vendredi 24 septembre 2021


 

Nouveaux éléments pour comprendre l’Histoire de Vallabrix


Un historien Denys Breysse a découvert dernièrement aux archives départementales du Gard des actes qui expliquent bien des choses sur la période de 1702-1708. (archives référencées de « provenance inconnue » sans cote ce qui ne les rend pas facile à trouver).

-Tout d’abord la personne inhumée dans l’église de notre village. Les anciens parlaient d’un consul enterré là, d’une dalle à l’inscription effacée en partie. Il semble plutôt qu’il s’agisse de la dernière demeure du prieur Jean de Rufier (Ruffier) décédé en 1702. Un acte rédigé par le prêtre Molines qui assure l’intérim, nous indique : »l’an mil sept cent deux et le onzieme mars après avoir est confessé est decedé messire Jean de Rufier prieur de vallabrix agé d’environ quatre vingt et deux ou trois ans et a esté inhumé dans l’eglise dudi vallabrix presant mr granier appoticaire Louis laurens et Jacques francois  dudit vallabrix… » . Ceci était prévu dans son testament de 1696 : « je crois que nous devons elire nore sepulture dans notre eglise et par humilité du costé de l’Epitre et non dessous le Chœur et le sanctuaire »…  (l'épître est le côté droit de l'autel, vu par les fidèles, où se trouve placé le livre contenant l'épître à lire durant la célébration. Le côté gauche est appelé l'évangile)(attention l’église était plus petite à cette époque donc emplacement de la dalle plus proche du portail sur le côté droit)

- le presbytère devant l’église mentionné dans le compoix de 1728, seules les fondations sont encore visibles : il semblerait qu’il ait été démoli lors des guerres de religion de 1560-1628 « du temps de henry quatre Roy de France ». Ce qui expliquerait que lorsque Tomas Platter nous visite à la fin du 16ème siècle, il voit un village en très mauvais état. Il est vrai qu’on s’est sérieusement battu vers St Siffret (un des Bargeton en était). (Etienne Goiffon,-trois pouillés de 1635-1640—in  Pouillés des diocèses anciens compris dans le diocèse actuel de Nîmes -1900). Toujours une interrogation : comment notre façade renaissance a-t-elle survécu à ces affrontements ? Notre façade Renaissance a certainement été mieux défendue par la poignée de soldats installés au château. Et puis ces guerres étaient plus proches des razzias que de celles que nous connaissons maintenant : seul avait un intérêt ce qui pouvait se vendre, servir, argent, vaisselle, bijoux, bottes….

D’après l’acte d’abjuration du 6 octobre 1685, Jean de Ruffier nous indique que Vallabrix s’est ouvert au calvinisme en 1550. Nous pouvons penser que ses habitants ont suivi les Bargeton, leur seigneur,

- d’après le pouillé de 1640, cote 419, Saint Etienne de Vallabrix peut compter sur un revenu de 420 livres. Sur les 136 prieurés de l’évêché, le revenu moyen est de 152 livres ; douze prieurés ont un revenu estimé à 420 livres, seuls quatre dépassent cette somme : Aramon avec 800livres, St Georges de Ceyrargues, St Gervais de Laudun et St Martin de Chambonas près des Vans. En 1662 Jean de Ruffier arrente (loue) pour les trois-quarts de la dîme du prieuré de Vallabrix et son domaine pour 1125 livres. Donc une paroisse sinon riche, très aisée.

Les droits de fiefs s’étendent à toute la paroisse : « le prieur dud lieu a presq tous les fiefs des maisons, terres de sa paroisse, depuis le four public vers le levant et le terroir du Masmolene, le Pin, Pougnadoresse »… » les prieurs de valabrix ont droit de dimes dans le terroir de St Quentin, surtout dans ceux de la Sauzede, Massargues, Castelnau, Claudauson….. plus ils diment au terroir de Masmolène, dans le terroir appellé La Riasse et une partie de la métairie du Moutet appelé La Come megere du costé du Pin, ils vont jusques au terme de Notre Dame du Pin… ». Le tout reconnu devant notaires.

La dîme « se lève au onzième », « fruits, laine, agneaux, bled, grains, huille, vin, foin ». Sur Vallabrix, un jardin, six terres, un pré, et deux vignes, le tout terres nobles sans censives ni « talhies (taille) ».

-Le prieur à la suite de Jean de Ruffier est Pierre de La Garde de 1702 à 1706. Pendant cette période il est réfugié à Uzès. « Les prêtres et prieurs se refugièrent aux villes les plus proches de leur bénéfices crainte d’être assassinés par les huguenots et révoltés ». Cependant il signe des actes du 1er octobre 1702 au 25 janvier 1706. Son neveu Jacques de La Garde reprend le prieuré après un intérim du prêtre Vénissat. Les chiffres montrent une baisse des sépultures entre 1702 et 1706 : absence d’une partie de la population adulte ? Quelques baptêmes et mariages de vallabrixois sont célébrés à Collias, Masmolène… Quand le prieur est absent, le prieur Gasteur d’Aureillac en 1702 et le prieur de Dions en février 1705 le remplacent. Tout indique des troubles qui ont certainement touché notre village. Vallabrix est sur le passage des troupes. Des combats autour de chez nous, comme Euzet, des incendies comme à Belvezet, Sanilhac en 1703, des massacres. Des églises incendiées au Pin, La Bruguière, Saint Laurent …Décembre 1703, mai 1704, deux périodes où le prieur n’est pas à Vallabrix sous la pression des évènements.

Les registres ne rendent compte que d’une facette des désordres dus aux « huguenots et révoltés », ceux occasionnés par les actions des milices catholiques ne sont pas mentionnés (les camisards blancs, puis noirs) qui sévissent dès l’automne 1703 jusqu’en 1717 et qui provoquent aussi des fuites de populations.

-les actes, mariage, baptême, ne suivent pas toujours le modèle fixe imposé : des dispenses de bans pour les mariages, les noms des parents ou témoins oubliés… on va au plus vite, « à cause des circonstances fâcheuses du temps présent ».

Mais il semble que la solidarité ancestrale unissant les habitants d’une même communauté continuait à s’exercer « parce qu’elle a été portée par des gens venus d’ailleurs, la mort n’a pas rompu les liens qui unissaient les habitants… » (Belvezet).

-56 personnes abjurent collectivement le 6 octobre 1685, essentiellement les notables de notre village. Un de ces nouveaux convertis Guillaume Agniel notaire royal va nous montrer une attitude particulière. Jean de Ruffier jusqu’à sa mort en 1702 va tenir d’une main ferme les nouveaux convertis.. Prêts, mariages, dons, quittances, des actes notariés où la signature du prieur apparait la première, mais que le notaire ignore ostensiblement. Influence, surveillance, dépendance financière et politique.

A sa suite les prieurs de La Garde, en particulier Jacques, vont apporter un certain apaisement au village avec d’autres pratiques. Pierre de La Garde d’abord puis son neveu Jacques qui est en poste en mai 1706 à 26 ans. Il loge chez l’habitant. A partir de 1713 il est très présent dans notre village. Cette famille est apparentée aux Bargeton, aux De Brueys anciens protestants. Jacques de La Garde meurt le 25 mai 1728. Sur son acte de décès, une ligne : « il avoit manger la veille à souper cinq livres de poisson »… Un bon vivant qui devait plaire aux habitants !

 

Sources : Denys Breysse «  Vallabrix une paroisse catholique de la périphérie cévenole au temps de la guerre des camisards (1685-1720) » in Revue d’Histoire de l’Eglise de France T107 n)258 Société d’histoire religieuse de la France Institut catholique de Paris- Merci de m’avoir fait part de cet excellent travail.

 

 

 

mardi 14 septembre 2021

La chasse

 

(octobre 1862 Lapin avec trompe de chasse chevauchant un chien. Carreau estampé médiéval. Prieuré dominicain de Derby, Angleterre)

La Chasse de la Préhistoire à 1900:

 

La chasse dans notre monde moderne crée bien des débats houleux, des commentaires acides. Moi-même je rouspète lorsque je ne peux pas promener mon chien tranquillement, lorsque les plombs pleuvent dans mon jardin, lorsque je trouve un animal blessé... Mais je rouspète tout autant lorsque les sangliers ravagent mes plantations, lorsqu’un lièvre grignote le tronc d’un de mes pommiers…. La Chasse, loisir ou protection des récoltes ? Gestion du gibier ? Protection des écosystèmes, des habitats, de la diversité animale…  Probablement tout cela à la fois mais avec des contraintes pour tous, des acceptations. (Ne pas oublier que notre espèce a besoin des animaux sauvages pour entretenir les paysages, les sources, mais aussi pour affaiblir ou pour faire barrage à de vilains virus ou bactéries qui nous embêteraient bien sans eux. Il est assez probable que la Chine, et nous tous par la même occasion, payont en ce moment ses déforestations massives et les déplacements d’animaux qu’elles engendrent).

Cette activité humaine a longtemps fait partie de notre vie. Nos très anciens ancêtres avant la révolution néolithique et l’avènement de l’élevage, puisaient dans cette ressource pour se procurer de la nourriture carnée, mais aussi la peau, la fourrure, la corne, les os, les tendons ….. des animaux chassés. Une bonne partie de notre inventivité, de notre curiosité, de nos savoirs ont démarré avec la chasse d’une autre espèce que la nôtre. La chasse va aussi permettre de sécuriser les habitats, repousser ou éliminer des prédateurs dangereux pour l’homme, puis pour ses animaux d’élevage. Tout dans la nature est une lutte pour survivre, parfois aux dépends d'une autre espèce. Bien plus tard la chasse va retrouver sa fonction originelle en période de famine.

Selon certains archéologues et paléontologues, nos ancêtres consommaient aussi des cadavres d’animaux morts, blessés, malades qu’ils achevaient plus facilement. Il est probable que pour les gros mammifères, nos anciens pratiquaient la chasse à l’épuisement. Nos chasseurs suivaient leurs gibiers, remontant vers le nord l’été, et redescendant vers le sud l’hiver. Le nomadisme était encore de mise. Le piégeage de petits animaux est probablement aussi une pratique très ancienne.

Peu à peu de nouvelles armes, filets, javelot, le propulseur, l’épieu, et arc font leur apparition et le néolithique, la sédentarisation des communautés humaines ne sont pas loin….

Autre époque, au Moyen Age la chasse se transforme plus en activité de loisir réservée aux classes dominantes, nobles, dignitaires de l’Etat ou clergé. Cette activité va être symbole de pouvoir et cela longtemps malgré les chaos de l'Histoire.

Les seigneurs pouvaient au départ louer leur droit de chasse sur leurs terres, pratique encore attestée en Bresse en 1522. La main mise grandissante de la royauté sur la chasse proscrit peu à peu cette possibilité de location.

La chasse est une nécessité et une passion pour la noblesse. Nécessité car les sangliers, lapins, renards ravagent les poulaillers, les cultures. Les loups, les ours s’attaquent aux voyageurs, aux paysans… Le gibier fournit aussi la « venaison », agrémente ainsi les repas et glorifie l’habilité du seigneur du lieu. Mais la chasse surtout la chasse à courre, est un entrainement au combat pour le châtelain et ses gens. Le seigneur doit déjouer les ruses de l’animal, galoper toute la journée parfois, traverser des rivières. Il monte son destrier, son cheval de guerre, (celui que l’on tient de la main droite, la destre). (Nous ne voyons plus très bien à quoi sert maintenant la chasse à courre). 
Son chenil comprend des chiens de force capables de s’attaquer à un sanglier et des chiens courants, les lévriers. Son épouse peut aussi, surtout dans le Sud du pays, chasser avec des faucons. Le gibier est propriété du châtelain, mais parfois il autorise les paysans à traquer des petits animaux à l’aide d’un furet, et même d’écrevisses qui s’insinuent dans les terriers. Les jeunes garçons des paysans sont parfois invités à dénicher les nids de corneilles dans les murailles du château, au péril de leur vie.

La chasse privilège de la noblesse et signe de pouvoir, devient un art : la vénerie. Les armes  de chasse sont les mêmes que celles de combat : arc, épieu, couteau, lance… Mais pour le gros gibier on dresse des pièges, fosses dissimulées par des branchages, filet qui se refermera sur l’animal.

L’apprentissage de la chasse pour le futur seigneur se fera avec un chevalier expérimenté, le veneur : pistage, reconnaissance des traces, endurance, entrainement au tir… Nos rois seront souvent de grands chasseurs et ils entretiennent des équipages importants de chiens, chevaux, personnels. Louis XIII aurait appris à lire dans des ouvrages de vénerie.

Dès le 16ème siècle, des législations royales se mettent en place pour gérer les forêts et les lieux de chasse. En 1669, par ordonnance royale, des roturiers ont le droit de chasse s’ils ont acheté un fief, une seigneurie ou une haute-justice qui donne ce droit. En 1701, les nobles âgés ou non sont tenus de  réduire le surplus de gibier nuisibles aux cultures.

Le braconnage est sévèrement puni : l’édit de 1601 prévoit une amende et le fouet pour une première infraction, puis pour la première récidive, le fouet et le bannissement, suivent les galères et la confiscation des biens, parfois la mort pour la troisième récidive. Protection du gibier mais il ne faut pas qu'il soit trop  et nous enlève le pain de la bouche !! Essai de ménager les uns et les autres....

 Pour protéger le gibier, il est interdit de moissonner avant la St Jean, d’enlever les chardons, d’enclore les terres par des murs sauf autorisation spéciale pour les domaines nobles. Les agents des eaux et forêts, les capitaineries, veillent au grain ! Pour protéger les récoltes, les chasseurs ne doivent pas passer dans les terres ensemencées et lorsque les céréales sont en « tuyaux ». Les vignes sont interdites de chasse du 1er mai jusqu’aux vendanges…. Des interdictions peu observées.


La chasse se démocratise avec la Révolution. Le droit de chasse devient un attribut du droit de propriété : chacun peut chasser s’il est possesseur des terres sur lesquelles il souhaite chasser ou avec l’accord du propriétaire. Dès 1790, le droit de chasse peut être transmis aux héritiers, transféré, loué à des fermiers… par une loi mal ficelée, donnant lieu à de nombreux débats de juristes, de politiques, de parlementaires, tout au long du 19ème siècle. Le propriétaire pouvait « faire détruire » sur ses terres le gibier qui s’en prenait à ses récoltes, mais rien n’avait été prévu par la loi pour en établir les modalités légales de cette sorte de permission.

Apparait dans les débats, le droit de chasser différent du droit de chasse !! Pour le locataire et pour le propriétaire quel droit et quelles protections légales ?

La Constituante de 1844 met en place un permis de chasse à 25frs ; celui de port d’armes était à 15 frs, ce qui veut dire que le permis de chasse est réservé à une certaine classe. Pour les juristes, le droit de chasse est le droit de prendre le gibier qui appartient par principe au seul propriétaire.

Usufruitier, nu-propriétaire, occupants de parcelles anciennes appartenant à la commune, les modalités de location variant à l’extrême d’une région à l’autre, d’un milieu à l’autre, des différences de vocabulaire dans les us et coutumes…. La loi de 1790 en se voulant simple avait versé dans le simplisme ! A la fin du 19ème siècle, des décisions des tribunaux prudentes définissent le droit de chasse comme un « attribut de la propriété, mais un attribut complexe ». Jusqu’aux années 1880, la chasse selon un argument moral, détournait le fermier de son travail ! Tout l’argumentaire cachait surtout le souci de défendre les intérêts des grands propriétaires-chasseurs. A l’orée du 20ème siècle malgré la Révolution de 1789 et celle de 1844, le droit de chasse n’avait pas varié de statut ; il relevait de la propriété  et le fermier-locataire en était exclu.

La IIIè République va essayer de clarifier la situation mais toujours en évitant » le froissement des contestations, ces conflits sans cesse renaissants ».

Actuellement, à côté du propriétaire, du locataire, un troisième larron est entré en lice : le promeneur. Sans compter le ramasseur de champignon, l’écolo, les lotissements, les aménagements urbains gagnés sur les landes, les bois et la mamé qui nourrit les sangliers à la porte de son jardin pour amuser ses petits-enfants, les poubelles qu’on oublie dans la nature.. !!! Il semble que les surfaces accordées aux animaux sauvages se rétrécissent au fil du temps, ainsi que notre connaissance de leurs mœurs… Est-ce que nous serions en train d'oublier que nous sommes des animaux comme les autres, chacun avec un écosystème dépendant les uns des autres et que notre Terre est notre mère nourricière ?.

Sources et pour en savoir plus : Régine Pernoud – Philippe Brochard A L’Abri des Chateaux Forts  édit Hachette 1981– Bibliothèque Municipale Lyon -- /www.chasseurdefrance.com/decouvrir/les-modes-de-chasse/la-venerie-ou-chasse-a-courre/--/www.lepoint.fr/societe/la-chasse-a-courre-c-est-le-cycle-de-la-nature-04-10-2020-2394744_23.php—wikipedia.org---www.cairn.info/journal-histoire-et-societes-rurales-2004-1-page-73.htm—Christian Estève Le droit de Chasse en France de 1789 à 1914 in Histoire et Scociétés Rurales 2004 vol21p73/114---etc

 

samedi 4 septembre 2021

Bercy



Bercy, autrefois le Cellier du Monde


Bercy évoque maintenant les impôts, une technocratie sans âme, des fonctionnaires hors-sol… Mais fut un temps où les rues de ce qui était encore un village s’appelaient rue Saint Estève, rue du Minervois, rue de Château Lafitte, cour Saint Emilion, les rues de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne, de Languedoc et de Touraine, ainsi appelées du nom des principaux vignobles de France.…. C’était le temps où la majeure partie des vins et alcools destinés à la consommation parisienne était amenée par voie d’eau. La Seine servait de moyen de communication en particulier avec la Bourgogne. Le bois de chauffage du Morvan venait aussi par ce moyen. Et cela depuis le Moyen Age.(Henri Rivière 1854-1961—Chevaux de Haquet port de Bercy –photo Run Grand Paris- www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy)
Pour échapper à l’octroi de Paris (péage et taxes), les barriques étaient déchargées avant les barrières de la ville. D’abord au port de la Rapée, puis à partir du 18ème siècle, aux rives dans le village de Bercy.

Le site est occupé depuis très longtemps. En 1991 lors de travaux d’aménagement du quartier, des pirogues, de nombreux objets de la vie quotidienne sont trouvés dont un arc en bois d’if vieux de 6500 ans. Il s’agit des plus anciennes traces d’habitat trouvées en région parisienne. Les musées dont le Carnavalet en ont hérité. Il semble que Gaulois et Romains aient dédaigné le lieu, trop marécageux. Mais la légende raconte que le nom de Bercy remonterait à la fondation d’un petit village par une population venant de l’île de Belsinaca située dans l’estuaire de la Seine vers 850. Ils auraient fui les Normands en s’établissant près des Parisiis aux abords de Paris. Bercy ou Percy apparait officiellement au 12ième siècle dans une donation du roi Louis VI le Gros aux moines de l’abbaye de Montmartre : « Insula Berciliis ». La seigneurie de Bercy appartient vers 1415 à la famille des Montmorency.
La Fronde de 1649 à 1652  n’épargne pas l’Hôtel de Bercy.
Au 17ème siècle, le nouveau propriétaire fait construire un château d’une grande splendeur à la place de la forteresse. Charles Henry de Malon, seigneur de Bercy, petit-neveu de Colbert fait appel à l’architecte Le Vau pour la construction et à Le Nôtre pour dessiner ses jardins qui descendaient jusqu’à la Seine. Ses boiseries présentaient « les modèles les plus variés, les plus exquis, les plus grandioses de l’art français de la sculpture ornementale du bois »… Charles Henry a semble-t-il inspiré Molière pour son Harpagon de L’Avare. Une chanson le brocarde : » Que le Bercy dans l’or fondu satisfasse son avarice, et que, malgré l’horreur de son supplice, il meurt après l’avoir rendu ».


Là commence la légende. Un jour de 1660 (date improbable étant donné la date de naissance de Claude) ou plutôt en 1704, un vigneron du Mâconnais, de Charnay-Lès-Mâcon, Claude Brosse (né en 1656) décide d’aller jusqu’à la capitale pour vendre son vin. Sa charrette tirée par deux bœufs met 33 jours pour faire le trajet. Louis XIV assiste à la messe à Bercy (ou à Versailles selon les auteurs). Et crime de lèse-majesté un homme ne s’est pas agenouillé. En fait notre vigneron avec ses presque deux mètres était bien à genoux.
-Un de mes sujets se permet de rester debout durant le Saint Office… Chambellan, portez l’ordre à ce malotru de se mettre à genoux. Ce dernier se rend immédiatement auprès du paysan et constate que ce dernier est bien agenouillé… mais qu’il a une taille de géant.
On l’amène auprès de sa Majesté, et Claude ne se laisse pas impressionner, raconte qu’il ne peut pas vendre son vin faute de transport. Le roi demande d’en déguster, trouve le breuvage bien meilleur que celui de la Cour.
Le vin de Claude Brosse était lancé, tous les courtisans demandèrent d’en acheter. . Amusé par la situation, Louis XIV lui assure qu’à partir de ce jour, l’octroi serait levé et qu’il pourrait faire commerce de son vin à Bercy, sans taxes.
Chais Lheureux en 1996
Le premier entrepôt à vin de Bercy était né. Les magasins à vin commencèrent à s’établir pendant et peu après la Révolution de 1789.
On retrouve la commune de Bercy en 1790 lors de la création des municipalités par l’Assemblée Nationale. Et les premières guignettes aussi, en 1784 le Rocher de Cancale, les Marronniers, les Deux Perdrix….. Les Parisiens viennent s’y amuser. Fêtes, joutes, bals, feux d’artifices…. On  s’encanaille, on s’accoquine et on canote le long de la Seine. Négociants, clients, ouvriers, artistes, dandies se côtoient. Des gens de toutes conditions. On oublie le carcan bourgeois, on se donnait un autre air… Canotiers, marins d’opérette donnent naissance à un des symboles de la vie parisienne. Les artistes s’inspirent des lieux mais aussi des habitants du quartier…Daumier et ses caricatures, les peintres comme Renoir, les photographies d’Eugène Atget, Julien Duvivier en 1951 avec son « Sous le ciel de Paris coule la Seine », et tant d’autres…



Auguste Renoir -19ème siècle



 La consommation de vin à Paris augmente sérieusement dès le début du 19ème siècle, environ de un million d’hectolitres en 1800 à trois millions cinq cents cinquante mille en 1865. Des entrepôts plus grands devenaient indispensables pour un bon ravitaillement. Un décret du 30 mars 1808 stipule : «  « il sera formé dans notre bonne ville de Paris un marché et un entrepôt francs pour les vins et eaux-de-vie, dans les terrains situés sur le quai Saint-Bernard. Les vins et eaux-de-vie conduits à l'entrepôt conserveront la facilité d'être réexportés hors de la ville sans acquitter l'octroi. Cette exportation ne pourra avoir lieu que par la rivière, ou par les deux barrières de Bercy et de la Gare. Dans ce cas les transports devront suivre les quais et sortir en deux heures. Les vins destinés à l'approvisionnement de Paris n'acquitteront les droits d'octroi qu'au moment de la sortie de l'entrepôt. L'entrepôt sera disposé pour placer tant à couvert qu'à découvert jusqu'à 150 000 pièces de vin »
La halle aux vins Saint-Bernard de 1808 est devenue insuffisante. En juin 1859, la commune de Bercy indépendante est dissoute et partagée entre les villes de Paris et Charenton. Paris doit gérer une démographie galopante, l’industrialisation est mère de l’urbanisation. Bercy représente un de ces nouveaux espaces pour le ravitaillement de la capitale.
Le 1er janvier 1860 le village de Bercy avec vingt-trois autres communes est rattaché à Paris, ce qui va entraîner à terme l’annexion des entrepôts et le paiement des droits d’octroi sur les marchandises.
En 1869, on décide de bâtir de nouveaux entrepôts de l’autre côté de la Seine à Bercy sur 42 hectares. Les célèbres entrepôts de Bercy sont construits selon les plans de Viollet-Le-Duc de 1878 à 1885. Ils feront l’identité du quartier qui se structure autour d’eux. .

1908

Bercy devient le plus grand marché aux vins du monde installé sur près de 43 hectares. Une vie intense s’est développée. Un verre de Bercy à la main, on conclut des affaires. Cortèges de tonneaux, courtiers, commis, odeur de vin et de fûts. Le grincement et le tintamarre des charrettes, le mouvement perpétuel des voitures, des sabots des chevaux, les cris, les plaisanteries bruyantes et colorées… Jusqu’à 6000 personnes travaillaient aux entrepôts, des hommes en cotte et grand tablier de toile ou de cuir, les haquetiers vêtus de la blouse traditionnelle des travailleurs menant les attelages.
Albert Sabatier un contemporain nous raconte : « Ce n’était que négociants, commis allant et venant, munis de leurs instruments, outils, tasses d’argent, petite pince et forêt… » « vous voyez ces messieurs du commerce, assis dans un doux farniente, deviser gaiement enfumant des cigare, sous des tentes dressées vis-à-vis des entrepôts… ». A  la mi-octobre, les berges sont couvertes de piles de fûts, de magasins, de caves. « De lourds bateaux arrivent sans cesse, élevant à peine au-dessus de l’eau leur carcasse grossièrement chevillée venus dans la Seine les uns par la Loire et le canal de Briare, les autres par la Marne… »
La halle Saint-Bernard se spécialisera plutôt en vins fins et alcool. L’agrandissement de Bercy en 1910 permet en 1930 de gérer 70% du stockage et des sorties contre 30% pour la halle aux vins. Bercy avait aussi à sa disposition un organe de presse le Moniteur Vinicole qui se chargeait de la communication, des petites annonces….
Dans tout cela, que devient le château de Bercy ? Il passa la période de la Révolution sans trop de dommage, mais fut purement et simplement démantelé en 1861, son mobilier, vendu à l’encan, qui aurait parait-il, intéressé Napoléon III et son épouse !! « Tout ce qui pouvait rester encore de splendeurs passées, dont avec quelques pierres, il ne demeure que quelques arbres centenaires, disparut.. ». Déjà en 1842, dix hectares servent à la construction des fortifications de Thiers, la ligne de chemin de fer passe près du perron du château. En 1861, ce sont 92 hectares qui sont vendus à la ville de Paris pour agrandir le bois de Vincennes.
Le chemin de fer supplante petit à petit le transport fluvial. Des gares sont reliées entre elles par des liaisons de petite et grande ceintures. L’activité de Bercy continue vaille que vaille en particulier par le transport d’autres produits que le vin.


Bercy ne sera pas épargné par de nombreuses calamités, incendies, crues de la Seine comme celle de 1910 où les entrepôts sont submergés et des tonneaux se retrouvent dans les platanes.
Mais c’est l’invention de la mise en bouteille au château, c’est à dire sur place au plus près des vignes, qui va sonner la fin de Bercy dans les années 1960. La ville de Paris propriétaire des entrepôts pendant un temps loue les locaux à des entrepreneurs, courtiers, embouteilleurs, imprimeurs d’étiquettes… Bercy deviendra peu à peu délaissé, insalubre et peu fréquentable. Jusqu’aux années1980 où ce quartier sera profondément restructuré. En 1979, le Conseil municipal de Paris décide la construction d’un Palais Omnisports et d’un vélodrome sur huit hectares. C’est le début d’une longue série de démolitions. 14 hectares de jardins romantiques préservent et rappellent l’âme, l’atmosphère, le village de Bercy.

Aujourd’hui, les Pavillons de Bercy, anciennement Chais Lheureux, témoignent de l’architecture industrielle de la fin du 19ème siècle avec six bâtiments, 8200 m2 couverts, deux rues pavées et privatives, 17 platanes centenaires. Murs en pierre de meulière, ouvertures voûtées de briques, grandes structures métalliques intérieures signées. Lheureux avait été élève de Victor Baltard lui-même élève de Gustave Eiffel. Ces chais sont inscrits depuis 1986 à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. On peut donc leur espérer longue vie.


La Seine à Meudon', détail d'un tableau d'Alfred Bachmann, visible au Musée de Meudon)
Sources : www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy
--Historia déc 1985 n°468 Dossier Vignes et Vins – Jacques Champeix et Lionnel Mouraux « Bercy » édit LM 1989 – arts-forains.com/notre-histoire/histoire-de-bercy—Jacques Hillairet Bernard COLOMB, « Paris : le port de Bercy », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24 janvier 2019. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy--www.delabelleepoqueauxanneesfolles.com/Lesguinguettes.htm
-https://www.histoire-image.org/fr/etudes/representer-guinguettes