vendredi 24 mars 2023

Clemenceau le Premier Lycée de Filles de France

Clemenceau le Premier Lycée de Filles de France



Le 10 octobre 1881 le premier lycée de France pour jeunes filles ouvre ses portes à Montpellier dans les locaux du collège communal. Ce lycée est installé au faubourg Saint-Denis dans d’anciens bâtiments achetés par la ville à la famille Castelnau, (anciennement la villa Nouguier devenue clinique du docteur Delpech, puis immeuble Castelnau qui sera acquis par la ville pour y installé le collège-rentrée 1880). De nouveaux bâtiments pour l’internat et l’externat sont édifiés et inaugurés en 1890 par le président de la République Sadi-Carnot.

Jules Ferry est ministre de l’instruction publique et le gouvernement est républicain. La Revue de l’Enseignement Secondaire des Jeunes Filles de 1882 indique ce que l’on attend de ces établissements : « l’enseignement secondaire qui est donné dans ce lycée a avant tout un but désintéressé : le développement du cœur, de l’esprit et du jugement des jeunes filles. Le lycée doit leur donner une instruction solide qui ne le cède en rien à celle des garçons. » (Revue de l’Enseignement Secondaire des Jeunes Filles de 1882)

En cette fin de siècle, l’Etat souhaite « déchristianiser » l’enseignement. Mais l’Eglise n’a pas envie de lâcher une miette  en ce qui concerne les consciences en particulier des jeunes filles, élément essentiel de la transmission des « valeurs » catholiques. (ou plutôt de la bourgeoisie catholique)….

A Montpellier, un lycée pour garçon est déjà installé depuis 1804, dans les bâtiments de l’ancien collège des Jésuites, face à l’Esplanade, des bâtiments de la fin du 17ème siècle (Antoine Giral architecte).

En 1880, une loi à l’initiative du député alsacien Camille See est votée et promulguée : elle institue les lycées pour jeunes filles, soulevant des critiques virulentes de la part des partis conservateurs. Ces établissements ne seront évidemment pas mixtes.

Pourtant ces lycées ne ressembleront pas aux lycées des garçons. Pour le député, il pose les bases d’un tout premier pas : « il faut choisir ce qui peut leur être le plus utile, insister sur ce qui convient le mieux à la nature de leur esprit et à leur future condition de mère de famille, et les dispenser de certaines études pour faire place aux travaux et aux occupations de leur sexe… Il ne s’agit pas de détourner les femmes de leur véritable vocation qui est d’élever leurs enfants et de tenir leur ménage, ni de les transformer en savantes ».

La femme avant tout doit être une bonne maîtresse de maison, faire honneur à son mari et à sa belle-famille par sa culture.

Des établissements secondaires dédiés aux jeunes filles existaient, religieux ou publics, souvent à l’initiative des maires comme Montpellier avec ses 56 000 habitants, établissements fréquentés majoritairement par la communauté protestante. Mais très vite ces établissements manquaient d’élèves et d’argent.

Bonaparte alors premier consul en 1802 avait créé les lycées mais pour les garçons uniquement. En 1808 ils sont intégrés à l’Université Impériale qui reçoit le monopole de l’enseignement. Une tentative en 1867 de créer un enseignement secondaire féminin par Victor Duruy, mais après la loi Falloux de 1850 qui supprime le monopole universitaire pour les établissements secondaires, les grands établissements congréganistes s’épanouissent au détriment des institutions laïques.

Lycée Clémenceau


A l’origine de ce lycée, la volonté du maire Alexandre Laissac, épaulé par la communauté protestante de la ville et des environs. Il a rejoint le  groupe Libre-pensée Victor Hugo de Montpellier. Républicain modéré il prend position contre le cléricalisme, interdisant par exemple les processions dans les rues de la ville mais sans entrer en conflit ouvert avec l’évêché de Montpellier.

La première rentrée scolaire se fait dans l’immeuble assez vétuste Castelnau au 27 avenue de Toulouse (avenue Clemenceau maintenant). 76 élèves, une superficie de 11 000m2 en 1881. Un an avant les Nîmoises et les Lyonnaises, deux ans avant les Toulousaines et les Parisiennes !! En 1882, 100 élèves, en 1885, 297….puis chute des effectifs pendant cinq ans, probablement due à la crise économique, conséquence du phylloxera. (83 élèves en moins). En 1890 hausse à nouveau des effectifs, 220 élèves dont 90 pensionnaires jusqu’à 368 en 1903.

La scolarité n’y est pas gratuite bien que l’établissement soit public. Pour les externes libres en primaire 100 frs par an, 150 frs pour les externes surveillées. En secondaire, 350 frs pour les « libres », 450 frs pour les « surveillées ». Une cotisation de 5 frs pour l’entretien de la bibliothèque, 1,50 frs pour les frais administratifs, la correspondance.. « Les livres et les fournitures scolaires sont à la charge des familles ainsi que les leçons de pianos ». (1frs de 1890 égal environ à 2,37 euros).

Un préau couvert, un gymnase, on agrandit l’externat affecté dans le vieil immeuble Castelnau. Hygiène, solidité posent question, impropre à l’usage…Malgré son charme, ce vieil immeuble va être transformé : galeries, constructions nouvelles, agrandissement de la cour… Des locaux neufs, dans le style haussmannien, des galeries reliant les bâtiments dans le style Eiffel, des constructions typiques de la IIIème République, insérées dans le tissu urbain.

L’internat définitif sera construit à neuf par la municipalité sur des terrains acquis en bordure du chemin de Saint-Martin de Prunet (rue Ernest Michel). Construction terminée en 1887, tout de suite occupée par les élèves installées précédemment dans un vieil immeuble de la rue Mallet.

Une surface totale de 16 495m2, 5 858m2 pour le lycée d’Etat et 10 637m2 pour l’internat municipal.

L’emplacement de la chapelle fait discussion : les élèves protestantes sont majoritaires, il ne s’agit pas de rouvrir une guerre de religion. En avril 1883 le ministre fait des recommandations au recteur : « les chapelles des protestants et des catholiques sont mitoyennes, il est préférable qu’elles fussent plus éloignées l’une de l’autre… »

Les travaux sont vraiment terminés en avril1892. Le montant des dépenses s’élève à la somme considérable pour l’époque de 1 039 806 frs 17 centimes, à partager entre le ministère et la ville. Les nouveaux locaux sont « spacieux, et bien éclairés, avec des classes agréables.. le jardin planté de beaux arbres est un véritable enchantement… l’internat est un vaste local qui pourrait accueillir deux cent quarante enfants dans des conditions d’hygiène et de salubrité vantées par les prospectus comme étant un atout …. ».

La loi du 27 février 1880 fixe les matières enseignées : enseignement moral, langue française, lecture à voix haute, langue vivante, littérature ancienne et moderne, géographie et cosmographie, histoire nationale et aperçu de l’histoire générale, arithmétique, éléments de géographie, chimie, physique et histoire naturelle, hygiène,


économie domestique, notions de droit usuel, dessin, musique, gymnastique.

Discipline et tenues réglementaires : interdiction de fréquenter les élèves d’autres classes par exemple, maquillage interdit, pour sortir gants obligatoires, La tenue quotidienne est le tablier noir avec le nom brodé en rouge. Après 1914 le tablier devient beige. En hiver, une jupe bleue, un chemisier de même teinte à pois blancs, pour sortir un manteau bleu marine et un chapeau de feutre. En été un tailleur blanc à pois bleus, un chapeau de paille. Le choix des souliers est libre. Tout est taillé sur mesure par un tailleur de la rue de La Loge.

Les sanctions sont nombreuses : retenue, privations de sortie, suppression d’une partie des vacances scolaires….

Le lycée n’est pas coupé du monde. Pendant la Première Guerre Mondiale il est transformé en hôpital militaire.

georges-clemenceau.mon-ent-occitanie.fr/l-etablissement/un-lieu-historique/

 

Le lycée va suivre son chemin. Rénové depuis peu par la Région Occitanie. Il est devenu mixte en 1970. En son sein un collège avec 16 classes et près de 450 élèves, un lycée et environ 1300 élèves. Une section franco-allemande Abibac, un enseignement théâtre-musique-danse avec le Conservatoire de Montpellier et un enseignement de l’occitan pour les grandes sections…..

Dans une de ses cours, un parc séculaire aux espèces protégées. Un petit bâtiment récent agrandit l'espace restauration...


Sources et pour en savoir plus : Didier PORCER *www.etudesheraultaises.fr/publi/la-construction-du-lycee-clemenceau-de-montpellier-premier-lycee-de-jeunes-filles-de france/#:~:text=Le%20Lycée%20Clemenceau%20à%20Montpellier,un%20Lyc--- La Gazette de Montpellier Journées du Patrimoine 2020 Deux Lycées dans l’Histoire --- /georges-clemenceau.mon-ent-occitanie.fr/l-etablissement--- /www.montpellier.fr/4227-alexandre-laissac-1834-1913-.htm-- wiipedia.org---

 



mardi 14 mars 2023

La dernière épidémie de variole

 

Alerte à la variole ! Une du journal Radar en date du 23 janvier 1955

La dernière épidémie de variole en France

Ou quand la Rumeur s’en mêle (s’emmêle ?) 

L’Europe ces dernières décennies a oublié les grandes épidémies qui décimaient des milliers de personnes. Vaccins, eau courante dans les logements, éducation sanitaire, connaissances…..

La variole est une des maladies infectieuses les plus meurtrières de notre histoire. Mais elle couve et réapparait à bas-bruit régulièrement pendant une bonne partie du 20ème siècle, heureusement sans trop de morts et en voie de disparition dans cette France de l’après-guerre.

Déjà présente chez l’homme du néolithique, probablement à cause d’une proximité animale, le virus humain ayant un ancêtre commun avec celui d’autres animaux comme le singe, les bovidés, équidés, camélidés…

Notre pays a connu en 1955 la toute dernière épidémie de variole. Est-ce que cette maladie renaitra de ses cendres un jour pour nous rappeler notre fragilité ?

Dès 1833 la Prusse (Allemagne) rend obligatoire la vaccination contre la variole dans son armée et en 1874 pour les enfants. En France cette maladie est très fréquente. Pourtant la vaccination contre celle-ci n’est obligatoire chez les enfants qu’en 1902 avec un rappel à 11ans et 21 ans. Mais cette loi est peu appliquée sauf dans l’armée où la vaccination est obligatoire. Les chiffres de l’épidémie pendant la guerre de 1870-1871 sont éloquents : 125 000 cas en France avec un taux de mortalité de près de 19% contre 8500 cas en Prusse avec une mortalité de 5,4%.

Probablement grâce à la vaccination, pendant la guerre de 1914-18, dans l’armée aucun cas de variole. Quelques cas dans la population générale chaque année dans la métropole jusqu’à un dernier cas en 1936. Puis à partir de cette date quelques cas  parfois importés des colonies mais sous une forme mineure. Paris, Marseille notre porte de l’Orient, sont les principaux centres d’infection. Voyageurs et surtout marchandises en provenance de pays endémiques, guerre d’Indochine (1946-54).

Mais en 1952, une varicelle douteuse chez un soldat de retour d’Indochine demande une hospitalisation. Le médecin-chef de l’hôpital, puis son fils de 8 ans sont contaminés. L’enfant, incubant la maladie, part en vacances dans un village près de la frontière belge où 37 cas de variole dont 2 décès se déclarent. A Marseille, à l’hôpital Michel-Lévy, se manifestent 45 cas dont un décès, la même année. Très vite en réponse une campagne de vaccination a lieu dans la ville de La Bonne Mère : près de 600 000 personnes sont vaccinées.

La maladie couve jusqu’en 1954-55 avec ici et là de petites épidémies presque tous les ans.

«La variole frappe la Bretagne». Couverture de la revue Radar du 23 janvier 1955.COLLECTION KHARBINE-TAPABOR

Le 9 décembre 1954 à Vannes en Bretagne, Georges Cadoret le médecin chef du service pédiatrique de l’hôpital Chubert est appelé au domicile d’un enfant de un an et demi, Daniel. Une forte fièvre, des boutons…. Peut-être une varicelle ? L’enfant est hospitalisé. Douze jours plus tard, le médecin tombe malade, fièvre, boutons, maux de tête, fatigue…. Une grippe ?

Mais pendant son absence de l’hôpital, plusieurs enfants (trois au moins), une aide-soignante du service de pédiatrie tombent malades avec les mêmes symptômes. Le médecin soupçonne alors la variole.  Le 31 décembre il écrit dans son journal de bord ; « Mon sentiment est qu’il y a de la variole dans l’air », Six autres enfants sont hospitalisés avec les mêmes symptômes. Las autorités régionales et nationales sont alertées.

Intuition confirmée par l’Institut Pasteur le 3 janvier. A l’hôpital une fillette de six mois décède de cette maladie.

Médecins et infirmières se relaient auprès des malades pendant l'épidémie de variole qui touche Vannes • © Vivement lundi

Des mesures préventives sont prises à l'hôpital Chubert, le personnel est consigné sur place dans le Pavillon 10, les malades ne peuvent plus recevoir de visites.. .

 Personne n’entre, ni ne sort, à l’exception des médecins. “682 malades, 230 employés, 29 religieuses, 50 élèves infirmières et trois internes, soit près de mille personne au total” sont enfermées dans la “forteresse Chubert”. “Leur nourriture vient de l’extérieur, mais rien ne sort sauf le courrier, préalablement désinfecté au formol et au rayon ultra-violet”, raconte Paris-Presse. Les “varioleux” sont isolés dans trois pavillons : un pour les malades (leurs mains liées pour les empêcher de se gratter), un pour les convalescents et un pour les cas suspects, qui font parfois l’objet d'arrestation préventive”. Les cas contacts sont recherchés et systématiquement (re)vaccinés.

« Les 54 médecins de Vannes se voient chacun attribuer un secteur : dès le 6 janvier, 280 000 habitants du canton de Vannes, d’Auray, de Locminé, de Saint-Jean-Brevelay et de Quiberon doivent être vaccinés d’urgence. “A Vannes, dès 10 heures du matin, on faisait queue à la porte des six centres et en trois jours sur les 28000 habitants de la ville, 25 000 tendaient leur bras à la scarification. Les 3000 autres avaient été vaccinés par leur médecin traitant ou pouvaient présenter un certificat datant de moins de 3 ans”, relate Paris-Presse. » (lesgeneralistes-csmf.fr/2020/08/06/histoire-1955-la-variole-fait-trembler-la-bretagne/)

« Hier comme aujourd’hui, la vaccination obligatoire ne fait pas que des heureux : “Je sais que la vaccination peut être dangereuse. Il y a eu des cas d’encéphalites et des gosses en sont morts”, s’insurge une mère de famille, qui a refusé le vaccin pour ses filles, même après avoir été convoquée par le directeur de l’école. La famille Gachet, membre des Disciples du Christ de Montfavet, fera l’objet de poursuites. Ils seront défendus par la Ligue nationale contre la vaccination, qui fait à l’époque campagne dans la presse pour alerter sur la nocivité du vaccin.

A des centaines de kilomètres de là, le signalement d’un cas suspect en Seine-et-Oise incite néanmoins les Parisiens à suivre le conseil de la préfecture et à se faire vacciner en masse. En l’espace d’une semaine, des centaines de milliers d’habitants de la capitale se pressent dans les dispensaires et autres établissements publics proposant le vaccin, tandis que 1500 médecins libéraux donnent l’exemple en se faisant revacciner. » (lesgeneralistes-csmf.fr/2020/08/06/histoire-1955-la-variole-fait-trembler-la-bretagne/)


1474 St François d’Assise soignant des malades de la variole  La franceschina Perugia Bibilothèque Auguste ms1238f.223

A Vannes les cas se multiplient chez des enfants mais aussi chez les médecins, les soignantes et les religieuses, qui les soignent. « Hier, on a enterré une petite sœur de Kermaria, 22 ans, qui était venue avant Noël voir une novice (...). Le directeur de la santé a recommandé, par prudence, de ne pas suivre le cercueil jusqu’à notre chapelle », écrit une sœur, placée en quarantaine.

Les malades non hospitalisés sont mis à l’isolement à domicile. Les villes et villages touchés par la maladie sont consignés par la gendarmerie départementale sur ordre du médecin général de la 3ème région militaire….

Entre temps l'inquiétude dépasse les frontières de la Bretagne, relayée par la presse. Dans les écoles, on scrute le moindre bouton. . « Tous les soirs, les sœurs nous faisaient nous déshabiller afin de nous examiner à la pile électrique, à la recherche de boutons », raconte une ancienne interne de l’école de Sainte-Anne. La presse parisienne fait « le buzz » en s’agitant plus que les Vannetais : « La variole, faucheuse de générations, monstre que l’on croyait mort chez nous et qui surgissait soudain avec la canine aiguisée des bêtes qui ont trop jeûné », écrit Paris Match, tout en décrivant une ville en proie à « l’épouvante » et « assiégée de nouvelles circulant à la vitesse des feux de brousse ». Toujours Paris-Match dans son numéro de la semaine du 5 au 12 février 1955 fait état d'une « épouvante devant les cercueils arrivant en gare sur des wagons »… La peur d’être contaminé effraie le chaland : “les commerçants ont vu leur chiffre d’affaires dégringoler vertigineusement. Ils ont même demandé au percepteur de leur accorder un délai pour le règlement de leur tiers provisionnel”, rapporte Paris-Presse.

En Europe on s’inquiète. Des médecins viennent en observation d’Angleterre, d’Allemagne, de Norvège… La base américaine de La Rochelle s’alarme...

En fait une bonne partie de la population du Morbihan se fait vacciner dans le calme du 6 au 14janvier. En deux jours 60% des habitants de Vannes reçoivent la précieuse piqure. Au total 250 000 personnes seront vaccinées. . « À l’époque, la population était très disciplinée face aux messages sanitaires, avec une très grande confiance dans le vaccin, souligne Patrick Zylberman. Ce n’est que dans les années 1960 et 1970, lorsque le risque épidémique sera devenu moins pressant, qu’on verra émerger des débats sur les effets secondaires des vaccins. »

Un médecin Guy Grosse (1911-1955), inspecteur principal de la santé du Morbihan organise les vaccinations collectives. Revacciné, il contracte la maladie, transporté à l’hôpital le 17 janvier, il décède le 24 janvier « victime de son devoir ». Le 26 il est cité à l’ordre de la Nation par Pierre Mendès France président du Conseil des Ministres et fait Chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume le 27 janvier. Un autre médecin de l’hôpital de Vannes sera contaminé, André Amphoux, mais par une forme bénigne de la maladie. Pour lui,  « l'épidémie s'est propagée parce que quelques familles se sont dérobées à la vaccination obligatoire des enfants contre la variole »..

Onze médecins seront atteints par la maladie, souvent sous une forme bénigne. Le vaccin de l’époque a été jugé efficace en limitant la diffusion de la maladie en situation épidémique et en apportant une immunité dès le 11ème jour après la vaccination. Par contre les injections de gamma-globulines antivarioliques de l’Institut Pasteur n’ont pas eu les résultats escomptés.

(journal Le Parisien)

D’où nous est arrivée cette épidémie ? Les journalistes se perdent alors en conjectures. La variole n’était chez nous qu’un souvenir. Des pyjamas seraient à l’origine de la contamination ?  L’hypothèse est évoquée très sérieusement par la presse.

 « Des pyjamas contaminés », titre un journal. « Le microbe était embusqué dans les vêtements », soutient un autre, convaincu que le virus est arrivé en Bretagne via les pyjamas d’un sergent parachutiste, Roger Debuigny, rapatrié quelques jours plus tôt d’Indochine. « À l’époque, cette explication n’était pas si absurde. Une étude, en 1949 en Angleterre, affirmait que du pus séché, provenant de croûtes de la variole, pouvait rester infectant pendant un an », explique Patrick Zylberman, historien de la santé.

Pyjamas ou plus simplement un malade d’une variole non éruptive qui la transmet à son entourage ?

Les accords de Genève sont signés en juillet 1954, mettant fin à la guerre d’Indochine. A l’automne, une épidémie de variole se déclenche au Viet Nam avec 377 cas, 56 décès. Le 11 novembre le sergent parachutiste Roger Debuigny qui a contracté une tuberculose pulmonaire, est hospitalisé à Saigon, puis rapatrié en France et rejoint l’hôpital militaire de Percy près de Paris. Le 17 il a la permission de rendre visite à sa famille à Vannes. A nouveau hospitalisé à Percy pour fièvre, le 24 novembre il est diagnostiqué syndrome de Guillain-Barré, complication très rare au cours d’une variole. Ce militaire est vacciné, les médecins ne pensent pas à la variole. Son état d’abord très grave, s’améliore et le malade guérit dans le mois qui suit.

Le 7 décembre son fils Daniel de 18 mois qui va rencontrer le docteur Georges Cadoret, est hospitalisé pour fièvre éruptive, on pense à un pemphigus infectieux ou une varicelle grave. On connait la suite….

Mais pourquoi incriminer des pyjamas ? La rumeur publique accuse un cadeau du père à son fils, un pyjama en soie brodé de dragons, acheté au marché de Cholon au Viet Nam et qui aurait contenu des « croûtes varioleuses »…

Il est plus probable que le militaire vacciné mais fragilisé par sa tuberculose, a présenté une variole non éruptive, une forme atténuée du virus et qu’il l’a transmise directement à son fils non vacciné.

L’épidémie finira par s’éteindre en février à Vannes, 73 cas et 16 décès. Brest va connaitre encore quelques cas jusqu’en mai 1955, causant 4 décès.

Daniel le tout premier malade de Vannes va guérir.

 

  • Quelques chiffres : 1870 - 1871 : Plus de 200000 morts de la variole en France  --1980 : Eradication de la maladie après 100 ans de campagnes de vaccination (/www.chu-montpellier.fr/fr/vaccination/histoire-des-epidemes-et-de-la-vaccination/la-variole)

 

 

Sources et pour en savoir plus : Pierre Bienvault, 24/08/2015 journal La Croix -- François Goursolas, « Une épidémie de variole en Bretagne 1954-1955 », Histoire des sciences médicales, vol. XXXVIII, no 1,‎ 2004, p. 99-108 (lire en ligne [archive]). – La France Pittoresque janvier 2023-- Christophe Cocherie dans "Vannes 1955, au coeur de l'épidémie" france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/2015/04/20/vannes-1955-au-coeur-de-l-epidemie-un-documentaire-sur-la-derniere-epidemie-de-variole-en-france-708811.html--- fr.wikipedia.org/wiki/Épidémie_de_variole_à_Vannes_et_Brest-- B Mafart, JL Le Camus, F Mirouze, T Matton, Les Dernières épidémies de variole en France, Semaine des Hôpitaux de Paris, 1999, 33-34, 1265-1268.-- /lesgeneralistes-csmf.fr/2020/08/06/histoire-1955-la-variole-fait-trembler-la-bretagne/--
– Pr Patrick Zylberman (EHESP, Rennes, USPC), La dernière épidémie de variole (en France) : Vannes, 1955 – Attitudes des pouvoirs publics, des soignants et de la population lors d’une campagne de vaccination de masse--
www.leparisien.fr/societe/sante/panique-et-vaccination-de-masse-en-1955-a-vannes-confrontee-a-la-derniere-epidemie-de-variole-en-france-25-04-2021-VSXVSTEPLND3XEAVF5PJ77BIVA ---/fr.wikipedia.org/wiki/Variole---

 

 

 

samedi 4 mars 2023

Dijon brûle le Père Noêl

 

Dijon brûle le Père Noël


Le Père Noël, un rêve pour les enfants ou pour les commerçants ?. Question épineuse.

Nous sommes à Dijon en 1951 le dimanche 23 décembre à 15 heures. Une effigie du Père Noël est brûlée en place publique devant 250 enfants éberlués. Un mannequin du « malheureux bonhomme à barbe blanche » exécuté à l’appel de représentants du clergé. Une image de près de trois mètres de hauteur, un autodafé qui se voit de loin. L’effigie était pendue aux grilles de la cathédrale. Les patronages catholiques sont à l’origine de cet autodafé.


L’effigie du Père Noël pendue aux grilles de la cathédrale et brûlée sur le parvis
par les patronages catholiques, à Dijon le 24 décembre 1951
 

L’affaire va diviser les Français, les pays étrangers s’interrogent sur notre santé mentale. L’écho de l’exécution de Dijon dépasse les frontières. L’agence américaine AP y consacre une dépêche publiée dans le New York Times du 25 décembre 1951 sous le titre « Une ville française secouée par un conflit à propos du Père Noël ». Dès le lendemain les journaux tels France-Soir font part de l’évènement. Le père Noël, un usurpateur ? Ce bûcher rappelle de sombres pratiques du Moyen-Age lorsque l’Eglise brûlait ceux qu’elle accusait d’usurpation de la gloire divine ou d’hérésie….

La fête de Noël « doit rester la fête anniversaire de la naissance du Sauveur »…. « Le mensonge ne peut éveiller le sentiment religieux chez les enfants… ». Le clergé très conservateur de la capitale de Bourgogne essaie de défendre son point de vue. L’Eglise s’ouvrira au monde moderne à partir des années 1960 avec le concile Vatican II. Mais en 1951, le Père Noël et les fêtes qui l’entourent sentent trop l’hérétique, le païen, le mercantile… Il entre dans les écoles alors que les crèches et les crucifix en ont été chassés au début du siècle !!!.


 Jacques Nourissat le prêtre à l’origine de cette punition raconta plus tard en 2009 qu’il avait eu cette idée après avoir vu défiler des Pères Noël faisant de la publicité pour un grand magasin dijonnais. L’Eglise était « sur la paille », avait du mal à joindre les deux bouts. Nous sommes dans l’après guerre de 1939-40, le pays est à genoux.

Ordonné prêtre en 1943, son premier ministère sera vicaire à la paroisse Saint-Joseph de Dijon et en 1948 à la cathédrale Saint Bénigne. Dans cette paroisse et ce quartier, il y sera attentif à toutes les familles populaires, n’hésitant pas à inventer des structures d’entraide—Un de ses livres s’intitule « Fidèle jusqu’à l‘audace » dans lequel il s’intéresse aux familles divorcées, éclatées, remariées ou non ---- Il va les accompagner avec joie et fidélité pendant 40 ans.

En 2009 pour le journal « l’Obs » il se justifie ainsi : « Notre paroisse était la plus pauvre. Des femmes se prostituaient pour survivre, des hommes sortaient de prison. Pour eux, le Père Noël signifiait de l’amour gratuit, un don, alors forcément, celui qui faisait de la réclame pour le commerce, ça ne passait pas », a déclaré le prêtre, surnommé le « curé des clochards » pour l’aide qu’il avait coutume d’apporter aux pauvres.

Initiative locale, maladroite, mais qui fait sens. Le clergé national très conservateur détourne l’intention : il y voit un consumérisme venu des Etats-Unis, concurrençant la symbolique de Noël, et il soutient l’action de Jacques Nourissat, mais pour de moins bonnes raisons, peut-être plus politiques que chrétiennes. « Le porte-parole de l’épiscopat français a appuyé cette action symbolique sans ambiguïté », rappelle auprès de l’AFP Philippe Poirrier, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, à Dijon.

« Le Père Noël et le sapin se sont introduits dans les écoles publiques alors qu’ils sont la réminiscence de cérémonies païennes qui n’ont rien de chrétiennes tandis que, au nom d’une laïcité outrancière, la crèche est scrupuleusement bannie des mêmes écoles », déclarait le porte-parole de l’épiscopat dans le quotidien France-Soir du 24 décembre 1951.


Le chanoine Félix Kir, prêtre-député et inventeur du fameux cocktail prend la défense du Père Noël. Il est partisan d’un catholicisme social.

Photo non datée du chanoine Félix Kir (1876-1968),
député-maire de Dijon qui a donné son nom à l’apéritif

Dès le lendemain du bûcher il fait apparaître un Père Noël sur les toits de l’Hôtel de Ville. Un sapeur-pompier déguisé descend en rappel depuis la tour Philippe-le-Bon sous les yeux de centaines d’enfants émerveillés.   Pendant plusieurs dizaines de minutes, le Père Noël, plus vrai que nature envoie de grands signes chaleureux aux enfants nombreux massés derrière des barrières ou juchés sur les épaules de leurs parents qui sont tout aussi émerveillés que leurs enfants. Cette descente existe toujours pour chaque Noël depuis 1951.


Mais le débat n’est pas clos pour autant à Dijon comme au niveau national.

Les intellectuels s’opposent dans le journal Carrefour dès le 26 décembre, hebdomadaire qui titre « Accusé Père Noël levez-vous ! ». Gilbert Cesbron pour qui la crèche passe avant la cheminée, René Barjavel qui veut « laisser à l’enfance émerveillée son vieux magicien barbu »…. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss essaie d’analyser cette affaire dans un texte intitulé « Le Père Noël supplicié » :  « En voulant mettre fin au Père Noël, les ecclésiastiques dijonnais n'ont fait que restaurer une figure rituelle dont ils se sont ainsi chargés, sous prétexte de la détruire, de prouver eux-mêmes la pérennité »,

Sapins illuminés dans les villes, hommes vêtus de costumes rouges... « tous ces usages qui paraissaient puérils et baroques au Français visitant les États-Unis (…) se sont implantés et acclimatés en France avec une aisance et une généralité qui sont une leçon à méditer pour l’historien des civilisations », écrit-il en 1952.

Pour lui le monde était en marche, bon gré mal gré, et peut-être que l’Eglise avait un train de retard…. Mais nous pouvons aussi nous interroger sur l’argent dépensé, les cadeaux qui ne reflètent pas toujours la solidarité entre les êtres, et le besoin de fêtes en cette fin d’année. Pourquoi l’Eglise a-t-elle voulu que l’enfant Jésus naisse en cette période ?

En l’absence de tout document établissant le jour de naissance de Jésus, les chrétiens hasardent tout d’abord les hypothèses les plus fantaisistes et les plus contradictoires pour fixer la date de la naissance du Christ, avant qu’au IIIe siècle les Églises d’Orient fixent la Nativité le jour de l’Épiphanie, puis que l’Église de Rome adopte au IVe siècle le 25 décembre pour fêter Noël. Il est plus que probable que depuis la nuit des temps, les hommes fêtent en cette période  le renouveau de la lumière qui apporte espérance, promesses de chaleur, de chasses et de cultures fructueuses…

Comme bien d’autres villes maintenant, Dijon fête Noël de façon magnifique : manèges, patinoire, grande roue, spectacle son et lumière, déambulations dans les rues et dans les lieux culturels,… et le marché de la truffe et de Noël !! L'être humain, petit ou grand se nourrit aussi de fééries....


 

Sources et pour en savoir plus :: Sources : www.leparisien.fr/societe/23-decembre-1951-le-jour-ou-le-pere-noel-a-ete-envoye-au-bucher-23-12-2018-7975299.php--- /www.lefigaro.fr/histoire/archives/23-decembre-1951-le-pere...--- /www.lexpress.fr/societe/il-y-a-70-ans-en-france-le-clerge...-- www.france-pittoresque.com France Pittoresque -Publié / Mis à jour le 23 DÉCEMBRE 2022, par LA RÉDACTION- La Croix afp, 17/12/2021 à 10:52 ---