mercredi 30 janvier 2019

Les Barberousse, pirates de Méditerranée




Galère pirate Musée de la Marine

 Barberousse, Pirates de Méditerranée ou L’Homme Rouge

Il a toujours existé en Méditerranée une grande internationale des pirates ou corsaires quelque soit le nom. Une certaine passion de l'indépendance, le refus de l'autorité, un individualisme forcené. Ajoutons à cela un avenir peu nourrissant pour les habitants des côtes, un besoin inné des grands espaces qu'offre la mer. On est d'abord naufrageur, puis écumeur sévissant aux alentours d'une crique, et enfin chef de guerre à la tête d'une escadre. 

 En juin 1504 à la hauteur de l’île d’Elbe sur la mer Tyrrhénienne, un convoi de sept navires chargés de marchandises plus précieuses les unes que les autres s’achemine vers Civita-Vecchia. Le point de départ est le port de Gênes et le nolisateur (l’affréteur) est le pape Jules II. Le convoi est sous le commandement de Paolo Victor, Niçois de naissance. Les pirates pullulent sur la mer méditerranée et le pape fait escorter le convoi par deux de ses plus grandes et plus récentes galères. Le commandant se trouve à bord du vaisseau de tête.
L’équipage voit bien une minuscule galiote qui s’approche mais ne s’en inquiète pas. Leurs navires sont puissamment armés. Mais ne voilà-t-il pas que la galiote nonchalante vire soudainement et se jette bord à bord. Une rapidité qui laisse pantois ou morts les marins pontificaux. C’est un déferlement de turbans, de cimeterres brillants, de cris, de flèches sifflantes… Le commandant et la moitié de marins pontificaux sont tués, le reste de l’équipage est enfermé à fond de cale.
Le chef des pirates qui a mené l’attaque avec des ordres brefs et calmes est peu banal : pas de turban, de taille moyenne mais bien bâti, nez droit, teint clair, une peau de roux, des cheveux et une barbe d’un rouge éclatant !! C’est le début d’une légende….L'Homme Rouge

Un ordre bref et les hommes endossent les vêtements des cadavres et la galiote est mise en remorque. On peut croire que la galère papale est victorieuse et les pirates anéantis. A quelques encablures, l'autre galère papale s’avance, des hourras saluent la première galère et c’est une nouvelle attaque, un nouveau combat et une victoire pour les pirates. En à peine une heure, deux galères fortement armées et sept navires de commerce sont tombés aux mains des pirates.
L’Homme Rouge rit à gorge déployée, ses marins l’acclament, scandant son nom : Ourouj (Aroudj) !! En fait il s’appelle Ourjouj fils de Jacob ; à la Goulette ce sera Baba-Ourouj, le premier des Barberousse.

Les historiens ne sont pas tous d’accord sur l’histoire de cette famille. Les prénoms de deux des fils sont souvent confondus, écrits en turc ou en arabe, les surnoms ajoutent à la confusion. Peu d’archives, les souverains des états de l’époque n’étaient pas toujours très clairs avec les exploits de ces pirates. Ils utilisaient parfois leurs services. Mais nous pouvons tirer l’essentiel de tous ces écrits.
La famille s’établit dans l’île de Lesbos (île de Mytilène à l’époque). La mère est une chrétienne d’origine grecque ou albanaise. Le père Jacob (Yakup) Reis est potier probablement grec ou albanais. Une autre source en fait un militaire albanais sous le sultan Bajazet, qui aurait fui après avoir commis un délit. Ils sont devenus turcs et musulmans après la prise de leur île par les Ottomans. Deux filles et quatre fils. Aroudj ou Ourjoudj est né vers 1466, c’est le fils cadet de la famille. A la fin de sa vie, il parle ou se débrouille en italien, espagnol, français, grec et arabe. Cela donne un aperçu des nationalités de ses marins et de ses commanditaires.
Yakup le père s’équipe d’un bateau pour transporter ses poteries. Les garçons aident leur père dans son commerce.


Khizir Khayr ad-Dîn frère d’Aroudj- Portrait par Agostino Veneziano(1535)

D’abord ils piratent tout en commerçant en famille dans la barcasse paternelle. Au cours d’une de ces expéditions, Ouroudj ou Aroudj est fait prisonnier par les Chevaliers de Saint Jean de Jérusalem et condamné à ramer sur une de leurs galères, puis détenu dans la citadelle de Bodrum pendant trois ans. Son frère Ilyas est tué lors de l’attaque. Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem infligeaient des dommages sérieux à la marine marchande ottomane.
Son plus jeune frère Khayr ad-Din, pour s’acquitter de la rançon, s’attaque aux cargaisons chrétiennes avec l’aide de quelques têtes brûlées. Après plusieurs années, Aroudj recouvre sa liberté et sa place de chef sur le pont d’un navire. Son père est mort. Il reçoit le commandement de corsaires turcs et embarquent ses frères pour une vie meilleure. De nouveau réunis, les deux frères Barberousse cumulent les victoires en Méditerranée avec une témérité sans égale.
L’ainé Ishak  reste à Mytilène pour s’occuper des affaires financières de la famille. Leur territoire s’étendait de l’Anatolie, la Syrie, l’Egypte et accessoirement dans la mer d’Egée à partir de la Thessalonique, de Gibraltar à Nice, en fait toutes les côtes de la Méditerranée. Leurs ports d’attache seront Tunis, Djerba, Jijel, Alger…. Le commerce des esclaves blancs bat son plein : on rançonne les plus riches et les autres servent de domestiques, prostituées. Les esclaves seront rachetés parfois un peu plus tard par des congrégations religieuses.


Cervantès esclave d’Alger 1575 Bagne d’Alger—algerie-ancienne.com
Comme c’est la tradition depuis des siècles, les Barberousse vont servir toutes les causes qui leur rapportent. Sous l’Inquisition espagnole et ses conversions forcées dès 1492 ils convoient de 1504 à 1510 les musulmans et sépharades de l’Andalousie vers l’Empire Ottoman où le sultan Bajazet leur a donné refuge. Aroudj y gagne le surnom de Baba Arudj (père Aroudj). Bien avant eux, d’autres pirates avaient transporté les armées Vandales en Afrique du Nord.
Le gouverneur ottoman d’Antalya donne à Aroudj le commandement de 18 puis 24 galiotes. Il bombarde les forts côtiers d’Italie comme Puglia, s’attaque à Eubée sur le chemin de retour. Il capture des vaisseaux, des galiotes.
Le sultan d’Egypte lui donne un autre bateau et le charge d’attaquer à nouveau les côtes italiennes et les îles méditerranéennes. Sicile, Ligurie, Calabres… En 1503 Djerba devient sa base, puis l’année suivante le sultan de Tunisie lui permet de s’établir dans le port stratégique de La Goulette à condition de lui laisser un tiers du butin. En 1509 Ishak leur ainé les rejoint.

Ils vont s’attaquer à une galère espagnole qui transporte un gouverneur, une dizaine de gentilshommes de la Cour, une centaine de soldats et un butin considérable. 1510 c’est l’attaque du cap de Passero en Sicile, puis ils repoussent une attaque espagnole à Béjaîa, Oran, Alger. L’année suivante c’est Reggio de Calabre. En 1512 en repoussant les Espagnols lors du siège de Néjaîa, Aroudj perd un bras et gagne le surnom de « bras d’argent ». La même année les côtes de l’Andalousie, Minorque, Gênes, 23 galiotes capturées en un mois !!
A la Goulette ils font construire une usine de production de poudre, réparent ou construisent des navires. Ils sont installés.

1513 ils attaquent quatre vaisseaux anglais en route pour la France ; quatre navires à Valence, une galiote espagnole près de Malaga.. Les forteresses espagnoles de Béjaïa sont détruites en 1514 grâce à douze galiotes avec mille soldats turcs transportés par les trois frères. Encore la Sardaigne, la Sicile, les îles Baléares, Majorque, le fort de l’île d’Elbe en 1516….

Les Barberousse sont appelés en 1516 par les habitants d’Alger qui craignent les ambitions espagnoles de Charles Quint. Aroudj avec 5000 hommes marche sur la ville et le plus jeune Barberousse bloque avec ses bateaux le port. Victoire totale. Aroudj tue son commanditaire l’émir Selim el Teuni (Salim at Taoumi)et s’installe au pouvoir. Aroudj reste le stratège de la famille et part à la conquête de l’Ouest algérien. Il est considéré comme le fondateur de Al Jazâ’ir, la régence d’Alger.. Mais les Algérois sont vite fatigués de ses excès et s’allient à Charles Quint qui prend les choses en main en 1518.


Le Marquis de Comares à la tête de 10 000 soldats espagnols, de milliers de soldats locaux marche vers Tlemcen. Aroudj et son frère Ishak ont avec eux 1500 soldats turcs et 5000 soldats arabes et berbères. Le siège de la ville durera six mois. Les deux frères sont tués sur le champ de bataille. La légende dit que pour ralentir ses poursuivants, Aroudj avait semé des pièces d’or et d’argent sur les chemins de sa fuite.
Leur autre frère Khayr ad Din reprendra le flambeau et le titre de Barberousse. Il décide de reprendre la ville d’Alger et anéantit l’armada espagnole. La ville est livrée au sultan turc Selim 1er le Cruel qui le fait « bey des bey ».



Ce Barberousse aussi roux que ses frères et d’une force herculéenne pouvait nous dit-on tenir un mouton de deux ans à bout de bras et d’une seule main.
Pendant 17 ans il va écumer la mer et ses côtes avec un équipage tout à sa dévotion. Courageux, audacieux, chanceux, intelligent, prévoyant et déterminé en défense, infatigable, insensible aux revers, mais toutes ses qualités sont ternies par des accès de cruauté froide….Ainsi l’Histoire de la Marine le décrit en 1841.

En juin 1530, ses pirates pillent Porquerolles, Port-Cros, les îles Le levant sont dévastées. François 1er en 1531 ordonnera la consolidation des fortifications. Le fort de Porquerolles sera rebâti et Port-Cros se dotera d’un château. Les îles d’Hyères sont pillées en 1535 par 10 galères, 15 galiotes et 17 fustes pirates. Faisant preuve d’une confiance à toute épreuve, Barberousse et ses marins sèment la terreur sur les côtes.
Le sultan turc le nomme « grand amiral de la flotte turque en 1533. Même le redoutable corsaire génois Andrea Doria sera battu en 1538 par la flotte de Barberousse à Preventa le long des côtes grecques occidentales.

Charles Quint investit le Var et envahit la Provence avec une armée de 50 000 hommes. Depuis 1536 les Etats de Savoie du duc Charles II sont occupés par l’armée française de François 1er au détriment de Charles Quint. Le pape impose une paix fragile entre les deux souverains. Mais en  1543 notre roi François 1er se rapproche du sultan Soliman 1er, nouveau maître de l’Empire Ottoman. Il espérait se défaire de l’Empereur. Barberousse avec 100 galères, rend « service » et prend la ville de Nice et la pille. La ville préférera se rendre aux Français. Mais le roi refuse de payer la dette contractée en échange de cette aide musclée. Alors Barberousse se paie en multipliant razzias et enlèvements tout au long de la côte française, tout en hivernant dans la rade de Toulon et d’Hyères. Finalement François 1er paie à Soliman le dû prévu. 
«...Presque tous les habitants de Toulon durent quitter la ville, abandonner leurs maisons, leurs métiers... pour faire place à des alliés pires que des ennemis... Les matelots enlevaient les jeunes garçons et les emmenaient esclaves sur leurs vaisseaux. Toutes ces atrocités se commettaient impunément. Barberousse, en véritable maître, ne permettait pas qu'on sonnât les cloches dans les églises...» www.portcros-parcnational.fr/fr/des-connaissances/patrimoine-culturel/personnages-celebres/figures-historiques/khizir-khayr-ad-din

Le roi de France en remerciement fait de somptueux cadeaux à Barberousse : un buffet d'argent, un épée d'honneur en or et diamant, les cordons de tous les ordres dont disposait François 1er.

Siège de Nice en 1543 – Matrakci Nasu 16ème siècle-wikimedia.commons

Le dernier Barberousse meurt le 4 juillet 1546, à la veille de ses 80 ans, laissant avec son frère Aroudj, pour l’Histoire une légende de pirates de génie, fins stratèges militaires et politiques. Son tombeau est prêt, couronné d’une mosquée avec vue sur la mer. On raconte que son cadavre fut retrouvé plusieurs fois hors du tombeau. Pour le faire tenir tranquille, on eut recours à un sorcier grec qui préconisa de l’enterrer avec un chien noir. Ce qui fut fait et l’amiral Barberousse trouva enfin la paix. Il n’avait jamais caché son appartenance au monde des pirates même lorsqu’il travaillait pour les Grands de ce monde. Pirate il est né, pirate il est mort.. Son "héritage sur terre" va à Hassan un berger sarde qu'il a adopté, mais qui ne s'aventurera pas en mer. Avant sa mort il avait poussé son "héritier sur mer" Draghut, un Anatolien musulman en lui confiant une escadre de douze galères. Ce sera le commencement des Capicorsini, l’arrivée sur scène des pirates du Cap Corse. On retrouvera Draghut au côté de notre roi Henri II(fils de François 1er) lors de la tentative de conquête de la Corse en prenant Bonifacio.


Le marché aux esclaves d 'Alger - (Gravure de Jan en Casper Luyken)
Sources : L Durand Pirates et Barbaresque en Méditerranée édit Histoire du Sud Aubanel 1975 ISBN2-7006-0057-6 --- Charles Farine Deux Pirates au 16ème siècle 1869 Histoire des Barberousse édit Paul Ducrocq --- Wikipedia -- Alain Ruggiero (dir.), Nouvelle histoire de Nice, Toulouse, Privat, 2006, 383 p.—Braudel La Méditerranée et le Monde Méditerranéen –Nicolas  Histoire de la Marine --- Hubad Les Barbaresques  ---Olivier  Weber Le Barbaresque 2011édit Flammarion—musée national de la marine château de Brest bd de la Marine Brest 29200 --

jeudi 24 janvier 2019

Le Grand Tour de Charles IX et le Languedoc






Le Grand Tour de Charles IX en Languedoc :

Toute ressemblance avec des événements récents serait indépendante de notre volonté !!!
  Charles IX, 1565 portrait par  François Clouet--wiimedia
Charles IX (juin 1550-mai1574) est roi de France de 1560 à 1574. Il est le fils de feu Henri II (celui qui est tué accidentellement lors de joutes) et de Catherine de Médicis. Il succède à son frère François II. Il a 10 ans à son couronnement, sa mère sera régente jusqu’à sa majorité en février1563. Catherine, tête froide, énergique et intelligente va gouverner aux noms de ses fils avec une constante politique de rechercher le retour de la paix. Il est évident qu’elle aime le pouvoir,  machiavel en jupon.
Le règne de Charles va être ensanglanté par les Guerres de Religion qui divisent le royaume entre catholiques et protestants, que l’on appelle « réformés » car de la religion réformée. Il semble avoir joué un rôle important dans le massacre de la Saint-Barthélemy en 1572.
Son début de règne est marqué par des essais d’ententes entre les deux camps, entrecoupés par des massacres, des assassinats. Le pays est pris en otage par des factions politiques et les groupes religieux extrémistes. La paix d’Amboise en mars 1563 ne satisfait personne mais donne un peu d’air au royaume.
Le petit Charles va assister à de nombreuses tractations politiques, sans résultat de paix durable. Adolescent il se réfugie dans les activités sportives et fuit l’exercice du pouvoir, préférant chasser. Le Grand Tour de France décidé par sa mère Catherine de Médicis essaiera de l’intéresser à son métier. Ce Grand Tour n'est pas une nouveauté : de tout temps, les rois, les seigneurs faisaient le tour de leurs fiefs pour raviver les esprits. Un droit féodal d'ailleurs existait : le droit d'albergue, soit le droit d'être logé, nourri trois jours par an ou un certain nombre de jours selon le lieu par son vassal.

Le départ du voyage est fixé au 24 janvier 1564. L’itinéraire, la fin du périple sont approximatifs. Les incertitudes quant à la paix des provinces et la bonne volonté des villes font qu’on laisse une place à l’improvisation. Les risques sont évidents, peu de renseignements sur le comportement des foules, des seigneurs locaux, sur les désordres, les réactions soudaines…

On commence par faire la fête : la Cour soit 2000 personnes environ se transporte d’abord du Louvre au palais de Fontainebleau. Pendant 40 jours on se prépare dans un tourbillon de fêtes.
Le 13 mars 1564 débute vraiment le Grand Tour, organisé par Catherine de Médicis, la reine mère. Il s’agit de faire connaître son royaume au roi et de le faire connaître à ses sujets. Par la même occasion il permet de rencontrer et de battre le rappel des Grands et moins Grands du royaume, de voir jusqu’où l’on peut compter sur eux, bref on reprend la main sur les villes les plus agitées. Le pays vient d’être ravagé par la première guerre de religion. Il y en aura d’autres jusqu’en 1629. ... Il faut affirmer la puissance royale par une mise en scène digne de fouetter les esprits. L’unité du royaume doit se faire autour du roi. Ce sera aussi une heureuse façon d’occuper et de distraire la Cour où des proches du roi ont un gros appétit de pouvoir. La famille régnante montrera aussi qu’elle est bonne catholique en dépit de ses appels à modération contre les protestants.
Dans chaque ville ou village les «entrées royales» coûtent cher. Mais elles permettaient au souverain de montrer sa puissance, tandis que les autorités municipales devaient, à leur frais, répondre aux rêves de leurs administrés par des pompes majestueuses et variées. Les villes seront certainement ruinées sur plusieurs années, mais les habitants à chaque détour du passage du cortège sont éblouis, subjugués et peuvent penser qu’ils ne sont pas ignorés des Grands. Le peuple n’avait jamais vu telle chose : des chevaux par milliers, carrosses rutilants, grandes tenues des cavaliers, le roi même aperçu de loin… Les gens des alentours plusieurs jours avant le passage se mettaient en route pour pouvoir apercevoir le cortège. Publicité, propagande ? Du grand Catherine à coup sûr.
4000 kilomètres sur des zones périphériques du pays, d’abord l’Est jusqu’en Provence, le Languedoc, l’Ouest jusqu’à l’océan atlantique, puis le Val de Loire et le Bourbonnais. Le retour à Paris est envisagé pour mai 1566. Le roi et sa mère chacun dans son carrosse, le chancelier Michel de L’Hospital qui espère beaucoup de ce voyage.
(Catherine de Médicis et ses enfants en 1561, François, Charles, Marguerite et Henri-par François Clouet)
Le carrosse de la reine-mère est tiré par six chevaux, aussi vaste qu’une chambre, tendu de velours vert avec banquettes et coussins. La reine disposait aussi de deux litières dorées de parade, couvertes et peintes de devises, portées par quatre mules chacune. Six magnifiques coursiers accompagnent sa majesté pour le cas où elle aurait besoin de se défouler. Elle faisait suivre son lit démontable, son linge de soie, sa garde-robe, sa vaisselle, ses bassins…sans oublier les confitures de madame. Du matériel destiné aux tournois, et un arsenal de déguisements pour les fêtes. Ses chiens avaient aussi leur confort. Elle avait aussi prévu cinq médecins, cinq officiers des cuisines, cinq sommeliers et des musiciens,  « violons sous le bras et les pieds dans la poussière » nous dit un chroniqueur..

Chacun de ses enfants avait sa suite personnelle, sa « maison ». Plusieurs centaines de domestiques et de palefreniers faisaient partie du convoi. Quatre compagnies d’infanterie, une compagnie de chevau-légers et un régiment de Gardes Françaises veillaient à la sécurité contre les bandits attirés par les chariots. La reine-mère n’avait pas oublié son escadron volant, Mata Hari avant l’heure, jeunes femmes qui par toutes sortes d’influence surprenaient les secrets d’état, parfois sur l’oreiller, pour le compte de la reine.
A tout cela s’ajoutaient greffiers, secrétaires, moines, confesseurs, pages. Un peu près 15 000 chevaux et mulets, des chariots pour les bagages, des carrosses sur les routes dans les provinces les plus reculées du royaume. Des jeunes nobles caracolant aux portières des litières où se trouvaient les dames …. Le convoi avançait suffisamment lentement pour lier conversation. On s’embourbait souvent, les routes et chemins n’étaient pas goudronnés à cette époque !!
Se loger à chaque étape était un vrai problème. Dans les grandes villes le roi dormait chez le plus riche bourgeois qui devait aller se loger ailleurs. Parfois il logeait dans des auberges ou à l’évêché. Les grands seigneurs de la cour envoyaient bien avant l’arrivée à l’étape un domestique pour trouver un logement pour ne pas dormir dehors.


On commence par Bar-le-Duc capitale du duché de Bar : au duché de Lorraine, diplomatie oblige, le roi avec un autre roi Philippe II d’Espagne, tous deux deviennent parrains du jeune Henri 6 mois fils du duc de Lorraine Charles III, époux de Claude sœur du roi de France. Le roi d’Espagne et des Pays-Bas se fait représenter par le comte de Mansfeld gouverneur du duché de Luxembourg voisin. A Troyes le 11 avril le roi signe un traité avec l’Angleterre qui renonce définitivement à Calais. Le Havre est restitué.

Le périple va continuer, Dijon, Mâcon, Roussillon, Valence…..Avignon dans les Etats pontificaux. A Dijon cinq jours de tournois organisés par le gouverneur de la province. A Macon, le cortège est accueilli par des demoiselles en costumes bleu ciel représentant les nymphes de la Saône et du Rhône. A Lyon en juin des fêtes encore plus splendides, un accueil chaleureux malgré le nombre de réformés de la ville. Le roi et sa mère loge chez un riche bourgeois Pierre Teste. Il fait des déplacements dans la région, Saint Genis Laval, Crémieux…En juillet on part vite vers les étapes suivantes, la peste a fait son apparition à Lyon. Mais avant, par un décret daté de Lyon du 24 juin 1564 il « interdit la religion réformée dans les lieux de résidence royale ». Toujours s’affirmer en soufflant le chaud et le froid.

Dans le château de Roussillon, Charles IX signe l’édit de Roussillon qui instaure dans un article le 1er janvier comme le premier jour de l’année dans tout le royaume de France. Il renouvelle ainsi un édit de janvier 1563. Le roi est fatigué, malade. On se demande si le voyage va continuer.
Charles IX quitte le royaume pour la seconde fois après le duché de Lorraine en pénétrant dans le Comtat Venaissin, par Bollène le 21-22 septembre 1564. Caderousse où il dort, Mondragon, Mornas où il dine….Sorgues ou Pont-de-Sorgues où il passe la nuit et y dîne le lendemain dans le palais d’été des Papes de la ville le 23-24 septembre.

Le roi fait son entrée à Avignon le 24 septembre et y reste jusqu’au 16 octobre. Le légat pontifical Alexandre Farnèse l’accueille. Visite touristique du Palais des Papes, cérémonies diverses, fête de la Saint Michel…. Il découvre notre mistral qui « élevaient des pierres de la taille d’une noix jusqu’au visage ». Pour quitter Avignon, il travers la Durance sur un pont de bateau que l’on avait construit pour l’occasion.
Il retrouve son royaume, Saint-Rémy, Châteaurenard, Salon-de-Crau (Salon-de-Provence) le 17-18 octobre. Salon-de-Provence où la reine mère retrouve son astrologue Nostradamus qu’elle va nommer médecin et conseiller du roi… Elle le présente au roi et le mage lui prédit qu’il vivra jusqu’à 90 ans !!!

Aix en Provence, Saint-Maxime, Brignoles, ….Hyères pour la Toussaint 1564, Toulon, Marseille… A Aix du 19 au 24 octobre 1564, le roi est accueilli par la Cour des Comptes. La ville est capitale de la province de Provence et est archiépiscopale. Elle est surtout en révolte contre le gouverneur, jugé trop tolérant avec les protestants. Le 23 il fait abattre le pin d’Eguilles où le parti catholique avait fait pendre de nombreux protestants les années précédentes. Michel de L’Hospital exhorte les Aixois à plus de tolérance religieuse comme le souhaitent le roi et la reine-mère, en vain semble-t-il.
(Brégançon-wikimedia)
A Brignoles le 25-27 octobre il arrive dans la nuit à deux heures et demie. Le lendemain il fait son entrée officielle et fait présenter la collation aux demoiselles de la ville qui dansent devant lui la volte et la martingale. A Cuers les jours suivants il découvre une très grande abondance d’orangers, de palmiers, de poivriers…. Il reste 5 jours à Hyères. Le 30 octobre il dîne au fort de Brégançon.
En novembre le roi découvre Toulon et la mer. Charles IX et sa suite sont logés à Toulon, ses soldats vont loger à Ollioules. Le marquis René II d’Elbeuf l’emmène pour une promenade en mer. La ville d’Ollioules lui offre un oranger. Les comptes de la ville ont gardé la trace de l’achat de l’oranger, le prix des planches pour la fabrication de la caisse destinée à le transporter ainsi que la dépense pour l’envoyer à Marseille par mer. Nous y découvrons aussi la dépense pour réparer les routes avant l’arrivée du cortège royal.
Le roi s’intéresse de près aux chantiers navals et à la navigation des galères négligés, par ses prédécesseurs.

Le Tour de France continue par Aubagne, Marseille le 6 au 13 novembre 1564. L’accueil est délirant nous disent les chroniques. On baptise une galère Charlotte-Catherine. Trente et un an avant, le navire de la petite Catherine de Médicis, nièce du pape Clément VII avait abordé sur ces quais.  Le 10 novembre Charles s’embarque sur la galère La Réale ( ?est-ce le bon patronyme), escortée par treize autres galères pour aller dîner au château d’If. Mais difficile d’accoster et le roi doit dîner sur son bateau. Un spectacle l’attendait : les galères se séparèrent en deux et miment un combat. Sous le règne de son grand-père François 1er nous passons de 23 à 48 galères ; en 1561 plus que 18. Ce roi attachait une grande importance à la force navale, les barbaresques écumant nos côtes. Le déclin se poursuivra jusqu’à Richelieu. Ces bâtiments étaient très fragiles et coûteux en entretien. Le gouvernement préférait les louer lorsqu’il en avait besoin.

Après Marseille, Marignane pour dormir et dîner, Martigues le 14-15 novembre où le roi excursionne sur l’étang de Berre. Puis Arles après Saint-Martin de Crau. Le Rhône et ses grandes eaux d’automne oblige le cortège à rester 21 jours jusqu’au 7 décembre. Il visite les ruines gréco-romaines.

Tarascon la catholique et Beaucaire son vis-à-vis de l’autre côté du Rhône, la protestante du 7 au 11 décembre : il faut faire passer les équipages de la Cour avec des bateaux et beaucoup de difficultés, on se l’imagine bien.

Tapisserie d’après un carton de François Quesnel-BNF
Puis le Languedoc :
Le roi pénètre en Languedoc le 11 décembre 1564 en traversant le Rhône à la hauteur de Tarascon et Beaucaire. Il va visiter cette province jusqu’au 21 mars 1565, un peu plus de trois mois. Il dîne à Beaucaire et va se coucher à Sernhac (Sarignac). Il semble que n’y trouvant pas de logis à sa convenance, il passa la nuit dans sa voiture dans une cour d’auberge, entouré de ses gardes sommeillant à la belle étoile. Son grand-père François 1er en 1535 se logea à l’auberge du Cheval Blanc de Sernhac en revenant de Toulouse et avant de se rendre à Saint Privat chez Jacques de Faret. Déjà toute la Cour l’accompagnait, sa femme Eléonore d’Autriche fille de Charles Quint, ses enfants….. Sarignac était un village de 180 feux en 1566 d’après Abel Jouan.

Puis le cortège prend la route du Pont du Gard où l’attendait la fine fleur de l’aristocratie de l’Uzège au château de Saint-Privat.
Le 12 décembre il visite le fameux aqueduc. Dans le cortège, se côtoient le futur Henri III, Henri de Navarre le futur Henri IV, les cardinaux de Bourbon et de Guise, le duc de Longueville, le connétable de Montmorency….et l’escadron d’honneur de la reine-mère.
Le comte Antoine de Crussol, bientôt duc d'Uzès en 1565, rend hommage au roi et offre un banquet.  Son épouse Louise de Clermont comtesse de Tonnerre avait été dame de compagnie de Catherine de Médicis. (Antoine de Crussol était encore suzerain de Saint-Privat, ayant vendu la moitié du château et du domaine à Jacques Faret contre mille écus d’or avec moyenne et basse justice)
A la mode du moment, une collation de fruits confits et de sucreries est servie par des jeunes filles du pays, en costume de nymphe, sortant tout à coup des grottes voisines. Une féérie qui dérida les spectateurs et qui fit oublier un temps les antagonismes et les drames des guerres de religion.

Le 13 le cortège est à Nîmes, puis Vauvert du 14 au 15, Aigues-Mortes où on dîne et couche. A Nîmes les Réformés viennent se plaindre des tracasseries du gouverneur qui sera désavoué par le roi. Tout au long du voyage on essaie de ménager les uns et les autres, les ferments de la guerre civile sont toujours là.
Montpellier du 16 au 30 décembre. La peste a sévit en juillet. Les habitants divertissent le roi de danse devant son logis avec des danseurs masqués tenant des arceaux fleuris et des musiciens. Le 25, le roi assiste à la fête de Noël. Une procession générale est organisée à sa demande expresse : tous les habitants de la ville devaient être présents sous peine d’une amende de 100 livres !! Dans un premier temps les protestants refusent d’y participer. Le journal de l’époque « Le Petit Thalamus » indique que les réformés seront autorisés à ne pas tapisser, orner leurs fenêtres, balcons, leurs maisons. Le « journaliste » raconte que la suite royale comprend «la royne sa mere, Catherine de Médicis, nombre grand de cardinaulx, notamment les cardinaux de Bourbon et de Guise, mais aussi Henri prince de Navarre, que l’on dit de la novelle religion, filz de la royne de Navarre vefve (Jeanne d’Albret, veuve d’Antoine de Bourbon), lui aussi fort jeune puisque tout juste âgé de 11 ans, Le chroniqueur nous signale la présence du vieil Anne de Montmorency, connétable, et celle de son fils, le gouverneur, Henri de Montmorency Dampville, qui ne fut fait maréchal de France, comme son père, que plus tard. En revanche, il omet le chancelier Michel de L’Hospital.
Ci-après le texte du chroniqueur
Avant l’entree dudict seigneur en la | ville que feust par la porte Sainct Gilly luy | feust dressé au jardrin du seigneur de Villeneufve, | gouverneur de Montpellier, une grand lotge ou | reppousoir[b] richement tapissé ou toutz les estatz | de la ville l’allarent salluer et faire la reverence | et hobeyssance, d’illec ce achemynantz tretoutz[c] scellon | leur ranc et ordre au devant du roy a cheval | les plus dignes estantz les derniers et plus | proches de sa mageste, comme les universités | de medecine, du droict, le siege presidial | et du gouvernement, la chambre dez comptes et | court des aydez, la derniere vesteue d’escarlate, | toutz en belle ordonnance. Appres vinrent la | mayson du roy, sa garde, ses trompetes et | clairons, le grand escuyer l’espee ranchee | et sa parsonne soubz ung pavilhon de | vellours cramoisin rouge couvert de riche | broderie d’argent pourté par les six consulz | estantz a pied teste nue, suyvy en appres ledict | seigneur par plusieurs cardinaulx, princes et | grandz seigneurs despuis ladicte porte Sainct | Gille, passant par la rue de la Guillerie, la | lotge et consollat jusques au lotgis dudict seigneur | ordonné en la mayson dicte de Boutonet, __
[Fol. 541 r°]
__ assize a La Pierre, estoient les rues richement tappissees | et couvertes de thoilles par dessus et sur l’entree au lieu | dict la poincte a l’arc Sainct Nicholas a la lotge au | consollat et a La Pierre, dressés de charpenterie devers | arcz triumphantz, portaulx et piramides enrichis de | plusieurs pinctures, figures, represantations en bosse | et tableaulx de diverse invention[d] acompaignés | de plusieurs vers eppigrammes grecz, latins et | francoys, et feust pour present donné au roy ung | ymage de roy mays son scepte tenant ung pied en | terre et aultre en mer, tout d’or massif de la | valleur de mil escutz, et a la royne une montaigne | d’or complantee d’olliviers et d’oraigiers[e] tres beau de | valleur de cinq centz escutz. Ledict seigneur, | ayant demeuré audictMontpellier jusques au dernier | jour dudict decembre, s’en partist prenant son chemin | devers Tholose, Bordeaulx et Bayonne, ou la royne | d’Espaigne, sa seur, le vint trouver et visiter.

 « Je ne cherche qu’à conserver la paix, paix extérieure et paix intérieure » explique Catherine de Médicis à l’ambassadeur d’Espagne qui s’inquiète de la mansuétude du gouvernement français vis à vis des protestants.

Le roi découvre les flamands dans les étangs de Villeneuve et Maguelonne.
Puis c’est Poussan, Florensac, Agde, Béziers les 3 et 4 janvier. A Poussan dans le château de Montlaur des peintures murales ont été découvertes en 2007 racontant le passage de Charles IX dans le village.
Arrivé à Narbonne, une excursion et un saut jusqu’à la frontière espagnole et un arrêt à Sigean et Leucate. Retour à Narbonne le 9 janvier, Narbonne où il ne restera en fait que trois jours les 5,6,10 janvier.
Carcassonne -wikimédia.org

Mons où il dort, et la cité de Carcassonne entre le 12 et 26 janvier 1565. Le cortège y reste bloqué par la neige pendant 14 jours dans la ville haute. Pour s’occuper, le petit roi fait construire des bastions en neige dans la cour du logis et dans d’autres endroits de la ville haute et dans la ville basse. Pages et laquais attaquent le bastion défendu par les gardes du roi et gagnent au bout de deux heures. Le roi joue à la bataille de neige pendant que sa mère et Michel de L’Hospital étudient les lettres de leurs ambassadeurs et préparent une éventuelle rencontre avec le roi d’Espagne. Le 22 le roi et sa mère peuvent enfin descendre dans la ville basse, La Bastide. L’accueil est fastueux : 1100 hommes en armes à pied et 500 cavaliers bordant de chaque côté les rues. Harangue du Premier Consul, puis défilent 500 cavaliers habillés en » sauvages » portant chacun un arc à la main droite et un carquois derrière l’épaule, nous raconte père Thomas Bouges en 1741. Puis Charles IX pénètre dans la Bastide précédé par le connétable de France Montgomery qui porte à la main l’épée nue du roi. Les hérauts d’armes sont précédés par des trompettes. Un enfant offre au souverain les clés de la ville. Salve d’artillerie, déambulation dans les rues décorées de tapisseries, d’arcs de triomphe. Pendant quatre jours les cérémonies se succèdent, affirmant la catholicité de la famille royale. On prie devant la relique du saint suaire….

Le roi finit par quitter Carcassonne le 26 janvier pour Montréal, le plus ancien village à porter ce nom. Puis Villepinte et Castelnaudary du 28 au 30 janvier. François de Rougier baron de Ferrals reçoit le cortège royal en son château de Ferrals près de Saint-Papoul. Il offre un dîner somptueux et extraordinaire. Car après que l’on ait enlevé les tables, le plafond de la salle et les combles s’ouvrent grâce à des machines et laissent passer la lumière du jour ainsi qu’une pluie de dragées et d’eau de senteur. La Cour qu’il est pourtant difficile à étonner, avoue que jamais on ne lui avait fait de régal si magnifique.
Gâches, dans ses Mémoires (Edition Pradel. Paris, Fischbacher, 1879, page 44), rend compte du festin qui fut offert au roi et à la cour dans le château de Ferrals :   "Après les services levés pour donner l'eau naf (Parfum à base de Beur d'oranger), voici paraître, au haut du plancher de la salle du festin, une nuée suivie d'un éclair et d'un coup de tonnerre, qui fit sortir de cette nuée une pluie d'eau naf, mêlée de dragées, en telle abondance que, pour se garder de mouiller, il fallut porter les manteaux au Roi et à tous ceux du festin ce qui lui donna un grand plaisir et à toute sa cour".
Autre récit par Auguste Ditandy dans Lectures variées sur le département de l‘Aude 1875- :
"Le cortège du roi et celui de la reine mère étaient nombreux et magnifiques. Les tambours, les fifres et les trompettes ouvraient la marche. Puis, venaient les comtes de Brissac, de Charnay, de Villars et de Cypière, gouverneurs des enfants de France, les pages, des maréchaux, des cardinaux, enfin le roi, précédé du connétable de Montmorency, qui portait l'épée royale. Charles IX avait à ses côtés le duc d'Anjou, son frère, et le jeune prince de  Navarre. Il était suivi des officiers de sa maison, tous vêtus de drap d'or et de velours cramoisi, avec les marques et les symboles de leurs hautes fonctions. Il avait jeté négligemment sur ses épaules un riche manteau blanc, chargé de fleurs de lys d'or et orné d'une bordure de rubis mêlés d'étincelles. Son blanc destrier était harnaché d'une housse de velours bleu céleste, presque traînante, sur laquelle brillaient encore des fleurs de lys d'or. Près de lui chevauchait un écuyer portant l'étendard de France. A l'approche des royaux visiteurs, les fanfares retentirent, les cloches du beffroi sonnèrent, les arquebuses envoyèrent leurs salves joyeuses, les ponts-levis s'abaissèrent et la cour du manoir fut en un instant encombrée de gens et de chevaux. Au milieu se trouvait dressé un arc de triomphe surmonté de quatre lances, soutenant des draperies de pourpre à longues franges d'or; dans l'intérieur étaient étendus de somptueux tapis. Charles IX et Catherine de Médicis descendirent de cheval sous cette tente improvisée où les conduisit le baron de Ferrals, qui baisa avec respect la main du jeune Sire. Les nobles hôtes furent reçus et traités royalement. Le dîner fut splendidement servi. Après qu'on eut levé les tables, le plafond de la salle s'ouvrit au moyen de machines. A l'instant les innombrables lumières pâlirent. Des éclairs se succédant rapidement, dardèrent une lueur livide sur les visages des convives saisis d'étonnement.
Le tonnerre, qu'on n'entendait d'abord que dans le lointain, gronda bientôt au-dessus de leurs têtes. Il était porté sur un nuage épais et noirâtre qui s'étendit lentement et plongea la salle dans une obscurité presque absolue. Cependant, les éclairs redoublèrent ; une détonation assourdissante creva la nue qui, paraissant alors tout en feu, laissa tomber une grêle de dragées, suivie d'une pluie de senteur. Cette averse fut si abondante que le roi demanda son manteau en s'écriant : Par Notre-Dame ! Je ne m'attendais pas à un semblable orage dans cette rigoureuse saison.  Après ce divertissement dans le goût italien, dont la reine mère avait apporté la mode en France, c'est-à-dire le soir même, la Cour partit pour Castelnaudary, où elle coucha".
Le voyage repart après une nuit à Castelnaudary.


Puis c’est Toulouse du 31 janvier au 19 mars. La ville est tranquille, aux mains des catholiques. Une véritable guerre de rues avait eu lieu en 1562 opposant une minorité protestante soutenue par quelques capitouls (consuls). Montluc et son armée avait remis de l’ordre non sans mal et les pertes en vies humaines avaient été importantes.
Le cortège est accueilli par des nymphes de la Garonne, au rythme des poésies de Ronsard. Les notables, les corporations défilent suivant leur ordre hiérarchique. Montluc sur place et qui ne perd pas le nord, vient réclamer à Leurs Majestés le remboursement des frais qu’il avait assumés lors de son intervention de 1562.
Visite du parlement et des Capitouls. Carême-prenant au château de Saint-Michel, confirmation religieuse du roi avec son frère Alexandre Edouard qui prend le nom d’Henri, futur Henri III….C’était son grand-père François 1er qui lui avait donné le prénom d’Edouard pour faire plaisir au roi d’Angleterre….L’ambassadeur de ce pays manifesta son déplaisir devant cette substitution de prénom. Le petit dernier baptisé Hercule devient François comme son grand-père ce qui est plus convenable si un jour il devait régner.
On assiste au mariage d’un marquis…. On participe à de multiples processions au travers de la ville, comme celle des reliques de Saint Sernin, très vénéré des Toulousains.
Le 2 février la reine-mère apprend que son gendre le roi d’Espagne Philippe II est d’accord pour une entrevue à Bayonne. Il dira « j’ai cédé aux deux reines. » Catherine fond en larmes à cette annonce.

Une autre nouvelle peu rassurante celle-ci : à Paris Coligny est entré dans la ville à la tête de 600 cavaliers, profitant de l’absence du Roi pour braver les édits et menacer la capitale. Charles IX furieux, renvoie sans les entendre les réformés qui venaient lui demander de nouvelles concessions et la possibilité de rouvrir leurs temples dans la ville. Le pays risquait d’être à nouveau en rébellion. La reine-mère tient ferme et refuse toute concession. Elle espérait aussi rassurer le roi d’Espagne en vue de la rencontre de Bayonne. Elle misait beaucoup sur cette entrevue et elle avait emprunté des sommes considérables aux banquiers florentins pour faire de cette réception le point culminant du voyage.

Ce séjour se prolonge un mois et demi. Les jeunes princes étudient avec leurs précepteurs. La famille royale est logée dans l’archevêché. On s’organise comme on peut. Les pièces sont compartimentées par des cloisons en bois pour avoir suffisamment de chambres et de salles de travail pour le gouvernement et la famille royale. Si l’on en croit Brantôme, les jeunes princes et leurs amis sont curieux de ce qui se passe de l’autre côté des cloisons en collant l’œil aux fentes mal jointes. Suppléments d’études !!

Puis Montauban, ville à majorité protestante, les 20 et 21 mars1565 : arrivé aux portes de la ville, le roi exige que les Montalbanais rasent leurs fortifications pour l’accueillir. La ville s’était fait remarquer en résistant à trois sièges de Blaise de Montluc. Après négociations, le roi traverse le Tarn sur un pont de pierre et fait son entrée dans Montauban le 20 mars, quelques arcs de triomphe décorent la ville.

Après un dîner à Labastide-du-Temple le 21, le cortège quitte le Languedoc pour continuer son Grand Tour par le Guyenne…. A Bayonne la reine-mère espère voir sa fille Elisabeth épouse du roi Philippe II et négocier un traité avec l’Espagne. En fait le prudent monarque redoute un tête-à-tête avec sa belle-mère beaucoup plus politique que lui. Il enverra sa femme, la reine Isabelle la fille de Catherine, avec le duc d’Albe. Et puis la reine-mère a reçu l’ambassadeur turc à Bordeaux ce qui a fait très mauvais effet dans le clan catholique français et espagnol !!

Encore un an de cheminement. Le roi reste peu de temps à chaque étape : qu’en a-t-il vu et entendu ? Tout au long il reçoit hommages, honneurs, il assiste aux mariages de fils et filles de seigneurs. Il parraine des nouveau-nés et même des jeunes enfants de la noblesse. A-t-il vu ce que cultivaient les paysans, ce que fabriquaient les artisans ? On l’imagine dans sa voiture écartant le rideau de fenêtre pour voir réellement son royaume. Il a 14-15 ans au moment de ce voyage, ce qui est un âge normalement de maturité à cette époque. Mais sa mère ne lui laisse que peu d’initiatives. Nous ne pouvons-nous empêcher de nous demander quel enseignement en a-t-il tiré… Dans les villes il reçoit un accueil mitigé des gens de pouvoir, selon que la majorité dominante soit catholique ou protestante. La conciliation n’était pas à l’ordre du jour et ceci annonçait des jours difficiles. Des chroniques nous montrent un Charles IX qui manifeste un intérêt pour la vie quotidienne et le travail de ses sujets. Il avait semble-t-il le don de savoir parler aux gens et de donner à chacun le sentiment d’une relation personnelle même brève. Michel de L’Hospital apparait comme un personnage principal de ce voyage avec la reine-mère : il intervient, préside, consulte avec autorité, souplesse. Il rappelle la nécessité de l’autorité royale, dénonce les fautes et les abus, propose avec fermeté des remèdes. Mais c’est de toute évidence trop tard et les guerres civiles vont se succéder jusqu’en 1629 sous le roi Louis XIII et Richelieu.



Sources : carte du Grand Tour de France de Charles IXwikipedia.org CCBY-SA3.0 Yug Walké 13-6-2016 --- thalamus.huma-num.fr/chronique-francaise/annee-1564.html A.M. Montpellier AA9, année 1564 : édition[Fol. 539 v°]---Société Historique d’Alais 1872---BNF ---archives de Remoulins et Saint-Privat – Daniel de Montplaisir www.vesilla-galliae.fr/civilisation/histoire/1951-il-r-a-450-ans-charles-ix-achevait-son-grand-tour-1-5-2016   ----Jean Boutier, Alain Dewerpe, Daniel Nordman, Un tour de France royal. Le voyage de Charles IX (1564-1566) Persée 1985pp1110-1113--- Abel Jouan Recueil et Discours du voyage du roi Charles IX BNF gallica--- Castelot Decaux Jullian Lzvron  Histoire de la France et des Français au jour le jour 1547-1643 Vers la monarchie absolue –Librairie Académique Perrin 1976 IBSN2-262-00025-5---Rosine A. Lambin, Femmes de paix : la coexistence religieuse et les dames de la noblesse en France, 1520-1630, Éditions L'Harmattan, 2003, p. 409-410 et 381-386.--- Hugues Daussy, Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, Droz, 2014, 882 p.--- basilique-saint-nazaire.over-blog.com/2017/02/1er-fevrier-1565-charles-ix-a-toulouse.html---/www.psbenlyonnais.fr/rois-de-france-en-visite-a-lyon/-- Claude Saint Etienne Publié le 16 décembre 2010 par N.L. Taram  wwwtehoanotenumaa.com/article-charles-ix-et-sa*tournée-royale-2-63123886.hml ----Jean-François Solnon Catherine de Médicis édit Tempus2009---www.ladepeche.fr/article/2017/01/01/2488570-janvier-1565-charles-ix-a-carcassonne.html
--Aquarelles "Cortège historique des moyens de transport", dessins et aquarelles de A.Heins, texte de Edmond Cattier. -- tapisseries proviennent de "L'Histoire de France et des français" d'Alain Decaux et André Castelot (13 volumes).--