mardi 26 mai 2020

Les pandémies grippales



Image : Policiers de Seattle portant des masques fabriqués par la Croix-Rouge pendant l'épidémie de grippe espagnole. Décembre 1918.
National Archives at College Park, MD. Record number 165-WW-269B-25, via Wikipedia-communs
Les Pandémies Grippales :
Les maladies font partie de la vie, et malgré  notre « grande intelligence » de notre vie d’humain. Elles tuent, handicapent, ou simplement agacent un moment. Elles ravagent parfois toute une contrée, tout un village. Nous avons essayé de nous en guérir, parfois avec des remèdes de «bonne-femme », parfois par des incantations, des prières…. Au village de La Bruguière près de chez nous, on invoquait Sainte Valentine contre le choléra. Dans notre région on faisait bouillir un crapaud jeté vivant dans la marmite contre la fièvre ; les excréments de la bête soignaient les affections des yeux,  les phlegmons. Dans notre sud, la cigale desséchée cousue dans la doublure des vêtements protégeait contre toutes sortes de maladies….. Et bien d’autres pratiques, parfois assez terrifiantes pour l’homme moderne que nous sommes. C’est dire notre désarroi, notre impuissance face à ce que l’on ne comprend pas, à ce que l’on ne domine pas.
 /france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/coronavirus-tgv-medicalise-transportant-patients-alsaciens-quitte-strasbourg-pays-loire-1806074.html
(Une image qui devrait nous marquer à vie : les soignants pliés sous la civière lors du transfert d’un malade Covid19 : efficacité, dévouement, ingéniosité, débrouillardise face à nos manques, notre gestion hospitalière défaillante ; tout élu ou apprenti politique devrait avoir cette photo sur son bureau !!)

Transfert de malades Covid -www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-48-patients-atteints-evacues-dile-de-france-par-tgv-medicalise_fr_5e901b92c5b6458ae2a6bbac
Les pandémies grippales existent depuis la nuit des temps. Probablement à cause de notre proximité avec la faune sauvage. Mais pourquoi le virus bien au chaud chez l’animal, mute et vient trouver refuge chez l’homme ? Est-ce parce que l’on détruit son milieu naturel,  parce que l’on prend trop de place ?? Ceci est une autre question. Ces pandémies grippales réapparaissent régulièrement dans notre monde moderne, grippe asiatique en 1957, de Hongkong en 1968, grippe aviaire de 1975, Sras de 2003 et 2009, Mers-2012 ou Covid-19…..
Les chroniques du 11ème siècle mentionnent une hécatombe d’oiseaux suivie par une forte mortalité humaine : une des premières grippes aviaire. Jusqu’au 19ème siècle, les épidémies de grippes n’ont laissé que peu de traces, on mourrait de tellement de maladies, une de plus ou une de moins ! Et puis on y voyait la main de Dieu ou du Diable, rappelant aux pauvres pécheurs que nous sommes d’éternels fautifs. Les épidémies d’ »influenza » de 1830 et de 1847-48 surviennent en même temps que le choléra. La France se débat en ces périodes dans des conflits politiques et sociaux et ces deux grippes ne nous laissent malheureusement que peu d’archives.
La grippe « russe » ou de Sibérie de 1889-1890 fait autour de 200 000 morts dès la première semaine de son arrivée en Espagne. Les transports ferroviaires et transatlantiques diffusent le virus à toute vitesse. Le 1er décembre 1889 le virus est en Russie à St Pétersbourg, le 12 janvier 1890 il est aux Etats-Unis. Puis c’est l’Australie, la Nouvelle-Zélande en mars 1890. L’Afrique, l’Asie sont touchées ensuite par la « maladie de l’homme blanc ». Jusqu’à la fin du siècle, nous enregistrons des répliques. Pour la seule Europe nous comptons autour de 250 000 décès. Les seuls traitements peu efficaces d’ailleurs étaient la quinine et l’antipyrine.
Puis vint l’épidémie de « grippe espagnole » de 1918. Toutes ces grippes ont un cheminement sournois, nous le voyons encore aujourd’hui avec la Covid19.
En avril 1918, la guerre ravage encore l’Europe. La population est affaiblie, des villages ont été vidés et leurs habitants dispersés. Les charniers, les gaz, la faim, tout est en place pour que le virus se répande. Il aurait une origine hispanique, mais pour certains historiens il aurait fait sa première apparition dans le pénitencier de Sing Sing aux Etats-Unis.
Le journal « le Matin » fait le point quotidiennement sur cette « grippe bénigne » (une grippette ?).
--Le 4 juillet 1918 : A Londres un médecin qui avait 52 malades jeudi dernier en avait hier 184 ; 10 % du personnel des grands magasins sont absents. »
--Le 6 juillet : « En France, affirmait le chroniqueur, elle est bénigne ; nos troupes, en particulier, y résistent merveilleusement. Mais, de l’autre côté du front, les Boches semblent très touchés. Est-ce un symptôme de lassitude, de défaillance d’organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité. »
--- Jusqu’au 31 août quelques entrefilets consacrés à « cette petite épidémie » ; mais pour la première fois 4 morts à Gannat, 65 à Montpellier. Prélude à bas-bruit ? A Montpellier et ailleurs le plancher des salles de spectacle est lavé au grésil mais les ventilateurs mis en route contre les odeurs du désinfectant soulèvent virus et pneumocoques !!
---Mais déjà en février 1916, un mal étrange baptisé « pneumocoque des Annamites » tue un malade sur deux. Observé la première fois à Marseille par le médecin major de première classe Carnot, une association du virus de la grippe attribué au bacille de Pfeiffer et d’un pneumocoque ou tout autre germe pathogène. Le premier affaiblit le malade et le second a le champ libre pour essaimer dans le corps.
Ce mal apparait comme une maladie exotique, qui va sournoisement s’infiltrer un peu partout dans le pays. Les médecins ne s’en inquiètent pas outre mesure, un relent de racisme prétend que seuls les Asiatiques sont touchés.  « Ces Annamites réagissent comme des enfants ou des animaux sensibles », écrit le Dr Ribadeau-Dumas. Le Dr Carnot précise : « Cette septicémie se comporte chez les Annamites comme chez les animaux de laboratoires, lapins et souris. »
Pourtant il semble n’y avoir aucun doute : les médecins ont sous les yeux le tableau clinique de la grippe espagnole qui s’attaque d’abord aux plus fragiles, étrangers à nos climats et à nos pathologies, vivant dans des conditions d’hygiène médiocre, mal nourris. A partir de 1917, les Européens sont touchés par le virus. Les premiers cas sont signalés entre le 10 et 20 avril 1918 dans les tranchées à Villers-sur-Coudun. Mais la guerre occupe tous les esprits.
Transfert de malades Covid -www.huffingtonpost.fr/entry/coronavirus-48-patients-atteints-evacues-dile-de-france-par-tgv-medicalise_fr_5e901b92c5b6458ae2a6bbac

Une contagiosité forte mais éparse : d’abord 12 décès à Montpellier, 10 à Rennes, 9 à Grenoble… Puis une faiblesse trompeuse en juillet et août qui amène une indifférence un peu près générale. A Marseille, en juillet, sur 356 cas, 35 décès soit une létalité de 9,8%, puis en août 10,7% et en septembre 8,3%.
Mais la guerre est un allié du virus : exode des populations, mouvements de troupes… Puis c’est la victoire et les soldats reviennent du front. On s’embrasse, on danse, on farandole, on fait la fête. Les familles reviennent chez eux. Le bouillon de culture est en place !!
--Le 20 septembre 1918 l’inquiétude investit la presse. Les inspecteurs de la préfecture de police de Paris mentionnent dans leurs rapports  : « Le bruit court que, d’après les médecins militaires, l’épidémie de grippe dite espagnole aurait pour origine la consommation de conserves alimentaires de provenance espagnole et dans lesquelles auraient été introduits des bacilles. On dit aussi que de nombreuses fabriques de conserve sont entre les mains d’Allemands. On prétend que les oranges auraient aussi subi des injections de même nature ».
Les malades commencent à s’entasser dans les hôpitaux militaires. Ils semblent frappés de sidération, le visage cyanosé par le manque de souffle.
La grippe semble vouloir prendre le relais de la guerre. L’imaginaire dans la population prend corps. On incrimine les voyageurs venus d’Orient, on soupçonne les moustiques, des armes bactériologiques secrètes et nouvelles allemandes….
Dans les campagnes les malades sont à l’abandon, souvent peu accessibles, le bétail errant dans les prés, les bois. Les routes, les chemins parfois impraticables aux ambulances. Des municipalités ferment les écoles, les cinémas, les théâtres. Des soldats permissionnaires sont interdits de certaines localités, ce qui attise le mécontentement de l’armée et des familles.
A Paris dans la semaine du 15 au 21 septembre, 64 morts, mais dans la semaine du 6 au 12 octobre, 616 décès de la grippe. Les chiffres s’envolent, 1046, 1473, 1329… jusqu’au 22 novembre, une décrue, 315, 175, 306, 189, 209. Les fleuristes engagent du personnel pour confectionner des couronnes mortuaires.  « Ce fléau, proclame une ménagère, est plus terrible que la guerre ou que les berthas et les gothas. » . A Lyon, à Dijon, on enterrerait les morts de nuit pour ne pas affoler la population. Un peu partout les pompes funèbres sont débordées et effectivement enterrent aussi de nuit. 
usbeketrica.com
Le personnel soignant, médecins, pharmaciens, infirmiers sont à saturation. Des files d’attente se forment devant les officines des pharmacies, des herboristes et des droguistes. Souvent une heure d’attente pour se faire servir et 24 heures pour confectionner les ordonnances. Les médicaments : quinine, huile de ricin, formol, aspirine et rhum qui fait l’objet d’une spéculation scandaleuse. On a des ruptures de stock.
On essaie à titre préventif chez soi des fumigations d’essence d’anis, de girofle, d’eucalyptus, de menthol, de camphre. Les hôpitaux civils comme militaires expérimentent des médications à base d’antiseptiques et de tonicardiaques, violentes mais peu efficaces ; injection d’or colloïdal et d’Electrargol, toniques, digitaline, huile camphrée, strychnine… Quelques médecins iront même jusqu’à pratiquer, à la suite d’informations publiées dans les quotidiens et dans la presse médicale, des injections d’essence de térébenthine.
Les médecins recommandent fortement le port du masque : s’il ne protège pas le porteur, il évite que les postillons du malade ne se répandent dans un rayon d’un mètre de diamètre ou de 2 mètres en cas d’éternuement ou d’expectoration. Le masque proche de ceux que nous avons maintenant a été inventé en 1908-1910 par un Chinois.
 « Être contre, écrit le Pr. Vincent, c’est le même préjugé absurde qui a entraîné la mort de tant de combattants au début de la guerre barbare par les gaz toxiques ou asphyxiants inventés par les Allemands. » Le Dr Roux, directeur de l’Institut Pasteur, et l’Académie de médecine s’enthousiasment pour le masque. Celui-ci doit être imprégné d’antiseptiques : eucalyptol, baume du Pérou ou de térébenthine. A défaut, écrit un médecin dans Le Matin, « une simple compresse hydrophile trempée dans l’eau bouillie, posée sur le nez et la bouche et attachée par-dessus les oreilles avec un cordonnet, fera l’affaire ».

Charles de Lorme en 1619, médecin du roi Louis XIII, avait préconisé pour les soignants un masque : un nez long d’un demi-pied (16cm) en forme de bec rempli de parfums…. (voir sur ce blog le 7/4/2020 De La Fragilité de nos Certitudes)
L’épidémie se met en veille dès les premiers froids, mais dès le printemps, survient une troisième vague. Plus de 36000 décès de mars à mai 1919. Elle nous laisse en paix en août avec seulement 9 morts.
Le bilan est lourd, même avec des chiffres optimistes. Pour 1918, la Statistique sanitaire de la France mentionne 91 565 décès grippaux auxquels nous devons ajouter les cas des départements occupés ou désorganisés par la guerre. Les soldats décédés du virus ne sont pas comptabilisés par la préfecture, ni les populations déplacées. En données corrigées, pour 1918-1919, on doit arriver à un total d’au moins 210 000 décès pour notre pays.
Est-ce que cette épidémie a fait plus de morts que la Grande Guerre ? Aucun travail de recherches n’a été fait. Mais on sait qu’en Espagne à Barcelone, en un seul jour on compte 259 décès et 1597 en une semaine, soit une mortalité grippale trois fois supérieure à celle de Paris. A Milan, les pompes funèbres ne peuvent abonder. En Lombardie, on affiche une mortalité grippale supérieure à la normale de 400% à 600% contre 200% à Paris…. On évalue la mortalité mondiale due à l’épidémie à une douzaine de millions de décès !!
D’autres vagues épidémiques grippales vont suivre. En Grande-Bretagne entre 1929 et 1937 elles feront encore des milliers de morts.
www Un couple britannique à la fin des années 20, portant des masques pour les prémunir de la grippe.
Crédit MARY EVANS/sipa


Ce sera le tour de la grippe asiatique de 1957 : un virus provenant des canards sauvages et d’une souche humaine de grippe. Démarrage en Chine, puis les Etats-Unis, et enfin l’Europe et le monde entier.  Ce sont les jeunes qui sont les plus touchés, les plus âgés bénéficient encore de l’immunité gagnée avec les grippes de 1889 er 1918.  Elle est insidieuse comme toutes les grippes : elle se manifeste par une fièvre de trois jours sans complications jusqu’à la pneumonie mortelle. On évalue le nombre de morts de 1 à 4 millions dans le monde, dont 10 000 en France. Mais là aussi une estimation sans doute sous-évaluée car on ne tient pas compte des maladies agissant en synergie avec la grippe.
D’autres grippes vont suivre, plus bénignes, qui parfois passeront pratiquement inaperçues
 Transfert de malades Civid19- /www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200414.OBS27493/le-tranport-des-malades-du-covid-19-en-train-un-casse-tete-logistique.html

Sources ou pour aller plus loin : Pierre Darmon Les pandémies grippales de 1889 au covid19 lhistoire.fr.avril 2020---wikipedia.org wikipedia-communs--A. Villard, Leçons cliniques sur la grippe à propos de l’épidémie de 1889 et 1890, Marseille, 1890 ; E.-J. Solmon, Contribution à l’étude des pandémies grippales, Lyon, 1891 ; L. Delmas, Étude sur l’influenza, Poitiers, 1896 ; C. Malanot-Prat, Épidémiologie et aspects cliniques de la grippe dite asiatique de 1957 à Marseille, Marseille, M. Leconte,1959.--- 15e région militaire, place de Marseille, rapport du médecin major Carnot sur le fonctionnement du 2e secteur médical de la 15e région, rapport de février 1916, Assa (Archives du Service de santé aux armées-Val-de-Grâce), A 54.---- Freddy Vinet La grande grippe de 1918 ; la pire épidémie du siècle  (éd. Vendémiaire2018 Université de Mnontpellier--2 Étude statistique réalisée à partir des sources suivantes :
Concernant l’armée :
Statistique médicale. Données de statistiques relatives à la guerre 1914-1918, Paris, Imprimerie nationale, 1922, archives de l’Assistance publique, 338 per 14.
Concernant la population civile :
Statistique sanitaire de la France pour l’année 1918, publié par le ministère des Cultes et de l’Intérieur, Melun, 1923 ; Statistique générale de la France. Annuaire statistique de 1919, Melun, 1925, pp. 37-38.




jeudi 21 mai 2020

La grève des ouvriers typographes lyonnais en 1539





Gravure « Atelier d'impression de livres » par Jan Van der Straet, XVIe siècle. Musée Plantin-Moretus, Anvers, Belgique. © Wikimedia Commons, domaine public 

Grève des Ouvriers typographes lyonnais en 1539

Lors de l’inauguration de notre nouvelle école, un élu a dit que « le livre-papier c’était fini ». Pourtant au moment du « déconfinement », la lecture de « livres » en papier a très bien marché, même chez les plus jeunes. Le livre apporte quelque chose que la « tablette » ne donne pas….

On ne dira jamais assez ce que l’imprimerie a apporté au genre humain. Culture, ouverture d’esprit, connaissances, revendications et travail pour des milliers de personnes que ce soit dans la fabrication des livres, mais aussi dans la fabrication du papier, de l’encre, le commerce du plomb pour la fabrication des lettres, reliure, illustrations, commerce des brochures, livres via les foires, le colportage… Un art, un soin, une « conversation entre les différents artisans et les auteurs ». Luther considère l'invention de l'imprimerie comme « le plus grand don de Dieu ». Pour certains historiens, l’imprimerie va jouer un rôle majeur dans la propagation des conflits religieux du 16ème-17ème siècle aussi bien pour les réformateurs protestants que pour les défenseurs de l’Eglise catholique.
Lyon au début du 16ème siècle est un des principaux centres européens de l’imprimerie, même Le centre international du livre prenant le pas sur Venise et Genève. A cette époque, selon l’historien J Boucher,  on compte environ à Lyon autour de 29 librairies-marchands sans presses, et une soixantaine d’imprimeurs, travaillant le plus souvent pour les premiers, tous dans le quartier de la rue Mercière. Pour les trente premières années du 16ème siècle, on estime la production d’ouvrages différents à Lyon à plus de 2400, soit le tiers de la production française pour la même époque.
Depuis 1512 Lyon est ville ouverte à la liberté des métiers : toute personne ayant compétence a le droit d’exercer son métier librement dans la cité. Des imprimeurs allemands et hollandais s’y sont installés avec des ouvriers rhénans ou flamands. Cette ville attire car elle est un lien commercial avec Genève, Marseille, Paris, l’Italie, avec les foires les plus importantes d’Europe, comme celle de Beaucaire.

Autour de cette nouvelle technologie va se développer une dignité professionnelle et une corporation prestigieuse, particulièrement soudée : celle des compagnons, compositeurs et correcteurs, liés entre eux pour se faire reconnaitre. Ce sont des ouvriers qualifiés, souvent très qualifiés, cultivés et rarement analphabètes. Leur métier exigeait qu’ils lisent le latin et le grec.
Ils sont conscients et fiers de l’importance de leur travail. Les emplois se font et défont au gré des commandes ; mais il y a peu de chômage car l’imprimerie marche bien et chaque commande demande plusieurs mois, voire une année de travail.
Mais la situation économique se dégrade en cette période, guerres entre François 1er et Charles Quint, inflation, concurrence. Les maîtres-imprimeurs sont tenus de respecter les délais de livraison sous peine de pénalités ; les horaires sont devenus extrêmement flexibles. Les maîtres d’atelier veulent remettre en cause les acquis des compagnons. Ils décident de supprimer le repas de midi, le salaire-nourriture, qui en plus permettait aux ouvriers de se retrouver, de manger à la table du patron et d’évoquer les problèmes de l’atelier, de se sentir impliquer dans son fonctionnement. Une « coutume ancienne et détestable » disent les maîtres imprimeurs.

Le patronat souhaite aussi réduire l’influence de la Compagnie des Griffarins, la corporation des ouvriers typographes ou le syndicat dirions-nous maintenant.

(Rappel pour les Lyonnais : Griffarins qui vient peut-être de griffon, l’animal moitié aigle, moitié lion que Sébastion Gryphe, imprimeur-libraire allemand installé depuis 1515 rue Ferrandière utilisa comme enseigne ? Il imprime différents titres pour la Compagnie des Libraires Catholiques, mais a aussi de solides relations dans le camp des Huguenots, ce qui vaut mieux dans l’air du temps. De 1530 à 1540, il va réaliser 500 éditions différentes de classiques latins ou grecs traduits ou corrigés par des érudits locaux ou des livres religieux. Il meurt en 1556 mais son œuvre est reprise par son fils Antoine… Une rue de Lyon porte maintenant son nom.)
Cette confrérie des Griffarins était une organisation secrète ; on y adhérait en prêtant serment et fidélité absolue. Ses membres versaient une cotisation. Une caisse de solidarité permettait d’assister les malades, les retraités, les chômeurs. Elle avait ses propres officiers. La politique éditoriale était laissée aux maîtres, mais les compagnons restaient théoriquement maitres des horaires de travail,  des jours fériés, de la formation des apprentis et de leur nombre. Cette formation devait durer trois ans. Les « forfants », les ouvriers qui n’adhéraient pas à la Compagnie étaient bannis.
Les Griffarins fêtaient Minerve, la « Mère de l’Imprimerie et la déesse du Savoir ».

Au printemps 1539 ils vont revendiquer pour de meilleures rémunérations, pour des conditions de travail. Le repas de midi est à la charge du patron, mais il se dégrade… Ils réclament  « pain, vin et pitance ». Quinze heures par jour, des salaires de misère, les apprentis utilisés abusivement par le patronat à la place des compagnons…. Jusqu’alors les apprentis ne travaillaient à composer et mettre les lettres qu’après trois ans de formation…

La grève est déclarée le 25 avril 1539. Les ouvriers de toutes les imprimeries lyonnaises quittent les ateliers. Peut-être la première grève recensée dans notre Histoire. C’est le « Grand Tric ». Mais Lyon avait connu d’autres mouvements populaires, 1529, 1544, 1545, 1578, 1611, 1615, 1617, 1618, 1619, 1622, 1624, 1626, …… Lyon est la première ville ouvrière de France sous l’Ancien Régime, là où la cherté du blé parfois due à la spéculation ou à un hiver trop froid, là où la misère touchent les ouvriers et les habitants pauvres.
« Tric » veut dire grève au 16ème siècle, cri de ralliement des ouvriers pour cesser le travail. C’est le son d’une réglette annonçant les interruptions autorisées de travail. (en anglais « strike »=grève).

Durant trois-quatre mois aucune imprimerie lyonnaise ne fonctionne. La grève va se propager dans d’autres villes, en particulier à Paris.
Les compagnons qui sont autorisés à porter des armes, intimident les autorités, les maîtres imprimeurs, les ouvriers et les apprentis qui voudraient faire repartir la production. Des heurts ont lieu avec les forces de l’ordre, prévôt et sergents, CRS de l’époque. Ils s’organisent en compagnies avec capitaines, lieutenants et bannières. Ils défilent en rangs serrés, le guet n’ose intervenir. Même la justice est impuissante à mettre à exécution les mesures prises par l’autorité.
Les négociations avec les maîtres imprimeurs n’avancent pas. Le 31 juillet cinq compagnons comparaissent pour répondre en leur nom et en celui de leurs consorts. Le sénéchal, représentant du roi, (sorte de préfet actuel), intervient en édictant un arrêt qui énonce les droits et devoirs des ouvriers :
Interdiction de réunion de plus de cinq personnes -- Suppression du droit de grève sous peine de bannissement et d’amendes -- Interdiction du port d’armes --Autorisation pour les maîtres d’embaucher le nombre d’apprentis qu’ils désirent --Seule satisfaction pour les grévistes, le salaire nourriture est rétabli.
« Le procureur du Roi argumente que depuis trois ou quatre mois en ça, lesdits compagnons imprimeurs se seraient débauchés et auraient laissé et discontinué ledit train d’imprimerie, et par manière de monopole tous ensemble auraient laissé leur besogne et débauché grand nombre des autres compagnons et apprentis, les menaçant de battre et mutiler s’ils besognaient et ne laissaient ladite oeuvre et imprimerie comme eux ; tellement que ledit art d’imprimerie serait laissé et discontinué puis quatre mois en çà, et est en doute d’être du tout aboli, au grand dommage et détriment de la chose publique, attendu que c’était un des beaux trains et manufactures de ce royaume, voire de chrétienté, qui a coûté beaucoup à l’attirer et faire venir en cette dite ville. Et seraient lesdits compagnons imprimeurs et apprentis vagants et comme vagabonds en cette dite ville de Lyon jour et nuit, la plupart d’eux portant épées et bâtons invisibles et faisant plusieurs excès contre lesdits maîtres et autres ainsi que disait et maintenait et disait monsieur le procureur du roi qui disait davantage que lesdits compagnons sont monopolés et font serments et promesses illicites, entre autres de cesser oeuvre quand l’un d’eux veut cesser, et ne besogner si tous ne sont pas d’accord -, et que pis, souvent se sont rebellés contre justice et les sergents et officiers d’icelle, ont battu le prévôt et sergents jusques à mutilation et effusion de sang […] »
·         Extrait de la sentence de la Sénéchaussée ; Archives municipales de Lyon. Cité in Histoire du Lyonnais par les textes, p. 70-71
Cette décision ne fit pas cesser les revendications. Le sénéchal dut reculer.
Le roi François 1er fin août 1539 promulgua l’édit de Villers-Cotterêts qui interdit les confréries pour tous les métiers. « Nous défendons à tous lesdits maîtres, ensemble aux compagnons et serviteurs de tous métiers, de ne faire aucunes congrégations ou assemblées grandes ou petites, et pour quelque cause ou occasion que ce soit, ni faire aucuns monopoles et n’avoir ou prendre aucune intelligence les uns avec les autres du fait de leur métier… ».
Mais les compagnons typographes tenaient bon, l’ordre ne sera pas rétabli pour autant. Le travail reprend de façon sporadique pendant près de trois ans. Le fonctionnement des ateliers est gravement perturbé, ce qui n’est pas du goût des maitres imprimeurs.
Les compagnons continuent à se réunir en assemblée, à prendre des décisions pour défendre leurs droit. En 1540 lors de la session extraordinaire du Parlement à Moulins, les ouvriers typo obtiennent de la Cour un arrêt qui rétablit certaines anciennes règles corporatives.
 « Les apprentis ne besogneront à composer et mettre les lettres, qu’ils n’aient demeuré trois ans apprentis ».
Et le 28 décembre 1541, François 1er promulgue l’édit de Fontainebleau qui interdit le droit de grève et les assemblées de plus de cinq personnes ; le patronat est autorisé à licencier, mais le compagnon ne peut quitter son travail sans prévenir huit jours à l’avance. La journée de travail est fixée de 5h du matin à 8h du soir…. Un point important pour les compagnons : les maîtres doivent continuer à leur fournir « la dépense de bouche raisonnable et suffisamment selon leurs qualités ».
Les négociations sur l’interprétation de l’édit vont traîner jusqu’en 1542, où une déclaration royale donne priorité aux droits des maîtres imprimeurs. Un certain nombre d’entre eux s’est délocalisé en Allemagne ou dans des villes comme Vienne en Dauphiné qui ne dépendent pas du roi et de ses décisions peu stables.
En octobre 1566, malgré son interdiction, la corporation des Griffarins existait encore. On fêtait Minerve, la mère de l’imprimerie.
Extrait du récit de «  l’Ordre tenu en la chevauchée faite en la ville de Lyon (…) le dymenche dernier du moys d’Octobre Mil cinq cens soixante six ».
« Après laquelle suyvoit MINERVE la Mere d’Imprimerie et déesse de scavoir, montée sur les branquars d’une lytière richement aornée desdictes couleurs, assize dans une chaire richement parée, bien revêtue desdictes couleurs iaune, rouge et verd. Et sur lesdictz chevaux portant lesdictz branqars, estoit monté sur le premier un Lyon de grand veüe, et aupres du naturel bien contrefaict. Et sur le dernier un grand Dragon, aussi fort bien contrefaict, et de grandissime veüe. Tenant la dicte Mère Imprimerie une Sphere à la main, couverte d’un voyle de crespe blanc, chose fort somptueuse à veoir. Estans en toute la dicte compagnie d’Imprimerie environ de soixante hommes.  »
Avec les guerres de religion de 1562-1629, l’imprimerie lyonnaise va perdre de son importance. Le contenu des livres est de plus en plus surveillé et bon nombre de maîtres imprimeurs vont fuir pour s’installer à Genève ou aux Pays-Bas.
Sources : La France ouvrière tome I sous la direction de Claude Willard. Editions sociales p 21-22--- Georges Dangon, « Orages sur l’imprimerie : le grand tric de Lyon (1539-1544) », Le Courrier graphique, no 84, février-mars 1956, p. 7, no 85, avril-mai 1956, p. 17-- Sources documentaires : le site de la Fédération Anarchiste Lyonnaise, page « Lyon ville rebelle » – « L’imprimerie à Lyon au temps de la Renaissance », mémoire réalisé par le Centre Ressources Prospectives du Grand Lyon. « Typographes des Lumières », un ouvrage de Philippe Minard et Nicolas Contat.--- https://rebellyon.info/25-avril-1539-a-Lyon-le-Grand-Tric-des-15040
-- Henri Hauser Histoire d’une grève au XVIe siècle, p. 177-234, Chapitre X du livre Ouvriers du temps passé XVe-XVIe siècles par Henri Hauser, professeur à la Sorbonne et au Conservatoire national des Arts et Métiers, Librairie Félix Alcan, 1927.--- https://www.magazine-histoire.com/numeros/105.htm
--André Castelot  François 1er édit de Crémille1996 --Isabelle Bernier 2019 www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/epoque-moderne-histoire-imprimerie-elle-origine-conflits-religieux-xvie-siecle-11816/
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Jean de Tournes Imprimeur de Lyon


mardi 12 mai 2020

La Camargue, une vieille Histoire




(la mer –digue des Saintes-Maries)

La Camargue, une bien vieille Histoire
S’il est un territoire qui est là pour nous apprendre que rien n’est statique en ce bas monde, c’est bien la Camargue. Rien n’est ici permanent, tout y est fluidité. La mer construit, détruit, c’est toujours elle qui mènera le jeu. Ce qui suit est le survol modeste d’une Histoire bien remplie. L’homme depuis un siècle essaie de dompter la bête, probablement en vain.
Il y a 45 millions d’années environ, les Pyrénées sont en train de se former : la chaine s’étire de Bayonne au massif des Maures et à l’Estérel. La Camargue n’existe pas encore. Des forces prodigieuses dues à la lente avancée de la plaque africaine vers nous amorcent la construction de notre monde : compressions, étirements, dépressions, affaissements….
Vers 35 millions d’années, un pan énorme des Pyrénées s’affaisse de Cerbère à Toulon. Il va de soi que tous ces lieux et villes n’existaient pas encore sous ces noms, nous les mentionnons pour que le lecteur s’y retrouve.  Ils servent en quelque sorte de GPS !
De cette dépression naîtra plus tard le golfe du Lion et la Camargue. Mais nous n’en sommes pas encore là !! 

Vers 25 millions d’années, la mer s’avance dans cette espèce de chenal sur ce qui a été une montagne maintenant engloutie. Un espace entre le vieux Massif Central à l’ouest et à l’est les Alpes en train de se former. C’est la mer dite « miocène », large de 50 km dans ses parties les plus étroites. Narbonne, Montpellier, Uzès sous l’eau, Valence, Lyon, St Claude, la Suisse, Annecy, Chambéry, Grenoble, Digne, Aix,.. Marseille est évité. Mer peu profonde qui nous laisse des coquillages et des dents de requin au Pont du Gard, ou sur les chemins de Vallabrix.
Notre voyage dans le temps se poursuit avec l’époque messinienne, vers 6 millions d’années. Des assèchements successifs de la mer dus probablement d’origine tectonique conduisent à une baisse du niveau marin de l’ordre de 1500 à 2500 mètres. La poussée de la plaque africaine aurait fermé progressivement le détroit de Gibraltar. Ce phénomène mettra probablement plusieurs millénaires pour obtenir ce résultat.



Le chenal de la mer miocène se vide et le Rhône ou le pré-Rhône en profite pour s’installer. Il traverse le plateau continental et à plus de 80 km au Sud des Saintes-Marie-de-la-Mer il entaille une énorme vallée pour aboutir à 2000-2400mètres de profondeur dans des plaines abyssales sur-salées, reliées entre elles par des chenaux pétrifiés de cristaux étincelants. On observe des dépôts massifs d’évaporites ou roches salines formant des plaines de sédimentation. Ces phénomènes sont visibles sur tout le pourtour méditerranéen.
 (Les Saintes-Maries dans l’église)

Vers 5 millions d’années, la mer revient à son niveau initial, remonte près près de Lyon : c’est la mer pliocène. Un chenal plus étroit, quelques kilomètres seulement. Mais entre Montpellier, Remoulins, Port-Saint-Louis, il se forme un triangle, colmaté par d’épaisses couches d’argiles ou de marnes.(voir Fournès par exemple).


Vers 2 millions d’années, la mer se retire peu à peu et ne reviendra plus dans ce chenal. Périodes de glaciations, de réchauffements. A cette aube du quaternaire, il fait très froid. Le volume des glaces augmente, le niveau des océans et des mers baissent. Dans les zones méditerranéennes, l’amplitude de niveau peut atteindre 100 à 120 mètres. Le plateau continental du Golfe du Lion est largement découvert. Le delta commence à se dessiner : à l’ouest le Rhône qui roule ses eaux dans la Vistrenque, entre garrigues de Nîmes et les hauteurs des Costières, et à l’est la Durance qui ne connait pas encore Cavaillon, mais qui oblique vers un passage étroit au niveau du village de Mallemort, à l’est des Alpilles, et débouche sur les plaines des Craus d’Arles et de Miramas, laissant au passage les fameux galets d’Hercule.
Vers 600 000 ans avant notre ère, la partie orientale de la Camargue s’enfonce par de légers mouvements verticaux d’un sol instable. Le Rhône va s’orienter vers Arles, plein sud. La Durance migre vers Salin-de-Giraud, Port St-Louis… Vers 10 000 ans avt notre ère, elle oublie de passer au pertuis de Lamanon, et rejoint Cavaillon, frôle Avignon et rencontre le Rhône au milieu d’une plaine.
Une dernière remontée de la mer vers 15 000ans avt notre ère, de 14 000 à 5200 environ elle remonte lentement, envahissant les régions basses. De 5200 à 4500 elle arrose La Grande Motte, effleure la Tour Carbonnière.



La Camargue à partir de là sera le jouet de la houle de la mer et du Rhône. Le delta sera ni fluvial comme celui du Mississipi, ni marée comme celui du Gange. Plus proche de celui du Nil. La houle par un mouvement de grande amplitude attaque la barre frontale de sédiments apportés par le fleuve, les disperse sur les côtés. Les étangs vont naître de cette lutte, le delta s’allongeant et piégeant des étendues marines.
La Grande Camargue à l’est va se former grâce au Rhône de St Ferréol : une avancée triangulaire dans la mer, un cours bifurquant du sud vers l’est puis à nouveau vers le sud, proche des Saintes-Maries.. Des cordons, des flèches sablonneuses alternant avec des étangs, d’abord étendues marines prises au piège par la croissance rapide du delta. A partir de Pioch Badet, deux routes actuelles s’appuient sur deux de ces cordons : l’un vers Cacharel l’autre vers les Saintes-Maries…


La Petite Camargue était un golf vers 4000 ans avt notre ère, d’Aigues-Mortes jusqu’au grau d’Orgon (embouchure du Petit Rhône actuel). Une très légère remontée de la mer et l’embouchure du Rhône de St Ferréol est emcombrée de sédiments, la partie pointue du delta est malmenée par la mer ajoutant un gros volume de sédiments qui vont se déposer à proximité de la rive droit du Petit Rhône actuel. Le Rhône déstabilisé nous fabrique le Rhône d’Albaron, le bras de Daladel éphémère qui deviendra le Rhône de Peccaïs. Là aussi de grandes étendues saumâtres se forment.
Vers 4000 -3800 ans environ avt notre ère, un troisième bras du Rhône de Saint-Ferréol se développe : celui d’Ulmet : il passe près de la Capelière, touche le Vaccarès près de la pointe de Fumemorte, pour se perdre après. Nous ne savons pas où il débouchait, tant son débit était lent : dans l’étang du Fournelet, la Gacholle, le Fangassier, la mer ?
Le Rhône, un fleuve en Camargue aux bras multiples : les crues, les remontées du niveau marin  le faisaient divaguer. Il semble que le Grand Rhône actuel a été formé autour du 6ème et 10ème siècle. Le Rhône du Grand Passon en est un exemple : il divague des marais de l’Escale, au Salin-de-Giraud, puis Faraman, Saint-Genest et la mer ; son embouchure était encore visible en 1607. On a parlé d’une dentelle aquatique, mélange de hauts fonds et de fines flèches de cordons de sable, d’étangs, travail continu de la terre fugace et de l’eau douce ou salée. Vers 1711 le Vieux Rhône quitte son lit.
Les hommes vont tenter d’habiter ce territoire pourtant inhospitalier. Donner une échelle de temps est difficile, les différentes transformations de la Camargue ont enterré les traces des toutes premières implantations. Nous tacherons d’y voir plus clair dans un autre chapitre.


(Carte des évolutions de la Camargue au 18ème siècle –scan book 14-5-2011 –JPS68 via photoshop)
Du 16è au 19ème siècle de nombreux savants vont essayer de comprendre ce delta. Son exploration n’était pas chose facile et les naturalistes méridionaux auront pendant longtemps un rôle plus descriptif et spéculatif que véritablement exploratoire. Les cartographes officiels renoncèrent même à cartographier ces rivages tellement difficiles d’abordages qu’ils se protégeaient contre d’éventuels ennemis. Hors crues et les passages de glaces  (retour des glaces fluviales en 1564-1565, général en Europe), deux moyens de pénétrer ce territoire : le pont de bateaux entre Arles et Trinquetaille et sur le Petit Rhône le bac d’Albaron (dit Le Baron). Les maladies des marais en rebutaient plus d’un. Mais le nord du delta était pourtant cultivé en de grands domaines. La basse Camargue était à demi-sauvage parcourue par des inondations fréquentes. La visiter demandait l’aide de guides locaux qui étaient tout aussi sauvage que ce territoire.
Quelques praticiens, arpenteurs ou cartographes sur place accumulèrent observations et matériaux pour comprendre les processus de formation de ce territoire. Sollicités d’abord pour les procès et chicaneries dus aux déplacements des limites de propriétés occasionnés par les crues et inondations, ils vont prospérer dès le 14ème siècle comme Bertrand Boysset arpenteur et mémorialiste arlésien célèbre.
Les premiers ingénieurs du roi comme Vauban au 17è-18ème siècle vont s’y intéresser lorsque le problème des embouchures devient crucial pour la protection de l’habitat et le commerce ou pour l’approvisionnement des arsenaux de Toulon et Marseille.
On se doit ici de mentionner les travaux de Charles Virgile de la Bastide de Beaucaire qui le premier a formulé l’hypothèse d’un ancien golfe antérieur à la construction du delta.(1731 et 1750 « Observations physiques sur les terres qui sont à la droite et à la gauche du Rhône depuis Beaucaire jusqu’à la mer ». Il affirme : « on croit pouvoir avance que la mer a été autrefois jusqu’à Beaucaire…. »


Les premières cartes de la Camargue : la carte des ingénieurs militaires piémontais de 1591-92 presque complète – la carte de Pierre-Jean Bompar de 1591, gravée – la carte des côtes provençales de 1635 des cartographes de Richelieu dont l’arlésien Flour…..
Après la Révolution de 1789, les hommes vont tenter de mettre en valeur ce territoire. On se souvient de la grande catastrophe de 1755 pendant laquelle troupeaux, habitants, maisons, chaussées sont noyés, disparus…
Le retour des crues catastrophiques de 1840-1842 et de 1856 amène une réflexion plus large qui lia les événements deltaïques à l’état des bassins fluviaux : Alexandre Surell  travailla sur l’influence du Rhône et des torrents alpins. On voit bien maintenant les fleuves en crue qui sont dans l’incapacité de se vider dans la mer lorsque celle-ci est démontée par vent du sud.




(salins et Aigues-Mortes)
Au 19ème siècle le gouvernement dissout les associations de défense de la Camargue et ordonne la formation d’un syndicat général qui aura une vue et une doctrine d’ensemble. Il faut se protéger des crues du Rhône. En 1858 on décide la construction de digues : 56km de long sur le Petit Rhône et 40 km sur le Grand Rhône. On surélève la chaussée le long du fleuve. Ouvrage terminé en 1869. La « Digue de la Mer » entre le village des Saintes-Maries et Salin-de-Giraud est réalisée, de 1857 à 1859 ; elle est équipée de vannes permettant l’évacuation de l’eau des étangs inférieurs et empêchant la mer d’y pénétrer. Mais le Rhône n’est plus là pour inonder ces terres d’eau douce. Le sel est en train de transformer les sols en désert. Alors à côté de l’agriculture, vont se développer l’art des saliniers, et une nouvelle économie…
Actuellement les hommes ont essayé de domestiquer le Rhône plus en amont ; les barrages, les digues calment son débit. Mais il n’apporte plus autant de sédiments pour consolider le littoral. Et la mer en profite pour grignoter les terres, saler les marais, s’infiltrant ici et là….
La Camargue vaste sujet de réflexions ….




(Salins d’Aigues-Mortes)


Sources : Clément Martin L’Ile de Camargue presse du Languedoc Max Chaleil 1989—photos personnelles --- Cartes de Clément Martin sauf indications contraires ---Georges Pichard La découverte géologique de la Camargue du 16è au début du 19è siècle Comité Français d’Histoire de la Géologie 14 décembre 2005 ---www.annales.org/archives/cofrhigeo/camargue.html-gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33256185.texteImage