mardi 24 novembre 2020

Henriette de Bourdic, poétesse au 18ème siècle


Henriette de Bourdic

(vauban.unimes.fr/lettres/)
 Bourdic, pour les Languedociens actuels, cela évoque un village et le bon vin de ses collines. Mais qui se souvient d’Henriette de Bourdic, poétesse, tenant salon littéraire à Paris pendant la Révolution Française ? Elle avait échangé des lettres avec Voltaire et avec bien d’autres « Beaux Esprits ».
Ses poèmes, sa vie sont étudiés à l’Université de Princeton par un professeur de littérature française Gilbert Chinard. Mais aussi dans quelques universités françaises.
Benjamin Franklin lors d’un séjour à Paris avait rencontré la poétesse, « une muse provinciale » : Anne-Marie-Henriette Payan baronne de Bourdic. Une correspondance de 142 lettres entre eux deux.
Henriette est née à Dresde en décembre 1746. Son père, Joseph de Payan, baron de L’Estang vient d’une vieille famille protestante du Languedoc. Il est né en juillet 1711 et baptisé au temple de Saint-Paul-Trois-Châreaux dans la Drome. Il entre en qualité de Grand Officier au service de la Russie, capitaine en 1740, puis au service de la France capitaine de la 4ème Brigade du régiment de Cavalerie légère de Saxe-Volontaire en 1743, et lieutenant-colonel réformé au régiment d’infanterie Allemande de Lowendal en 1745. Enfin colonel commandant des Croates Français et est tué en Flandre en aout 1746, au camp des Cinq-Etoiles.
(Sources : Annuaire Noblesse de France - 1878, auteur : Borel d'Hauterive, Edité en 1878).
Son grand-père Hector, protestant aussi, capitaine d’infanterie, avocat au parlement du Dauphiné, dans un second testament affirme sa conversion au catholicisme en 1730 et souhaite être inhumé dans son caveau de l’église de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Une famille déchirée par le vent de l’Histoire….
 La jeune Henriette vient en France vers l’âge de quatre ans, élevée par son oncle Payan en Ardèche à Aubenas. C’était un grand propriétaire et un cultivateur très moderne pour l’époque. Il est le premier à avoir acclimaté et planté des mûriers nains dans cette partie du Vivarais inculte. Il a aussi perfectionné la culture de la vigne. L’abbé Rozier dans son « Cours complet d’agriculture » et plus tard Faujas de Saint-Fond dans son « Histoire naturelle du Dauphiné » en font l’éloge. Henriette va recevoir une excellente éducation. Mais comme beaucoup de femmes de l’époque, sa vie ne sera pas pavée de roses….
Un premier mariage pour Henriette à 13 ans en 1761 avec le marquis de Riberre d’Autremont du Comtat Venaissin. Le marquis avait 40 ans lors de son mariage ; une vie dissolue l’avait fait vieillir prématurément, un homme ruiné. Attiré par la dot ou par une enfant ? Probablement les deux! Les femmes n’étaient souvent que des objets  à cette époque. Henriette se retrouve le lendemain de ses noces au couvent pour ne revenir dans le château délabré qu’à la veille du trépas de son époux. Veuve à 16 ans. Un mariage pas très heureux, sans amour ni respect de l’un comme de l’autre. Elle se retrouve avec un modeste revenu de mille livres de rentes. Un oncle évêque de Nîmes l’accueille un temps. Elle partage alors sa vie entre Languedoc et Aubenas. Elle est proche de la famille de Vogué. Elle commence à écrire très tôt. L’espèce de retraite qu’elle vivait développa ses goûts artistiques. Elle rimait avec beaucoup de facilités. Elle continue à étudier. Elle parle plusieurs langues, l’allemand, l’anglais, le latin, l’italien… Bonne musicienne, touche-à-tout, elle se consacre plus volontiers à la poésie.
Sa correspondance avec Voltaire est connue dans les milieux littéraires. Elle composa plusieurs pièces fugitives qu’elle envoya à Voltaire qui lui répondit en vers élogieux. Ce fut le début de sa réputation et l’encouragea dans ses penchants poétiques.
En 1770 un recueil de ses poésies est imprimé, mais le fascicule n’est pas mis en vente. Elle se dépeint ainsi dans son Epitre au marquis de Saint-Just : « Je suis si bien dans mon obscurité ! Le grand jour nuirait trop aux petits riens que j’aime, un demi-jour suffit à la félicité…. ». Elle a 24 ans. Un premier amour ensoleille son univers dans cette période : un jeune homme qui l’aime et qu’elle aime, riche, spirituel. Mais il meurt la veille du jour fixé pour signer le contrat de mariage.
En secondes noces, en 1776 elle épouse le baron de Bourdic, major de la ville de Nîmes et ancien capitaine d’infanterie, d’une vieille famille du Languedoc. Un mariage heureux qui dura 20 ans. De 1780 à 1788 la citadelle de Nîmes devient une prison politique gouvernée par le major. Henriette tient alors dans son appartement un salon littéraire où les beaux esprits se retrouvent. L’Intendant du Languedoc l’avait autorisée à organiser des pièces de théâtre, parmi lesquelles son opéra en trois actes « La Forêt de Brama ». Henriette est reçue première femme à l’Académie de Nîmes en 1782. Elle y sera correspondante.  
En 1778 on peut acheter des sonates dédiées à madame de Bourdic à Nîmes, Lyon, Paris, Marseille, Toulouse… : « Six fonates pour le clavecin avec accompagnement de violon, dédiées à madame de Bourdic , ci-devant marquife d'Antremont , par M. Arnaud de Nifmes. Œuvre I. Prix 9 liv. A Nifjnes , chez l'auteur, & chez M. Bouleron ; à Paris, chez M. la Chevardiere, marchand de mufique , rue du Roule ; à Lyon , chez M. Caftaud ; à Marfeille , chez M. Genoyer , organifte; à Touloufe, chez M. la Barthe, faéieur de clavecin ».
Elle avait de la répartie, vive, spirituelle. Les Académies savantes des Arcades de Rome, les musées de Bordeaux, Toulouse, la Société patriotique de Bretagne, les Lycées Littéraires de Paris l’associèrent à leurs travaux.
Monsieur de Bourdic meurt en 1788 après quatre ans de paralysie. La fortune qu’il laisse à Henriette n’est pas grosse : 6000 livres de rentes qui ne pèsent pas lourd à la veille de la Révolution.  Doublement veuve d’un aristocrate, Henriette se retrouve en prison à Versailles. Son courage, son esprit, sa conversation semée d’anecdotes piquantes et de réflexions philosophiques aident les prisonniers. Monsieur Viot administrateur des domaines nationaux la rencontre lors d’une visite à un de ses parents détenu dans la même prison qu’Henriette. Le coup de foudre existe même dans ces antichambres de la mort ! Il résolut de la faire sortir et de l’épouser. Le Comité de Salut Public rechigna d’abord à libérer une femme de famille noble, mais finit par accepter. Donc un troisième mariage pour Henriette de Bourdic. Elle se chargea de l’éducation des quatre enfants de son époux.
De taille élégante, elle ne se trouvait pas très jolie : « l’architecte a manqué la façade » disait-elle.
Une pensée philosophique : « ce n’est pas l’homme qui sort de la vie qu’il faut plaindre ; il ne pleure qu’en y arrivant !! ».
Leur maison à Paris devint le lieu de rendez-vous de tout ce qui comptait de personnalités. Une grande vivacité d’esprit, une grande culture, et surtout une bonté rare en cette période de tensions politiques extrêmes où un mot pouvait vous envoyer à la guillotine. Son amie Madame du Boccage grâce à elle put avoir du gouvernement une pension à vie.
Ses  écrits, des lettres, des pièces fugitives et surtout l’Eloge de Montaigne qui avait été lu en 1782 à l’Académie de Nîmes, texte en deux parties, l’une consacrée aux écrits du philosophe, l’autre à un travail d’analyse de ces travaux.
La plupart de ses écrits ont été imprimés dans la collection annuelle de l’Almanach des Muses. L’Eloge de Montaigne sera imprimé en 1801. La majorité de ses poésies lui seront dérobées.
Elle nous a laissé aussi son Ode au Silence, des poésies plus légères dans l’esprit d’un Jean Jacques Rousseau, L’Eté, la Romance de la fauvette… L’Epitre à M de la Tremblaye sur son voyage en Grèce, et son opéra La Forêt de Brama en trois actes.

Mais son époux dut changer de métier, malgré 33 ans de services aux domaines nationaux. Il sollicita une place de consul. Il obtient le poste de Barcelone. Henriette ne quittait pas Paris de gaieté de cœur. Loin de ses anciens et fidèles amis, après avoir traversé tant de galères… Elle écrivait à une amie : «  Je ne voudrais jamais arriver à Barcelone, ne surviendra-t-il pas quelque événement qui m’éloigne de cette ville et me rapproche de vous !! ». Elle trouvait toujours des prétextes pour s’arrêter en route. Et à l’approche de Bagnols-sur-Cèze à la Ramières, des douleurs aigues lui traversent le ventre. Elle décède dans l’espace de vingt-quatre heures, le 19 thermidor an 10(1802) à 56 ans.

sept 1806 Journal de la Lozère agronomique commercial et littéraire du département

Sources : Payan Demoulin www.retronews.fr/journal/gazette-nationale-ou-le-moniteur-universel/2-novembre-1802/149/1330467/4#--wikipedia.org---Société des Gens de Lettres (France) L’Esprit des Journaux Français et Etrangers vol1778 v5 internet archives--- Académie de Nîmes  --- Dictionnaire historique, littéraire et bibliographique des Françaises, et des étrangères naturalisées en France, connues par leurs écrits ou par la...Auteur : Briquet, Fortunée B. (Fortunée Bernier), 1782-1825Edité en 1804--- Dictionnaire historique des musiciens : artistes et amateurs, morts ou vivants : qui se sont illustrés en une partie quelconque...Auteur : Choron, Alexandre, 1771-1834--- Biographie des jeunes demoiselles: ou, vies des femmes célèbres, depuis les h'ebreux jusqu'a nosAuteur : DufrénoyEdité en 1820--- Dictionnaire historique ou histoire abrégée des hommes qui se sont fait un nom François-Xavier Feller La Baronne de Bourdic ----Un salon littéraire dans la citadelle (vauban.unimes.fr/lettres/)--- Autorisation à Mme de Bourdic de jouer des pièces de société dans une salle Vide de la citadelle. Inventaire sommaire série C t5 - AD Herault---Calendar of the papers of Benjamin Franklin in the library of the American Philosophical Society (Volume 3)Auteur : American Philosophical Society. LibraryEdité en 1908--- Philippe Gérard Busoni, Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises depuis le XIIIe siècle jusqu’au XIXe siècle, Paris, Paulin, 1841, p. 505.

 


samedi 14 novembre 2020

L'ancien hôpital d'Uzès et sa réhabilitation



© Jean-Michel Mathonière 2018.—Ancien hôpital d’Uzès restauré-


Uzès et son hôpital

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)

La ville d’Uzès est dotée depuis longtemps d’un hôpital. Actuellement un centre hospitalier flambant neuf a été bâti dans un écrin de verdure, près de la sortie de la ville.

Des travaux d’envergure ont été lancés pour restaurer l’ancien hôpital, pour qu’il continue à vivre. L’architecte en charge de la restauration est Gabrielle Weisch qui va œuvrer avec talent. Le maître d’ouvrage en est l’Hôpital d’Uzès, un peu plus de cinq millions d’euros de prévus pour une surface de 3400 m2. Gabrielle Welisch mandataire s’est adjoint la collaboration d’Ariel Balmassière. On s’engage pour la livraison du chantier courant juillet 2017. On prévoit diverses utilisations des locaux : des bureaux administratifs du Centre Hospitalier, une micro-crèche, des salles à vocation culturelle et sportive, un café Troisième-Age……

Les hôpitaux pendant longtemps vont dépendre de la charité des uns et des autres. Dans notre région où les universités de médecine sont célèbres dans toute l’Europe, et les chemins de pèlerinage très fréquentés, on aurait pu imaginer l’implantation d’hospices plus naturelle. Ce n’est pas le cas. A Nîmes par exemple, l’Hôtel Dieu est fondé par Raymond Ruffi riche bourgeois et pieux citoyen en 1313. Les consuls de la ville décident d’acquérir cet hôpital en 1483. De petites structures existaient bien à l’intérieur de la ville, mais les malades s’y entassaient, source d’épidémies


Ancien Hôpital d'Uzès-19ème - ww.lemoniteur.fr › article › réhabilitation-de-l-ancien-h...

L’hôpital d’Uzès est construit aussi à partir de la charité d’un uzétien à l’extérieur de la ville.

Une transaction figurant dans un inventaire nous indique son existence et son fonctionnement en 1264. Mais c’est vers 1214 qu’il est construit grâce à Pierre de Nozières qui donne le terrain hors les murs au roc Auriol ; cet hôpital a pour nom l’ »hospital des povres du roc Auriol ». Il est fondé par l’évêque Raymond IV. Sa construction remonte en fait au 14ème, il est reconstruit au début du 17ème puis agrandi au milieu du 18ème siècle. Il a été endommagé ou détruit lors des guerres de religion puisqu’en 1596 la ville vend une maison pour construire un nouveau bâtiment « hors de la Barrière, au lieu où il avait été par le passé ».Les archives du 18ème siècle sont plus parlantes.

L’architecte Guillaume Rollin va retravailler ce bâtiment à la demande de l’évêque Mgr Bauyn (1737-1779). (plans de 1754). L’ancien bâtiment est englobé dans le nouveau, trois niveaux, des pièces desservies par un couloir central plus pratique. Une chapelle au premier étage, deux ailes reliées à la façade principale par deux tourelles et un escalier d’honneur.

Rollin (1685-1761) est originaire d’Alès et architecte des Etats du Languedoc. Il est d’ abord entrepreneur et assistant de Jean-Baptiste Franque. De part leur correspondance il semblerait qu’ils aient été affiliés Compagnons Passants tailleurs de pierre. (Jean-Michel Mathonière 2018).


Escalier d’honneur-- www.midilibre.fr/2017/03/12/uzes-travaux-le-chantier-de-restauration-de-l-ancien-hopital-devoile-au-public,1477609.php

Il compte 91 lits lors de la Révolution de 1789. Puis il va subir de nombreuses transformations aux siècles suivants, une galerie couverte côté nord, la prolongation de l’aile sud, puis la galerie couverte est transformée en chambres, construction de deux conciergeries…. En 1955 l’hôpital rural est devenu  général et compte 255 lits. Il dessert tout l’Uzège. On prévoit l’installation d’un ascenseur.

  La restauration de l’ancien hôpital d’Uzès suit les plans de Guillaume Rollin de 1754. Les deux tourelles sur trompe de l’entrée étaient masquées depuis le début du 20ème siècle par deux guichets. Ces deux tourelles sur trompe rappellent le travail des compagnons du Devoir tailleurs de pierre. L’entrée et la façade retrouvent une élégance et une légèreté d’origine. 

(Avant restauration-les deux guichets-)


(ci-dessus prolongement de l’escalier d’honneur du 18° siècle jusqu’au 2° étage par un nouvel escalier contemporain en verre.)

Cet édifice est en partie inscrit sur l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Des travaux avaient déjà été entrepris mais on avait un peu oublié son aspect historique. Ce bâtiment accueille le visiteur avec une certaine magnificence à l’entrée de la ville qui mérite bien ici son nom de « Ville d’Art » et d’Histoire.



Sources et pour en savoir plus : www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/001-UZES-RP-ARRET-15-07-2016_1partie.pdf

-- compagnonnage.info › trompes-hopitalgeneral-uzes----www.midilibre.fr › Gard › Uzès /www.midilibre.fr/2017/03/12/uzes-travaux-le-chantier-de-restauration-de-l-ancien-hopital-devoile-au-public,1477609.php-- Josette Clier, L’hôpital général d’Uzès, CRMH, Montpellier, 2004.-/www.uzes.fr/fileadmin/Actualites/Culture_et_patrimoine/Mois_de_l__architecture_programme_Uzes.pdf-- .lemoniteur.fr › article › rehabilitation-de-l-ancien-h...-- /www.echelle1.fr/architecture/patrimoine/uzes-ancien-hopital---wwwechelle1.fr/images/welisch/archi/hopital-uzes/welisch-uzes-hopital-11.jpg

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mercredi 4 novembre 2020

La Tannerie une vieille histoire

 

La Tannerie une vieille histoire




 
« A la tannerie, tous bœufs sont vaches, à la boucherie, toutes vaches sont bœufs » !!

·         (Gravure extraite du livre des métiers de Jost Amman (Das Ständbuch, 1568), représentant des tanneurs travaillant des peaux à deux stades différents : grattage des poils extérieurs et bain dans un bassin de tanin).( Anne-Marie Lesca, le 2012-07-27-Auteur : Jost Amman-

http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lederer-1568.png)

 

Le patronyme de mes ancêtres indique qu’au 11è-12è siècle lors de l’installation des noms de famille, nous étions tanneurs, ouvriers du cuir, cuirassiers. Tout au long du couloir rhodanien, Languedoc, Ardèche, Vaucluse, jusqu’au Lyonnais nous étions très nombreux à porter ce nom. Lorsque le cuir n’a plus équipé soldats et chevaux et qu’il n’a plus été employé autant dans l’ameublement, nous nous sommes reconvertis en particulier à Nîmes, Beaucaire dès le 15è-16ème siècle…dans la fabrication d’armes de guerre, épées, protections diverses en fer, acier, et armures. Puis vers le milieu du 17ème siècle certains seront chaussatiers, fabricants de souliers, bottes etc et d’autres s’orienteront vers la production de velours, comme à Avignon au 17ème siècle et le Lyonnais au 19ème siècle.

Depuis la nuit des temps, nous avons utilisé et donc traité les peaux des animaux, bœuf, mouton, chèvre, cochon, et la peau de leurs petits, veaux, agneau… D’où des tanneurs et des tanneries nombreux dans les contrées d’élevages de moutons,  de chèvres. Les bœufs attaqués par les mouches et donc une  peau de moins bonne qualité vont moins être utilisés en tannerie, tout au moins pour des grands ouvrages. Vêtements, chaussures, bottes, tentures, protections, puis livres ou codex… Le vélin sera une spécialité ardéchoise pendant un temps : c’est une peau de vélot (veau ou agneau mort-né), très fine, recherchée par les calligraphes, les miniaturistes et les relieurs pour sa blancheur, sa douceur et sa finesse. Le vélin est apparue à la fin du Moyen Âge : épilées, raclées, saupoudrée de chaux éteinte puis séchées, les peaux étaient ensuite blanchies, poncées. On les découpait en feuillets que l’on pliait en cahier. Le scribe ou l’enlumineur pouvait travailler.

Transformer les peaux en cuirs était un travail long et minutieux. Les peaux étaient trillées, nettoyées, épilées. La face intérieure de la peau enlevée. Puis les peaux étaient trempées dans des bassins contenant du tan, tanin issu du chêne dont on broyait les écorces dans un moulin à tan. On pouvait utiliser d’autres essences forestières, comme le châtaignier au 19ème siècle dans nos Cévennes.  Plus tard la chimie de synthèse se chargera de l’opération. Et le monde moderne laissera de côté les artisans tanneurs.

A la fin les peaux étaient retirées des bassins, lavées et séchées.

Comment se procurait-on le fameux tanin ? Dans notre Sud, le chêne vert des garrigues en fournissait.

Les « ruscaires » se chargeaient de récolter l’écorce de chênes verts. C’était une activité très répandue dans notre Sud jusqu’à la fin du 19ème siècle. Jusqu’à mettre en danger la ressource. Vers 1870 la demande d’écorces de chêne vert avoisine les 6000tonnes. On pense en planter en Algérie pour subvenir à nos besoins.


(rusquet ou écorçoir) L’écorçage des troncs ou rusque commence à la montée en sève à partir du mois de mai. La montée en sève permet de décoller l’écorce du tronc. Le ruscaire commence par enlever les branches sur les parties où l’écorce sera enlevée. Une incision circulaire au bas du chêne, puis le ruscaire introduit son rusquet ou écorçoir entre l’écorce et l’aubier et il détache de larges lanières d’écorce. Il fait des bottes de ces lanières. Un hectare de bois fournit autour de 20 bottes. Les écorces étaient mises à sécher pour perdre de son eau. En juillet elles étaient vendues aux tanneries. Elles représentaient un revenu supplémentaire pour les adjudicataires des coupes de bois.

                              (descente des fagots)



La foire de Beaucaire dans le Gard a été un lieu important de vente de l’écorce de chêne. Epaisseur, couleur, la façon dont elle se casse, tout était source de palabres et le coût s’en ressentait.

A ce stade, les tanneries vont prendre le relais. Les écorces vont être broyées, concassées à l’aide d’une meule. Balzac nous dit que chaque tannerie avait son moulin à tan. (Balzac Méd Camp 1833p51). Les moulins à tan sont positionnés le long d’un cours d’eau car ils s’actionnent grâce à l’énergie hydraulique, bien moins souvent chez nous à l’énergie éolienne. Le broyage est effectué à l’aide de pilons actionnés par un jeu de cannes montées sur un arbre rotatif par des meules horizontales ou verticales comme dans le cas des meules des papeteries.


Une poudre, le tan, en résulte. Poudre particulièrement astringente qui évite aux peaux de pourrir.

Puis dans de grandes cuves les tanneurs posent en couches alternativement les peaux et un lit de tan pour environ 6 semaines. Et on renouvelle l’opération après avoir tourné les peaux et remis un lit de tan nouveau. Et on recommence…jusqu’à obtenir des peaux parfaitement tannées. Le résidu du tan est transformé en petites galettes qui vont servir à chauffer des maisons malgré une odeur très désagréable. Mais recyclage oblige !!

Au milieu du 19ème siècle, le bois de châtaignier est mis à contribution. En 1846 un procédé de fabrication d’extraits tannants à partir du châtaignier est découvert. L’industrie chimique s’empare du produit. A Génolhac l’usine Ausset-Hermet est fondée en 1847. Paul Hermet banquier à Nîmes finance l’installation, Ernest Ausset droguiste en gros se charge de vendre les produits sur la région.

Dès 1870 les châtaigniers cévenols sont atteint de la maladie de l’encre qui les rend peu productifs ou malades et ils sont vendus par leurs propriétaires, d’où une ressource qui parait importante.


L’usine de Génolhac va occuper jusqu’à 120 employés, ouvriers, bûcherons, manœuvres. L’ouverture de la voie ferrée en 1867 passant par Génolhac permet le transport d’une plus grande production. Le tanin en sacs ou en tonneaux est déplacé de l’usine à la gare en charrettes. En 1888 la cheminée de l’usine est reconstruite, circulaire haute d’une quarantaine de mètres. Signature de la ville, visible de loin. La Gardonnette au pied de l’usine est captée pour assurer le fonctionnement hydraulique des machines. Et en 1889 l’usine de par son importance et sa production figure à l’exposition universelle de Paris !

Mais face à la concurrence des produits chimiques de synthèse, l’usine ferme en 1964. Un premier projet de réhabilitation de l’usine en 1967, une fabrique d’objets en matière plastique, projet qui n’aboutit pas. En 2002 la ville de Génolhac est propriétaire du bâtiment. Avant de songer à sa réhabilitation, son objectif premier sera de sécuriser les lieux.

Jusqu’aux années 1960 et avant l’arrivée des produits chimiques de tannage d’autres usines gardoises traitaient ce bois : c’est le cas de Progil de St Jean du Gard, (entreprise créée par Levenstein et fils en 1913, rachetée par Progil en 1925 et fermée en 1939). Le bois était débité en copeaux grossiers puis déversé dans l’eau bouillante et la solution était distillée dans de grands alambics de cuivre. Les usines du Vigan, de Castres vont continuer un temps, puis ce sera la fin. Le chrome et d’autres produits remplacent nos écorces.

Les tanneries deviendront des gites touristiques, des musées, des lieux artistiques…

 Un joli texte oublié d’André Gide sur notre Uzège, texte qui n'a rien à voir avec les tanneries mais qui nous parle :

 « Au pont Saint-Nicolas (la route) traversait le Gardon ; c’était la Palestine, la Judée. Les bouquets de cistes pourpres ou blancs chamarraient la rauque garrigue, que les lavandes embaumaient. Il soufflait par là-dessus un air sec, hilarant, qui nettoyait la route en dépoussiérant l'alentour. (…) Aux abords du Gardon croissaient des asphodèles et, dans le lit même du fleuve, presque partout à sec, une flore quasi tropicale » (André Gide, Si le grain ne meurt, 1926).

Sources ou pour en savoir plus : bienvenuealestrechure.fr/tanin.htm Fernand PIASTRELLI. --.wikigarrigue.info/files/Cahier-Cave2pt.pdf---cerig.pagora.grenoble-inp.fr/histoire-metiers/extraits-tannants-chataignier/page03.htm--Hubert Delobette Alice Dorques Trésors retrouvés de la Garrigues édit Papillon Rouge 2003 Isbn 2-9520261-0-6