lundi 24 avril 2017

Mémoires de guerre Fautin Gouffet


MEMOIRES DE GUERRE

 



Pierre Faustin Gouffet nous a laissé un petit carnet où il raconte « sa guerre » avec émotion, pudeur. Denys Breysse, son petit-neveu, nous en donne ici une transcription. (Photo 1935 environ)
Pierre Faustin est né à Vallabrix le 4 février 1899. Il est le fils légitime de Joseph Elie Gouffet (1862-1939) et d’Hélène Louise Albertine Cassagne (1867-1932). Ses père et mère ont respectivement 37 ans et 31 ans à sa naissance. Il est le petit dernier d’une famille de cinq enfants. Il décède à Nîmes à l’âge de 75 ans le 2 mai 1974.
Il a exercé la profession de clerc de notaire (1927) et greffier de justice. Il est diplômé de l’Ecole Polytechnique du Notariat par correspondance.
Eléonore Yvonne François et Pierre Faustin se marient le 30 avril 1927 à Vallabrix. Pierre a 28 ans et Eléonore 22 ans. Eléonore est née en 1904 et décède en 1993. Elle est sans profession. Son père est Charles Augustin François (1873-1953) et sa mère Léonie Zoé Dussaud (1880-1953), deux vieilles familles de Vallabrix.
Il fait partie de la  classe 1919, appelé le 22 avril 1918, . Il va découvrir la guerre, l’armée et son commandement. Nous le retrouvons, ému, en permission le 9 août 1919 à Vallabrix pour la fête du village.
En juin 1921 il est à Bonn en Allemagne soldat d’occupation. Nous allons vivre avec lui cette période de notre histoire.
Il sera décoré le 16 février 1930 , Chevalier du Mérite Agricole n°1141 au JO , agriculteur à Vallabrix (Gard). Puis le 12 août 1960, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur.
En 1968 il publie son livre « Vallabrix Mon Village Natal » ouvrage préfacé par M Jean Roger membre de l’Académie de Nîmes. 400 exemplaires dont un dans une Université du Michigan (USA). D’après la National Library d’Australie il habitait lors de l’édition de son livre au 20 rue Clovis à Nîmes(Gard-FR)
Chiens attelés à une mitrailleuse Armée Belge 1914-1918
Maryvonne Ollivry 2-4-2014 Paris-Match - Bêtes Silencieuses,
Héros Silencieux



A méditer "Etudiez le passé si vous voulez appréhender le futur" Confucius


 Mémoires de Guerre

 MES MÉMOIRES
DE MA VIE MILITAIRE
22 AVRIL 1918 – 1ER JUILLET 1921
CLASSE 1919

          22 avril 1918

Que ce jour me rappelle bien des choses ! Et quelle différence de pensées avec la date de ma dernière démobilisation

Revenons toutefois au début et n’absorbons pas toute notre pensée à la joie de notre retour définitif dans nos foyers !
Le matin du 22 avril 1918 j’étais impatient de partir pour faire connaissance avec cette nouvelle vie (vie de garnison).

Des camarades étaient venus m’accompagner à la gare d’Uzès : Roger, Marius Bouchet, Amédée et Léonce[i]
Arrivés à la gare, j’étais  impatient de partir, malgré que je fis connaissance avec deux demoiselles d’Uzès, dont j’ai gardé qu’un vague souvenir. Le train s’ébranle, c’est 8 heures du matin.
Ma vie de cultivateur est laissée de côté, pour prendre celle de militaire, où pour  mieux dire, celle d’esclave que je ne connaissais pas hélas !

Néanmoins, j’étais très joyeux et très gai de partir, mais, je ne trouvai aucun qui vint avec moi au 52eme d’Infanterie en garnison à Montélimar (Drôme) auquel j’étais affecté.
A Tarascon, en attendant l’express de Paris-Lyon-Marseille, je descendis en ville avec des  camarades de St Quentin, d’Uzès, et autres pays environnants, où nous prîmes un  bon petit repas. Là on rigola un bon peu, car il y avait un Auvergnat qui allait rejoindre le 61eme RI à Privas, et qui n’était guère dessalé (passez-moi l’expression.

Enfin, à 14h30, c’est le départ sur la grand ligne où nous fîmes pas mal de tapage, dans le train, mais à mesure que nous avancions, le nombre  diminuait sans cesse, et je me trouvais seul avec un qui rejoignait les hussards à Vienne.

Aussi j’avoue que je compris que la joie était trop avancée, et j’eus un instant de tristesse, me voyant déjà aux prises de mille difficultés avec l’autorité militaire.

Arrivée à Montélimar 16h30 : j’aperçus deux caporaux venus expressément pour nous conduire à la caserne et avec 5 à 6 jeunes gens, nous allâmes prendre un verre au café de la gare sur mon initiative.

Tout en causant, j’appris qu’il y en avait un du Gard, nommé Hugues CAMILLI, et là alors, je recouvris ma bonne humeur car, ce fut le seul je connus du Gard, et qui était natif de Moussac. Nous voilà donc copains tous deux et on se promit de ne jamais se séparer, dans la mesure du possible.

Les premières joies du régiment

Nous arrivâmes à la caserne, je puis affirmer que j’eus un serrement de coeur, tout en gardant ma gaieté et là, nous commençâmes à faire le tour de la bureaucratie militaire.
C’était, sans me flatter, moi  le plus hardi de tous, aussi le sergent qui nous conduisait, s’en aperçut, et me dis : “Mon vieux, tu ne t’en fais pas et c’est ce qu’il faut au régiment !”.
Je me dis en moi-même, ce sergent-là a l’air très gentil, et faudra trouver le moyen de pouvoir être bien avec lui.

Dans les bureaux bon nombre de dactylographes, qui avaient certainement lû le roman de GOUFFET “La Malle” et de sa maitresse Mlle Gabrielle BOMPARDme demandaient manière de plaisanterie, si je n’étais pas parent avec ce dit Gouffet “La Malle[ii].
Inutile de décrire cette histoire, et, revenons à nos préoccupations militaires.

Malgré que j’eusse emporté pas mal de victuailles et de provisions de bouche, j’eus la pensée d’aller goûter la “tampouille” du régiment, car, on venait de nous distribuer, notre gamelle individuelle, quart, ceuiller et fourchette.
Et me voilà parti au réfectoire (grande salle destinée à prendre les repas où à écouter des conférences) où on nous servit une bonne soupe, et je me disais : si cela continue çà pourra aller.

Un caporal arriva sur la fin du repas, et seulement à l’entendre causer, je crus comprendre l’accent de nos côtés et comme je lui demandais, il me dit habiter Nimes à la rue de la Garrigue et se nommer CAZAUD[iii].

Il me fit installer du mieux qu’il pût, et là, dans la chambre, je me mis à chanter ; aussi pas mal de mes collègues me disaient, “Nous voudrions être comme toi” et je fis tout ce que je pus pour les égayer et ensuite nous fîmes connaissance avec la cantine où nous rigolâmes un peu avec la bonne de la cantinière et à 9 heures précises nous allâmes nous mettre au pied du lit pour l’appel, et répondre (présent !) à l’appel de notre nom.
Nous nous couchâmes ensuite, mais je ne pus dormir car je ne songeais qu’à rigoler.

Le lendemain, on nous rassembla et on nous conduisit aux douches, ensuite on nous donna nos effets militaires, et dans quel état, trop grands étaient les pantalons, trop petite  était la veste, ou vareuse, et on se plut à se ballader dans cette tenue.

Le jour passa, mais le lendemain il fallait faire un peu d’exercice, salut, performances ! Aussi, je me glissais, tantôt à droite, tantôt à gauche, tant et si bien, que je me fis engueuler pour la 1ere fois, et on me donna l’ordre de rejoindre la 1ere unité où j’étais affecté.
Je ne sais si je fus passé en consigne ou quoi, mais là, tout changea de ton. Il ne fallait plus qu’obéir !
Je changeai de chambre et j’eus comme chef de chambre un soldat de 1ere classe qui voulait avoir des galons et qui, comme vous le pensez, ne cherchait qu’à porter des motifs pour des punitions pour bien se faire estimer et réussir à avoir des “sardines” plus élevées.
Aussi, je chantais en arrivant dans sa chambre et tout en faisant mon lit, il s’avança vers moi, et me dit ceci : “Vous chantez. Eh bien vous avez pas fini d’en bouffer des gamelles et des corvées”.
Je me dis en moi-même cà va “chier” pour ton matricule et, en effet, la série commença.
Je n’eus pas plus tôt fini de faire mon lit, il m’ordonna de balayer la chambre. "Et surtout comme il faut ", me dit-il sur un ton impératif !
Mais ce n’était pas tout : quand j’eus terminé, il m’ordonna de balayer les escaliers, au nombre d’une quarantaine, et je croyais ma corvée terminée.
Je remontais dans la chambre, il me dit : "allez balayer le couloir", ce que je fis aussitôt.
Mais, dès que j'eus terminé, il me dit : "allez nettoyer les lavabos".

Aussi, je puis dire, là je compris qu'il m'en voulait et que ma tête ne lui était pas sympathique. C'est pourquoi, quand je revins dans la chambre, je me mis toujours à chanter, pour faire voir que j'étais toujours gai, alors que je ne l'étais pas à ce moment-là.
Voyant qu'il ne m'étonnait pas beaucoup, il me dit : "C'est bon, pour cette fois-ci, mais tenez-vous à carreau, car je ne vous manquerai pas à la moindre incartade !".
Je voulus lui demander les motifs de son acharnement injuste, qu'il exerçait sur moi, il me cria : "Taisez-vous !!!"

Je ne fis aucune remarque, mais là, je sus ce que c'était, ce que l'on appelait dans l'Armée "le cafard" et je me disais en moi-même : "si tu me coûtais que vingt ronds quel plongeon par la fenêtre !!!"

Mais, à nouveau, la gaieté me revenait, car de toute la journée , il ne venait pas avec nous à l'exercice où il m'en aurait certainement fait voir de cruelles, et comme j'appris qu'il manquait un type dans une autre chambre, j'allais supplier le chef de cette chambrée de m'accepter.
Il fût tout heureux d'apprendre que j'étais du Gard, et comme j'avais à cette époque encore pas mal de quoi fumer, il fût tout heureux, car il n'avait pas de tabac et c'était difficile de s'en procurer.
J'appris qu'il était de Bouillargues, village situé tout près de Nîmes, et qu'il était le cousin d'une demoiselle de Pougnadoresse que je connaissais Mlle Blanche HERAUD.
Aussi, nous fumes grand camarade, et j'oublie de dire son nom POTAVIN Jean[iv].

Là, au bout de quelques jours, en chahutant avec des camarades, je butai contre la table de la chambre et je me fis une bosse à la tête ce qui me fit admettre à l'infirmerie.
La nourriture était mauvaise, car on nous donnait du lait condensé qui sentait mauvais, aussi je glissai la pièce à l'infirmier, en lui disant, de me faire rentrer à l'hôpital.. Il parla au major de moi, et je fus admis à rentrer à l'hopital.

Quelle ne fut pas ma joie, en voyant de jeunes et gracieuses infirmières, qui nous soignaient à qui mieux-mieux.
Je me souviens encore, quand je fus couché dans un bon lit, une jeune infirmière vint, me donna tout ce que je désirais, fit venir le coiffeur pour me raser (car je ne m'étais pas rasé de 5 à 6 jours que j'étais resté à l'infirmerie) puis ce fut elle qui me lava la figure dans mon lit.
C'était une vie agréable et douce, et là, je compris qu'à la caserne, tout n'est pas rose et que rien ne vaut le toit paternel.

Mais, au bout de 8 jours, je n'étais plus malade du tout, et comme il n'y avait pas un mois que nous étions en caserne, et que cela marchait mal au front, je n'eus pas droit à une convalescence et je rejoignis la caserne.

Là, j'appris que j'étais inscrit d'office pour suivre le peloton d'élèves-caporaux, et je m'en fus trouver le lieutenant de l'unité pour me faire rayer, car je n'y tenais pas du tout.
Il me dit, il faut que vous restiez, vous êtes le seul du Gard, qui êtes à ma compagnie et, comme je suis aussi du Gard, quand vous voudrez une permission vous viendrez me la demander.
Ce lieutenant nommé FALISSARD[v], originaire d'Alais, maintenant capitaine d'après ce que j'ai entendu dire, était à la première impression un homme pour faire mauvaise impression, petit, trapu et surtout gueulard, il aurait effrayé je ne sais qui, mais, quand on en avait l'habitude, on s'apercevait qu'il était juste, et je me souviens aujourd'hui, que je ne lui ai vu porter que 2 punitions à des types qui n'étaient autres que des véritables chenapans.
Aussi, je fus tout content quand il m'annonça ces bonnes intentions-là qu'il nourrissait pour moi, et je pensais déjà à la permission pour la fête de la Pentecôte.

Je me souviens aussi que je fus l'auteur d'une mauvaise aventure, qui causa à 15 ou 16 types de ne pouvoir partir en permission.
J'avais lavé une paire de chaussettes, et n'avais pas fait cas que c'était défendu de les faire sécher dans notre chambre, mais comme des camarades les avaient déjà fait sécher eux aussi, des jours auparavant, je ne pris garde à ce qui arriva et je les étendis sur une ficelle au milieu de la chambre.
C'était un mauvais moment. Au front tout marchait mal, et il y avait trop de permissionnaires, aussi le lieutenant ne cherchait qu'un motif pour en supprimer et faire partir le compte de permissionnaires réglé par une circulaire ministérielle d'accord avec l'administration des chemins de fer.
Aussi, çà ne rata pas, et toute la chambrée fut consignée et nos permissions déchirées (chambre H1).
J'eus recours à un nouveau caporal, et comme il manquait un autre typo dans sa chambre, il me fit établir une permission, et elle me fût délivrée.
J'eus néanmoins encore l'audace d'aller trouver le lieutenant et, au lieu de ne partir qu'à 4 ou 5 heures du soir, je pus partir à l'express de 11 heures du matin, et arriver à Uzès à 9 heures du soir.

Quelle joie la 1ere permission occasionne-t-elle !  Je ne saurais la décrire !
J'aperçus Jean VIGNAL[vi], un camarade du pays, qui était incorporé au 40ème RI en garnison à Nîmes, et je l'appelais du café Borie où j'étais en train de boire un apéritif : il ne me connaissait pas, au premier vu.

On arriva à Vallabrix tous deux, et ce fut une douce joie de se trouver au milieu de nos parents et amis, pour la première fois depuis notre départ.

De retour à Montélimar je tombai malade d'une bronchite, d'où je fus hospitalisé illico. Je restais 1 mois à l'hopital et à peine guéri, je partais le 15 juin pour 15 jours de convalescence.
A peine arrivé à Vallabrix, je fus obligé de m'aliter à nouveau, et je retournai à Montélimar toujours souffrant.
A noter que j'avais demandé une prolongation à Nîmes au centre de Réforme, qui m'était refusée parce que je ne faisais pas partie du 15e Corps.
Pourtant, j'en étais originaire, mais le cynisme de ce major, ne voulut point changer.


En route pour la zone de combat

A peine arrivé à Montélimar, on nous habilla de bleu horizon, et le 19 juillet 1918, nous embarquions pour la zone des armées.

Je me souviens aussi qu'en cours de route, on avait tellement bu qu'arrivés à IS/s/TILLE[vii] nous étions tous saouls, et je ne sais comment je fis, je tombai dans une mare de boue, d'où un adjudant nommé CHOMAIN me sortit.
Notre destination fût la Meurthe-et-Moselle, c'est-à-dire plutôt les Vosges où nous restâmes un mois, dans un village nommé PLEUVEZAIN puis dans la Meurthe-et-Moselle à BEUVEZIN.
De là je partis en permission de détente de 7 jours, et en arrivant nous partîmes à St Nicolas-du-Port à 12 kilomètres à droite de Nancy.
Nous faisions partie du 9ème bataillon de marche du 10ème RI et à St Nicolas-du-Port, de la 33ème compagnie bis, 9ème bataillon de démonstration, du 10ème RI secteur postal 158.
Là, ce fut la seule fois de ma vie que la mort me frôla de près.
Nancy était bombardée toutes les fois que cela était propice, c'est-à-dire quand le temps était clair et, comme à St Nicolas-du-Port il existe une très jolie cathédrale, et une tour très haute, les Boches s'en servaient comme point de repère pour se diriger sur Nancy.
Or, un soir, par un beau clair de lune, une escadrille Boche allait verser sur Nancy des bombes (fruit vraiment hideux de la science meurtrière) quand vint à passer une automobile dans St Nicolas avec ses deux phares allumés. Les Boches, croyant sans doute avoir affaire à un convoi de troupes, lâchèrent leurs bombes sur St Nicolas.
Ce fut une véritable panique, mais sans toutefois occasionner la mort à personne, car les caves, étaient de bons refuges.
L'immeuble seul du percepteur fut détruit complètement, et était situé non loin du Foyer du Soldat où peut-être 500 à 600 poilus étaient en train de déguster chocolat et café.
Quel massacre cette bombe eut-elle fait, si elle avait tombé sur ce Foyer du Soldat, dont je m'entretiendrai à la fin de mon petit livre.
Quelques jours plus tard, je repartais en permission de 10 jours, mais c'était la perme mauvaise, celle qui m'acheminait vers l'endroit meurtrier : la guerre des tranchées !!!
Quel cafard que j'eus, quand je repartis de chez moi, mais Dieu veillait sur moi, et je savais que de bonnes âmes priaient pour moi.


L'armistice et la découverte de Paris

La Bulgarie signait l'armistice, l'Autriche-Hongrie la suivait quelques jours après, il ne restait que l'Allemagne, et on n'avait presque plus de doute sur notre victoire prochaine, mais, la guerre faisait toujours de grands ravages et nous n'attendions que l'ordre pour rejoindre le C.I.D. et de là les tranchées.
Un jour, jour béni et dont on se rappellera toujours dans l'histoire, l'ordre fut donné de nous embarquer, mais quelle ne fût pas notre grande joie, quand nous apprîmes, que l'Armistice se signait à 11 heures, dans le wagon-salon du maréchal FOCH tout près de Compiègne.
Curieuse coïncidence : le 11 novembre à 11 heures du 11ème mois.
Nous débarquâmes enfin à ESTREES-SAINT-DENIS, et de là nous allâmes à pied rejoindre le régiment le 10ème R.I. à REMY dans l'Oise du côté de COMPIEGNE.

                                                        Gare d'Estrees Saint Denis (www.delcampe.net)

 A peine étions-nous arrivés qu'il fallut repartir pour descendre du côté de Paris, aux environs de BORNEL. Et de là j'étais versé à la 7ème Cie, où nous allions boucher des tranchées, mais il gelait bien fort, et on souffrait horriblement. 
C'est alors, qu'un jeune sous-lieutenant nommé MASSON Claudius[viii] natif de Culoz (Ain) arrive de convalescence, et n'a pas d'ordonnance.
Je réponds affirmativement àsa demande et me voilà embusqué car je ne fais ni exercice ni corvée.
C'est à ce moment que les chefs de nations alliées viennent à Paris, et notre régiment est désigné pour former la haie, lors du passage de ces souverains dans notre riante Capitale.
Nous sommes cantonnés à Sèvres du côté de St Cloud et Suresnes, tout près du Bois de Boulogne.
Alors les fêtes succèdent aux fêtes, et toutes les fois qu'un chef d'une nation alliée vient à Paris, nous allons former la haie à la Place de l'Etoile à côté de l'Arc de Triomphe.
Les Midinettes nombreuses et souriantes fraternisaient avec nous, et le poilu était acclamé sans cesse. Il est vrai, c'était tout de suite après l'Armistice, l'enthousiasme était indescriptible. Cigares, cigarettes, bons vins étaient offerts de même que de jolis bouquets de fleurs pour les gracieuses midinettes.
Paris est remarquable par ses beaux monuments : je profitais alors de l'occasion qui m'était offerte pour aller visiter les Invalides, la Tour Eiffel, la grande roue, le fameux pont Alexandre III, conduisant à la Chambre des Députés, toutes les grandes places telles que : la Concorde, l'Alma, l'Etoile, la République etc, etc...
Pendant que nous étions à Paris, nous sommes allés former la haie pour le roi d'Angleterre, le roi des Belges, le roi d'Italie et le président d'Amérique WILSON.
J'oubliais de dire que je suis allé visiter le superbe château de Versailles (résidence des anciens rois de France).
Quel château, de toute beauté, quel parc magnifique, derrière le chateau !!! Le portail d'entrée est très chic, dans la cour se dressent les statues de Bayard, Condé, Turenne, etc, etc...
Au milieu de la cour se dresse la statue de Louis X... à cheval regardant et brandissant son épée du côté de l'Allemagne notre ennemi héréditaire.
Quand tous fûmes réunis, un monsieur qui connait à fond toute l'histoire du chateau nous invita à le suivre et nous donna des explications.
Il nous fit visiter le salon de la Paix, le salon de la guerre, la chambre du roi Louis XVI et la chambre de la reine Marie Antoinette, la galerie des glaces où l'Allemagne s'avoua vaincue dans le courant de l'année 1919 lorsqu'elle signa le traité de Versailles.
Il nous montra aussi l'escalier par où le peuple de Paris vint chercher le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette.


Le secours dans les zones ravagées par les combats

 Mais, comme toujours, après les fêtes, allait succéder la souffrance.
Un ordre ministériel enjoignit le Général de  division ARBANERE[ix] Cdt le 10ème R.I., le 134ème, le 27ème  et le 56ème R.I. ainsi que le 48ème d'Artillerie de partir dans les régions libérées.
Que de peines et que de fatigues n'eumes nous pas ! Je m'en souviendrais toute ma vie malgré que je n'eus pas fais la guerre.
Nous fîmes presque tout le tour de Paris, arrivés à la porte d'Italie, nous prîmes la route pour monter dans l'Aisne où nous passâmes dans l'Oise, mais quel serrement de coeur en arrivant dans ces régions où tant de nos ainés ont trouvé la mort et d'autres des blessures qui ne guériront jamais !
C'est le château de VESIGNEUX, où tout le long de la route sont installés des crénaux, puis plus loin les grottes de TRACY-LE-MONT, où je passe le 1er janvier 1919.
Le village a beaucoup souffert, ainsi que celui de TRACY-LE-VAL[x].

                         



                           Destructions de la guerre à Tracy le Val   et à Tergnier (www.delcampe.net)
Ensuite, nous remontâmes toujours à pied, et nous voici à PIERREFONDS, dont le chateau est si remarquable.
Ici, alors, la veine me rattrape, mon lieutenant, dont je suis  toujours l'ordonnance est nommé Chef du Ravitaillement. Ainsi, je ne fais plus les étapes à pied, mais en voiture ou à cheval.
Je ne peux pas passer pourtant sur la petite misère à côté de ceux qui ont fait la guerre que des étapes de 28 et 30 kilomètres tous les jours que nous faisions à pied.
Nous marchions tous les trois jours et le quatrième nous avions repos. Mais comme nous étions dans les régions libérées, nous ne pouvions pas très souvent laver notre linge de corps (chemises, caleçons et chaussettes) et les poux commençaient à nous ronger le corps. De plus les routes défoncées par les convois automobiles étaient très mauvaises, et la pluie tombait presque tous les jours. Aussi, combien de fois, tombait-on dans un trou, rempli de boue et dans quel état piteux l'on en ressortait.
De plus, nous avions tout le chargement complet, 2 couvertures, sac, fusil, ainsi que la peau de bicque et les deux musettes, bidon et les deux masques à gaz.
Ainsi, au ravitaillement, je m'estimais heureux.
Continuant notre route nous passâmes à la ville de CHAUNY qui était en partie détruite, mais à la ville de TERGNIER, tout était rasé complétement. On n'aurait pas distingué ni où se trouvait la porte d'une maison, car TERGNIER avait tout sauté à la mine par les Boches !
Ensuite nous passâmes à MARLE et enfin, nous arrivâmes à VERVINS (Aisne) où nous restâmes 2 mois environ.
Le 14 février, je partais en permission, mais arrivé à Vallabrix, je contractais la maladie appelée "grippe espagnole" et au bout de ma permission je fus hospitalisé à Uzès, où après y avoir resté 20 à 21 jours, j'obtins une perm de convalescence de 10 jours, et de là je rejoignais VAIRES-TORCY où je retrouvais mon ancien (?) d'ordonnance. De VAIRES-TORCY, nous allâmes à MITRY, d'où je me rendis 3 ou 4 fois revoir PARIS.
Le 22 juillet 1919, nous recevons l'ordre de retourner en caserne et c'est à Chambrun[xi] à AUXONNE (Côte d'Or). Après 10 à 12 jours je pars en permission de 20 jours, où je viens assister à la noce de mon frère Edouard[xii], et à la fête votive de Vallabrix, où je me divertis à qui mieux mieux.

 Je retourne, mais de là le 10ème R.I. envoie des renforts un peu partout, et malgré de pressantes démarches, je suis obligé de quitter  mon (?) d'ordonnance, et je pars le 4 septembre pour IS s/TILLE, où plus de 5 milliards de marchandises sont la proie des voleurs et tentateurs et nous devons empêcher la rapine et le vol.
Après une douzaine de jours, nous partîmes pour aller garder des prisonniers Boches, internés dans le fort d'Asnières[xiii] situé tout près de DIJON.


Entrée du Fort d'Asnières, ou Fort Brûlé, http://fortiffsere.fr, ãBruno Vintouski

Là, je fus appelé à remplir les fonctions de secrétaire particulier du commandant du Fort : le lieutenant  BONSIRVEN[xiv] originaire de Toulon.
Nous menâmes une vie de seigneur car là, tout allait très bien. Je prenais mes repas avec le lieutenant, sa dame, l'adjudant et deux sergents, et c'était les Boches nos cuisiniers. Aussi, comme ceux-ci ne voulaient pas être comme leurs camarades internés dans le fort, ils faisaient tous les meilleurs mets recherchés. De plus, jouissant d'une grande amitié du lieutenant, j'obtins plusieurs permissions de 48 heures, et j'eus un ordonnance Boche qui me faisait mon lit et cirait mes souliers tous les matins dès mon réveil.


Mulhouse ou Antibes : où va la préférence ?

Aussi quelle désillusion quand je reçus des ordres pour retourner à AUXONNE et de là rejoindre MULHOUSE pour être affecté le 4 novembre au 147ème R.I.

Je ne veux pas laisser passer l'occasion, pour dire mon impression quand je suis rentré à MULHOUSE. La discipline y était très sévère, de plus le langage Boche était parlé par les 8/10ème de la population et j'ose même avouer que dès les premiers jours, je me considérais presque comme en pays ennemi.
Enfin, au bout de quelques temps, je me fis petit à petit à cette nouvelle vie, et le 11 décembre je partis en permission de 15 jours mais j'obtins 3 jours de prolongation pour passer les fêtes de la Noel.
Je retournais à MULHOUSE et au bout d'une semaine exactement, je repartais pour une belle destination : ANTIBES (Alpes-Maritimes)(5 janvier 1920).

Quelle joie de me trouver en garnison dans notre midi, si beau, et surtout sur la Côte d'Azur à pareille époque, et où l'on respire l'air pur et embaumé des multitudes de fleurs. Au Fort Carré, où nous étions logés, quelle vue magnifique sur notre grande bleue qu'est la mer Méditerrannée !!!

                                                                       Fort Carré à Antibes                       
  Tramway électrique de Nice à Monaco

J'étais à ANTIBES, pour y suivre un stage pour devenir moniteur d'éducation physique  et j'en repartis le 19 février 1920 pour rejoindre à nouveau le 147ème R.I.
Sur 250 que nous étions à ANTIBES, 135 seulement fûmes reçus, et j'eus la joie d'apprendre que la n° 109 était ma place.
Les examens étaient assez durs (anatomie et physiologie) mais pour le sport, ils n'étaient pas mauvais (pour les examens sportifs c'est à dire).

Quelle joie d'avoir pû vivre au cours d'une période si belle sur la Côte d'Azur et dans ces milieux si jolis, les environs étaient si charmants que j'eusse voulu y rester toujours.
Je ne veux pas laisser pourtant là, ma petite tournée d'inspection que je fis là-bas.
Je visitais tour à tour NICE, MONACO, MONTE-CARLO et CANNES.

NICE (le pays des Rêves) m'a causé une très agréable impression, le superbe casino sur la jetée, la promenade des Anglais (aujourd'hui le quai des Etats-Unis) longue de 7 kilomètres tout le long de la mer, et les superbes hotels tout cela avec les fleurs au milieu de l'hiver, et les riches toilettes féminines, font de ce Nice ce que je disais plus haut (le pays des Rêves).
Monaco est une ville qui n'est pas très chic, mais le superbe Palais des Princes est un véritable chef d'oeuvre ainsi que le musée océanographique.
Monte-Carlo est une ville ou plutôt une cité-promenade qui est si belle que je ne pouvais cesser de l'admirer et de la contempler.
Des hôtels et des palaces si richement décorés et sculptés que l'on se croirait au "...(Paradis)...".
De Nice à Monte-Carlo, il faut faire le trajet en tramways électriques, tout le long de la mer, et ça vaut un beau coup d'oeil.
Cannes (la jolie) est une ville plus petite que Nice avec une ressemblance toutefois, et tous ces beaux pays ont produit sur moi un bon effet et j'en emporte un très bon souvenir, et je me promets d'y aller plus tard, y faire un petit voyage.

Ah ! combien j'aurais voulu rester dans ces beaux pays, mais hélas ! il fallut retourner à MULHOUSE.

Je ne veux pas non plus rester muet, sur ce que l'on a fait au stage: sports surtout, et j'ai participé à un cross-country de 8 kilomètres à St LAURENT DU VAR, où sur 47 coureurs je me classais 30ème.L'épreuve y fut rude vu la renommée de certains coureurs, des professionnels comme LAKARY, SERVELLA, etc.





          

Lakary (photo BNF), Joseph Servella  (coureur niçois, participa aux JO de 1920 à Anvers)

     Notre champion de boxe Georges CARPENTIER, présent, nous donna le départ, et le 20 février 1920 j'arrivai à MULHOUSE.  Quel changement avec cette belle vie !

Aussi dès mon arrivée à MULHOUSE je fis de pressantes démarches pour être affecté à la Subdivision de Nîmes, mais je ne réussis pas et je fus affecté à la Subdivision de Mulhouse (Ht Rhin).
J'étais donc moniteur d'éducation physique et je ne veux pas laisser passer l'occasion, sans communiquer mon impression.
Nôtre rôle était très ingrat puisque nous étions les instructeurs de la jeunesse scolaire. J'allai donner en général 4 à 5 leçons par jour dans de grandes écoles de la ville de MULHOUSE, à citer: les écoles de la Tour du Diable, Furstenberger, Thérèse, Nesle, Blesch, et l'école supérieure.

Après les grandes vacances, je fus appelé à avoir une tournée à la campagne et là, nous nous heurtâmes à beaucoup de difficultés.
Nous étions obligés de reconnaître toute notre tournée heureusement que sachant lire ma carte d'Etat-Major, je pus arriver à trouver les agglomérations où je devais aller enseigner l'éducation physique aux élèves et donner des conseils aux instituteurs et institutrices alsaciens, qui ne connaissaient que la gym Boche aux agrès, mauvaise pour la croissance des os des enfants.
Ce fut une tâche assez ardue, de leur faire comprendre que seule la gym de mouvement était la seule convenable pour la bonne circulation du sang, et la croissance lente mais sûre du système osseux de l'enfant.

Je partais tous les matins au train de 6 heures pour retourner le soir entre 6 ou 7 heures et c'était assez dur surtout l'hiver.
Je pus connaître de ce fait les environs de MULHOUSE et j'allais jusqu'à 25 à 30 kilomètres encore muni d'une bicyclette à ma descente du train.
Je pus visiter la fameuse forêt de l'Hartmannsvillerkopf, les petites villes de CERNAY, MASEVAUX, LAUW, LUTTERBACH, PFASTATT, HABSHEIM, sans compter les petits villages au nombre de 20 à 25 que je parcourais une fois par semaine.

Je ne veux pas rester aussi muet sur le caractère des enfants Alsaciens.. D'une assez grande intelligence, ils sont par contre très turbulents, car l'Alsace est un pays très industriel et dans bon nombre de familles, le père et la mère vont travailler à l'usine, ce qui fait que l'écolier après ses heures de classe est laissé et abandonné à la rue, où il ne cherche qu'à mal faire très souvent.
Notre travail ne s'arrêtait pas là, et notre tâche dans les écoles, assez ardue par la diffusion des deux langues, puisqu'on ne parlait que très difficilement le français, était accrue encore par la P.M. (préparation militaire) qui consistait à préparer des candidats en vue de leur faire obtenir leur brevet du C.P.S.M. (Certificat préparation service militaire).

Nous avions de ce fait tous les jeudis et dimanches jusqu'à midi 250 à 300 jeunes gens de 18 à 20 ans qui venaient s'entraîner aux diverses épreuves et surtout au tir avec les 10 moniteurs que nous étions.
Notre tâche était comme je l'ai dit plus loin, très ingrate, mais facile à un point de vue, car nous n'avions pas derrière nous ni chiens de quartier (adjudant) ni même les officiers, puisque nous n'en avions qu'un le Capitaine BALDONI[xv] originaire de Nice, qui s'entretenait quotidiennement avec les présidents des diverses sociétés de gym de MULHOUSE et des environs.


Démobilisé, puis rappelé dans les troupes d'occupation en Allemagne

 Enfin, l'heure de la libération allait sonner pour nous et le 23 mars 1921, je quittai la caserne Lefèvre à Mulhouse pour rentrer dans mes foyers.
Ma vie militaire devait être terminée, du moins c'était ma conviction, quand tout à coup un ordre d'appel stupide peut-on dire me rappela à nouveau dans ce métier d'esclave.
1 mois et 10 jours s'étaient seulement passés, et il fallait faire pire qu'avant, porter le sac, le fusil, et faire des étapes à pied. Aussi, j'avoue que jamais, je n'avais eu un cafard monstre comme ce jour-là.
C'en était trop !!!  Et que d'injustices dans ce rappel de classe 19 ![xvi]
Tous ceux des régions libérées n'étaient pas partis ! Beaucoup auraient admis celà en raison de leur situation, la plupart sans foyer et ayant souffert de l'occupation Boche, mais tous ceux des régions de Besançon, Belfort, Nancy, et tout le département de l'Ain, enfin tout le 20ème et le 7ème Corps d'Armée ne furent pas rappelés,  ainsi que les étudiants, laissés à leurs études.

Puisqu'il fallait défendre en France, n'étions-nous pas tous Français devant la loi !!! Aussi ce fut un mécontentement général des rappelés.
(Journal  "Le Citoyen" du 6 mai 1921 sur le rappel de la classe 19)


Je partis le 4 mai 1921 avec Jean VIGNAL au 58ème RI en garnison à Avignon (Vaucluse) mais quel mouvement !
Ce fut au chant de l'Internationale que tout le 58ème RI défilat dans la ville d'AVIGNON le 7 mai 1921 pour embarquer.
Je me rappelle encore que la musique militaire voulut jouer la Marseillaise.  Elle fut sifflée de bout en bout.
Enfin le train partit et le 8 au soir nous arrivions à MULHOUSE où j'allais être réaffecté à mon ancien régiment, le 147ème R.I.
Connaissant beaucoup de monde, je n'eus pas de peine à me faire affecter à mon ancienne Cie la 11ème, et je fis mettre avec moi Jean VIGNAL, ANDEVERT de St QUENTIN, VALLAT de BLAUZAC, VIGNAL et TOURNEL d'Uzès.
A MULHOUSE nous y restâmes 2 jours et le 10 nous partions pour la Bochie, où nous arrivions 2 jours après, et nous  débarquâmes à BURSCHEID situé entre COLOGNE et DUSSELDORF.

 Là, je fus agent de liaison au bureau du 3ème bataillon, et je n'eus pas à me plaindre car, comme je connaissais beaucoup de monde au 147ème je faisais un peu à mon idée. De plus je mangeais avec les cuisiniers, mais j'avais trop le cafard de me sentir à nouveau sous cet habit d'esclave.
Jean VIGNAL et les copains cités plus loin me quittèrent 20 à 21 jours avant mon départ et ceci accrut le cafard déjà assez gros.
Aussi quelle ne fut pas ma déception de les voir partir !
Enfin, le lundi 27 juin 1921, nous embarquions pour retourner en France!

Dirigés sur la gare de BONN, j'y séjourne une journée complète et le 28 nous nous rencontrâmes avec Raoul DRÔME[xvii] de LA CAPELLE et CHAZEL de St SIFFRET qui étaient eux au 55ème R.I.
J'ai rencontré beaucoup des anciennes connaissances du 52ème R.I. et ceci me fit plaisir.

Je ne veux pas pourtant rester muet sur mon impression de Bochie !
Les moeurs sont tout autre qu'en France.
On s'amuse beaucoup en Allemagne mais militairement, ce qui ne vaut rien pour le caractère français.
Beaucoup font des excursions avec des sacs tyroliens avec musique en tête et en marchant au pas.
Je fus, pendant mon séjour en Bochie, en promenade en bateau sur le Rhin. Le trajet était de 60 kilomètres, nous fûmes de COLOGNE à REMAGEN.
Nous montâmes sur un ancien bateau Boche aujourd'hui Français nommé "le Parcival" et le coup d'oeil était féérique.
Ensuite, quand nous rentrâmes en France, nous suivîmes le Rhin presque tout le temps.

Sur les coteaux on ne voyait que vignes et c'était superbe à voir. 
Nous passâmes à COLOGNE, COBLENTZ, MAYENCE, et vers MAYENCE, nous vîmes la Grande "Germania". La Grande GERMANIA est une statue qui mesure je ne sais combien de mètres de hauteur et de largeur mais je sais qu'un bataillon français au nombre de 400 hommes tient sur le socle de cette statue.
A signaler sur cette statue un détail intéressant. Les Boches disent que la foudre est tombée deux fois sur cette statue et chaque fois c'était la guerre, et ils ont été vaincus la première fois, c'était du temps de Napoléon (XVIII) et la deuxième fois c'était en 1917. Aussi se croyant perdus, ils firent des offres de paix séparée.

  

                                                                      (La statue Germania dans la Vallée du Rhin)

 Enfin revenons à notre dur et écrasant voyage, car nous mîmes 3 jours et 4 nuits pour arriver à AVIGNON à la caserne Chabran et par une chaleur tropicale.


L'éveil de la conscience politique

 C'était le 1er juillet 1921. Cette date met fin à ma vie militaire (je l'espère et le souhaite ardemment).
Maintenant que j'ai fait le récit de ma vie militaire, je ne peux passer sous silence, les quelques bonnes oeuvres utiles et charitables que j'ai vues au cours de ma vie militaire.
D'abord je rends hommage aux dévouées infirmières qui se sont sacrifiées pour soigner et guérir nos pauvres blessés.

Plusieurs d'entre elles même ont trouvé la mort sur l'arrière du champ de bataille, et il faut leur en être reconnaissant.
A mon idée, on a fait de belles choses en élevant des monuments à ceux qui sont morts pour la France, mais n'aurait-on pas aussi bien fait de dessiner sur ces monuments des infirmières soignant nos pauvres blessés ?

Dans les gares au passage des trains, elles nous apportaient à boire, café, thé, et il faut être reconnaissant envers celles qui se dévouaient la nuit pour venir nous apporter ces boissons.
Il est aussi une autre chose qui mérite d'être signalée, c'est les Foyers du Soldat où l'on trouvait à manger et à boire, sans trop payer et à se divertir par de nombreux jeux disposés à cet effet.

L'armée, elle eut alors qu'une chose de bien ce fut les "coopératives".
Au front, à l'arrière, on trouvait tout ce dont on avait besoin, et à des prix très raisonnables.
A l'heure actuelle il en existe encore en Bochie, car le soldat achète souvent sans compter et les mercantis avaient vite fait leurs affaires.

Maintenant, je ne veux pas pourtant terminer le récit de ma vie militaire sans en conclure quelque chose.

Mes idées militaristes au début sont tout à fait anti-militaristes à la fin de cette vie militaire.
Et pourquoi ? D'abord, parce qu'il y a trop d'injustices dans l'armée, et ensuite  parce que ce n'est que la classe ouvrière qui est représentée à l'armée.

Certes nous voyons quelques Capitalistes à l'armée, mais rares sont-ils, et encore occupent-ils des places qui ne sont pas dans les rangs.
De plus, j'ai vu certains simples soldats, mais qui étaient bien de chez eux, auxquels les officiers allaient presque se soumettre en quête d'un avancement ou de peur de recevoir une réprimande parce qu'ils avaient soumis Mr De... à la même discipline que l'ouvrier X. ou le cultivateur Z.
Je puis affirmer, comme vous voyez d'après mon récit que j'ai passé ma vie militaire sans trop souffrir, mais combien de fois j'ai été obligé de me retenir pour ne pas demander à ces énergumènes (je veux parler ici des officiers, adjudants, et même sergents) si c'était la folie ou bien leur imbécilité qui les faisaient agir de la sorte.

Quand on part au régiment, on se figure et on croit même que l'on verra tout en rose, mais quand on a terminé, et quand on a vu tant de grosses injustices, on se demande même parfois comment on ne se révolte pas contre la plupart des chefs qui donnent maints ordres stupides et qui, mis en face pour les exécuter eux-mêmes, n'en seraient pour la plupart pas capables !
En somme, on ne voit au régiment que cultivateurs ou ouvriers, rares sont les fils de nos Capitalistes.

Ainsi, à l'heure actuelle, le mot patriotisme peut être considéré par de l'imbécillité ou de l'aveuglement.

Fait à Vallabrix,
le 20 août 1921
F. GOUFFET



date
personne
origine
grade
22-avr-18
CAMILLI
Hugues
Moussac
22-avr-18
CAZAUD
Nîmes
avr-18
POTAVIN
Jean
Bouillargues
mai-18
FALISSARD
Alès
lieutenant
VIGNAL
Jean
Vallabrix
19-juil-18
CHOMAIN
adjudant
nov-18
MASSON
Claudius
Thoiry, Savoie
déc-18
ARBANERE
Louis Achille
général de division
sept-19
BONSIRVEN
Toulon
lieutenant
févr-20
LAKARY
févr-20
SERVELLA
févr-20
CARPENTIER
Georges
févr-21
BALDONI
Joseph
Belvédère, Nice
capitaine
mai-21
ANDEVERT
Saint Quentin
mai-21
VALLAT
Blauzac
mai-21
VIGNAL
Jean
Uzès
mai-21
TOURNEL
Uzès
28-juin-21
DRÔME
Raoul
La Capelle Masmolène



Index des lieux cités dans le récit (hors Vallabrix)


date
lieu
22-avr-18
Montélimar
Drôme
19-juil-18
Is sur Tille
Côte d'Or




IMarius BOUCHET est aussi le nom du boulanger de Vallabrix qui, mobilisé, disparaîtra en 1915 (Couradou sept. 2013)
IIIl fait référence à une affaire judiciaire (l'affaire dite "de la malle à GOUFFE") qui défraya la chronique à la fin du XIXème siècle, l'huissier Toussaint Augustin GOUFFET, veuf de 48 ans, étant assassiné à Paris le 26 juillet 1889 par Michel EYRAUD avec la complicité de sa maîtresse, Gabrielle BOMPARD. Ses meurtriers placèrent le corps dans une malle qu'ils expédièrent à Lyon.
III Il peut s'agir de Simon Philippe CAZAUD (rue de la Garrigue, Nîmes) - n°292 de la classe 1903, l'adresse correspond, mais il n'est pas caporal. Les autres CAZAUD ne semblent pas coller.
IV Sans doute Jean POTAVIN, °1891 à Garons, n°mat 1939, fils de Etienne x Toinette FEYT
V Abel Louis Falissard, matricule 1825 (1m62), Croix de Guerre, capitaine en 1921, °1876, de Charles x Marguerite SAINT MARTIN. Il est le seul survivant de 12 enfants de ce coupleIl sera fait chevalier de la Légion d'Honneur le 3 mai 1916. Epoux de Marie BERARD en 1903 à Montelimar. Il s'éteindra le 19 avril 1961 à Loupiac, en Gironde.
VI Peut être Jean Marie VIGNAL, né à Vallabrix le 25 juin 1899 de Louis et Virginie VIDAL.
VIIEn 1917, au plus fort de la Grande Guerre, l’armée américaine choisit le site d’Is-sur-Tille, en Côte d'Or, pour y établir un camp de grande envergure (le Camp Williams) et un vaste entrepôt pour l’approvisionnement des forces expéditionnaires. Il ne reste pratiquement aucune trace visible de cette installation gigantesque et éphémère. Construit à partir d’octobre 1917, achevé en mars 1918, ce camp pouvait accueillir jusqu’à 24 000 hommes. Une boulangerie y fabriquait quotidiennement le pain pour un million de soldats. La camp vit passer près de deux millions de soldats américains et environ quatre millions de tonnes d’approvisionnement, mais aussi des troupes françaises (http://www.is-sur-tille.fr/images/Is-sur-tille/histoire_is-sur-tille.pdf).
VIIIJoseph Claudius MASSON est né le 13 janvier 1892 à Thoiry, Savoie, de Pierre, fruitier de laiterie et Marie MATROD, mariés (x 11 janvier 1883 à Gruffy, Savoie) et qui se sont établis par la suite à Cressin Rochefort dans l'Ain. Sa fiche matricule (dans l'Ain) porte le n°327 de la classe 1909 (engagé volontaire). Il deviendra caporal en 1911, sergent en 1912, puis adjudant en 1915 et sous-lieutenant le 21 août 1918, au 10ème RI. Il servira en Algérie puis dans l'armée du Levant avant d'épouser Jeanne Louise MACHET le 5 février 1922 à Amberieu, dans l'Ain. Ils s'établiront à Asnières. Il sera fait chevalier de la Légion d'Honneur le 14 juillet 1925 et il décédera au Val de Grâce le 25 août 1928.
IXLouis Achille Camille Raymond ARBANERE (1861-1935)
XCes communes et le château de Vésigneux sont citées dans les souvenirs de guerre du 2ème régiment de marche de tirailleurs (J. Carbonnel, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6447026p/texteBrut), qui y fait état de violents combats lors de la bataille de la Marne en septembre 1914.
XI Sans doute le nom de la caserne
XII Edouard GOUFFET, né en 1892, épousa le 9 août 1919 à Saint Quentin Gabrielle JEAN. Il était entré au service actif en 1914 puis avait été mobilisé à la Section Autos en octobre 1914 avant, à partir du 24 mars 1917, de rejoindre le 2ème groupe d'aviation. Il avait été démobilisé en avril 1919.
XIII Fort d'Asnières, ou Fort Brûlé, http://fortiffsere.fr/dijon/index_fichiers/Page2186.htm
XIV Il pourrait s'agir du lieutenant BONSIRVEN, MPF en août 1924, dont j'ai trouvé la mention dans l'Est Républicain du 27 juin 1934 (avec le nom de Mme Vve Berthe BONSIRVEN, née GILLET)  lors du décès de Mme veuve François GILET née Sophie HUN. Mais je n'ai pas réussi à approfondir cette piste.
XV Le capitaine Joseph Hippolyte Albert BALDONI (°13 septembre 1880 à Belvédère) marié le 22 septembre 1906 avec Virginie CASTELLAN. Il deviendra colonel, sera fait chevalier de la Légion d'Honneur en 1734 et sera Maire de Belvédère de 1947 à 1960. Il est décédé en 1960 à Nice.
XVI Le rappel de la classe 19 fut décidé à la Conférence de Londres, pour faire pression sur les allemands afin qu'ils respectent les obligations consenties lors du traité de Versailles. C'est en mai 1921 que le contingent français dans la Ruhr atteignit son maximum avec 210 000 soldats.
XVII Né le 12 décembre 1899 à La Capelle. Epoux de Stéphanie ROUX Ils sont en fait cousins au second degré (Geneanet, http://gw.geneanet.org/jlgleizes?n=drome&oc=&p=raoul ), ayant tous deux Laurent Michel DROME et Marie Rose BONY comme arrière-grands-parents, mais il ne semble pas le savoir...
XVIII C'est une erreur manifeste, car la statue a été inaugurée en 1883 pour commémorer l'unité allemande de 1871.
Vallabrix en paix -2017
 

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