mardi 14 mars 2023

La dernière épidémie de variole

 

Alerte à la variole ! Une du journal Radar en date du 23 janvier 1955

La dernière épidémie de variole en France

Ou quand la Rumeur s’en mêle (s’emmêle ?) 

L’Europe ces dernières décennies a oublié les grandes épidémies qui décimaient des milliers de personnes. Vaccins, eau courante dans les logements, éducation sanitaire, connaissances…..

La variole est une des maladies infectieuses les plus meurtrières de notre histoire. Mais elle couve et réapparait à bas-bruit régulièrement pendant une bonne partie du 20ème siècle, heureusement sans trop de morts et en voie de disparition dans cette France de l’après-guerre.

Déjà présente chez l’homme du néolithique, probablement à cause d’une proximité animale, le virus humain ayant un ancêtre commun avec celui d’autres animaux comme le singe, les bovidés, équidés, camélidés…

Notre pays a connu en 1955 la toute dernière épidémie de variole. Est-ce que cette maladie renaitra de ses cendres un jour pour nous rappeler notre fragilité ?

Dès 1833 la Prusse (Allemagne) rend obligatoire la vaccination contre la variole dans son armée et en 1874 pour les enfants. En France cette maladie est très fréquente. Pourtant la vaccination contre celle-ci n’est obligatoire chez les enfants qu’en 1902 avec un rappel à 11ans et 21 ans. Mais cette loi est peu appliquée sauf dans l’armée où la vaccination est obligatoire. Les chiffres de l’épidémie pendant la guerre de 1870-1871 sont éloquents : 125 000 cas en France avec un taux de mortalité de près de 19% contre 8500 cas en Prusse avec une mortalité de 5,4%.

Probablement grâce à la vaccination, pendant la guerre de 1914-18, dans l’armée aucun cas de variole. Quelques cas dans la population générale chaque année dans la métropole jusqu’à un dernier cas en 1936. Puis à partir de cette date quelques cas  parfois importés des colonies mais sous une forme mineure. Paris, Marseille notre porte de l’Orient, sont les principaux centres d’infection. Voyageurs et surtout marchandises en provenance de pays endémiques, guerre d’Indochine (1946-54).

Mais en 1952, une varicelle douteuse chez un soldat de retour d’Indochine demande une hospitalisation. Le médecin-chef de l’hôpital, puis son fils de 8 ans sont contaminés. L’enfant, incubant la maladie, part en vacances dans un village près de la frontière belge où 37 cas de variole dont 2 décès se déclarent. A Marseille, à l’hôpital Michel-Lévy, se manifestent 45 cas dont un décès, la même année. Très vite en réponse une campagne de vaccination a lieu dans la ville de La Bonne Mère : près de 600 000 personnes sont vaccinées.

La maladie couve jusqu’en 1954-55 avec ici et là de petites épidémies presque tous les ans.

«La variole frappe la Bretagne». Couverture de la revue Radar du 23 janvier 1955.COLLECTION KHARBINE-TAPABOR

Le 9 décembre 1954 à Vannes en Bretagne, Georges Cadoret le médecin chef du service pédiatrique de l’hôpital Chubert est appelé au domicile d’un enfant de un an et demi, Daniel. Une forte fièvre, des boutons…. Peut-être une varicelle ? L’enfant est hospitalisé. Douze jours plus tard, le médecin tombe malade, fièvre, boutons, maux de tête, fatigue…. Une grippe ?

Mais pendant son absence de l’hôpital, plusieurs enfants (trois au moins), une aide-soignante du service de pédiatrie tombent malades avec les mêmes symptômes. Le médecin soupçonne alors la variole.  Le 31 décembre il écrit dans son journal de bord ; « Mon sentiment est qu’il y a de la variole dans l’air », Six autres enfants sont hospitalisés avec les mêmes symptômes. Las autorités régionales et nationales sont alertées.

Intuition confirmée par l’Institut Pasteur le 3 janvier. A l’hôpital une fillette de six mois décède de cette maladie.

Médecins et infirmières se relaient auprès des malades pendant l'épidémie de variole qui touche Vannes • © Vivement lundi

Des mesures préventives sont prises à l'hôpital Chubert, le personnel est consigné sur place dans le Pavillon 10, les malades ne peuvent plus recevoir de visites.. .

 Personne n’entre, ni ne sort, à l’exception des médecins. “682 malades, 230 employés, 29 religieuses, 50 élèves infirmières et trois internes, soit près de mille personne au total” sont enfermées dans la “forteresse Chubert”. “Leur nourriture vient de l’extérieur, mais rien ne sort sauf le courrier, préalablement désinfecté au formol et au rayon ultra-violet”, raconte Paris-Presse. Les “varioleux” sont isolés dans trois pavillons : un pour les malades (leurs mains liées pour les empêcher de se gratter), un pour les convalescents et un pour les cas suspects, qui font parfois l’objet d'arrestation préventive”. Les cas contacts sont recherchés et systématiquement (re)vaccinés.

« Les 54 médecins de Vannes se voient chacun attribuer un secteur : dès le 6 janvier, 280 000 habitants du canton de Vannes, d’Auray, de Locminé, de Saint-Jean-Brevelay et de Quiberon doivent être vaccinés d’urgence. “A Vannes, dès 10 heures du matin, on faisait queue à la porte des six centres et en trois jours sur les 28000 habitants de la ville, 25 000 tendaient leur bras à la scarification. Les 3000 autres avaient été vaccinés par leur médecin traitant ou pouvaient présenter un certificat datant de moins de 3 ans”, relate Paris-Presse. » (lesgeneralistes-csmf.fr/2020/08/06/histoire-1955-la-variole-fait-trembler-la-bretagne/)

« Hier comme aujourd’hui, la vaccination obligatoire ne fait pas que des heureux : “Je sais que la vaccination peut être dangereuse. Il y a eu des cas d’encéphalites et des gosses en sont morts”, s’insurge une mère de famille, qui a refusé le vaccin pour ses filles, même après avoir été convoquée par le directeur de l’école. La famille Gachet, membre des Disciples du Christ de Montfavet, fera l’objet de poursuites. Ils seront défendus par la Ligue nationale contre la vaccination, qui fait à l’époque campagne dans la presse pour alerter sur la nocivité du vaccin.

A des centaines de kilomètres de là, le signalement d’un cas suspect en Seine-et-Oise incite néanmoins les Parisiens à suivre le conseil de la préfecture et à se faire vacciner en masse. En l’espace d’une semaine, des centaines de milliers d’habitants de la capitale se pressent dans les dispensaires et autres établissements publics proposant le vaccin, tandis que 1500 médecins libéraux donnent l’exemple en se faisant revacciner. » (lesgeneralistes-csmf.fr/2020/08/06/histoire-1955-la-variole-fait-trembler-la-bretagne/)


1474 St François d’Assise soignant des malades de la variole  La franceschina Perugia Bibilothèque Auguste ms1238f.223

A Vannes les cas se multiplient chez des enfants mais aussi chez les médecins, les soignantes et les religieuses, qui les soignent. « Hier, on a enterré une petite sœur de Kermaria, 22 ans, qui était venue avant Noël voir une novice (...). Le directeur de la santé a recommandé, par prudence, de ne pas suivre le cercueil jusqu’à notre chapelle », écrit une sœur, placée en quarantaine.

Les malades non hospitalisés sont mis à l’isolement à domicile. Les villes et villages touchés par la maladie sont consignés par la gendarmerie départementale sur ordre du médecin général de la 3ème région militaire….

Entre temps l'inquiétude dépasse les frontières de la Bretagne, relayée par la presse. Dans les écoles, on scrute le moindre bouton. . « Tous les soirs, les sœurs nous faisaient nous déshabiller afin de nous examiner à la pile électrique, à la recherche de boutons », raconte une ancienne interne de l’école de Sainte-Anne. La presse parisienne fait « le buzz » en s’agitant plus que les Vannetais : « La variole, faucheuse de générations, monstre que l’on croyait mort chez nous et qui surgissait soudain avec la canine aiguisée des bêtes qui ont trop jeûné », écrit Paris Match, tout en décrivant une ville en proie à « l’épouvante » et « assiégée de nouvelles circulant à la vitesse des feux de brousse ». Toujours Paris-Match dans son numéro de la semaine du 5 au 12 février 1955 fait état d'une « épouvante devant les cercueils arrivant en gare sur des wagons »… La peur d’être contaminé effraie le chaland : “les commerçants ont vu leur chiffre d’affaires dégringoler vertigineusement. Ils ont même demandé au percepteur de leur accorder un délai pour le règlement de leur tiers provisionnel”, rapporte Paris-Presse.

En Europe on s’inquiète. Des médecins viennent en observation d’Angleterre, d’Allemagne, de Norvège… La base américaine de La Rochelle s’alarme...

En fait une bonne partie de la population du Morbihan se fait vacciner dans le calme du 6 au 14janvier. En deux jours 60% des habitants de Vannes reçoivent la précieuse piqure. Au total 250 000 personnes seront vaccinées. . « À l’époque, la population était très disciplinée face aux messages sanitaires, avec une très grande confiance dans le vaccin, souligne Patrick Zylberman. Ce n’est que dans les années 1960 et 1970, lorsque le risque épidémique sera devenu moins pressant, qu’on verra émerger des débats sur les effets secondaires des vaccins. »

Un médecin Guy Grosse (1911-1955), inspecteur principal de la santé du Morbihan organise les vaccinations collectives. Revacciné, il contracte la maladie, transporté à l’hôpital le 17 janvier, il décède le 24 janvier « victime de son devoir ». Le 26 il est cité à l’ordre de la Nation par Pierre Mendès France président du Conseil des Ministres et fait Chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume le 27 janvier. Un autre médecin de l’hôpital de Vannes sera contaminé, André Amphoux, mais par une forme bénigne de la maladie. Pour lui,  « l'épidémie s'est propagée parce que quelques familles se sont dérobées à la vaccination obligatoire des enfants contre la variole »..

Onze médecins seront atteints par la maladie, souvent sous une forme bénigne. Le vaccin de l’époque a été jugé efficace en limitant la diffusion de la maladie en situation épidémique et en apportant une immunité dès le 11ème jour après la vaccination. Par contre les injections de gamma-globulines antivarioliques de l’Institut Pasteur n’ont pas eu les résultats escomptés.

(journal Le Parisien)

D’où nous est arrivée cette épidémie ? Les journalistes se perdent alors en conjectures. La variole n’était chez nous qu’un souvenir. Des pyjamas seraient à l’origine de la contamination ?  L’hypothèse est évoquée très sérieusement par la presse.

 « Des pyjamas contaminés », titre un journal. « Le microbe était embusqué dans les vêtements », soutient un autre, convaincu que le virus est arrivé en Bretagne via les pyjamas d’un sergent parachutiste, Roger Debuigny, rapatrié quelques jours plus tôt d’Indochine. « À l’époque, cette explication n’était pas si absurde. Une étude, en 1949 en Angleterre, affirmait que du pus séché, provenant de croûtes de la variole, pouvait rester infectant pendant un an », explique Patrick Zylberman, historien de la santé.

Pyjamas ou plus simplement un malade d’une variole non éruptive qui la transmet à son entourage ?

Les accords de Genève sont signés en juillet 1954, mettant fin à la guerre d’Indochine. A l’automne, une épidémie de variole se déclenche au Viet Nam avec 377 cas, 56 décès. Le 11 novembre le sergent parachutiste Roger Debuigny qui a contracté une tuberculose pulmonaire, est hospitalisé à Saigon, puis rapatrié en France et rejoint l’hôpital militaire de Percy près de Paris. Le 17 il a la permission de rendre visite à sa famille à Vannes. A nouveau hospitalisé à Percy pour fièvre, le 24 novembre il est diagnostiqué syndrome de Guillain-Barré, complication très rare au cours d’une variole. Ce militaire est vacciné, les médecins ne pensent pas à la variole. Son état d’abord très grave, s’améliore et le malade guérit dans le mois qui suit.

Le 7 décembre son fils Daniel de 18 mois qui va rencontrer le docteur Georges Cadoret, est hospitalisé pour fièvre éruptive, on pense à un pemphigus infectieux ou une varicelle grave. On connait la suite….

Mais pourquoi incriminer des pyjamas ? La rumeur publique accuse un cadeau du père à son fils, un pyjama en soie brodé de dragons, acheté au marché de Cholon au Viet Nam et qui aurait contenu des « croûtes varioleuses »…

Il est plus probable que le militaire vacciné mais fragilisé par sa tuberculose, a présenté une variole non éruptive, une forme atténuée du virus et qu’il l’a transmise directement à son fils non vacciné.

L’épidémie finira par s’éteindre en février à Vannes, 73 cas et 16 décès. Brest va connaitre encore quelques cas jusqu’en mai 1955, causant 4 décès.

Daniel le tout premier malade de Vannes va guérir.

 

  • Quelques chiffres : 1870 - 1871 : Plus de 200000 morts de la variole en France  --1980 : Eradication de la maladie après 100 ans de campagnes de vaccination (/www.chu-montpellier.fr/fr/vaccination/histoire-des-epidemes-et-de-la-vaccination/la-variole)

 

 

Sources et pour en savoir plus : Pierre Bienvault, 24/08/2015 journal La Croix -- François Goursolas, « Une épidémie de variole en Bretagne 1954-1955 », Histoire des sciences médicales, vol. XXXVIII, no 1,‎ 2004, p. 99-108 (lire en ligne [archive]). – La France Pittoresque janvier 2023-- Christophe Cocherie dans "Vannes 1955, au coeur de l'épidémie" france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/2015/04/20/vannes-1955-au-coeur-de-l-epidemie-un-documentaire-sur-la-derniere-epidemie-de-variole-en-france-708811.html--- fr.wikipedia.org/wiki/Épidémie_de_variole_à_Vannes_et_Brest-- B Mafart, JL Le Camus, F Mirouze, T Matton, Les Dernières épidémies de variole en France, Semaine des Hôpitaux de Paris, 1999, 33-34, 1265-1268.-- /lesgeneralistes-csmf.fr/2020/08/06/histoire-1955-la-variole-fait-trembler-la-bretagne/--
– Pr Patrick Zylberman (EHESP, Rennes, USPC), La dernière épidémie de variole (en France) : Vannes, 1955 – Attitudes des pouvoirs publics, des soignants et de la population lors d’une campagne de vaccination de masse--
www.leparisien.fr/societe/sante/panique-et-vaccination-de-masse-en-1955-a-vannes-confrontee-a-la-derniere-epidemie-de-variole-en-france-25-04-2021-VSXVSTEPLND3XEAVF5PJ77BIVA ---/fr.wikipedia.org/wiki/Variole---

 

 

 

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