Le Brigand de Valabris
Une légende tenace voudrait que le nom de Vallabrix vienne de Val à l'abri où des brigands séviraient. (voir origine du nom de Vallabrix blog du 11-03-2017) Une complainte du 19ème siècle parle "du brigand de Valabris". Mais le brigand dont il s'agit n'est pas celui qu'on croit, mais notre dernier seigneur Jean-François-Gaspard d'Arnaud de Valabris qui va bien décevoir ses contemporains en ce début de 19ème siècle.
Jean-François-Gaspard d’Arnaud de Valabris va laisser des traces indélébiles dans l’Uzège. Il fait une brillante carrière militaire. Mousquetaire noir en 1767 (13-14ans), sous-lieutenant au régiment du Beaujolais en 1769, Capitaine aux Bouffers-dragons en 1779, Lieutenant-colonel en 1785, Colonel au 14è de dragons, aide de camp du maréchal de Rochambeau en 1792. Campagne du Canada avec Lafayette..Les chroniques militaires le décrivent comme intrépide, casse-cou, un homme à poigne.
Il
se retira, décoré chevalier de Saint-Louis en 1793. Il est élu candidat au
corps législatif sans être appelé à y siéger. Nous allons le retrouver dans
l’Annuaire de la Révolution
de 1788, en compagnie de plusieurs Bargeton. Il décède le 27 juin1834 au Moulin
Neuf (St Quentin la Poterie - Gard) chez sa fille Eulalie, comtesse de La
Rochette depuis 1817. Il a 79 ans nous dit l’acte de décès qui lui donne pour
prénom Jacques, François et Gabriel (arch municipalesSt Quentin). Il est le fils de Jeanne-Marguerite de Bargeton,
héritière des Bargeton seigneurs de Vallabrix depuis 1536 et le règne de François 1er.
Et à ce titre il est notre dernier seigneur.
Il
s’est marié le 27/12/1787 au château de Barret. Son père est baron de
Fontcouverte, son beau-père lieutenant général et capitaine au régiment du Lyonnais
Son épouse Gabrielle Dauphine Rocplant de l’Estrade décède à 32 ans le 24
pluviôse de l’An 6 (1798), à Saussac en Haute Loire.. Sa fille Eulalie vient de
naître. Est-elle morte en couches ou peu après ? Une autre petite fille
était née le 5 frimaire an V Marie-Pauline-Augustine-Camile d’Arnaud, décédée
en l’an X. Eulalie a 13 ans en 1810 donc naissance vers 1797.. (nobiliaire du
Velay et du Puy G de Jourda de Vaux 1862-1933-gallica BNF)
Dans
le recensement d’Uzès de 1820 il est prénommé Jules Gaspard, il est veuf et a
65ans. Il a deux domestiques, Madeleine Brun veuve Borelly 65 ans et Marie
Teissier 30ans qui vient de Cavillargues. Il a deux locataires dans sa maison
d’Uzès, un marchand de vin et un faiseur de bas avec leurs familles.(arch d’Uzès +
Vicomte de Jourda de Vaulx T6 Montélimar 1787 BNF)
D’après
François Rouvière dans sa recherche sur les achats des Biens Nationaux,
d’Arnaud de Valabris se porte acquéreur le 5-juillet 1813 de la garrigue de
Castille, 12 hectares 40 ares pour 805 frs. Donc il traverse la période
post-révolution assez bien.
A
la fin de sa vie il aura vendu les terres de Fontcouverte, les terres de Vallabrix en 1816, 12 hectares
89ares. Le château, la basse cour, le pigeonnier et terrain à l’entour seront
vendus par la suite. Petit à petit l’héritage Bargeton disparaît.
Jean
François Gaspard d’Arnaud de Vallabrix est présent lors de l’assemblée des
Trois Ordres du diocèse d’Uzès en 1788. Huit cents signatures sur le registre
des présents, dont celle de Darnaud-Valabris. Il a aussi rencontré sous Bonaparte à plusieurs
reprises le cardinal Pacca en exil à Uzès. Donc un homme de
« stature » !! Riche de domaines et d'alliés qui lui permettront de passer le cap de la Révolution sans trop de dommage.
Il
sera pourtant un personnage controversé. Dans La Revue du Midi de 1909-Nîmes,
il est dit que le préfet Dubois avait eu du mal à trouver un volontaire pour
enfiler la veste de maire d’Uzès après la période de la Révolution de
Robespierre. Les différents pressentis se défilaient sous toutes sortes de
raisons. Darnaud de Vallabrix (il a fait sauter l’apostrophe pendant la Révolution),
très riche, veuf, «ennuyé dans sa solitude et son oisiveté» accepta la charge.
Il est nommé maire d’Uzès le 17 germinal An8
(1799-1800). Il deviendra sous l’Empire napoléonien, en 1808 sous-préfet
d’arrondissement. Il avait pris part aux élections de 1789, il faisait partie
des libéraux qui étaient disposés à s’accommoder du régime démocratique. Mais
il aurait préféré une monarchie constitutionnelle à la mode anglaise.
Bonaparte
sera bien accueilli par les marchands, les artisans, souvent protestants, qui
avaient surtout besoin d’ordre pour les
affaires. La Restauration par la suite sera bien vue chez nous dans l’espoir de
calme et de retour vers des pratiques anciennes atténuées par une monarchie
tempérée et éclairée.
Mais
en 1815, au moment de la
Terreur Blanche , Darnaud fut incapable semble-t-il de
maintenir l’ordre à Uzès. Le Préfet d’Arbaud de Jouques s’étonne vertement que
dans une ville où 600 hommes étaient armés, il a été impossible de maintenir
l’ordre et que personne n’ose arrêter Jean Graffand, dit «Quatretaillons».
L’opinion publique rendit responsable Darnaud de Vallabrix des désordres et une
complainte l’accuse d’avoir assisté aux exécutions derrière ses fenêtres :
«Brégan de Vallabris qué dariés si fenestra, li régardavou mourri».(Brigand de Valabris qui derrière ses fenêtres les regarde mourir). Les
habitants de Baron où il possédait le château de Fonte-Couverte ne se gênaient
pas pour l’appeler le Brigand.
Darnaud
avait pourtant la signature facile pour faire emprisonner les délinquants comme trois jours de prison pour une boule de neige lancée sans dégât.. Mais
là il semble avoir tergiversé. Plusieurs versions à cet épisode existent, nous
allons nous en tenir aux actes administratifs et judiciaires pour nous faire
une opinion.
Tout
a commencé par le retour de Napoléon Bonaparte d’exil de l’Ile d’Elbe. Les Cent
Jours. Des affrontements sévères ont lieu tout au long du couloir rhodanien entre
royalistes et bonapartistes. Défait à La Palud, une cinquantaine de soldats
royalistes du clan du Duc d’Angoulême le 9 avril 1815 essaient de rejoindre
Nîmes d’où ils sont originaires pour la plupart. Après
avoir traversé les bois de Vallabrix, et évité St Quentin La Poterie, Uzès, nos
«Miquelets» se dirigent vers Arpaillargues. Ils arrivent en vue de ce village
le 11 avril. Mais là, affolés par la rumeur colportée par Bertrand d’Aureillac
(métayer de la Baronne
Wurmser , fille de Jeanne-Marguerite Bargeton-D’Arnaud, et sœur
de notre sous-préfet), les habitants craignant vols, pillages ou pire, refusent
l’entrée du village aux troupes royalistes. Les violences de la Révolution sont
encore dans tous les esprits. Le maire est absent. Un ancien officier de la Garde,
Boucarut, arme les villageois de faux, de bâtons, de fusils… Un coup de feu
claque, confusion, des blessés et deux morts chez les Miquelets. Le juge de
paix Robin vient le lendemain d’Uzès, fait un rapport, pas très épais.
L’affaire pourrait en rester là. Mais le village d’Arpaillargues va être
présenté comme une commune de barbares. On parle même du «massacre
d’Arpaillargues».
Dans l’Uzège ce sera le point de
départ de dissensions très vives, de vexations, de violences entre royalistes
et bonapartistes. L’agitation va s’amplifiant en juin, juillet. Le drapeau sur
la mairie d’Uzès est blanc, puis tricolore, puis à nouveau blanc… 1815 vengeait
1790. Le 2 juillet c’est l’exil définitif de Napoléon et le retour proche de
Louis XVIII.
Mais
gendarmes, soldats ne désarment pas tous, refusant la cocarde blanche des
royalistes. La population est profondément divisée comme une bonne partie de la France.
Entrent
en scène les tristes Trestaillons à Nîmes et Quatretaillons en Uzège. Ce
dernier Graffand, est un ancien soldat, ancien garde-champêtre du village de
Baron, connu du sous-préfet Darnaud de Vallabrix. C’est un royaliste irascible
qui veut rétablir dit-il l’ordre à sa façon, surtout contre les protestants
soupçonnés à tort ou à raison d’être bonapartistes (et de préférence riches). Deux sanguinaires…
Leurs
légendes les précédant, étaient qu’ils taillaient en trois ou quatre leurs
victimes. Une lettre du maire d'Uzès au sous-préfet du 2 août nous raconte que
Graffand avec seize hommes et une populace d’une quarantaine de personnes ont
pillé, rançonné, dévasté trois maisons : chez Vincent rançon de 2000frs,
chez la veuve Bedos, maison détruite, et chez la veuve Olive rançon 2000frs.
Les Uzétiens affolés demandent des passeports pour fuir la ville. Même lettre
au commandant de la Garde Nationale le 3 août : Graffand avec une
trentaine d’hommes ameute la foule contre les «mauvais citoyens suspectés
d’être bonapartistes». Après le meurtre de Pierre Pascal, ouvrier, une rumeur
accuse un boulanger Pierre Meynier notoirement protestant et bonapartiste.
Trois autres personnes sont assassinées, Antoine Court, Jeanne Arland, Jeanne
Roche sans que l’on sache par qui. Graffand décide l’exécution de Pierre
Meynier et de l’un de ses fils, sa maison est pillée, saccagée.
Ivre
de pouvoir, Graffand va à la prison et exige qu’on lui remette six prisonniers
incarcérés pour bonapartisme. Il semble que le gardien résiste, mais les six
hommes sont remis à Quatretaillons. Ils seront exécutés deux par deux sur
l’Esplanade d’Uzès sous les quolibets de la foule. Le 4 août au matin Graffand
se justifiera en disant «on ne peut rien me reprocher, il y avait trois catholiques
et trois protestants».
Le
sous-préfet de Vallabrix et les notables s’étaient enfermés chez eux ou
s’étaient regroupés chez Darnaud. Il parait peu probable comme le dit la
complainte, que le sous-préfet regardait les
exécutions sur l’Esplanade car il était à la sous-préfecture de l’autre côté, à
l’évêché, gardé par trois gendarmes. S’il était derrière les fenêtres, c’était
pour voir la foule déferlant en folie dans les rues.
Peu
de gendarmes à Uzès à cette époque, la ville était laissée aux mains de
Graffand. Cette tuerie va engendrer un
malaise dans le conseil municipal de la ville : on va être tenté de
maquiller les actes de décès des exécutés : heures et dates des décès fantaisistes,
signatures des actes par les adjoints…
Graffand
ne sera pas loin : il officiera à Montaren, Blauzac, St Chaptes, St
Quentin… Son collègue de Nîmes Trestaillons assassinera à tout va jusqu’en
octobre 1815.
Alertés
par les désordres les Autrichiens bougent et se rapprochent d’Uzès. Alors le 25
août, on (Darnaud de Vallabrix ?) appelle Graffand !!! On lui donne
des cartouches, un drapeau blanc et il a ordre de se porter au-devant des
Autrichiens. En route il change d’avis et d’itinéraire, et rejoint St Maurice
de Cazevieille. Là le village avait organisé une milice de gens du pays, pour
se protéger. Quand Graffand rencontre
ces personnes, il tire et fait six prisonniers qui seront tués plus tard.
Darnaud
de Vallabrix très compromis dut quitter ses fonctions en 1817. Il avait perdu de sa superbe ; quand il se rendait à Uzès, on coupait la sangle de sa selle, on dételait son cheval, on lui lançait des immondices... On envisagea un
moment de dédommager les familles victimes de Graffand : le pasteur Roux
en fit la liste en 1819, sans suite à notre connaissance. Le «massacre
d’Arpaillargues» fut jugé, huit condamnations à mort dont trois condamnés
guillotinés à Nîmes et deux dans leur village natal pour l’exemple, les autres
transférés au bagne. Voir ci-joint le rapport du juge de paix Antoine Robin sur
les évènements d’Arpaillargues.
D'abord grâcié en 1819 pour des faits de droit commun, Jean
Graffand lorsqu’il fut poursuivi enfin en 1821 fut condamné par contumace pour
onze chefs d’accusation par la Cour d’Assise de Riom. On ne put faute de preuves le condamner pour les autres meurtres.
Sources :
La Terreur Blanche E Daudet Hachette
1906 – Notice Généalogique sur la Maison D’Arnaud Louis-Joseph-Julien d’Hozier L Perrin 1856
Lyon – archives communales d’Uzès 3D5 4E2 – Société Historique de
l’Uzège Bulletin 35 déc 2003 - archives communales d’Uzès Cahier de
Délibérations du conseil municipal 1D8 – André Chamson Les Taillons ou la
Terreur Blanche - J B Vazeille Terreur Blanche à St
Quentin Association Histoire et Civilisation
de l’Uzège - photos collection privée
Eléments de la façade Renaissance
Rapport du Juge Antoine Robin sur les
«événements d’Arpaillargues» : l’an 1815 le 10 avril à 7 heures du matin,
nous Antoine Robin, avocat et juge de paix du canton d’Uzès, département du
Gard, officier de police judiciaire, sur l’avis qui nous a été donné par M
Deydet, maréchal des logis de la gendarmerie à la résidence d’Uzès, qu’un
étranger a été tué hier vers les six heures du soir dans la commune
d’Arpaillargues, nous invitant de nous y rendre de suite pour constater l’état
et le genre de mort dudit étranger……..nous avons appris par le rapport qui nous
a été fait par un homme détenu dans la prison de ladite commune (c’était un des
volontaire royaux) que l’étranger en question a été tué pour avoir voulu à la
tête d’hommes armés entrer et pénétrer dans la dite commune par violence, dans
le moment où les habitants de ladite commune offraient de leur fournir tout ce
que leurs besoins présens pouvaient exiger, mais sous la condition qu’ils
n’entreraient dans la dite commune qu’après avoir posé les armes, condition que
lesdits hommes armés ne voulurent poins accepter voulant entrer avec leurs
armes ce qui occasionna le soulèvement des habitants et la mort dudit étranger.
En fait quatre volontaires royaux furent atteints, deux grièvement. L’un mourut
à Arpaillargues même, le sieur Calvet, et l’autre à l’hôpital d’Uzès, le sieur
Fournier. Un greffier, et un officier de santé (notre médecin légiste)
accompagnaient le juge.
(Pierre-Jean Lauze de Péret 1818
Eclaircissement Historique – Gallica bnf)
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Une pensée du roi Louis XI :
« En
politique, il faut donner ce qu’on n’a pas, et promettre ce qu’on ne peut pas
donner »