disparu à tout jamais.
Quant à la deuxième copie des registres, détenue par les paroisses, elle ne
remonte pas en-deçà de 1802 pour la paroisse Saint Sulpice.
L'espoir de remonter au-delà de la simple identité de Jean
Armand GOUFFET et Françoise JACOB était donc infime. Le hasard, le bénévolat et
la magie d'Internet m'ont cependant permis de lever une partie du voile,
puisque j'ai pu reconstituer une partie de l'ascendance de Jean Armand GOUFFET,
avec 11 ascendants sur 5 générations, dont la plus ancienne est née au début du
XVIIème siècle (cf
Image 6).
C'est ce petit voyage jusque dans la Meuse, au Sud-Ouest de Vaucouleurs, que je
vais raconter (cf Image 5 - Extrait de la
carte de Cassini de la région de Horville).
L'élément déclencheur a été la lecture d'une note dans une
revue généalogique (de l'association SAGA, concentrée sur l'Ardèche), indiquant
que des bénévoles appartenant à son antenne parisienne pouvaient faire quelques recherches. La chance a voulu
que l'un de ces bénévoles soit un généalogiste professionnel, Xavier
Robert-Mondin, qui travaille au sein du Cabinet Andriveau. Il a effectué une
recherche dans les archives de ce cabinet et la chance était avec nous : il a
pu localiser quelques informations essentielles :
-
le mariage le 6 juin 1753 à Saint Sulpice de Jean Armand GOUFFET, veuf de
Josèphe DAVRY, décédée en 1752, avec Françoise JACOB alias JAQUOT,
-
le premier mariage de Jean Armand GOUFFET, sans filiation, le 28 septembre
1734, toujours à Saint Sulpice, avec Marie Anne DAVRIL,
-
le mariage le 27 juillet 1775, à Saint Sulpice, de Marie Geneviève GOUFFET,
fille de Jean Armand et de Françoise GOUFFET, baptisée le 29 mars 1759, avec
Siméon BUTEUX.
Xavier ROBERT MONDIN me précisait dans nos
échanges que j'avais beaucoup de chance. En effet : "Le mariage de 1753 figure dans notre collection "pièces
annexes", ce qui signifie que le dépouillement a été fait à partir des
actes de baptêmes (et de décès de leurs parents le cas échéant) fournis par les
parties au moment de la rédaction de l'acte de mariage. C'est exceptionnel et
tous les mariages parisiens n'y figurent pas, hélas... Cette collection est
totalement exclusive (constituée entre 1830 et 1871). Il n'existe aucune autre
copie de ce dépouillement effectué par mes prédécesseurs, que ce soit dans les
archives privées ou publiques françaises."
Mais l'information la plus
importante est que la filiation de Françoise JACOB/JAQUOT était indiquée
puisque l'attestation dit qu'elle est
née le 9 septembre 1717 à Horville de Jean et de Marie RACTA. C'est donc
sur le site Web des archives départementales que je suis allé rechercher les informations, pour trouver
très vite l'acte de baptême de Françoise, à la date indiquée. L'acte est aisé à
lire (cf image 2)
:
"Françoise, fille légitime de Jean JACOB laboureur et de Marie RACTA son
épouse est née le neufvième jour du mois de septembre de l'année lmil sept cent
dis sept et a esté baptisée le même jour par Pierrette PARIS, veufve de défunt Jean JACOB, sage-femme
de cette paroisse à cause du danger de mort dans lequel elle s’est trouvée, et
les prières, exorcismes, onctions et cérémonies du baptême ont été faites sur
elles le lendemain ».
Son parrain était Hubert AUBRY jeune, habitant dans la paroisse voisine de
Manières et sa marraine était Françoise LOPPIN, tous deux illettrés. Les
parents étant connus, il suffisait de dérouler le fil.
Son père, né en 1686, a eu au total 16 enfants, issus de
deux unions. Il se maria d'abord avec Marie RACTA en 1710, et elle lui donna 12
enfants entre 1712 et 1731 avant de décéder en octobre 1736 à l'âge de 51 ans.
Françoise JACOB était la cinquième, mais seule une sœur aînée, Jeanne, a dû
parvenir à l'âge adulte. Jeanne, âgée de 24 ans, épousa Claude CHAMPONNOIS,
manouvrier, le 25 novembre 1738 dans la paroisse voisine de Dainville. Mais ce
jour-là, Jean JACOB se maria avec Christine CHAMPONOIS, la propre sœur de Claude.
Pour être bien clair, ce jour-là,
François JACOB devint le beau-frère de sa fille ! Il avait alors 52 ans et sa seconde épouse devait encore le rendre
père à sept reprises, avec une dernière naissance en 1754, quand il avait 68
ans. François JACOB décédait en 1763, après une vie bien remplie.
Son acte de baptême, daté du 15 juin 1686 à Horville
désignait ses parents, Jean et Pierrette PARIS. Souvenons-nous que cette
Pierrette était en 1717 la sage-femme qui devait mettre au monde et baptiser
Françoise JACOB, sa petite-fille. Les registres paroissiaux nous ont d'ailleurs
permis de retrouver la mention de l'élection de Pierrette comme sage-femme, le
19 juin 1701 (cf image 3)
:
« Ce jourdhuy 19e du moy de juin mil sept cent un
Pierrette PARIS femme de Jean JACOB de cette paroisse aagee de cinquante ans a
este elue dans l’assemblee des femmes a la pluralité des suffrages pour faire
l’office de sage femme et a presté le serment ordinaire entre mes mains
conformement au rituel de ce diocese ».
Ces mentions d'élections sont communes au XVIIIème siècle
dans les registres des paroisses de l'Est de la France (j'en ai rencontré
plusieurs en Lorraine[1]).
L'élection devait désigner une personne de confiance, chargé de mener à bien
l'accouchement, mais aussi, en cas de difficulté de baptiser le bébé, ou de
l'ondoyer (l'ondoiement est un baptême d'urgence, donné sans les cérémonies de
l'église, et il pouvait être suivi quelques jours plus tard, si l'enfant
survivait, d'un baptême en bonne et due forme). Dans le cas de Françoise JACOB,
en dépit du baptême d'urgence, la suite s'était bien passée puisqu'elle grandit
et qu'elle épousa Jean Armand GOUFFET en 1753 à Paris.
Le mariage de Jean JACOB et de Pierrette PARIS s'est tenu le
3 novembre 1670 à Houdelaincourt, à quelques kilomètres de Horville. C'était
sans doute le village de naissance de l'épouse. Quant à l'époux, il est dit
originaire de Montreux. Il s'agit peut-être d'un village au Sud-Est de Nancy où
ce nom semble attesté. J'ai identifié plusieurs de leurs enfants outre Jean :
Didiere, Françoise, Didier, Marguerite et Elisabeth. Cette dernière s'est
établie dans les Vosges (à Avranville) après son mariage.
Si nous revenons maintenant à Marie RACTA, la mère de
Françoise JACOB. Son mariage en 1710 avec Jean JACQUOT est filiatif et indique
qu'elle est née le 19 juillet 1685 à Houdelaincourt, fille de François et
Florentine MARCHAL. J'ai trouvé dans la foulée le mariage de ses parents en
1682 dans la même paroisse, et même la naissance de son père, François RACTAT,
le 2 mars 1659 à Houdelaincourt, avec ses parents : François et Marie VAULTIER.
Il est rare que les registres paroissiaux permettent de remonter aussi loin
dans le temps, mais la chance était décidemment de mon côté.
En effet, lorsque le 30 janvier 1714 François RACTAT, frère de Marie, se maria, son épouse, Margueritte DEBILLEAU, était sa cousine éloignée, et l'acte de mariage mentionne une dispense du quatrième degré de consanguinité. Or un généalogiste, Roger HARNICHARD avait mentionné lors de la mise en ligne des informations sur ce couple, la côte du dossier aux Archives Départementales de la Meuse : 3G26/229. Mieux même : sollicité, il me fit rapidement parvenir les copies des images qu'il possédait de ce dossier ! Un tel dossier devait être établi (moyennant finances) à chaque fois que les futurs époux étaient apparentés, et ce jusqu'au quatrième degré.
Ce dossier fut établi par Mr Nicolas RICHELOT, curé de
Houdelaincourt, dont je cite un extrait de la demande :
« Ils désirent se marier ensemble mais ne le peuvent
sans une dispense de nostre St père le pape ou de Monseigneur l’Eveque de Toul
à cause de l’empechement dirimant qui est entre eux et qui provient de ce
qu’ils sont parents au troisième et quatrième degrés de consanguinité (… et…)
qu’a cause de la petitesse du lieu dans lequel ils sont nés et du grand nombre
de parents qu’ils y ont laditte Marguerite DEBILLAUX auroit beaucoup de peine de
trouver un mary qui luy convienne autre que Pierre RACTAT; et qu’enfin la
pauvreté les mettant hors d’estat de recourir au pape ils esperent encore de la
bonté de mondit Seigneur qu’il ne les obligera pas d’y avoir recours, mais
qu’il voudra bien la leur accorder luy mesme en vertu de l’indult (i.e.
dérogation) que le St pere luy a donné en faveur des pauvres ».
Le curé avait fait comparaître leurs parents (leurs pères
François RACTAT et Nicolas DESBILLAUX, qui savaient tous deux signer, leurs
oncles François PIGOROT et Gervais VAULTROT pour reconstituer leur généalogie).
Enfin, il avait vérifié auprès d’autres paroissiens (Claude et Nicolas RICHIER)
la véracité des arguments des demandeurs. Il avait enfin synthétisé la
filiation des époux, qui faisait apparaître qu'ils descendaient tous deux d'un
même couple "souche" : Didelot RACTAT et Edotte NORMAND, en trois
générations pour le futur époux et en quatre pour la future épouse (cf image 4).
Et voilà donc une génération de plus identifiée dans l'ascendance de Marie
RACTAT, et donc de Jean Alexandre GOUFFET.
J'étais arrivé là au terme de ce chemin qui, en quelques
semaines, m'a permis de remonter d'un siècle et demi. La chance m'avait servi
et les découvertes avaient été nombreuses, avec entre autres, une élection de
sage-femme, et ce dossier de dispense qui permet d'avoir aussi un regard
complémentaire sur une petite communauté villageoise du début du XVIIIème
siècle. Bien entendu, les questions restent nombreuses : quelles raisons ont
conduit Françoise JACOB à Paris, puis son fils vers Vallabrix ? Sera-t-il
possible un jour de remonter la branche paternelle ?
Les registres paroissiaux du Gard n'étant toujours pas en
ligne (c'est à ce jour le tout dernier des départements dans cette situation
!), il me faudra encore attendre pour tirer d'autres fils. Mais la généalogie
est un loisir qui enseigne la patience. Elle est parfois récompensée, surtout
quand la coopération entre passionnés ouvre des portes qui étaient closes
depuis trois siècles.
Denys Breysse, 20 mars 2017
Remerciements : Ce travail n'aurait pu voir le jour sans le
secours de Xavier ROBERT-MONDIN, du
Cabinet Andriveau (merci à son travail bénévole et aux informations qui ont
permis de remonter la piste), à Alain ESTEOULE de l’association SAGA, et à
Roger HARNICHARD qui m'a communiqué le dossier de consanguinité établi pour le
mariage de 1714 entre Pierre RACTAT et Marguerite DESBILLEAUX.
Voir aussi :
https://genealogie101.com/2016/05/23/lelection-de-sage-femme-au-xviiieme-siecle/
Image 1. Acte de mariage de Jean Alexandre GOUFFET et Anne CHAMAND
(registres de Vallabrix, 1786)
. Image 2- Acte de naissance de Françoise JACOB, registres de Horville, 1717 |
Image 3. Election de Pierrette PARIS comme sage-femme, registres de Horville, 1711. |
Image 4. Ascendance de Pïerre RACTAT reconstituée dans le dossier de dispense de consanguinité (1714). |
Image 5. Extrait de la carte de Cassini de la région de Horville |
Image 6. Ascendance reconstituée de Jean Alexandre GOUFFET (nota, la mention d'Etienne Benjamin est incertaine et ne provient que d'une mention manuscrite de mon grand-oncle - il s'agit sans doute d'une déduction hasardeuse).
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