lundi 27 mars 2017

Laïcisation de la mort - Fin 19ème siècle

Laïcisation de la Mort -Le cimetière de Vallabrix :
           
«  Ce que tu es, je l’ai été, Ce que je suis, tu le seras, Souviens-toi de moi »

Inscription du 12ème-13ème siècle (trouvée en novembre 1894 dans la cella de la Maison Carrée de Nîmes, lors de démolition d’un remplissage de maçonnerie – Mémoire de l’Académie de Nîmes, 1894 p23)
(Ancien cimetière devenu terrain de jeux à côté de l’église – arch perso 2011)

Pourquoi ici s’intéresser au cimetière de notre village ? C’est un endroit de cohésion, où la plupart se retrouve un jour, où nous apprenons à vivre et mourir avec notre voisin. On y cultive humanité, compassion, spiritualité, réflexion, tendresse… C’est un monument socialement essentiel à notre vie, au même titre que la mairie, l’école ou l’église. Notre histoire se déroule au fil des noms mentionnés sur les tombeaux. 
Chez nous comme dans la plupart des villages jusqu’au milieu du 19ème siècle, le cimetière côtoyait l’église. Pendant quelques décennies une porte sur le côté droit de notre église permettait de sortir de l’édifice et de cheminer entre les sépultures. Probablement, le prêtre pouvait en traversant le cimetière accéder à son presbytère qui se situait jusqu’à la fin du 17ème siècle le long du rempart, proche de l’actuelle maison Bonnaud. Le compoix du village de 1727/28 indique que le presbytère n’existe plus à cette date à cet endroit, seul reste l’emplacement, « le fondement » c'est-à-dire des ruines. Quand a-t-il été détruit et par qui ? Nous avons le choix sur Vallabrix : entre les dragonnades de Louis XIV de 1685, les exactions des Cadets de la Croix de 1703/1705, et peut être même les huguenots.
Depuis la création du village nos morts reposaient au milieu des leurs, en paix à l’ombre de leur église et de leur clocher lorsque celui-ci fut construit. A la sortie de la messe nous allions visiter nos défunts, ils étaient encore parmi nous, à deux pas de la maison.

Après la Révolution de 1789, un décret impérial du 14 septembre 1804 (27 fructidor An12) s’inquiète de la surface des cimetières et d’un éventuel agrandissement. Notre commune fait une étude intéressante. Notre cimetière autour de l’église est grand de 4 ares 65. Nous avons environ 20 à 22 décès par an dont 4/5ème d’enfants. La population du village est de 400 catholiques et 2 protestants,(ces derniers  chiffres à prendre avec prudence). Le cimetière est à 42 mètres du centre de la commune, ses murs ont 2 mètres 100 de haut, en bon état. Il est situé dans une « plaine » ( ?) avec un terrain communal le jouxtant et pouvant servir si nous avions besoin d’un agrandissement. Les distances légales sont appliquées. Une partie du cimetière n’a pas reçu d’ensevelissement depuis dix ans. La profondeur des fosses est de 1,5 m et la largeur est proportionnée aux individus enterrés côte à côte. Une stèle en pierre ou en céramique, une croix, un entourage fait de tuiles, de pierres, de plantation de buis pour les plus riches.  Nous avons cinq ans devant nous avant que les fosses soient insuffisantes. Nous ne voyons pas la nécessité d’agrandir notre cimetière. Pourquoi le procès-verbal du géomètre Louis Desplans arrive le 25 brumaire An 13, donc après la décision précédente de l’An 12 ?  Son avis ne contrarie pas celui des élus. Le maire est Pierre Bonnaud, le greffier Guiraud, deux noms de famille que nous retrouverons tout au long du 19ème et 20ème siècle.
Nous entretenons l’édifice : des dégradations sur les murs demandent des réparations pour 30 frs en 1809. Nous ne savons pas de quelle nature sont ces dégradations (dues au temps, probablement aux événements politiques ?).

Pourtant il devient nécessaire d’agrandir ce cimetière. Décision municipale du 15 mai 1812, la population a augmenté, souvent venue d’ailleurs : toujours autour de l’église, on repousse les murs du cimetière sur le terrain communal attenant, coût 50 frs.
(Tombes anciennes nouveau cimetière- archives perso 11-11-2011).
 Mais dès le milieu du 19ème siècle, un vent d’hygiénisme souffle sur les villes et les villages. Eaux polluées par les industries et les troupeaux, épidémies…..nos cimetières seront obligés de s’exiler loin des habitations. 



Pour les historiens, il s’agissait aussi pour l’Etat de manifester son indépendance et de revendiquer la garde des intérêts matériels et moraux de la Nation face au clergé catholique envahissant. L’autorité religieuse  se cantonnera dans son concours aux funérailles de ceux qui suivaient la religion et aura l’obligation de respecter la liberté de conscience des autres. Elle ne doit s’occuper que de l’aspect religieux de la cérémonie. L’autorité civile a seule l’obligation de faire respecter les lois de police générale, « d’imposer à la volonté des particuliers des limites, des conditions dont il ne sera pas loisible de s’écarter ».
A cette époque on voit se multiplier la législation que le Pouvoir tente d’imposer aux municipalités : enregistrement et conditions des inhumations, lieux de sépultures, vérification des décès par un médecin, liberté de conscience…….et cela dès 1840, mais il faudra un certain temps à l’Etat pour s’imposer. Il semble que parfois et pas seulement au fin fond des campagnes, on était tenté de cacher un crime, une mort par maladie contagieuse, un avortement qui avait mal tourné.. Nos morts nous appartenaient et nous étions tentés de ne pas suivre la loi. Nous n’avions pas le même rapport à la mort que maintenant. On mourrait chez soi, l’hôpital avait mauvaise réputation, réservé pour trépasser aux indigents. « A fa lo saut ! » (Il a fait le saut)
La veillée mortuaire rassemblait les voisins, les cousins, on buvait le café tout en célébrant les mérites du défunt. Quelques prières, des lamentations de femmes (nous sommes méditerranéens). Parfois le médecin était oublié : pourquoi payer une visite lorsqu’il n’y avait plus de soins à donner ?. Et puis la mort était la suite logique à la vie.
Fin 19ème siècle le cimetière devient un lieu communal pour tous. Le législateur essaie de rationaliser les enterrements, de remettre un peu d’ordre dans tout cela.

A Vallabrix, une décision municipale du 10 juin 1894 engagera cette translation du cimetière. Le cimetière contigu à l’église est à 15 mètres des habitations, limité par le chemin de la Fontaine, donc ne peut plus être agrandi, et n’est plus d’actualité. Il va falloir acheter un terrain, ce à quoi s’attèle le maire Augustin Joseph Brun.
Le 10 novembre 1895 nous avons un plan et un devis de Degan et fils, architectes de Bagnols. Il faudra trouver 6000 frs : un emprunt au taux de 4 % avec trois coupes de bois exceptionnelles pour payer.
En fait la commune empruntera par le biais de la Caisse des Dépôts et Consignations, emprunt sur 25 ans avec liberté de remboursement anticipé. Le propriétaire du terrain, Léon Bonnaud signe la promesse de vente en août 1896, 1774 m2, parcelle 721 à prendre au sud d’un plus grand terrain, pour le prix de 842,60 frs. S’il y avait un retard de paiement un intérêt de 4% serait prélevé. Et en décembre de la même année, l’emprunt est mis en place : 4500 frs à 4,5% sur 25 ans avec toujours possibilité de rembourser prématurément sans pénalités. Le devis est revu à la baisse, on ne sait pas pourquoi. Pour les travaux3500 frs, 842 frs pour le terrain, nous n’avons pas de ressources donc un impôt extraordinaire est voté.
Le 2 février 1897 une enquête est diligentée sur la base d’une réclamation. On ne sait pas qui a rouspété. Il y a un risque d’épidémie si le cimetière est trop proche des habitations.
L’enquête « commodo incommodo » est, même sans cette réclamation, obligatoire. Elle aboutira à un avis favorable : une distance de 250 mètres existera entre les dites habitations et le cimetière, donc « la déclaration n’est pas fondée ».
En octobre 1897, les événements se précipitent : un décalage entre l’octroi du prêt et le premier acompte à donner à l’entrepreneur nécessite une autre imposition supplémentaire exceptionnelle et une modification du budget de la commune. Les événements s’enchaînent rapidement.

Début décembre 1897, il faut réfléchir à l’organisation de ce futur cimetière, tout est à créer. Nos élus décident :
- trois sortes de concessions de terrain pour les sépultures individuelles : elles seront perpétuelles, trentenaires renouvelables, ou temporaires… 160 m2 dans la partie orientale du cimetière sont prévus pour ces concessions. S’il devait y avoir une nouvelle translation du cimetière à un autre endroit, la commune s’engage au remplacement du terrain à l’identique.
- Le prix de vente des concessions récolté sera partagé entre la commune pour 2/3, 1/3 pour le bureau de bienfaisance.
Perpétuelle : 25 frs le m2, trentenaire : 15 frs le m2, et temporaire 10frs le m2, plus les droits de timbre et d’enregistrement.
- Pour les concessions perpétuelles, la construction de caveau est possible mais les monuments seront soumis à autorisation du maire après vue des plans, des décors et inscriptions. Décence et salubrité sont exigées. On pourra y ensevelir tout membre de la famille.
Les concessions trentenaires sont renouvelables moyennant une redevance qui ne pourra pas dépasser la première. Les temporaires ne sont pas renouvelables.
 - En ce qui concerne les caveaux, leur voûte ne pourra pas excéder le niveau du sol et la fermeture se fera par une dalle scellée solidement sur le devant.
- Tout monument abandonné devient propriété de la commune. Les terrains ne peuvent pas être revendus, cédés, ni partagés entre héritiers.
 
            Entrée du nouveau cimetière « à la florentine » 11-11-2011 – archives personnelles

Et le 18 mars 1898, le maçon Polycarpe Roudil de Montclus nous rend l’édifice pour un coût total de 3348,70 frs, travaux exécutés selon les bonnes règles mais pour un coût moindre que prévu malgré diverses améliorations apportées : périmètre de clôture, calvaire en pierre, entrée, terrassement aux abords…..Nos élus sont particulièrement satisfaits. Les premiers enterrements ont lieu.
Le plan d’ensemble nous montre un édifice de 37 mètres de large sur 41,75 mètres de long. En entrant à gauche nous avons le Dépôt, et à droite une morgue, à cette époque probablement fosse commune. Le cimetière est longé par les terrains à droite d’Alexis Bonnaud, à gauche de Louis Bonnaud et au fond par le terrain de Joseph Gouffet.
Une loi du 28 décembre 1904 institue le monopole d’inhumations. Mais ici dans notre village, nous souhaitons mettre en avant nos anciennes coutumes : la commune prête le brancard, le corbillard, le fossoyeur est gratuit pour les familles. Les parents, amis, voisins, ont  l’habitude de transporter nos défunts. Donc en ce mois de juin 1905 nous prenons la décision de maintenir nos coutumes. Nous continuerons à accompagner nos disparus, fraternellement, amicalement. Le corbillard est tracté par un cheval. C’est encore la période où le deuil durait un an et un jour.. Parfois la veuve restait chez elle 9 jours jusqu’à la messe de sortie de deuil. A Vallabrix la coutume voulait que les proches ne fassent pas de lessive pendant une semaine.

Le prix des concessions augmente en août 1908 : 30 frs le m2 pour les perpétuelles, 10frs pour les trentenaires et 5 frs le m2 pour les temporaires.
En 1936, nous n’avons plus de terrain libre, il nous faut agrandir la partie des concessions perpétuelles et temporaires. Nous allons désaffecter les fosses les plus anciennes datant de 1917 dans la partie sud du cimetière sur 140 m2. Ces nouvelles concessions seront vendues aux conditions fixées en 1897, sauf en ce qui concerne le prix du m2. Les familles devront récupérer les objets funéraires sur les tombes sacrifiées. Les terrains seront libérés au fur et à mesure des besoins et les restes des défunts seront déposés dans un ossuaire ou une fosse commune.
Le 18 juin 1936 la construction d’un ossuaire est prévue pour 1450 frs. Cet édifice est moralement plus indiqué qu’une fosse commune réservée aux indigents et aux inconnus. Cette somme sera ajoutée au budget additionnel. Cette construction ne se fera pas et sera oubliée.
1920 – Photo de l’église et du cimetière désaffecté, fermé encore par un mur et portail, sur la droite de l’image entre les deux mûriers. (Archives personnelles à partir d’une carte postale – Editions Gary)

En 1965, la nouvelle municipalité supprime le corbillard tiré par un cheval, à l’avenir le fourgon de Gustand de St Quentin la Poterie sera utilisé. (Maire Raymond Bonnaud)
Le 11 mars 1966 il faudra encore agrandir le terrain réservé aux concessions perpétuelles et temporaires. Le terrain à gauche en entrant sera désaffecté car aucune inhumation n’a eu lieu depuis l’année 1916. 140 m2 seront ainsi libérés pour les demandes de concessions perpétuelles. Changement de mode de vie aidant, les familles préfèrent des tombeaux « éternels » pour leurs défunts. Le prix du m2 passera de 30 anciens frs à 15 nouveaux francs à cette date.

Et l’ancien cimetière qu’est-il devenu ? Yves Gay maire en 1958 et son conseil municipal décident de désaffecter l’ancien cimetière près de l’église. Il n’y a plus d’enterrement depuis 1898. Du chlorure de chaux sera déversé pendant huit jours….Le mur actuel qui entoure cet ancien cimetière date de cette période donc on peut penser que les remparts sur ce côté du fort étaient au moins rabattus ou bien avaient disparu.
Deux décisions municipales du 20/4/1965 et du 15/10/1965 se proposent d’aménager l’ancien cimetière qui « déjure le village ». Il doit devenir un endroit agréable pour toute la population et mettre en valeur l’église. La collaboration du Génie Rural est souhaitée pour établir un plan d’aménagement et aider financièrement. Cet espace sera transformé en jardin public avec bouche d’arrosage sous la mandature de Raymond Bonnaud. C’est l’entreprise César de St Anastasie qui opère. Aujourd’hui il accueille des jeux de boules, les brocantes et les fêtes du village. Les enfants du quartier l’investissent en semaine. Nous nous plaisons à penser que si quelque chose de nos anciens est resté enfouie là, …ils continuent à « vivre » avec nous.

Bien plus tard dans les années 1986-88, on agrandira à nouveau le cimetière, mais c’est une autre histoire.


 Ci-contre l’affiche de publication de l’adjudication avec son timbre fiscal d’enregistrement.


Sources : archives communales de Vallabrix – archives départementales du Gard – Compoix 1727/28 – Traités de droit communal trop nombreux pour être cités ici -
Vallabrix 1950 -Eglise et ancien cimetière en friche




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Vallabrix Glycine











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