– Laïcisation de la Mort -Le cimetière de Vallabrix :
« Ce que tu es, je l’ai été, Ce que
je suis, tu le seras, Souviens-toi de moi »
Inscription du 12ème-13ème
siècle (trouvée en novembre 1894 dans la cella de la Maison Carrée de Nîmes,
lors de démolition d’un remplissage de maçonnerie – Mémoire de l’Académie de
Nîmes, 1894 p23)
(Ancien cimetière devenu terrain de jeux à côté de
l’église – arch perso 2011)
Pourquoi ici s’intéresser au cimetière de notre village ?
C’est un endroit de cohésion, où la plupart se retrouve un jour, où nous
apprenons à vivre et mourir avec notre voisin. On y cultive humanité,
compassion, spiritualité, réflexion, tendresse… C’est un monument socialement
essentiel à notre vie, au même titre que la mairie, l’école ou l’église. Notre
histoire se déroule au fil des noms mentionnés sur les tombeaux.
Chez
nous comme dans la plupart des villages jusqu’au milieu du 19ème
siècle, le cimetière côtoyait l’église. Pendant quelques décennies une porte
sur le côté droit de notre église permettait de sortir de l’édifice et de
cheminer entre les sépultures. Probablement, le prêtre pouvait en traversant le
cimetière accéder à son presbytère qui se situait jusqu’à la fin du 17ème
siècle le long du rempart, proche de l’actuelle maison Bonnaud. Le compoix du
village de 1727/28 indique que le presbytère n’existe plus à cette date à cet
endroit, seul reste l’emplacement, « le fondement » c'est-à-dire des ruines.
Quand a-t-il été détruit et par qui ? Nous avons le choix sur
Vallabrix : entre les dragonnades de Louis XIV de 1685, les exactions des
Cadets de la Croix de 1703/1705, et peut être même les huguenots.
Depuis la création du village nos
morts reposaient au milieu des leurs, en paix à l’ombre de leur église et de
leur clocher lorsque celui-ci fut construit. A la sortie de la messe nous
allions visiter nos défunts, ils étaient encore parmi nous, à deux pas de la
maison.
Après la Révolution de 1789, un
décret impérial du 14 septembre 1804 (27 fructidor An12) s’inquiète de la
surface des cimetières et d’un éventuel agrandissement. Notre commune fait une
étude intéressante. Notre cimetière autour de l’église est grand de 4 ares 65.
Nous avons environ 20 à 22 décès par an dont 4/5ème d’enfants. La
population du village est de 400 catholiques et 2 protestants,(ces derniers chiffres à prendre avec prudence). Le
cimetière est à 42 mètres du centre de la commune, ses murs ont 2 mètres 100 de
haut, en bon état. Il est situé dans une « plaine » ( ?) avec un
terrain communal le jouxtant et pouvant servir si nous avions besoin d’un
agrandissement. Les distances légales sont appliquées. Une partie du cimetière
n’a pas reçu d’ensevelissement depuis dix ans. La profondeur des fosses est de
1,5 m et la largeur est proportionnée aux individus enterrés côte à côte. Une
stèle en pierre ou en céramique, une croix, un entourage fait de tuiles, de
pierres, de plantation de buis pour les plus riches. Nous avons cinq ans devant nous avant que les
fosses soient insuffisantes. Nous ne voyons pas la nécessité d’agrandir notre
cimetière. Pourquoi le procès-verbal du géomètre Louis Desplans arrive le 25
brumaire An 13, donc après la décision précédente de l’An 12 ? Son avis ne contrarie pas celui des élus. Le
maire est Pierre Bonnaud, le greffier Guiraud, deux noms de famille que nous
retrouverons tout au long du 19ème et 20ème siècle.
Nous entretenons l’édifice :
des dégradations sur les murs demandent des réparations pour 30 frs en 1809.
Nous ne savons pas de quelle nature sont ces dégradations (dues au temps,
probablement aux événements politiques ?).
Pourtant il devient nécessaire
d’agrandir ce cimetière. Décision municipale du 15 mai 1812, la population a
augmenté, souvent venue d’ailleurs : toujours autour de l’église, on
repousse les murs du cimetière sur le terrain communal attenant, coût 50 frs.
(Tombes
anciennes nouveau cimetière- archives perso 11-11-2011).
Pour les historiens, il
s’agissait aussi pour l’Etat de manifester son indépendance et de revendiquer
la garde des intérêts matériels et moraux de la Nation face au clergé
catholique envahissant. L’autorité religieuse
se cantonnera dans son concours aux funérailles de ceux qui suivaient la
religion et aura l’obligation de respecter la liberté de conscience des autres.
Elle ne doit s’occuper que de l’aspect religieux de la cérémonie. L’autorité
civile a seule l’obligation de faire respecter les lois de police générale,
« d’imposer à la volonté des particuliers des limites, des conditions dont
il ne sera pas loisible de s’écarter ».
A cette époque on voit se
multiplier la législation que le Pouvoir tente d’imposer aux
municipalités : enregistrement et conditions des inhumations, lieux de
sépultures, vérification des décès par un médecin, liberté de conscience…….et
cela dès 1840, mais il faudra un certain temps à l’Etat pour s’imposer. Il
semble que parfois et pas seulement au fin fond des campagnes, on était tenté
de cacher un crime, une mort par maladie contagieuse, un avortement qui avait
mal tourné.. Nos morts nous appartenaient et nous étions tentés de ne pas
suivre la loi. Nous n’avions pas le même rapport à la mort que maintenant. On
mourrait chez soi, l’hôpital avait mauvaise réputation, réservé pour trépasser
aux indigents. « A fa lo saut ! » (Il a fait le saut)
La veillée
mortuaire rassemblait les voisins, les cousins, on buvait le café tout en
célébrant les mérites du défunt. Quelques prières, des lamentations de femmes
(nous sommes méditerranéens). Parfois le médecin était oublié : pourquoi
payer une visite lorsqu’il n’y avait plus de soins à donner ?. Et puis la
mort était la suite logique à la vie.
Fin 19ème siècle le
cimetière devient un lieu communal pour tous. Le législateur essaie de rationaliser
les enterrements, de remettre un peu d’ordre dans tout cela.
A Vallabrix, une décision
municipale du 10 juin 1894 engagera cette translation du cimetière. Le
cimetière contigu à l’église est à 15 mètres des habitations, limité par le chemin
de la Fontaine, donc ne peut plus être agrandi, et n’est plus d’actualité. Il
va falloir acheter un terrain, ce à quoi s’attèle le maire Augustin Joseph
Brun.
Le 10 novembre 1895 nous avons un
plan et un devis de Degan et fils, architectes de Bagnols. Il faudra trouver
6000 frs : un emprunt au taux de 4 % avec trois coupes de bois
exceptionnelles pour payer.
En fait la commune empruntera par
le biais de la Caisse
des Dépôts et Consignations, emprunt sur 25 ans avec liberté de remboursement
anticipé. Le propriétaire du terrain, Léon Bonnaud signe la promesse de vente
en août 1896, 1774 m2, parcelle 721 à prendre au sud d’un plus grand terrain,
pour le prix de 842,60 frs. S’il y avait un retard de paiement un intérêt de 4%
serait prélevé. Et en décembre de la même année, l’emprunt est mis en
place : 4500 frs à 4,5% sur 25 ans avec toujours possibilité de rembourser
prématurément sans pénalités. Le devis est revu à la baisse, on ne sait pas
pourquoi. Pour les travaux3500 frs, 842 frs pour le terrain, nous n’avons pas
de ressources donc un impôt extraordinaire est voté.
Le 2 février 1897 une enquête est
diligentée sur la base d’une réclamation. On ne sait pas qui a rouspété. Il y a
un risque d’épidémie si le cimetière est trop proche des habitations.
L’enquête « commodo
incommodo » est, même sans cette réclamation, obligatoire. Elle aboutira à
un avis favorable : une distance de 250 mètres existera
entre les dites habitations et le cimetière, donc « la déclaration n’est
pas fondée ».
En octobre 1897, les événements se
précipitent : un décalage entre l’octroi du prêt et le premier acompte à
donner à l’entrepreneur nécessite une autre imposition supplémentaire
exceptionnelle et une modification du budget de la commune. Les
événements s’enchaînent rapidement.
Début décembre 1897, il faut
réfléchir à l’organisation de ce futur cimetière, tout est à créer. Nos élus
décident :
- trois sortes de concessions de
terrain pour les sépultures individuelles : elles seront perpétuelles,
trentenaires renouvelables, ou temporaires… 160 m2 dans la partie
orientale du cimetière sont prévus pour ces concessions. S’il devait y avoir
une nouvelle translation du cimetière à un autre endroit, la commune s’engage
au remplacement du terrain à l’identique.
- Le prix de vente des
concessions récolté sera partagé entre la commune pour 2/3, 1/3 pour le bureau
de bienfaisance.
Perpétuelle : 25 frs le m2,
trentenaire : 15 frs le m2, et temporaire 10frs le m2, plus les droits de
timbre et d’enregistrement.
- Pour les concessions
perpétuelles, la construction de caveau est possible mais les monuments seront
soumis à autorisation du maire après vue des plans, des décors et inscriptions.
Décence et salubrité sont exigées. On pourra y ensevelir tout membre de la
famille.
Les concessions trentenaires sont
renouvelables moyennant une redevance qui ne pourra pas dépasser la première. Les
temporaires ne sont pas renouvelables.
- En ce qui concerne les caveaux, leur voûte
ne pourra pas excéder le niveau du sol et la fermeture se fera par une dalle
scellée solidement sur le devant.
- Tout monument abandonné devient
propriété de la commune.
Les terrains ne peuvent pas être revendus, cédés, ni partagés
entre héritiers.
Entrée
du nouveau cimetière « à la florentine » 11-11-2011 – archives
personnelles
Et le 18 mars 1898, le maçon
Polycarpe Roudil de Montclus nous rend l’édifice pour un coût total de 3348,70
frs, travaux exécutés selon les bonnes règles mais pour un coût moindre que
prévu malgré diverses améliorations apportées : périmètre de clôture,
calvaire en pierre, entrée, terrassement aux abords…..Nos élus sont
particulièrement satisfaits. Les premiers enterrements ont lieu.
Le plan d’ensemble nous montre un
édifice de 37 mètres de large sur 41,75 mètres de long. En entrant à gauche
nous avons le Dépôt, et à droite une morgue, à cette époque probablement fosse
commune. Le cimetière est longé par les terrains à droite d’Alexis Bonnaud, à
gauche de Louis Bonnaud et au fond par le terrain de Joseph Gouffet.
Une loi du 28 décembre 1904
institue le monopole d’inhumations. Mais ici dans notre village, nous
souhaitons mettre en avant nos anciennes coutumes : la commune prête le
brancard, le corbillard, le fossoyeur est gratuit pour les familles. Les
parents, amis, voisins, ont l’habitude
de transporter nos défunts. Donc en ce mois de juin 1905 nous prenons la
décision de maintenir nos coutumes. Nous continuerons à accompagner nos
disparus, fraternellement, amicalement. Le corbillard est tracté par un cheval.
C’est encore la période où le deuil durait un an et un jour.. Parfois la veuve
restait chez elle 9 jours jusqu’à la messe de sortie de deuil. A Vallabrix la
coutume voulait que les proches ne fassent pas de lessive pendant une semaine.
Le prix des concessions augmente
en août 1908 : 30 frs le m2 pour les perpétuelles, 10frs pour les
trentenaires et 5 frs le m2 pour les temporaires.
En 1936, nous n’avons plus de
terrain libre, il nous faut agrandir la partie des concessions perpétuelles et
temporaires. Nous allons désaffecter les fosses les plus anciennes datant de
1917 dans la partie sud du cimetière sur 140 m2. Ces nouvelles concessions
seront vendues aux conditions fixées en 1897, sauf en ce qui concerne le prix
du m2. Les familles devront récupérer les objets funéraires sur les tombes
sacrifiées. Les terrains seront libérés au fur et à mesure des besoins et les
restes des défunts seront déposés dans un ossuaire ou une fosse commune.
Le 18 juin 1936 la construction
d’un ossuaire est prévue pour 1450 frs. Cet édifice est moralement plus indiqué
qu’une fosse commune réservée aux indigents et aux inconnus. Cette somme sera
ajoutée au budget additionnel. Cette construction ne se fera pas et sera
oubliée.
1920 – Photo de
l’église et du cimetière désaffecté, fermé encore par un mur et portail, sur la
droite de l’image entre les deux mûriers. (Archives personnelles à partir d’une
carte postale – Editions Gary)
En 1965, la nouvelle municipalité
supprime le corbillard tiré par un cheval, à l’avenir le fourgon de Gustand de
St Quentin la Poterie sera utilisé. (Maire Raymond Bonnaud)
Le 11 mars 1966 il faudra encore
agrandir le terrain réservé aux concessions perpétuelles et temporaires. Le
terrain à gauche en entrant sera désaffecté car aucune inhumation n’a eu lieu
depuis l’année 1916. 140 m2 seront ainsi libérés pour les demandes de
concessions perpétuelles. Changement de mode de vie aidant, les familles
préfèrent des tombeaux « éternels » pour leurs défunts. Le prix du m2
passera de 30 anciens frs à 15 nouveaux francs à cette date.
Et l’ancien cimetière qu’est-il
devenu ? Yves Gay maire en 1958 et son conseil municipal décident de
désaffecter l’ancien cimetière près de l’église. Il n’y a plus d’enterrement
depuis 1898. Du chlorure de chaux sera déversé pendant huit jours….Le mur
actuel qui entoure cet ancien cimetière date de cette période donc on peut
penser que les remparts sur ce côté du fort étaient au moins rabattus ou bien
avaient disparu.
Deux décisions municipales du
20/4/1965 et du 15/10/1965 se proposent d’aménager l’ancien cimetière qui
« déjure le village ». Il doit devenir un endroit agréable pour toute
la population et mettre en valeur l’église. La collaboration du Génie Rural est
souhaitée pour établir un plan d’aménagement et aider financièrement. Cet
espace sera transformé en jardin public avec bouche d’arrosage sous la
mandature de Raymond Bonnaud. C’est l’entreprise César de St Anastasie qui opère. Aujourd’hui
il accueille des jeux de boules, les brocantes et les fêtes du village. Les
enfants du quartier l’investissent en semaine. Nous nous plaisons à penser que
si quelque chose de nos anciens est resté enfouie là, …ils continuent à
« vivre » avec nous.
Bien plus tard dans les années
1986-88, on agrandira à nouveau le cimetière, mais c’est une autre histoire.
Ci-contre
l’affiche de publication de l’adjudication avec son timbre fiscal
d’enregistrement.
Sources : archives communales de Vallabrix
– archives départementales du Gard – Compoix 1727/28 – Traités de droit
communal trop nombreux pour être cités ici -
Vallabrix 1950 -Eglise et ancien cimetière en friche |
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