Flagellants 15ème siècle -
anonyme - miniature sur bois BNF
Les épidémies de peste, de
choléra, de variole, de rougeole entre autres,
vont scander la vie de nos anciens, à différentes époques. Elles
modifieront très largement et profondément le cours de l'Histoire. Au 13ème
et 14ème siècle, la mort due aux épidémies de peste, raréfie la main
d'œuvre. Le coût salarial en forte hausse dans l'agriculture va pousser à
l'abandon de villages, de terres avec parfois une reforestation. C'est
semble-t-il une des causes de la fin du servage. Au 14ème siècle, les
redevances seigneuriales s'effondrant, la bourgeoisie peut acheter des domaines,
accéder ainsi au pouvoir consulaire ou à
l'anoblissement.
Ce sera aussi l'occasion d'une
piété redoublée encadrée par le clergé. Les processions avec ses flagellants se
multiplient pour implorer la clémence divine ou des saints. Ces épidémies
étaient pour la population une malédiction, une punition envoyées périodiquement
par le "Très Haut", ce qui ne va pas aider à imposer au 19ème siècle
une éventuelle vaccination. Elles étaient souvent la suite de guerre, d'une
famine, quand la population était déplacée, affaiblie par les privations, et
les infections.
Ibn Khaldoun philosophe musulman
du 14ème siècle écrit "la culture des terres s'arrêta, faute d'hommes ;
les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins
s'effacèrent, les monuments disparurent : les maisons, les villages, restèrent
sans habitants ; les nations et les tribus perdirent leurs forces, et tout le
pays cultivé changea d'aspect". (Prolégomènes 1863 trad William Mac Guckin de Slane
Edit Librairie Orientaliste Geuthner Paris)
De nos jours nous oublions trop
facilement les ravages causés par la variole jusqu’au 19ème siècle.
Un malade sur cinq en mourait, et chez les moins de 10 ans, 90 à 95% ne
survivaient pas. Ceux qui s’en sortaient avaient des séquelles et pas seulement
esthétiques : perte de la vision, déformations osseuses, du visage,
avortement, peut-être stérilité. Cette maladie sévissait aussi bien chez les
nantis que chez les pauvres. On en trouve des traces chez les pharaons, elle
accompagnait les invasions arabes en Europe, la conquête des peuples
amérindiens. Elle mit à mal la succession de Louis XIV chez nous, de Henri VIII
d’Angleterre…
En 1720-1722, elle fait des
ravages en Uzège de Foissac au Pin en passant par Uzès et Vallabrix. Des
familles entières sont touchées et parfois décimées. On agrandit les
cimetières. Dans les familles pauvres la promiscuité favorisait la
contagion : comment l’éviter quand un même lit sert pour toute ou partie
de la famille, quand on a qu’une seule pièce à vivre ?
Pourtant dès le XIème siècle les Chinois
pratiquaient une forme de vaccination par inoculation, technique qui devait se
répandre d’abord en Chine puis en Europe par la Route de la Soie. On se servait
d’abord de pustules d’un malade, forme espérée peu virulente de la maladie. Cette
méthode n'était pas sans danger : transmission d'autres maladies, infections
dues à l'incision, eczéma généralisé, zona, mortalité. Puis dans les années
1760, on va se servir de la variole des vaches. Le grand Pasteur au 19ème
siècle fera triompher les vaccins antivarioliques à base de pulpe animale.
Cette
technique n'enthousiasmait pas les familles, et même les milieux médicaux ou
scientifiques étaient réticents. Napoléon donne l’exemple en vaccinant son fils
en 1811. Il rend la vaccination par inoculation obligatoire dans l’armée. Pour
les médecins récalcitrants, il s'agissait malgré tout de développer
volontairement une maladie certes très affaiblie. Les vaccinés étaient appelés
les "inoculés" et ils étaient regardés de travers, soupçonnés de
transmettre la maladie, de contrevenir aux lois du destin...Pour cette
technique les historiens parlent de « variolisation » et non de
vaccination à proprement parlé.
(Palette et lancettes à saigner 17ème siècle Expo Musée Hôpitaux de
Paris 1997)
A Vallabrix à cette date, une
famille d'Uzès, les d'Hubac de la Croisette, après avoir fait inoculer ses
enfants, rejoint ses terres et sa maison dans notre village, sans contaminer
les habitants semble-t-il. Des Larnac, Castagnier d'Uzès, des Cordier d'Avignon
suivent cet exemple l'année suivante, certainement accueillis dans leurs
familles de Vallabrix. Des de Bargeton se réinstallent momentanément à Arpaillargues sur
leurs terres. Pendant cette période, les décès sur Vallabrix ne paraissent pas
avoir augmentés, ni chez les enfants, ni chez les personnes âgées, donc on peut
penser que l'on n'a pas eu à déplorer de contagion due aux inoculés.
Les familles Verdier, Abauzit,
ont aussi fait inoculé trois de leurs enfants certifiés guéris par le docteur
Guillaume Cabrol donc permission de retour à Uzès accordée. (archives
communales d’Uzès).
Plusieurs essais de vaccination
obligatoire à l'échelon national sont tentés mais qui échoueront, sauf pour les
nourrices et les enfants confiés, les conscrits, les écoliers en 1882, lycéens
et collégiens l'année suivante....
Une nouvelle épidémie de variole
fait des ravages en 1887 parmi les personnes non vaccinées. L'année suivante un
service gratuit de vaccination et revaccination par le vaccin de génisse est
mis en route. En 1890 le conseil
municipal de Vallabrix vote 25 frs pour le service gratuit de la vaccine sur
injonction préfectorale. A nouveau en 1891, 1892.. On traine un peu les pieds,
le budget est reporté sur l'année suivante.... Un règlement sanitaire sera
adopté dans notre village en 1903, "modèle B du règlement inséré dans le
recueil des actes administratifs n° 37 en conformité avec la loi du 9 février
1902 de la protection de la santé publique". Cette loi rend enfin la
vaccination antivariolique obligatoire sur tout le territoire. C’est le point
de non retour d’une évolution profonde des mentalités face à la maladie.
Il nous faut dire quelques mots
d’une autre maladie contagieuse, très fréquente en Uzège au 16ème
siècle constate Thomas Platter lors de son voyage en Uzès : les écrouelles
ou escrouelles. Il s’agissait d’une forme de tuberculose chronique qui
s’installait sur les glandes du cou, aisselles, poitrine ou d’ailleurs, et qui
se manifestait par des lésions cutanées purulentes. Elle se transmettait de
parents aux enfants, sans véritable espoir de guérison. On la disait
héréditaire alors qu’elle était surtout très contagieuse. Nos rois étaient
censés avoir reçu le don de guérison de cette maladie par le toucher. La source miraculeuse de Meynes près de chez nous apportait un peu de
réconfort : les malades venaient de loin pour y laver leurs plaies,
buvaient son eau et se pansaient avec des feuilles des vignes alentour car
supposées elles aussi bénéficier de l'eau miraculeuse. Cette source était très
célèbre, même des Espagnols venaient s’y soigner. En un autre temps, Charles
Martel puis son petit-fils Charlemagne s'y sont rendus.
Les épidémies de peste ont
beaucoup plus marqué les esprits. Cette maladie fait l'objet de nombreuses
enluminures, gravures, romans... L'une d'elles fut certainement la cause du
déficit démographique du milieu du 14ème siècle : 25 millions de morts en
Europe en cinq ans, estimation probablement basse. C'est la peste noire
bubonique. Les villes seront plus touchées que les campagnes du fait de la
concentration de population et de l'insalubrité des rues. Elle est à Uzès en
1378, probablement aussi à Vallabrix si l'on en croit la chute vertigineuse du
nombre d'habitants de notre village.
On connaît un peu mieux
l’épidémie de 1597 d’Uzès grâce en partie au récit de voyage de Thomas Platter
et aux billets de laissez-passer qu’on délivre. En mai 1598 tout va bien à Uzès, en juin de même à Manguio. Plus
de peur que de mal semble-t-il. Les gardes de Montpellier, ville fermée aux
voyageurs, examinent les billets passés sous la porte du rempart et laissent
les voyageurs à l’extérieur en attendant que les consuls de la ville décident
de les accepter ou non dans la ville. « Nous fûmes contraints de faire le
pied de grue hors des murs, toute la journée, les auberges refusaient de nous
recevoir, elles ne daignaient même pas de prendre nos bagages en
consigne : nous les avons donc laissés en vrac sur la grand-route à la
garde de notre laquais ; il ne nous restait plus qu’à tuer le temps dans
un jeu de paume » nous raconte Thomas Platter. Le consul de Montpellier qui les délivre leur apprend qu’"à
Marseille et à Aix ça mourait dur ».
La quarantaine pour les personnes
était de 40 jours, un peu moins pour les marchandises. En septembre 1598 la
peste n’est toujours pas à Uzès, grâce certainement aux précautions très sévères
prises par les autorités.
Les
marchandises suspectées de transporter la maladie puisqu'elles ont voyagé, ne
rentrent plus dans la ville, elles sont entreposées dans des granges, des mas à
l'extérieur sous bonne garde En s'appuyant sur des ordonnances royales ou celles
de l'intendant du Languedoc, "Nous ordonnons", somment les consuls
que les pièces d'étoffes de quelque qualité qu'elles soient, caddies, bas de
laine, soie...doivent être déballées, tirées des caisses, mises à l'air dans
les chambres ou greniers, retournées tous les dix jours. Un consul ou un
commissaire des Bureaux de la Santé ira contrôler chaque jour le lieu de
quarantaine. Les contrevenants verront la quarantaine prolongée et seront sous
le coup d'une amende. Toutes les marchandises doivent être déclarées sous peine
de confiscation. A la fin de la quarantaine, 20 à 30 jours selon, un certificat
de santé sera délivré pour les marchandises qui seront autorisées à partir
après avoir réglé les frais de garde et de transport au lieu de quarantaine. Un
soldat de quarantaine touchait 25 livres .
A chaque épidémie, Vallabrix est
coupé du monde : les chemins de St Quentin-Uzès, de Bagnols à St Quentin,
de La Capelle sont fermés, gardés par des soldats. Il faut vivre en autarcie
sur ses réserves. Des familles partent dans les bois avec vaches, cochons,
couvées. On a peur de la promiscuité, du mauvais œil qui plane sur son voisin.
Des « bonnes femmes » procurent des simples, herbes-remèdes qui, si
elles ne guérissent pas, au moins apportent un peu de réconfort et d'espoir.
La peste reviendra souvent dans notre
région. En 1629, la ville d'Uzès fait provision de blé et envisage d'engager 20
soldats. On ira plus tard jusqu'à 50 soldats payés. Les consuls achètent des
piques et des mousquets pour la
garde. Sont nommés quatre "corbeaux", c'est à dire
des personnes qui seront chargées d'aller chercher les morts la nuit et de les
enterrer. On les appelle aussi "carabins" ou escarrabins" mot
qui plus tard désignera les étudiants en médecine. Ils reçoivent un habit de
treillis et 12 livres
par cadavre, somme importante correspondante à un loyer annuel d'appartement.
Ils seront enfermés le jour sous la chapelle Notre Dame
Un quartier des pestiférés est
créé du côté de St Ferréol, on se méfie des pauvres qui seront réunis dans une
maison à l'écart pendant la durée de l'épidémie. Les portes cochères de leurs
maisons seront murées. On soupçonne son voisin, celui qui est différent...Les
apothicaires sont partis ou enfermés dans leurs maisons sauf un. On doit en
engager un d'Avignon. Deux chirurgiens de Laudun et un médecin de Cabriac
viennent en renfort contre salaire.
Les étrangers ne peuvent entrer,
les marchands vendre, les aubergistes et hôtes loger. L'épidémie est à Lyon,
Montélimar, Bagnols. On fuit les villes, mais on ne fait que précéder le fléau,
ou bien on l'amène avec ses chaussures. Les billets de santé sont obligatoires
pour entrer en ville. Mais ils sont délivrés un peu facilement à ceux qui
partent, surtout s'ils sont étrangers à la ville, toujours suspects. On ne les
pousse pas dehors, mais il y a un peu de cela...
Exemple de billet de santé accordé à Thomas Platter : "Nous consuls de la ville de Nismes certifions estre parti dicelle ou Dieu graces a bonne santé, monsieur Thomaz Platter ce XII aoust 1598 pour aller à Uses. Le présent ne servant que pour ung (pour une seule personne). Le XII aoust 1598 - Rozel consul" le tout sur papier timbré aux armes de la ville.
sauf-conduit1722 |
A ce jour nous ne savons pas où
se trouvait ce mas. Les marchandises envolées étaient stockées dans la clède du
bâtiment. Il est ordonné de
murer portes et fenêtres de cette maison. En 1608 lors de "l'épidémie de
Toulouse", ce mas avait déjà servi pour la quarantaine des étrangers. Les
personnes qui y étaient hébergées devaient payer les deux gardes qui leur
étaient imposés par les consuls d'Uzès. (arch communales d'Uzès- arch départementales de
l'Hérault)).
La peste sera encore chez nous en
1640. Les bouchers d'Uzès protestent. Tout est devenu difficile : le bétail est
plus cher, on ne peut le faire venir d'ailleurs. Ils ont dû augmenter le
salaire de leurs salariés peu nombreux, les enfants qui leur restent ne
pourront pas les aider et même reprendre la boutique. Ils ont
débité 8 à 900 moutons au lieu des 2000 habituellement...(arch dép du Gard). A
Vallabrix les troupeaux de bêtes à laine (moutons) ne se vendent pas,
grossissent au point de mettre en danger les pâturages, les blés et les bois. Les
jasses ou bergeries ne sont pas assez grandes, les bêtes restent dehors à la
merci des chiens vagabonds et des voleurs. Ce doit être le cas un peu partout
car le prix de la laine après l’épidémie va chuter du fait de la quantité,
certainement aussi du fait de la baisse du nombre des marchands et des artisans
utilisateurs
En 1664, tout commerce entre
Provence et Languedoc est interdit pendant quinze jours en raison de l'épidémie
de Toulon et d'Aix.
Une quarantaine à Beaucaire est
décrétée pour les gens venant de Provence en 1720. A Uzès l'autopsie du
sieur Soleyrol marchand coûte 36
livres à la communauté, la chaux 45 livres ... (archi UzèsBB8
CC101). Lors de l'épidémie de 1720, Uzès emprunte pour faire des
provisions de blé, sel, bois, toile, et surtout chaux et remèdes. Pour près de 20 000 livres . Des
noms de préteurs que nous connaissons :
Marie de Pujolas veuve du seigneur de Foissac, Mlle de Bargeton-Vallabris, Mme
de Brueys, Mr d'André de St Victor.... A chaque épidémie, le temps s'arrête :
l'argent ne rentre plus mais file à toute vitesse, on se calfeutre chez soi, on
fait le dos rond, on attend en priant !!
Le choléra ou trousse-galant (qui enlève le galant, le jeune homme) a été décrit pour la première fois par un
officier de Vasco de Gamma en Inde où la maladie fait 20 000 morts en quelques
heures. C'est surtout au 19ème siècle en Europe que nous allons la rencontrer. Arles
connait neuf épidémies successives, Marseille, la Provence... Cette
maladie va nous réapprendre à avoir soin de notre eau : lavoirs obligatoires,
eau potable protégée des tanneries, des troupeaux, du travail du chanvre, et
cimetières déportés à l'extérieur des villages... (arch communales de Vallabrix, d'Uzès,
de Nîmes - Couradou juin 2011sur les réparations de la fontaine
communale...)
Et c'est le cas ! Nous avons des malades du choléra et nous
devons payer 79 frs de frais médicaux. Somme considérée comme exagérée, 60 frs
seulement seront votés par le conseil municipal.
Le choléra nous vient d'Avignon,
il est à Vallabrègue le 9 juin, à Aramon le 22 juin, à Roquemaure le 26 juin.
La Capelle est touchée le 23 juillet, Vallabrix
le 25. De là le fléau part sur St Quentin la Poterie, Fontarèche,
Lussan, Cavillargues, Uzès, Montaren......
Nous pouvons voir aussi dans ce
tableau la vitesse de contamination. Deux jours entre La Capelle et Vallabrix.
L'épidémie va durer entre 17 et 88 jours selon les endroits. La contagion se
propage entre villages voisins distants de moins de 10 km .
Sources : archives communales de Vallabrix,
municipales d'Uzès, de StQuentin, de Pont St Esprit - Archives départementales du Gard-Pont St
Esprit GG - Jean-Noël Biraben Les Hommes
et la Peste en France T1-2 Paris Mouton
La Haye 1975 - La Peste Fléau Majeur Medica Histoire de la Santé BIU Santé
Paris - Société Historique de l'Uzège
déc 97 n° 22 - Ménard Histoire de Nîmes
Edit Lacour 1989 - - Le Livre de Raison Pierre Raffin arch Uzès - Pierre Darmon
La longue traque de la variole, Paris Perrin 1986 - Pierre Darmon, La variole,
les nobles et les princes Ed Complexe 1989 - Emmanuel Le Roy Ladurie Le voyage de Thomas Platter II 1595-1599 edit
Fayard - Comptes-rendus de l'Académie Royale des Sciences Edit Bachelier Gauthier-Villars Paris BNF
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