lundi 22 janvier 2024

25 Décembre 1914 dans les tranchées





25 Décembre 1914 dans les tranchées

Décembre 1914, la guerre s’enlise dans une guerre de position. Les troupes s’enterrent et s’observent. 300 000 soldats français sont déjà tombés, les blessés sont nombreux. Les tranchées sont  à quelques mètres les unes des autres. Les rapports de force sont toujours très instables. Les soldats des divers camps communiquent par pancartes sur le terrain. La Trêve de Noël est la preuve qu’une once d’humanité existe dans cette folie meurtrière de la Première Guerre Mondiale.

Henry Wouilthryde Videau

Dans un grenier des descendants d’un soldat du 5è Cuirassiers de Tous ont découvert ses courriers écrits pendant qu’il était au front. Henry Wouilthryde Videau s’était engagé en 1912 et il décède en 1915. Il raconte en particulier le Noël 1914, un épisode de fraternisation entre des hommes de bonne volonté.

Le JMO du 5e Cuirassiers signale à la date du 25 décembre 1914 : « dans chaque escadron, il a été organisé un arbre de Noël ». Mais la lettre d’Henry raconte bien plus que ne le laisse entendre le journal officiel des armées.

Il décrit son « paquet cadeau », puis cet épisode de fraternisation.

 « Le 24 décembre 1914

Chers Parents,

Nous sommes encore de retour des tranchées, nous allons faire réveillon au cantonnement, ce qui sera plus chouette.

Pour notre Noël, nous avons reçu chacun un paquet. Dans chaque paquet, il y avait une savonnette, une orange, du fil, éguille, une petite fiole de Cognac, 2 batons de chocolat, un petit peigne, une brosse à moustache où une glace (et comme surprise des calepins, des couteaux, une pipe, etc.) et 10 cigarettes chacun.

C’était envoyé par les Ecoles de Tours, avec un petit mot dedans, de Joyeux Noël et Bonne Année, et quelques mots d’encouragement. C’était très bien et ça fait plaisir à tout le monde.

J’ai reçu aussi le petit paquet contenant cache-nez et chaussette, la lettre aussi me l’annonçant, et je m’empresse de vous répondre de suite. Quand au briquet, c’est ça qui est utile. Peut être que mon oncle Ernest m’en enverra un. J’ai reçu une lettre de lui qui m’annonce aussi qu’Angeline et Henry sont avec lui. Et que Florence a laissé son mari.

Pour le vin, l’on en touche tous les jours, de l’eau-de-vie, du chocolat, du fromage. Ce qui fait toujours défaut, c’est le tabac. Car pour se chauffer dans la tranchée l’on fume une cigarette, et les allumettes pas. Enfin, bref.

Hier, dans la tranchée, il s’est passé quelque chose qu’il faut vous dire. En face de nous, à 30 mètres, il y avait des Bavarois, à notre gauche les Prussiens, et à droite les Saxons.
Les Bavarois sont très chics, car ils ont venu nous voir dans la tranchée ; ils nous ont dit : « Vous Françouss, tirez pas, nous non plus ». Pendant 2 jours et 2 nuits, pas un coup de fusil.

Puis moi avec le Lieutenant, nous avons été chercher un journal Bavarois ; ils nous ont offert des cigares, des cigarettes ; le Lieutenant leur a donné un paquet de Maryland et moi 2 batons de chocolat que j’avais touché la veille ; il a fallu leur serrer la main à tout prix, puis on a retourné dans notre local.

Le lendemain matin, des fantassins des avant postes ont pris le café ensemble avec l’avant poste Boche. Et ils disaient : « Se méfier, Prussiens dans le bois à gauche, tiré dessus avec mitrailleuses » Je crois qu’ils vont faire réveillon ensemble.

Ca, j’en suis sûr, car je l’ai vu de mes propres yeux ; mais ça n’a pas été partout pareil et pas toujours.

Le paquet de flanelle et ceinture, je ne l’ai pas vu mais j’en ai touché d’autres et 10 francs avec. Mes souliers, je ne sais pas quand ils seront payés car l’on est éloigné du régiment et il faut que la liste parte au ministère et retourne ; ce n’est pas tout de suite.

Enfin voilà 2 mois que où nous sommes rendus que les Boches sont las.

Si vous m’envoyé de l’argent, envoyer moi des billets dans la lettre, c’est plus commode ; car pour toucher de l’argent c’est la scie.

Maintenant je remercie bien ma grande Cécile aimée du beau cache-nez qu’elle m’a fait, car je ne le crois encore pas que c’est elle, car c’est bien fait et épais et chaud.

Que je voudrais être auprès de vous et vous embrasser bien fort, vous serrer dans mes bras tous. J’espère que ça viendra bientôt, j’espère.
Embrassez bien Cécile, cette chère petite sœur, pour moi, ainsi que Raoul et toi Papa, et Maman, chers Parents aimés à qui je pense continuellement.

J’espère que ma lettre vous trouvera comme elle me quitte, en bonne santé et plein de courage et d’espoir en notre France bien aimée, notre chère Patrie.

Je vous souhaite à tous une bonne et heureuse année, avec l’espoir au cœur de nous revoir tous sain et sauf, dans les bras les uns des autres.

Bonne et heureuse année à tous !.........

Je vous embrasse tous bien fort.

Videau Henry »

Dans ses carnets il dit ce qu’il ne peut écrire à ses parents :

« Le 18 (décembre) nous consolidons nos positions. A l’aube, nous apercevons les morts du combat du 7 et 8 septembre ; ils sont là depuis 2 mois et pas moyen de les enterrer ou d’aller chercher leurs plaques d’identité. Il y a des notres et des leurs.

Nous travaillons toute la journée à creuser dans le milieu d’une route pavée, dans la boue et la flotte jusqu’aux genoux, et même en des endroits, il nous faut évacuer ; rapport que l’eau augmente toujours. Avec des seaux et boites, tout ce que l’on a sous la main, nous enlevons boue et eau, sous les balles et personne ne murmure 

Le 20 au matin, l’on reçoit l’ordre d’attaquer à 2 h de l’après midi, par un bataillon du 226e et un du 229e.Nous, nous devons les protéger et surveiller la route par où les Boches doivent passer…. »

« Le 25, Jour de Noël, les Boches et les notres vont boire le café ensemble, et vont dans les tranchées de chacun, sans armes, s’échangent des journeaux, des cigares, cigarettes.
Tout le monde fraternisent, et (ils) nous disent de se méfier des Prussiens sur notre gauche, et disent que s’ils se rendaient, que leurs camarades seraient fusillés.

La journée se passent sans incidents, sauf que chaque coté l’on a profité de cette accalmie pour fortifier le devant de nos tranchées par des fils de fer.

Le 26, les Prussiens sont devant nous. Les Bavarois nous ayant avertis, en ayant mis des guenilles blanches aux fils de fer devant les tranchées….. »


D’autres archives mentionnent ces épisodes de fraternisation, moments d’humanité dans un monde sanglant… Noël théoriquement symbole de paix, d’avenir radieux…

«La même communauté de souffrance rapproche les cœurs, fait fondre les haines, naître la sympathie entre gens indifférents et même adversaires. Ceux qui nient cela n’entendent rien à la psychologie humaine. Français et Allemands se regardèrent, virent qu’ils étaient des hommes tous pareils.» note Louis Barthas, caporal, dans son carnet de guerre.

  • Sources et pour en savoir plus :
    /numerique.historia.fr/actu/première-guerre-mondiale-noël-1914-une-trêve-dans-les-tranchées---- Généanet18 décembre 2008, par Michel GuironnetSerge Laethier-Facebook--- le Magazine Histoire-Généalogie.com--- mrmondialisation.org/ces-images-etonnantes-de-la-treve-de-noel-1914-ont-100-ans/--- /www.archivespasdecalais.fr/Decouvrir/Chroniques-de-la-Grande-Guerre/Histoires-de-la-Grande-Guerre/Treves-de-Noel-et-fraternisations---- M. FERRO, M. BROWN, R. CAZALS, O. MUELLER, Frères de tranchées. Paris, 2006.--- /fr.wikipedia.org/wiki/Trêve_de_Noël---- Éric Simard (ill. Nathalie Girard), Les soldats qui ne voulaient plus se faire la guerre : Noël 1914, coll. « Cadet 8-12 ans », 39 p. (ISBN 978-2-35000-045-9)

 

 

 

 

mercredi 10 janvier 2024

Projet de guerre chimique

 

Jean-Baptiste Carrier (1756-1794).
Gravure extraite du Livre rouge : histoire de l’échafaud en France paru en 1863

 

Guerre chimique en 1793 ?

Nos stratèges en matière de guerre ne manquent jamais d’imagination. En 1793, un projet de guerre chimique pour éliminer les Vendéens trotte dans bien des têtes de quelques responsables républicains.

En particulier dans la tête du sinistre Carrier et de son compère Santerre.

Le 9 novembre 1793, Jean Baptiste Carrier, qui va s’illustrer dans les « noyades de Nantes », cherchait des procédés plus efficaces pour éliminer les opposants à la République : « Vous avez à délivrer le pays d’un chancre qui le dévore. Le poison est plus sûr que toute votre artillerie. Ne craignez donc pas de le mettre en jeu. Faites empoisonner les sources d’eau. Empoisonnez du pain que vous abandonnerez à la voracité de cette misérable armée de brigands, et laissez faire l’effet. Vous avez des espions parmi ces soldats qu’un enfant conduit. Lâchez-les avec ce cadeau et la partie sera sauvée. »

Ici et là on fait provision de toxiques. Savin écrivait à Charrette :  « Nous fûmes vraiment étonnés, écrivait Savin à Charette, le 25 mai 1793, de la quantité d’arsenic que nous trouvâmes à Palluau au commencement de la guerre. On nous a même constamment assuré qu’un étranger qu’ils avaient avec eux et qui fut tué à cette affaire, était chargé d’assurer le projet d’empoisonnement contre nous. »

Un pharmacien, Proust d’Angers, fait des essais sur un troupeau de moutons dans un pré de la Baumette : des boules tueuses destinées à être respirées… mais le procédé échoua. Leur odeur intoxiqua les voisins mais ne les tua pas !

On pensa à des gaz soporifiques. C’est le général Antoine Joseph Santerre qui les conseilla. On l’appelait « général roulement » car au moment de l’exécution de Louis XVI, il avait ordonné un roulement de tambour pour couvrir la voix du souverain sur la guillotine… Il proposa au ministre de la guerre « des mines, des mines, des fumées soporifiques et puis tomber dessus »…

Le 11 septembre Jean Antoine Rossignol demandait au Comité de Salut Public l’envoi du chimiste Antoine François Fourcroy pour « aider à la destruction des brigands ». Celui-ci ne se dérangea pas mais fit un rapport à la demande de Robespierre, rapport introuvable à ce jour.

Heureusement les généraux n’aimaient pas ces moyens ; ils craignaient surtout que les Sans-Culottes et les Bleus soient aussi victimes de ces procédés. Ils pouvaient par mégarde boire l’eau ou manger le pain empoisonnés. Quant aux fumées soporifiques, elles ne s’arrêteront pas à la ligne de front !!! Le général Jean-Baptiste Kléber, dit-on, mis au courant des propositions de Carrier, menaça de lui passer son sabre au travers du corps.

A lire à l’occasion : Paul Delaunay « La pharmacie et la guerre chimique An I et II » 1933  Revue d’ Histoire de la Pharmacie p131-132 Persée Internet--


Antoine-Joseph Santerre (1752-1809). Gravure d’Auguste Raffet réalisée en 184

 

 

 


 

 

 

Sources et pour en savoir plus : La France Pittoresque 20/11/2023----/www.lysardent.fr/2012/09/30/projet-de-guerre-chimique-en-1793-pour-eliminer-les-vendeens/---- www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/guerres-de-vendee-il-faut-enfin-crever-labces-1459644---  Paul Delaunay « La pharmacie et la guerre chimique An I et II » 1933  Revue d’ Histoire de la Pharmacie p131-132 Persée ---