mardi 28 avril 2020

Vauban à Nîmes ?


(Les Anciennes Fortifications de Nîmes – ©M. Igolen, 1935.)
Il parait dérisoire en cette période de pandémie de se pencher sur des sujets qui peuvent paraître anecdotiques. Mais il faut bien penser à autre chose !
Vauban à Nîmes ?Naissance et vie d’une citadelle
Nous avons à Nîmes une citadelle, un fort Vauban du nom du grand ingénieur militaire (1er mai 1633 - 30 mars 1707) de  Louis XIV. Mais Vauban a-t-il vraiment participé à cette construction ? Il semble bien que non. Des citadelles Vauban existent, il est vrai un peu partout dans notre pays,. En 1705 l’ingénieur dresse un Etat des places fortes du Royaume où il est intervenu, bilan d’une vie bien remplie : « 119 places ou villes fortifiées, 34 citadelles, 58 forts ou châteaux, 57 réduits, 29 redoutes et quelques places qu’on se propose de rétablir et de fortifier ».
En 1687-88, le Languedoc et les Cévennes sont des bastions protestants. La Révocation de l’Edit de Nantes de 1685 et les sanctions contre les irréductibles huguenots ont mis le feu aux poudres. Trois citadelles sont construites, Alès, St Hippolyte et Nîmes pour contrôler ces sites.
Le système Vauban  sera largement repris en France et hors de France comme par exemple les fortifications de la ville de Cadix en Espagne.

Nîmes n’est pas dans la liste de Vauban. En fait l’intendant du Languedoc Nicolas Lamoignon de Basville confia le projet le 9 mai 1687 à Jean François Ferry ingénieur du roi et à Jean Papot architecte. Durant l’hiver 1686-1687 Ferry est envoyé en Cévennes pour dresser les plans d’une quinzaine de villes ou bourgs susceptibles d’accueillir la citadelle. Ferry avait été choisi à l’insu de Vauban suspect après avoir publiquement pris position sur le rappel des huguenots et proposer une autre gestion du problème religieux et économique. Il ne faisait pas bon de contredire le roi Louis XIV.
La réalisation des travaux sera attribuée à Jacques Cubizol architecte nîmois et l’ingénieur Jean Baptiste Minet. Tous vont s’appuyer sur les travaux de Vauban : un parallélogramme avec « quatre bastions d’angles, entouré d’un fossé de 9m de large et d’un chemin couvert surélevé formant une enceinte bastionnée supplémentaires dont les 4 places d’armes constituent des demi-lunes ». La place d’armes centrale pouvait accueillir autour de 500 soldats. ( Porte coquille ©Alain Verpillot 2016 ).  Une grande coquille St Jacques orne la porte d’entrée principale, touche personnelle de Ferry.
L’endroit choisi a fait ses preuves : sur le rocher promontoire à la limite nord-ouest de la ville contre ou dans les autres enceintes plus anciennes comme celles de Rohan. Un bon emplacement pour surveiller la ville, les mouvements de troupes venant d’Alès…

Une nappe d’eau dans le sous-sol permettait d’alimenter le fort et surtout alimenter la ville par le castellum divisorium. Le 8 mai 1687 on commence par abattre les arbres qui se trouvaient sur le rocher ; le 12 le projet est officiellement approuvé par l’intendant ; le 15 un devis des travaux à entreprendre est dressé et on pose la première pierre. Le 24 mai les travaux démarrent.

Un chantier mené tambour-battant : le 30 mai 1688 le régiment de Vivonne s’y installe, moins d’un an après les fondations du premier bastion. « Huit compagnies, en attendant que les casernes soient bien sèches … »(d’après Etienne Borrely notaire). Les Etats du Languedoc ont à leur charge le paiement du transport des matériaux et les indemnisations pour les propriétaires expropriés, c’est-à-dire les villageois par le biais de l’impôt de la taille. Le roi a financé les travaux du fort proprement dits.
Deux mille hommes ont participé à cette construction. Trois jours pour raser les 50 parcelles touchées par la campagne de démolition et pour exproprier les habitants. Trois à quatre cents personnes sont employées à ce ravage. Maisons modestes ou non, vergers, jardins potagers, pépinières, rasés, aplanis…. Des artisans du textile et des petits agriculteurs y côtoyaient les résidences de la bourgeoisie enrichie au négoce ou aux offices. Toute une population dépouillée de ses biens, dépossédée de ce qui constituait un statut social. On doit aplanir le site pour la citadelle mais aussi pour ouvrir le champ aux canons et dégager une esplanade vers la ville.
Bruits d’explosifs, de forge, des fours à chaux activés en permanence, deux à trois cents convois par jour… présence et installation à demeure de l’armée…  le quotidien des Nîmois est bouleversé.



Citadelle de Nismes 1787 – ©BNF
Les Anciennes Fortifications de Nîmes – ©M. Igolen, 1935.



La citadelle est aménagée comme un véritable fort capable de se suffire à lui-même et pouvant dominer et commander la ville. Une place d’armes carrée au centre, avec logements du gouverneur, des officiers, des casernes pour la troupe, des corps de garde, des prisons, une chapelle, et des entrepôts à vivres et à munitions. Sur le côté Nord, une porte ouverte sur la garrigue pouvant servir d’entrée ou de sortie de secours. Quatre bastions d’angle, un front pour l’artillerie percé de 33 embrasures à canons tourné sur la ville. Des fossés secs taillés dans le rocher, un large chemin couvert et quatre places d’armes sortantes dont deux reliées par des ponts-levis aux portes de la citadelle. Deux corps de garde extérieurs pour surveiller l’accès aux portes.
(l’un des 2 puits de la citerne sud-ouest—photo Cédric Robot ) Six puits et trois citernes approvisionnent en eau la citadelle.
La construction de la citadelle obligea à penser autrement le développement de la ville.
L’année suivante, on démolit les vieux remparts du XIème siècle depuis le quartier de la Bouquerie jusqu’au Château Royal remplacés par un cours (le Grand et Petit Cours actuel boulevard Gambetta) bordé de trois allées d’ormes plantées dès le 25 février 1689. L’ingénieur des Ouvrages du Roi à Nîmes, Duplessis en dessine le tracé et rédige un règlement d’urbanisme fixant l’alignement et l’uniformisation des façades donnant sur le Cours. Les constructions étaient limitées à un seul niveau d’élévation surmonté d’une terrasse. Il était prévu des rues larges et droites assurant la communication entre les quartiers anciens et le nouveau.

 De nouvelles murailles relièrent la citadelle aux remparts restants. Elles englobèrent tout le quartier populeux des Prêcheurs ou des Bourgades ; trois nouvelles portes sont percées, une à l’entrée de la citadelle, une au bout de la porte d’Alès, la troisième près du Château Royal ou porte des Casernes. La première de faible dimension sera murée en 1689. Le quartier des Prêcheurs intègre ainsi la nouvelle ville. L’architecte nîmois Gabriel Dardailhon est chargé par la municipalité de la construction de ces nouvelles murailles.

Le fort devient rapidement une prison politique entre 1701 et 1704 durant la guerre des Camisards. Et pratiquement jusqu’à la Révolution de 1789. La « Bagarre de Nîmes » de juin 1790 fait plus de 300 morts entre catholiques et protestants. Les arrestations vont bon train chez les catholiques nobles ou non. Après la proclamation de la République de 1792 puis pendant la Terreur de 1793 à 1794 le nombre de prisonniers politiques augmente encore.

En mai 1792, la citadelle et les deux autres prisons de Nîmes hébergent en solution d’attente des prêtres réfractaires, des sympathisants ou soupçonnés de l’être de l’Ancien Régime. Les deux autres prisons sont la maison des Capucins et la maison d’arrêt du palais de justice. Le fort devient prison pénale en 1795 (à la fin de la Convention). C’est une maison d’arrêt, de détention et de réclusion. Mais les conditions de détention sont épouvantables et le préfet du Gard sur autorisation du ministre de l’Intérieur fait transférer les détenus à Montpellier le 22 mars 1806.

Le décret impérial du 5 juillet 1808 demande à chaque département un « dépôt de mendicité » pour accueillir toutes les personnes accusées de mendicité ou de vagabondage qui sont des délits punis de peines correctionnelles. Ce sera pour la citadelle en novembre 1811 après quelques travaux d’aménagement pour loger et faire travailler les détenus employés avec la Fabrique de soie et de coton de la ville.

En janvier 1813 le fort devient maison de correction pour les condamnés par voie de police correctionnelle ou administrative, les détenus pour dettes et les enfants enfermés à la demande des familles. Des économies de fonctionnement pour le département : même administration et même personnel pour la surveillance des deux catégories de détenus !

La citadelle devient maison centrale de détention en 1818, transférant ainsi à l’Etat le financement et les responsabilités de l’équipement. Elle peut héberger jusqu’à 750 détenus, et en mars 1820 des prisonniers des trois autres maisons centrales de détention surpeuplées (Montpellier, Embrun, Riom) sont transférés à Nîmes. Cette nouvelle fonction demande des transformations : préau, réfectoire, infirmerie, lieux de culte, ateliers pour le travail de détenus. En 1830 nous enregistrons 1142 prisonniers, 1226 en 1835 et des dortoirs supplémentaires sont aménagés…
De 1842 à 1845 les frères des Ecoles Chrétiennes remplacent les gardiens, mais l’assassinat de l’un d’eux par un détenu arrête l’expérience.

Pour le condamné, le travail lui permet de s’occuper et de  gagner un peu d’argent pour prévoir sa sortie. Evidemment, cette main d’œuvre bon marché permet à l’Etat de réduire les coûts de fonctionnement et parfois de faire des bénéfices. Mais ce travail était en quelque sorte franchisé : une personne privée, l’entrepreneur de la Maison centrale avait le droit de faire travailler les détenus pour son compte et à son profit à un taux préférentiel et en contrepartie de la fourniture des matières premières et de l’établissement des ateliers à ses frais. Il recevait en plus une indemnité journalière par détenu travaillant et il vendait les marchandises fabriquées à son profit. De plus il pouvait adapter quotidiennement le nombre de travailleurs dont il a besoin.
Les autres fabricants et ouvriers nîmois protesteront contre cette concurrence déloyale.

De 1896 à 1900 le docteur Charles Perrier s'essaye à la science des statistiques : 1874 tatouages ; sur 63 auteurs d'attentats à la pudeur, 43 ont un visage ovale... c'est la période où on cherche à expliquer la criminalité par des caractéristiques physiques ce qui est plus facile que de penser à des manques d'éducation, des promiscuités, et autres raisons sociétales...

Notre citadelle sera utilisée pendant la Seconde guerre mondiale : elle compte des détenus de droit commun, mais aussi des politiques, des résistants opposés à Vichy et aux Nazis. Début de l’année 1944, la répression s’aggrave : torture dans le fort, pendaisons aux ponts de la ville en mars. Le 4 février 1944 24 résistants des FTP attaquent le fort et libèrent 17 patriotes.  « 21h15 : c’est l’heure de l’espoir. MARTY sonne à la grosse porte extérieure. Le gardien de conivence avec la résistance ouvre, livre passage à 5 patriotes qui désarment immédiatement les 6 gardiens dans leur poste. […] Il faudra six jours et six nuits à notre convoi, harcelé par la Gestapo, la Milice, les Gendarmes, pour atteindre les camps de St-Frézal de Ventalon Lozère ».
Les miliciens et les collaborateurs après la Libération du 25 août 1944 y seront enfermés à leur tour. Certains seront fusillés dans les semaines et mois qui suivent.
La dernière exécution capitale à la Centrale de Nîmes a lieu le 27 avril 1948 : trois personnes sont guillotinées ce jour-là dont Marius Rodeillat condamné pour meurtre d'une famille au "mas maudit" sur la colline de Carémau de Nîmes.
En août 1988 la citadelle reçoit Francis Vanverberghe dit Francis-le-Belge, parrain marseillais et acteur de la "french connexion". Après quelques mois il sera transféré à Lyon, puis à Marseille aux Baumettes. 



(Dortoir avec ses cages à poules)
Cette Centrale connaîtra des meurtres de gardiens, des évasions comme toute prison.
La Maison Centrale survivra jusqu’au 3 juin 1991. Délabrée, insalubre, surpeuplée, avec une mortalité importante de 10 %, les révoltes des détenus y sont nombreuses comme celle de 1974 qui incendie des locaux. A cette date, on y fabrique des cages à oiseaux, des brosses, des ballons, des chaussures. (Des cages à oiseaux : de l’humour ?!!) Les détenus travaillent en groupe la journée et sont placés à l’isolement en silence la nuit dans des dortoirs dénommés « cages à poules », c’est-à-dire des compartiments individuels à cloisonnement léger, clos d’une porte en bois percée d’un oculus grillagé.



Maison centrale de Nîmes : accès au bâtiment de détention / Henri MANUEL. – [S.l.] : [S.n.], 1932. ©henri Manuel / Fonds Manuel / ENAP – CRHCP

Lors de sa campagne électorale Jean Bousquet en 1982 lance l’idée d’une reconversion de la citadelle en université, devenant un lieu de savoir, et surtout de passation des savoirs. La maison centrale de Nîmes devait être fermée. C’était l’occasion d’amener une jeunesse et sa vitalité au centre-ville. Le fort c’était aussi trois hectares reliés à tous les moyens de communication.
Un temps dubitatifs le rectorat et l’université finissent par envisager le projet comme possible. La ville achète le fort au ministère de la justice en 1990 pour 2,3 millions d'euros. La maison centrale de Nîmes ferme ses portes le 3 juin 1991. Les détenus restant sont transférés sur Arles et Tarascon.
La Région est maîtresse d’ouvrage et organise un concours d’architecture en août 1991. On voit grand : logements étudiants, amélioration des transports en commun, Maison de l’Etudiant… Avec l’architecte des Bâtiments de France, on décide quelles parties seront conservées et celles qui pouvaient être détruites. Deux choix possibles, innovations contemporaines côtoyant le patrimoine historique ou un bâtiment neuf derrière le fort…. C'est l'architecte italien Andréa Bruno qui officie : des amphithéâtres dans les douves, le fort réaménagé... Coût de l'opération autour de 15,3 millions d'euros.


Première ouverture le 11 octobre 1995. Au site Vauban, secrétariat, bureau d’aide à l’information, insertion, relations internationales… des salles de cours et cinq amphithéâtres, cafétéria, bibliothèque avec derniers outils multimédia…. Le site des Carmes accueille plutôt le pôle scientifique entre autres.  Formations générales et professionnelles, lettres, sciences, langues, histoire, psychologie, droit, économie….. des licences professionnelles, apprentissage, alternance… Il n’est plus besoin de partir à Montpellier ou ailleurs !! Une très belle reconversion, pleine de philosophie.


Un autre jour, nous reparlerons de Nîmes et de ses fortifications avec celles de Rohan qui ont précédé la construction du fort Vauban.



(1950 La Maison Centrale de Détention )
Sources :  www.nemausensis.com/Nimes/Diaporama/Rempart/RempartsIgolen08.htm
M Igolen 1935 Les anciennes fortifications de Nîmes Mémoires de l’Académie 1933-34-35 – Anne Blanchard « Vauban » Ed Fayard 1996-Revue Techniques et Architecture n°449 Université colloque de Nîmes 20-21 janvier 1995 Ed 1997+ Plaquette Vauban L’Université au coeur de Nîmes Service Information Communication de la Ville de Nîmes (3è trimestre 1995—Société d’Histoire Moderne et Contemporaine de Nîmes Le Fort de Nîmes Line Teisseyre-Sallmann « Nîmes 8 mai 1687-30 mai 1687 Un chantier dans la ville ---Caue 30 avril 2010 (Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement du gard)  « La citadelle de Nîmes sous la Révolution et l’Empire : un lieu d’enfermement » par Anne-Marie Duport – p.71-84 – Le Fort de Nîmes, de la citadelle à l’université, Colloque de Nîmes 20-21 janvier 1995, Société d’Histoire Moderne et Contemporaine de Nîmes-- FAUCHERRE (N.), La route des fortifications en Méditerranée, Paris, 2007. www.sites-vauban.org/Nimes
-- « Images d’un établissement en devenir les débuts de la maison centrale de Nîmes » par Raymond Huard – p.87-98 –Métamorphoses d’une ville – Nîmes de la renaissance aux lumières de Line Teisseyre-Sallmann – Editions Champ Vallon p.246-253--« Le fort Vauban pendant la Seconde Guerre Mondiale » par Armand Cosson – p.105-119—photo Antony Maurin—Musée archéologique de Nimes-- Gazette de Nîmes n°961 2/8 novembre 2017----


jeudi 23 avril 2020

De l'intérêt du confinement


De l’intérêt du Confinement

J’ai l’impression ces derniers jours que nos « penseurs » sont en train de retourner la situation et que l’on privilégie l’économie à la vie. La Suède a fait ce choix, mais au prix d’un nombre de morts très important. Sommes-nous prêts à sacrifier les plus de 60ans-65ans ?
Depuis quelques jours, des rumeurs, des prises de position ici et là sous-entendent que le confinement n’était pas la solution, n’était pas utile, n’a pas permis une protection …. Avec seulement 5000 lits de réanimation trop vite remplis, le confinement a évité que nos soignants aient à choisir les malades qui pourraient en bénéficier, tri qui semble avoir eu lieu ailleurs où les handicapés et les personnes « à risque » en ont fait les frais. Ce jour (le 23 avril) nous avons encore quelques 5100 patients en réanimation, patients Covid, et 2400 autres patients en réanimation (accidents cardiaques, de la route, sorties d’opération,…etc). Nos soignants ont pu bricoler des lits de réanimation, ouvrir, convertir des secteurs hospitaliers en secteurs Covid. Cette épidémie a montré que nous avons besoin d'au moins du double de lits de réanimation sérieusement équipés.
Il faudra bien qu’on se demande un jour comment nous avons pu infliger cela à nos soignants, à nos familles. Comment avons-nous pu ces dernières 30 années négliger, sabrer  notre capacité hospitalière ? Est-ce qu’un hôpital a vocation à être rentable ?

 Nous avons besoin, la crise l’a démontrée, d’hôpitaux où on ne va pas chercher les tabliers de protection dans les abattoirs, où l’on n’utilise pas des sacs poubelles comme sur-blouse, où on n’est pas obligé de prendre les ventilateurs des vétérinaires, où une infirmière ne va pas enfiler 30 heures non-stop…… Nous avons besoin de production de matériel, de médicaments français sinon européens. La gestion de la pandémie dans les Ehpads a été d’une nullité difficilement comparable : comment va-t-on la justifier plus tard ? Nous avons eu droit à un florilège de contradictions dans l’appareil d’Etat, donnant l’impression que le navire prenait l’eau. Sommes-nous si bêtes que nous n’étions pas capables de comprendre que nous n’avions pas de stock de masques, de tests, de blouses, de manquer de tout ….
Il nous faut rappeler que les morts ne paient pas d’impôts, ne font plus marcher la croissance, et les précédentes pandémies ont montré que c’est des savoir-faire qui disparaissent avec eux. Que serait l’industrie du tourisme sans nos aînés qui parcourent le monde en dehors de l’été ? Il y a encore peu, on voulait nous faire travailler jusqu’à 70 ans, c’est bien la preuve que les plus de 65 ans ont encore une utilité !! Une population en bonne santé et bien suivie médicalement est une ressource économique. Nous aurons d’autres pandémies avec le dégel du permafrost dû au réchauffement climatique. C’est le moment de s’y préparer.

Il est probable que la crise passée, nous voudrons oublier. Mais les écrivains, les historiens se souviendront et nous serons tous comptables de tous ces morts, de toutes nos insuffisances, de tous nos choix malencontreux, de tous nos bricolages.

La pandémie aura démontré aussi que moins de pollution entraîne une meilleure qualité de vie. Le ciel de Pékin, de Paris et d’autres capitales enfin visible, sans son nuage de brouillard. Elle a aussi démontré dans la population solidarité, entraide, esprit d’équipe, perspicacité, initiative…. Elle a aussi démontré la réactivité de nos élus de terrain, maires, adjoints, et l’importance de la vie associative.
C’est le moment de relire les beaux poèmes d’Eluard comme celui-ci :

Que voulez-vous la porte était gardée,
Que voulez-vous nous étions enfermés,
Que voulez-vous la rue était barrée,
Que voulez-vous la ville était matée,
Que voulez-vous elle était affamée,
Que voulez-vous nous étions désarmés,
Que voulez-vous la nuit était tombée,
Que voulez-vous nous nous sommes aimés…. (1942 Poésie et Vérité)

Bon confinement !!

Un article pour réfléchir : 


·  24 avril 2020 A 14:21—Lyon-Capital www.lyoncapitale.fr/actualite/lyon-le-confinement-aurait-evite-9717-morts-en-auvergne-rhone-alpes/
·  par Justin Boche
"D'après cette étude de l'EHESP, le nombre d'hospitalisations, et notamment en réanimation, a aussi été considérablement réduit par la mise en place du confinement contre le coronavirus.
Selon une étude menée par des chercheurs de l'école de hautes études de santé publique le confinement aurait évité 9717 morts du coronavirus entre le 19 mars et le 19 avril en Auvergne-Rhône-Alpes. D'après cette étude qui chiffre l’impact du confinement sur un mois en termes d’hospitalisation, de lits de réanimation et de morts évitées, 61 739 morts ont été évitées en France durant ce mois. La région Auvergne-Rhône-Alpes est la 2e plus concernée derrière l'Ile-de-France (15 665 décès évités).
Par ailleurs sans confinement, le nombre d'hospitalisations aurait été aussi bien plus élevé. 86 450 ont été évitées en tout dans la région (8 190 au 19 avril en réalité) dont 19 560 dans les services de soins intensifs (1530 en réalité).

Dans le modèle de cette étude “en l’absence de confinement, le nombre de décès quotidien double tous les 4 à 5 jours à partir du 19 mars, et atteint 10 000 le 19 avril. L’étude montre qu’un mois de confinement aurait permis d’éviter jusqu’à 60 000 morts et que sans confinement, plus de 100 000 lits de réanimation auraient été nécessaires au 20 avril 2020”, écrivent les auteurs sur le site de l'EHESP"



mercredi 15 avril 2020

Madeleine Brès Première femme médecin


Madeleine Brès Première Femme Médecin au 19ème siècle


Madeleine (Magdeleine Alexandrine) est née le 25 novembre 1842 à Bouillargues dans le Gard, à l’époque une petite bourgade d’un peu plus de mille habitants. Son père Jean Gebelin est charron, maréchal-ferrant, mais il travaille souvent à l’hôpital de Nîmes, réparant, construisant des échelles, des brancards …. Madeleine l’accompagne et l’aide. Elle ne s’effraye pas des gémissements, des odeurs de sang, d’urine. Elle observe le travail des sœurs-infirmières. Petit à petit elle est prise en affection par le personnel soignant et elle va donner quelques soins chaperonnée par une religieuse. Elle donne des tisanes, du bouillon, soigne de petites blessures, confectionne des cataplasmes…
La famille part pour Paris, Madeleine a 12 ans. A 15ans elle est mariée à Adrien-Stéphane Brès conducteur d’omnibus en 1858. Trois enfants à élever. Mais le rêve de devenir médecin est toujours là. Un rêve fou, pour une petite méridionale sans instruction, sans diplôme..
A l’époque, pas vraiment d’interdiction légale pour une femme de devenir médecin, mais les mœurs faisaient que la question ne se posait même pas : selon  Désiré Dalloz, célèbre juriste, (1795-1869) « Bien que l'exercice de la médecine ne soit pas interdit aux femmes, la nature des études exigées pour être reçu à exercer cet art représente un obstacle moral à ce qu'elles puissent s'y livrer ».
Un obstacle juridique cependant, pour s’inscrire en faculté de médecine, il fallait le baccalauréat et pour les femmes mariées le consentement de leur époux pour se présenter à ce diplôme. Les femmes mariées n’avaient pas la majorité civile et dépendaient encore de leur maris. Ce diplôme sera accessible aux femmes en 1861. Julie-Victoire Daubié, institutrice dans les Vosges, est la première bachelière française à 37 ans. Un peu moins de 300 femmes obtiendront ce diplôme de 1861 à 1896.
Madeleine contacte en 1866 le doyen de la faculté de médecine de Paris Charles Wurtz pour s’inscrire ; celui-ci lui conseille de passer d’abord son baccalauréat en lettres et sciences. Elle l’obtient en 1869 en candidat libre après un travail acharné, le soir, quand sa maisonnée est couchée, à la lueur des bougies. Charles Wurtz sera un des  72 savants dont le nom est inscrit sur la Tour Eiffel. Un progressiste, connu pour des ouvrages sur la chimie médicale.
En 1869, lors d’un conseil des ministres présidé par l’impératrice Eugénie, se référant à la loi du 19 ventôse an XI proclamant la liberté du travail, les femmes sont admises à s’inscrire en médecine. Le doyen Wurtz, le ministre de l’Instruction Publique Victor Duruy sont favorables à une certaine émancipation féminine. Madeleine Brès est enfin inscrite avec trois autres femmes, l’américaine Mary Putman, la russe Catherine Gontcharoff, la britannique Elizabeth Garrett. Toutes ont acquis, soit le baccalauréat, soit un diplôme équivalent.
Madeleine à 26 ans, trois enfants et son mari donne son consentement en la mairie du 5ème arrondissement de Paris.
Le ressenti de la communauté universitaire et médicale est glacial. Le docteur Henri Montanier écrit en 1868 dans la Gazette des hôpitaux (n°42 p34-35) :
 « pour faire une femme médecin, il faut lui faire perdre la sensibilité, la timidité, la pudeur, l'endurcir par la vue des choses les plus horribles et les plus effrayantes (...) Lorsque la femme en serait arrivée là, je me le demande, que resterait-il de la femme ? Un être qui ne serait plus ni une jeune fille, ni une femme, ni une épouse, ni une mère ! »..

Richelot, G. dans son livre « La femme-médecin », écrit : « Pour être médecin il faut avoir une intelligence ouverte et prompte, une instruction solide et variée, un caractère sérieux et ferme, un grand sang froid, un mélange de bonté et d'énergie, un empire complet sur toutes ses sensations, une vigueur morale, et au besoin, une force musculaire. (…) Ne sont-elles pas au contraire de la nature féminine."
Elève stagiaire d’abord dans le service du professeur Broca de l’hôpital de la pitié, puis « interne provisoire » de septembre 1870 à 1871. Ce dernier poste obtenu du fait du départ de nombreux médecins au front de la guerre  franco-allemande de 1870. Elle demeure à son poste durant le siège de Paris et sous la Commune ; on admire et admet son zèle et son dévouement. Gérer l’urgence, les nombreux blessées, un redoutable baptême du feu qui démontre son sang-froid, ses capacités.
Ses collègues médecins et l’administration hospitalière sont élogieux à son égard. . Le professeur Broca écrit : « Madame Brès, sur ma proposition, fut désignée comme interne provisoire. En cette qualité, pendant les deux sièges de Paris, et jusqu'au mois de juillet 1871, elle a fait son service avec une exactitude que n'a pas interrompu le bombardement de l'hôpital. Son service a toujours été bien fait et sa tenue irréprochable ». "Par son ardeur au travail, par son zèle dans le service hospitalier, nous nous plaisons à reconnaître que Mme Brès a, par sa tenue parfaite, justifié l'ouverture de nos cours aux élèves du sexe féminin et obtenu le respect de tous les étudiants avec lesquels elle s'est trouvée forcément en rapport." Jules Gavarret, Constant Sappey, Paul Lorain, et Charles Adolphe Wurtz font également son éloge dans un rapport commun.
Elle souhaite se présenter au concours de l’Externat d’octobre 1871. Mais malgré l’appui du professeur Broca, le directeur des hôpitaux de l’Assistance Publique le lui refuse : « S'il ne s'était agi que de vous personnellement, je crois pouvoir vous dire que l'autorisation eut été probablement accordée. Mais le Conseil a compris qu'il ne pouvait ainsi restreindre la question et l'examinant en thèse générale dans son application et ses conséquences d'avenir, le Conseil a eu le regret de ne pouvoir autoriser l'innovation que notre Administration aurait consacrée ». Cette décision déclenche une très violente campagne de presse et une quasi émeute le jour du concours...

(Charles Wurtz) 
Les pétitions qui suivront aboutiront à l'Arrêté préfectoral du 17 janvier 1882 : "Les femmes sont admises à prendre part au concours de l'externat sous la réserve formelle qu'elles ne pourront, en aucun cas, se prévaloir de leur titre d'élèves externes pour concourir à l'internat". Puis l'Arrêté préfectoral du 31 juillet 1885 : "Les élèves externes femmes qui rempliront les conditions déterminées par le règlement sur le service de santé seront admises à prendre part au concours de l'internat. Les internes femmes seront soumises à toutes les règles d'ordre intérieur et de discipline qui concernent les internes hommes".

En fait, les étudiantes en médecine devront attendre 1882 pour se présenter au concours d’externat avec Blanche Edwards-Pillet (1848-1941) première femme française externe des hôpitaux. Le concours d’internat sera ouvert aux femmes en 1886 et la première française interne titulaire sera Marthe Francillon-Lobre (1873-1956) reçue en 1900. Les « internes en chignon » sont malmenées par les autres étudiants : places isolées et regroupées dans les amphithéâtres de la faculté, bombardées de projectiles, insultées… Elles doivent attendre dans le vestiaire le professeur pour entrer dans l’hémicycle souvent sous les huées !!
Madeleine Brès parallèlement à ses études de médecine, passe quatre ans au Muséum d’Histoire Naturelle avec Edmond Frémy (1814-1894) et trois ans dans le laboratoire de Charles Adolphe Wurtz. Elle prépare une thèse de recherche qui sera soutenue le 3 juin 1875 : « De la Mamelle et de l’Allaitement ». Elle y démontre que la composition chimique du lait maternel se modifie pour correspondre aux besoins du développement du bébé.
Thèse qui obtient la mention « extrêmement bien » et qui est remarquée en France ainsi qu’à l’étranger. Elle devient la première Française docteur en médecine. La Britannique Elizabeth Garrett Anderson l’a devancée de cinq ans.
Elle est veuve avec ses trois enfants à charge. Elle installe son cabinet médical en ville rue Boissy-d’Anglas à Paris. Elle a très vite une riche clientèle bourgeoise. Elle fait de sa natte de cheveux enroulée autour de la tête « par pure commodité, afin de pouvoir ausculter les malades » une sorte de signature. Elle va se spécialiser dans tout ce qui touche la relation entre la mère et le bébé, l’hygiène des jeunes enfants. A la demande du préfet de la Seine, elle anime des causeries-conférences en direction des différents personnels des crèches, garderies, et écoles maternelle des vingt arrondissements de Paris. La mortalité infantile ainsi que cette des jeunes mères est importante en ville comme dans les campagnes où encore souvent, des « matrones » sans diplôme, et avec leurs seules expériences,  officiaient auprès des accouchées. Madeleine pendant cinquante ans va essayer de mettre en place une médecine préventive auprès des femmes enceintes et auprès des jeunes mamans. Elle écrit plusieurs livres et dirige un journal « Hygiène de la femme et de l’enfants ».
En 1885 elle fonde avec son propre argent une crèche 83 rue Nollet dans le quartier des Batignolles ; les enfants jusqu’à l’âge de 3 ans y sont soignés et gardés gratuitement. Cette crèche pilote sera visitée le 28 mai 1893 par Théophile Roussel, sénateur et auteur d’une loi sur la protection de l’enfance et par Marie-Louise Loubet.
En 1891 le ministre de l’Intérieur la missionne pour une étude de l’organisation et le fonctionnement des crèches et des asiles suisses.
Plusieurs distinctions ponctuent son travail : officier d’académie en 1875, officier de l’Instruction Publique en 1885, plusieurs fois médaillée de la faculté de médecine de Paris….  
Elle sera oubliée, mais un élan est donné. Elle décède en 1921 à 79 ans, à Paris dans le quartier de Montrouge presque aveugle et dans la pauvreté. Depuis quelques années, des crèches, des relais assistantes-maternelles, des écoles maternelles portent son nom à Bouillargues et Montpellier mais aussi dans d’autres départements. Quelques rues aussi…. Elle aimait à s’intituler la « Doyenne des Femmes-Médecins de France »
Ses publications : De la mamelle et de l'allaitement, E. Martinet, 1875 (lire en ligne Thèse pour le doctorat en médecine présentée et soutenue le jeudi 3 juin 1875--- 'Allaitement artificiel et le biberon, Paris, G. Masson, 1877, 77 p disponible sur Gallica.--- Analyse du lait des femmes galibies, 1882. (Il s'agit de femmes caraïbes alors exhibition au  Jardin d’Acclimatation)---Mamans et bébés, 1899.


www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/bres_mad.htm



Sources : Jean-Louis  Debré  Les oubliés de la République  édit Fayard 2008---www.sciencesetavenir.fr/high-tech/web/qui-etait-madeleine-bres-mise-a-l-honneur-sur-google_139249--Hubert Delobette  Femmes d’Exception en Languedoc-Roussillon  édit Le Papillon Rouge 2010-Ibsn 978-2-917875-13-1----- "Figures, personnages et personnalités d'Occitane", les Nîmois Catherine Bernié-Boissard et Michel Boissard---www.medarus.org/Medecins/MedecinsTextes/bres_mad.htm--- Mme Sorrel-Dejerine, « Centenaire de la naissance de Melle Klumph », Association des femmes médecins, 1959, n°8, p. 14---- Richelot, G. La femme-médecin, Paris : E. Dentu, 1875, p.43 et suiv.--- /www.legeneraliste.fr/actualites/article/2014/11/25/naissance-de-madeleine-bres_255456

 https://data.bnf.fr/fr/10521235/madeleine_bres/---wikipedia--- Midi libre-www.midilibre.fr/2019/11/25/gard-la-bouillarguaise-madeleine-bres-a-lhonneur-sur-google,8562002.php









mardi 7 avril 2020

De la fragilité de nos certitudes


De la fragilité de nos certitudes :

En ce moment de pandémie, les informations, les sujétions vont et viennent. Des « sachants » de tous les bords, politiques, scientifiques, économistes ont tous une opinion bien établie, jusqu’à leur prochaine contradiction. Masque ou pas masque, confinement ou non, tests, vaccins…. En ce qui concerne les contradictions de nos politiques, il ne s’agit, parait-il, pas d’un revirement mais d’une évolution !!!
Tout cela donne une impression de fragilité de la pensée humaine. Le nombre d’experts est phénoménal sur notre petit écran, dans nos journaux. Besoin de s’affirmer, de contredire le confrère, besoin de se rassurer ou de rassurer, peur des réactions de la population, besoin de cacher une incapacité à faire face ? L’avenir nous le dira.
Une pensée pour nos soignants qui ne ménagent pas leur peine et une question, comment peut-on penser vacances, week-end quand d’autres sont en train de nous sauver, de travailler pour nous ? Egoïsme, refus de voir, individualisme ? Une photo devrait nous avoir tous marqué : des soignants portant sur leurs dos une civière avec un malade et ses appareillages pour l’installer dans un train.

(Médecin durant une épidémie de peste à Rome au XVIIe siècle (gravure de Paul Fürst, 1656—wiipedia.org)
Quand on se replonge dans notre Histoire, nous avons maintes fois vécu ce scénario. Les pandémies, variole, peste, choléra, typhus, tuberculose…, sont fréquentes tout au long de notre parcours. Elles se sont souvent invitées dans les politiques des pays, modifiant le cours des choses, remettant tout en question. Elles mettent à mal la succession de Louis XIV chez nous, de Henri VIII d’Angleterre…
A chacune de ces épidémies, des experts voient leurs certitudes bafouées, comme si la maladie prenait un malin plaisir à nous rabaisser le caquet. En 1720 Le premier médecin du roi Louis XV, le montpelliérain Pierre Chirac soutenait que la peste n’était pas contagieuse ! Et pourtant les faits étaient têtus…
Le 25 mai 1720 un navire le Grand Saint-Antoine accoste à Marseille. Il vient de Syrie et la peste est à bord. Il est mis en quarantaine mais les marchandises sont frauduleusement débarquées, des ballots de coton en particulier. Argent et prudence ne font jamais bon ménage ! Puces et rats se cachent dans les ballots. On connait dans notre Occitanie cette maladie au moins depuis 1287 nous dit « le journal » le Petit Thalamus de Montpellier. Elle ne nous lâche pratiquement pas, tous les dix ans, parfois moins. Notre Languedoc est un carrefour où marchands, étudiants, pèlerins, soldats se côtoient et donc se contaminent. Mais les épidémies de peste foudroyantes ont traversé l’Antiquité, des pharaons, aux empires romains, jusqu’au 13ème siècle en Europe, pour nous accompagner jusqu’au 20ème siècle. A Paris l’avant-dernière peste  en 1920 est appelée « la peste des chiffonniers » ; elle s’était déclarée dans le quartier des « Puces » de Saint-Ouen.
Mais Saint-Louis ou Louis IX ne serait pas mort de la peste comme on nous l’a appris dans notre jeunesse, mais plutôt du scorbut ou et de bilharziose.
Cette année de 1720, la moitié de la population de Marseille va mourir. Les villes, les provinces, Avignon, Alès, le Gévaudan et la Provence seront infectées. Un cordon sanitaire rigoureux va protéger Montpellier. Un blocus du Gévaudan avec 20 bataillons aux frontières des Cévennes, du Vivarais et du Velay. Mais les soldats vont amener la maladie avec eux. L’industrie lainière est soutenue grâce à des fonds pour l’approvisionnement et les soins. Les habitants sont exemptés de l’impôt de la taille et de la capitation. Le sel est gratuit. On impose « le baraquement » c’est-à-dire le confinement dans des huttes à l’extérieur aux villages de la Canourge et de Marvejols…. Des médecins de Montpellier vont aider leurs confrères du Gévaudan, comme Peyraud Puybornan qui sera contaminé, Samuel Blanquet…
Pierre Chirac envoie à Marseille une mission de médecins dont son gendre François Chicoyneau chancelier de l’université de Montpellier et Antoine Deidier professeur dans cette université. Cette mission va faire des miracles pendant un an, soignant des milliers de malades. Mais la transmission de la maladie fait débat : pour les uns dont Chirac et son gendre elle n’est pas contagieuse, pour d’autres comme Deidier elle se transmet par inoculation. Il a vu des médecins blessés en mourir, donc pour lui cela ne fait pas doute. Un troisième praticien Jean Astruc soutient que cette maladie se transmet par propagation des « miasmes » dans l’air. Les postillons pour la peste pulmonaire, et par inoculation pour la peste bubonique. Nous savons maintenant qui avait raison.
De tout temps les épidémies seront l’occasion de persécutions des juifs, des "sorcières", des « malformés », de tout ce qui ne semblait pas dans la norme. Les potiers de Bordeaux seront accusés de transmettre la peste en 1605.. Les étrangers sont particulièrement soupçonnés de transmettre les maladies, qu'ils viennent de loin ou de quelques kilomètres. De tout temps aussi nous voyons des personnes fuir les lieux d’infection, souvent des nantis qui ont des biens ou de la famille à la campagne. Et la maladie galope, s’étale…
Ce sera aussi l'occasion d'une piété redoublée encadrée par le clergé. Les processions avec ses flagellants se multipliaient pour implorer la clémence divine ou des saints. Ces épidémies étaient pour la population une malédiction, une punition envoyées périodiquement par le "Très Haut", ce qui ne va pas aider à imposer au 19ème siècle une éventuelle vaccination. Une chronique du 14ème siècle nous raconte qu’à Montpellier un cierge hors normes a été inventé. Une mèche aussi longue que les murailles de la ville a pu brûler pendant trois ans ! Les apothicaires parfumeurs de Montpellier seront mis à contribution pour produire herbes, effluves, pâte antipoison contre la maladie. C’est aussi la période où les charlatans, les gourous font des affaires.
Elles étaient souvent la suite de guerre, d'une famine, quand la population était déplacée, affaiblie par les privations, et les infections. Actuellement nous pouvons nous demander quel est l’impact  sur notre santé des diverses pollutions que notre société engendre.
On connaît l’épidémie de 1597 d’Uzès grâce en partie au récit de voyage de Thomas Platter et aux billets de laissez-passer qu’on délivre. Les gardes de Montpellier, ville fermée aux voyageurs, examinent les billets passés sous la porte du rempart et laissent les voyageurs à l’extérieur en attendant que les consuls de la ville décident de les accepter ou non dans la ville. « Nous fûmes contraints de faire le pied de grue hors des murs, toute la journée, les auberges refusaient de nous recevoir, elles ne daignaient même pas de prendre nos bagages en consigne : nous les avons donc laissés en vrac sur la grand-route à la garde de notre laquais ; il ne nous restait plus qu’à tuer le temps dans un jeu de paume ». Le consul qui les délivre leur apprend qu’"à Marseille et à Aix ça mourait dur ».
La quarantaine pour les personnes était de 40 jours, un peu moins pour les marchandises. En septembre 1598 la peste n’est toujours pas à Uzès, grâce certainement aux précautions très sévères prises par les autorités.
Les marchandises suspectées de transporter la maladie puisqu'elles ont voyagé, ne rentrent plus dans la ville, elles sont entreposées dans des granges, des mas à l'extérieur sous bonne garde En s'appuyant sur des ordonnances royales ou celles de l'intendant du Languedoc, "Nous ordonnons, somment les consuls que les pièces d'étoffes de quelque qualité qu'elles soient, caddies, bas de laine, soie...doivent être déballées, tirées des caisses, mises à l'air dans les chambres ou greniers, retournées tous les dix jours. » Un consul ou un commissaire des Bureaux de la Santé ira contrôler chaque jour le lieu de quarantaine. Les contrevenants verront la quarantaine prolongée et seront sous le coup d'une amende. Toutes les marchandises doivent être déclarées sous peine de confiscation. A la fin de la quarantaine, 20 à 30 jours selon, un certificat de santé sera délivré pour les marchandises qui seront autorisées à partir après avoir réglé les frais de garde et de transport au lieu de quarantaine. Un soldat de quarantaine touchait la somme rondelette de 25 livres.



Les étrangers ne peuvent entrer, les marchands vendre, les aubergistes et hôtes loger. L'épidémie est à Lyon, Montélimar, Bagnols. On fuit les villes, mais on ne fait que précéder le fléau, ou bien on l'amène avec ses chaussures. Les billets de santé sont obligatoires pour entrer en ville. Mais ils sont délivrés un peu facilement à ceux qui partent, surtout s'ils sont étrangers à la ville, toujours suspects. On ne les pousse pas dehors, mais il y a un peu de cela...
A chaque épidémie, notre village Vallabrix est coupé du monde : les chemins de St Quentin-Uzès, de Bagnols à St Quentin, de La Capelle sont fermés, gardés par des soldats. Il faut vivre en autarcie sur ses réserves. Des familles partent dans les bois avec vaches, cochons, couvées. On a peur de la promiscuité, du mauvais œil qui plane sur son voisin. Des « bonnes femmes » procurent des simples, herbes-remèdes qui, si elles ne guérissent pas, au moins apportent un peu de réconfort et d'espoir.

A Vallabrix, des balles de draps et autres marchandises ont été engrangées en quarantaine à l’entrée du village dans le Mas Brun appartenant à une veuve Cabrol habitant Uzès. Une nuit, le garde a été assommé et des balles ont été volées, peut-être par leurs propriétaires, leur évitant ainsi de payer la quarantaine de leurs marchandises. La rumeur a vu leurs charrettes partir vers La Capelle.  Par son de trompe, on prévient la population de ne pas abriter les voleurs et les marchandises qui sont peut-être contagieuses sous peine de prison et de confiscation des biens !!
La peste reviendra souvent dans notre région. En 1629, la ville d'Uzès fait provision de blé et envisage d'engager 20 soldats. On ira plus tard jusqu'à 50 soldats payés. Les maisons vidées des pestiférés attirent les pillards. Les consuls achètent des piques et des mousquets pour la garde. Sont nommés quatre "corbeaux", c'est à dire des personnes qui seront chargées d'aller chercher les morts la nuit et de les enterrer. On les appelle aussi "carabins" ou escarrabins" mot qui plus tard désignera les étudiants en médecine. Ils reçoivent un habit de treillis et 12 livres par cadavre, somme importante correspondante à un loyer annuel d'appartement. Ils seront enfermés le jour sous la chapelle Notre Dame. A Montpellier on réquisitionne de prisonniers de droit commun appelés aussi « corbeaux ». On pend tout semeur de peste ; même régime pour celui qui en profite pour se remplir les poches. Les prêtres sont un temps autorisés à donner l’hostie au bout d’une pince métallique.
Un quartier des pestiférés à Uzès est créé du côté de St Ferréol, on se méfie des pauvres qui seront réunis dans une maison à l'écart pendant la durée de l'épidémie. Les portes cochères de leurs maisons seront murées. Théoriquement la ville assure leur ravitaillement. On soupçonne son voisin, celui qui est différent...Les apothicaires sont partis ou enfermés dans leurs maisons sauf un. On doit en engager un d'Avignon. Deux chirurgiens de Laudun et un médecin de Cabriac viennent en renfort contre salaire.
L’épidémie passée, ceux qui ont fui à la campagne peuvent revenir. Un par un ils sont conduits aux étuves, baignés, étrillés et parfumés pendant quatre jours. Ils reprendront leur vie passée après ce traitement.
La peste sera encore chez nous en 1640. Les bouchers d'Uzès protestent. Tout est devenu difficile : le bétail est plus cher, on ne peut le faire venir d'ailleurs. Ils ont dû augmenter le salaire de leurs salariés peu nombreux, les enfants qui leur restent ne pourront pas les aider et même reprendre la boutique. Ils ont débité 8 à 900 moutons au lieu des 2000 habituellement...(arch dép du Gard). A Vallabrix les troupeaux de bêtes à laine (moutons) ne se vendent pas, grossissent au point de mettre en danger les pâturages, les blés et les bois. Les jasses ou bergeries ne sont pas assez grandes, les bêtes restent dehors à la merci des chiens vagabonds et des voleurs. Ce doit être le cas un peu partout car le prix de la laine après l’épidémie va chuter du fait de la quantité, certainement aussi du fait de la baisse du nombre des marchands et des artisans utilisateurs de ce matériau.
En 1649, le fléau est dans l'Uzège. Mais les mesures de sauvegarde sont mises en place. Pierre Raffin dans son Livre de Raison nous raconte qu'en septembre pour ses vendanges, il se voit refuser l'entrée de Castillon, pour cause de "bruit du mal contagieux".
En 1664, tout commerce entre Provence et Languedoc est interdit pendant quinze jours en raison de l'épidémie de Toulon et d'Aix. Le Rhône sert de frontière.

.... A chaque épidémie, le temps s'arrête : l'argent ne rentre plus mais file à toute vitesse, on se calfeutre chez soi, on fait le dos rond, on attend en priant !!

Le costume protecteur des médecins est conçu en 1619 par Charles de Lorme premier médecin du roi Louis XIII. « le nez long d'un demi pied (16 cm) en forme de bec, rempli de parfums, n'a que deux trous, un de chaque côté à l'endroit des ouvertures du nez naturel ; mais cela peut suffire pour la respiration et pour porter avec l'air qu'on respire l'impression des herbes renfermées plus avant le bec. Sous le manteau, on porte des bottines, faites de maroquin (cuir de bouc et de chèvre) du levant, des culottes de peau unie qui s'attachent aux dites bottines et une chemisette de peau unie, dont on renferme le bas dans les culottes, le chapeau et les gants sont aussi de même peau… des bésicles sur les yeux ». Le cuir et la toile cirée protègent des puces bien qu’à cette époque on ne connaisse pas encore le rôle exact de ces insectes dans la pandémie. Toute l’Europe va utiliser ce modèle. Dans le nez en forme de bec et sur tout le costume, des parfums, des épices, des herbes imprègnent des éponges. (thym, matières balsamiques, ambre, mélisse, camphre, clous de girofle, laudanum, myrrhe, pétales de rose, styrax, vinaigre des quatre voleurs). Une baguette en bois sert à toucher, examiner les malades tout en les tenant à distance. On savait déjà que le masque était utile !!



(Vue de l’Hôtel de ville de Marseille pendant la peste de 1720 –huile sur toile 1721 Michel Serres-musée des Beaux-arts de Marseille BA52 –travail perso Rvalette)

En 2020 nous employons encore les méthodes des anciens : confinement, distance, désinfection…..mais avec moins de contrainte !



Attestation de déplacement 1722- archives municipales d’Uzès.

Sources : - wikipédia.org—couradou sept 2013fonds historique Vallabrix-- : archives communales de Vallabrix, municipales d'Uzès, de StQuentin, de Pont St Esprit -  Archives départementales du Gard-Pont St Esprit GG  - Jean-Noël Biraben Les Hommes et la Peste en France  T1-2 Paris Mouton La Haye 1975 - La Peste Fléau Majeur  Medica Histoire de la Santé BIU Santé Paris  - Société Historique de l'Uzège déc 97 n° 22  - Ménard Histoire de Nîmes Edit Lacour 1989 - - Le Livre de Raison Pierre Raffin arch Uzès - Pierre Darmon La longue traque de la variole, Paris Perrin 1986 - Pierre Darmon, La variole, les nobles et les princes Ed Complexe 1989 - Emmanuel Le Roy Ladurie  Le voyage de Thomas Platter II 1595-1599 edit Fayard - Comptes-rendus de l'Académie Royale des Sciences  Edit Bachelier Gauthier-Villars Paris BNF