jeudi 20 octobre 2022

De la Longue à la Pétanque

 

Concours de boules « l’Eclaireur de Nice » août 1899 –La Vie au Grand Air 13 août 1899p575--


De la Longue à la Pétanque

L’automne est là et les terrains de boules vont connaitre un certain calme avec le départ des touristes de nos villages. Seuls les « boulistes » du secteur, des associations villageoises se rencontreront sur le terrain. La geste bouliste reprend son accent, elle existe par la verve qu’elle véhicule, par tout un jeu linguistique. Discussions, palabres et mimiques entre joueurs d'une même équipe font partie du spectacle.

On plombe, on raspaille, on tchique et on est Fanny !!. « Se prendre une Fanny », « mettre une Fanny » : quand une des deux équipes n’a pas marqué un point de la partie. Dans son livre « Le temps des amours » Marcel Pagnol rappelle un usage aujourd’hui un peu près oublié : « un tableau d’un mètre carré qui représentait un derrière, rien d’autre. Ni jambes, ni dos, ni mains, rien qu’un gros derrière pour s’asseoir… les vaincus s’agenouillèrent faisant toujours semblant de rire… le chef d’équipe modestement déposa un timide baiser sur ces fesses rebondies… ». Souvent Fanny est une femme, le sexisme théoriquement pour consoler le perdant !!!


Quel village de chez nous n’a pas son aire de jeu, parfois bordée de platanes, un sol dur délimité par des planches, des traverses de chemins de fer, des poutres de récupération.


 

source: ancientolympics.arts.kuleuven.be-peinture sur vase- femme qui jongle

Sport, loisir, en famille ou entre amis… A l’origine étaient la boule et les « bouleux », avec des quilles, des arceaux, des trous, des boules en métal, en plastique, carrées, en bois, à trous…. Pourquoi cet intérêt de l’être humain pour les boules : peut-être simplement parce qu’elles roulent et que l’on peut inventer toutes sortes de jeux avec.

Il semble que les Grecs de l’antiquité avaient des jeux de boules. Au 6ème siècle avant notre ère, ils jouaient à des jeux de lancement de pièces, puis de pierres plates, et enfin de boules de pierre. Il  s’agissait de lancer le plus loin possible. Les Romains puis les Gaulois (ou l’inverse) vont en faire des jeux d’adresse dont le but était de viser. Les boules en bois vont suivre.

Les archives nous en parlent chez nous dès le Moyen-Age jusqu’à l’époque de Louis XIV. On jouait dans toutes les sphères sociales, Grands de France, rois et reines, et petit peuple quand il en avait le temps.  On ne sait pas très bien pourquoi le jeu de boules est interdit au peuple en 1629, Mais cette interdiction est peu suivie et rapidement levée. Au 18ème siècle, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert mentionne ce jeu. La Révolution Française en abolissant les privilèges de la noblesse légalise la pratique du jeu pour tous.

Le jeu de boules ancêtre de celui que nous connaissons renait avec la deuxième République (1848) et surtout la seconde moitié du 19ème siècle. Probablement à Lyon avec la création de la première société officielle « Le Clos Jouve ». Mais les pratiques locales font varier les règles. Un engouement plutôt dans le Sud. Mais pourtant en 1904 Félix Rofritsch fabricant de boules en Alsace vient s’installer à Marseille, ce qui pourrait laisser entendre que le jeu était implanté dans le Sud mais aussi ailleurs (au moins en Alsace).

Les règles s’uniformisent. Mais on est encore dans le jeu de « La Longue » ou appelée aussi La Provençale ou la Lyonnaise. Le joueur devait faire trois pas avant de lancer la boule. Mais en 1907 à la Ciotat près de Marseille, cette règle est adaptée pour que Jules Hugues dit Le Noir, un vieil homme qui souffrait de rhumatismes puisse continuer à jouer : le lanceur devait rester sur place dans un cercle tracé autour de lui, les pieds tanqués. La pétanque était née. Prononcez « lou pé tanco ». La scène se déroulait devant le café La Boule Etoilée, appartenant aux frères Pitiot, peut-être que c’est Ernest Pitiot qui comprit le premier l’intérêt de cette nouvelle règle.

 C’est un jeu collectif qui rassemble jeunes et vieux. Il s’agit d’approcher par un tir des boules le plus près possible d’un objet donné, généralement une boule plus petite à quelques mètres des joueurs. Très populaire en France, Italie, Croatie, Belgique et dans certaines anciennes colonies françaises (Laos, Thaïlande, Vietnam, Cambodge, Inde…). Aussi en Allemagne, Suisse, Espagne, USA, Canada,  pays du Commonwealth… La pétanque a pour but de marquer des points en ayant ses boules plus près du but que son adversaire. Habilité, précision, convivialité, mais aussi esprit stratégique… C’est aussi tout un langage obscur pour les non-initiés !!

Premier concours officiel à La Ciotat en 1910. En 1958 la Fédération Internationale de Pétanque et jeu Provençal est née et en 1959 elle organise le premier championnat du Monde de Pétanque. En France c’est le onzième sport par son nombre de licenciés.

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  Sources et pour en savoir plus : La GazetteMag juillet 2009 Philippe Motat--babilesshemelrijk.blogspot.com/2021/07/boule-de-petanque-dessin-boule-1.html.—Marcel Pagnol Le Temps des Amours édit Julliard 1977—wikipédia.org--- Pierre Fieux, Dictionnaire de la pétanque, Les Presses du Midi, 2019, 435 p., (ISBN 9782812710650)-- Jean-Michel Izoird, Gérard Pélisson-Lafay, La pétanque. Une histoire, un sport, un loisir, une passion, Edi Loire, 1996.-- conseilsport.decathlon.fr/petanque-les-regles-du-jeu-pour...--- www.ffpjp.org--

 

 

mardi 4 octobre 2022

Soldats"volontaires"de Poutine et Louis XIV

 



Notre fontaine et ses abreuvoirs-photo collection privée.

 

Soldats « volontaires » de Poutine ou de Louis XIV

En Russie en ce moment, des policiers prennent des hommes dans les trains, dans les bus pour en faire des soldats « volontaires ». Rien de nouveau, sous le règne de Louis XIV, nous avions fait la même chose : les hommes étaient réquisitionnés dans les villages, les cafés, les marchés en dépit de toute règle.

Un épisode que notre village a vécu. Une émeute à Vallabrix

 En 1676, Louis XIV, comme ce sera souvent le cas, a besoin de nouveaux soldats. Pour lui la guerre est le meilleur moyen d’augmenter sa gloire. C’est la vocation naturelle de tout roi. Il va prendre un soin tout particulier de son armée, la réformant, la réorganisant.

 Les paysans étaient renommés pour leur endurance à la marche et à la douleur. Par ailleurs ils n’avaient pas de parent bien placé qui leur éviterait l’enrôlement. Il était facile de leur faire signer leur engagement du fait de leur quasi illettrisme, et souvent ils avaient bien besoin des quelques sous que leur donnait le sergent recruteur. C’étaient donc des proies toutes trouvées.

 

Mais sur le terrain, les choses ne seront pas toujours aussi évidentes.

A Vallabrix, ce jour de juin, vers la fontaine du village, près du lavoir, un groupe de femmes vociférant, armées de bâtons, de cruches, de battoirs de lavandières, toutes griffes dehors, se ruent sur les quatre recruteurs qui voulaient à toutes forces entraîner un laboureur Etienne Vidal. Le tambour avait sonné, les jeunes hommes s’étaient vraisemblablement cachés. Mais Etienne était un peu porté sur le bouteillon et les soldats n’avaient pas eu de peine à lui glisser subrepticement dans une poche les cinq livres de l’enrôlement. Ils n’entendaient pas reculer : les dés étaient jetés, ils le tenaient par les bras, le soulevant de terre, et essaient de l’entrainer vers les chevaux.   

Les femmes très vite interviennent, « telles des sorcières échevelées », attaquent les soldats, leur coupent la route, les séparent, les entourent. Les chapeaux volent, à quelques pas les chevaux piaffent, se cabrent, malgré le soldat qui les tient.  

 Le rapport du sergent recruteur indique la présence de plus de cinquante femmes (sic ! le chiffre est certainement très exagéré étant donné le nombre de familles de l’époque), hurlant, tapant, tournoyant autour des soldats qui ne savent plus à quel saint se vouer. Etienne à quatre pattes sort de la mêlée suivi d’un cochon qui se trouvait là malgré lui. Quelques moutons venus s’abreuver à la fontaine s’affolent et coupent le chemin, ajoutent au désordre, («malignement» dit le rapport). Il faut dire que la place de la fontaine était très animée à cette époque de l’année. Les soldats glissent dans la boue, s’étalent de tout leur long sous les quolibets des spectateurs. Ils menacent de revenir, mais pour l’heure, s’enfuient vers leurs chevaux. Les nez saignent, on boite bas, les dos se voûtent sous les derniers coups, les uniformes ont subi divers outrages de nos furies. Le village suivant fera certainement les frais de leur déconvenue, mais Etienne de Vallabrix n’est pas parti à la guerre. L’averse a été rude, un des soldats a, semble-t-il, dû avoir recours à un rebouteur. Le rapport du sergent recruteur est de 1678, deux ans après les faits. Pourquoi ? Erreurs de transcription de date ou y a-t-il eu des suites judiciaires ? Nous n’avons rien trouvé à ce jour en ce sens.

 Uzès avait vécu la même chose en février. Un médecin anglais John Locke de passage dans notre région, nous le raconte dans son Carnet de Voyage de 1676. Remoulins, Sernhac, Castelnau, Bezouce virent aussi leurs femmes intervenir violemment lors de recrutements. Dom Vaissette dans son Histoire du Languedoc (1874-1905), Jean Baumel dans son livre « Montpellier au cours du XVI et XVIIème siècle » (1969) nous rapportent des faits semblables. Le premier écrit : « On reprochait à beaucoup d’officiers recruteurs d’enlever des hommes dans les rues, de les mettre en prison, de les séquestrer et de les pousser à la frontière comme des forçats ». L’intendant d’Aguesseau en 1677 devra intervenir pour sortir des pères de famille recrutés de force alors qu’ils se rendaient au marché.

Parfois le sergent recruteur enivrait des hommes, leur glissait dans la poche les cinq louis d’or offerts à celui qui s’enrôlait, ou plus simplement demandait de boire à la santé du roi, ce qui était difficile de refuser sous peine de prison pour lèse-majesté et celui qui acceptait se retrouvait soldat. Les jours de marché étaient fatidiques pour nombreux paysans. Théoriquement les hommes mariés ne devaient pas être enrôlés.

 Les désertions étaient très nombreuses. Louvois, le ministre des armées de Louis XIV pendant la guerre de Hollande va compter plus de deux mille déserteurs. Des mercenaires étrangers seront engagés, environ 40 000 en 1672, soit le tiers des effectifs de l’armée française de l’époque. Le nombre total de soldats va passer de 72 000 hommes en 1667 à 120 000 en 1672 et 360 000 en 1710 dont 300 000 français. La France à cette époque comptait un peu moins de vingt cinq millions d’habitants. On comprend pourquoi les évêques, les consuls se plaignaient dans les campagnes du manque de bras pour récolter le blé, labourer, cultiver.

 Ces épisodes nous montrent que le pays n’était pas aussi calme que l’on pouvait le penser. Mévente du blé, du vin, de l’huile du Languedoc jusqu’en 1690, impôts qui augmentent, de la part des pays en guerre constitution de stocks d’intendance qui sortent du marché les produits de première nécessité….Cette guerre civile dite « de religion » qui commande de lutter contre son voisin, son cousin, son frère…Et les hivers trop froids, les étés trop humides ou trop secs pour l’agriculture…

Nous avons évoqué plus haut la révolte d’Antoine du Roure de 1670 : les oliviers gelés et donc aussi les blés sur un territoire s’étendant d’Aubenas à Montpellier et l’Etat qui répond (rumeur peut-être ?) par des impôts sur les chapeaux, sur les souliers, sur les journées des travailleurs et sur la naissance des enfants. Cette révolte se terminera dans le sang, à Montpellier par l’exécution d’Antoine du Roure pour le dernier acte. D’Artagnan avait semble-t-il participé à la répression des mutins. (Pauvre d’Artagnan, l’histoire vraie ne lui a pas fait de cadeaux ! Heureusement qu’Alexandre Dumas s’est occupé de sa renommée). 

Il nous faut aussi nous rappeler de Denis de Bargeton « dangereux homme de guerre habitant Vallabrix », cousin de notre seigneur et qualifié ainsi par notre intendant Lamoignon-Basville en 1680.

 

Mise en scène très valorisée d’un recrutement : à droite, la signature sur le tambour, à gauche, la première solde – XVIIIè- - BN – 

(Sources : Histoire de la France, Castelot-Decaux– Service Historique des Armées – Les Paysans du Languedoc, Leroy Ladurie)

Enseigne et capitaine des Gardes-Françaises à Pieds 1697 – Gravure de D de Noirmond - BN