samedi 4 septembre 2021

Bercy



Bercy, autrefois le Cellier du Monde


Bercy évoque maintenant les impôts, une technocratie sans âme, des fonctionnaires hors-sol… Mais fut un temps où les rues de ce qui était encore un village s’appelaient rue Saint Estève, rue du Minervois, rue de Château Lafitte, cour Saint Emilion, les rues de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne, de Languedoc et de Touraine, ainsi appelées du nom des principaux vignobles de France.…. C’était le temps où la majeure partie des vins et alcools destinés à la consommation parisienne était amenée par voie d’eau. La Seine servait de moyen de communication en particulier avec la Bourgogne. Le bois de chauffage du Morvan venait aussi par ce moyen. Et cela depuis le Moyen Age.(Henri Rivière 1854-1961—Chevaux de Haquet port de Bercy –photo Run Grand Paris- www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy)
Pour échapper à l’octroi de Paris (péage et taxes), les barriques étaient déchargées avant les barrières de la ville. D’abord au port de la Rapée, puis à partir du 18ème siècle, aux rives dans le village de Bercy.

Le site est occupé depuis très longtemps. En 1991 lors de travaux d’aménagement du quartier, des pirogues, de nombreux objets de la vie quotidienne sont trouvés dont un arc en bois d’if vieux de 6500 ans. Il s’agit des plus anciennes traces d’habitat trouvées en région parisienne. Les musées dont le Carnavalet en ont hérité. Il semble que Gaulois et Romains aient dédaigné le lieu, trop marécageux. Mais la légende raconte que le nom de Bercy remonterait à la fondation d’un petit village par une population venant de l’île de Belsinaca située dans l’estuaire de la Seine vers 850. Ils auraient fui les Normands en s’établissant près des Parisiis aux abords de Paris. Bercy ou Percy apparait officiellement au 12ième siècle dans une donation du roi Louis VI le Gros aux moines de l’abbaye de Montmartre : « Insula Berciliis ». La seigneurie de Bercy appartient vers 1415 à la famille des Montmorency.
La Fronde de 1649 à 1652  n’épargne pas l’Hôtel de Bercy.
Au 17ème siècle, le nouveau propriétaire fait construire un château d’une grande splendeur à la place de la forteresse. Charles Henry de Malon, seigneur de Bercy, petit-neveu de Colbert fait appel à l’architecte Le Vau pour la construction et à Le Nôtre pour dessiner ses jardins qui descendaient jusqu’à la Seine. Ses boiseries présentaient « les modèles les plus variés, les plus exquis, les plus grandioses de l’art français de la sculpture ornementale du bois »… Charles Henry a semble-t-il inspiré Molière pour son Harpagon de L’Avare. Une chanson le brocarde : » Que le Bercy dans l’or fondu satisfasse son avarice, et que, malgré l’horreur de son supplice, il meurt après l’avoir rendu ».


Là commence la légende. Un jour de 1660 (date improbable étant donné la date de naissance de Claude) ou plutôt en 1704, un vigneron du Mâconnais, de Charnay-Lès-Mâcon, Claude Brosse (né en 1656) décide d’aller jusqu’à la capitale pour vendre son vin. Sa charrette tirée par deux bœufs met 33 jours pour faire le trajet. Louis XIV assiste à la messe à Bercy (ou à Versailles selon les auteurs). Et crime de lèse-majesté un homme ne s’est pas agenouillé. En fait notre vigneron avec ses presque deux mètres était bien à genoux.
-Un de mes sujets se permet de rester debout durant le Saint Office… Chambellan, portez l’ordre à ce malotru de se mettre à genoux. Ce dernier se rend immédiatement auprès du paysan et constate que ce dernier est bien agenouillé… mais qu’il a une taille de géant.
On l’amène auprès de sa Majesté, et Claude ne se laisse pas impressionner, raconte qu’il ne peut pas vendre son vin faute de transport. Le roi demande d’en déguster, trouve le breuvage bien meilleur que celui de la Cour.
Le vin de Claude Brosse était lancé, tous les courtisans demandèrent d’en acheter. . Amusé par la situation, Louis XIV lui assure qu’à partir de ce jour, l’octroi serait levé et qu’il pourrait faire commerce de son vin à Bercy, sans taxes.
Chais Lheureux en 1996
Le premier entrepôt à vin de Bercy était né. Les magasins à vin commencèrent à s’établir pendant et peu après la Révolution de 1789.
On retrouve la commune de Bercy en 1790 lors de la création des municipalités par l’Assemblée Nationale. Et les premières guignettes aussi, en 1784 le Rocher de Cancale, les Marronniers, les Deux Perdrix….. Les Parisiens viennent s’y amuser. Fêtes, joutes, bals, feux d’artifices…. On  s’encanaille, on s’accoquine et on canote le long de la Seine. Négociants, clients, ouvriers, artistes, dandies se côtoient. Des gens de toutes conditions. On oublie le carcan bourgeois, on se donnait un autre air… Canotiers, marins d’opérette donnent naissance à un des symboles de la vie parisienne. Les artistes s’inspirent des lieux mais aussi des habitants du quartier…Daumier et ses caricatures, les peintres comme Renoir, les photographies d’Eugène Atget, Julien Duvivier en 1951 avec son « Sous le ciel de Paris coule la Seine », et tant d’autres…



Auguste Renoir -19ème siècle



 La consommation de vin à Paris augmente sérieusement dès le début du 19ème siècle, environ de un million d’hectolitres en 1800 à trois millions cinq cents cinquante mille en 1865. Des entrepôts plus grands devenaient indispensables pour un bon ravitaillement. Un décret du 30 mars 1808 stipule : «  « il sera formé dans notre bonne ville de Paris un marché et un entrepôt francs pour les vins et eaux-de-vie, dans les terrains situés sur le quai Saint-Bernard. Les vins et eaux-de-vie conduits à l'entrepôt conserveront la facilité d'être réexportés hors de la ville sans acquitter l'octroi. Cette exportation ne pourra avoir lieu que par la rivière, ou par les deux barrières de Bercy et de la Gare. Dans ce cas les transports devront suivre les quais et sortir en deux heures. Les vins destinés à l'approvisionnement de Paris n'acquitteront les droits d'octroi qu'au moment de la sortie de l'entrepôt. L'entrepôt sera disposé pour placer tant à couvert qu'à découvert jusqu'à 150 000 pièces de vin »
La halle aux vins Saint-Bernard de 1808 est devenue insuffisante. En juin 1859, la commune de Bercy indépendante est dissoute et partagée entre les villes de Paris et Charenton. Paris doit gérer une démographie galopante, l’industrialisation est mère de l’urbanisation. Bercy représente un de ces nouveaux espaces pour le ravitaillement de la capitale.
Le 1er janvier 1860 le village de Bercy avec vingt-trois autres communes est rattaché à Paris, ce qui va entraîner à terme l’annexion des entrepôts et le paiement des droits d’octroi sur les marchandises.
En 1869, on décide de bâtir de nouveaux entrepôts de l’autre côté de la Seine à Bercy sur 42 hectares. Les célèbres entrepôts de Bercy sont construits selon les plans de Viollet-Le-Duc de 1878 à 1885. Ils feront l’identité du quartier qui se structure autour d’eux. .

1908

Bercy devient le plus grand marché aux vins du monde installé sur près de 43 hectares. Une vie intense s’est développée. Un verre de Bercy à la main, on conclut des affaires. Cortèges de tonneaux, courtiers, commis, odeur de vin et de fûts. Le grincement et le tintamarre des charrettes, le mouvement perpétuel des voitures, des sabots des chevaux, les cris, les plaisanteries bruyantes et colorées… Jusqu’à 6000 personnes travaillaient aux entrepôts, des hommes en cotte et grand tablier de toile ou de cuir, les haquetiers vêtus de la blouse traditionnelle des travailleurs menant les attelages.
Albert Sabatier un contemporain nous raconte : « Ce n’était que négociants, commis allant et venant, munis de leurs instruments, outils, tasses d’argent, petite pince et forêt… » « vous voyez ces messieurs du commerce, assis dans un doux farniente, deviser gaiement enfumant des cigare, sous des tentes dressées vis-à-vis des entrepôts… ». A  la mi-octobre, les berges sont couvertes de piles de fûts, de magasins, de caves. « De lourds bateaux arrivent sans cesse, élevant à peine au-dessus de l’eau leur carcasse grossièrement chevillée venus dans la Seine les uns par la Loire et le canal de Briare, les autres par la Marne… »
La halle Saint-Bernard se spécialisera plutôt en vins fins et alcool. L’agrandissement de Bercy en 1910 permet en 1930 de gérer 70% du stockage et des sorties contre 30% pour la halle aux vins. Bercy avait aussi à sa disposition un organe de presse le Moniteur Vinicole qui se chargeait de la communication, des petites annonces….
Dans tout cela, que devient le château de Bercy ? Il passa la période de la Révolution sans trop de dommage, mais fut purement et simplement démantelé en 1861, son mobilier, vendu à l’encan, qui aurait parait-il, intéressé Napoléon III et son épouse !! « Tout ce qui pouvait rester encore de splendeurs passées, dont avec quelques pierres, il ne demeure que quelques arbres centenaires, disparut.. ». Déjà en 1842, dix hectares servent à la construction des fortifications de Thiers, la ligne de chemin de fer passe près du perron du château. En 1861, ce sont 92 hectares qui sont vendus à la ville de Paris pour agrandir le bois de Vincennes.
Le chemin de fer supplante petit à petit le transport fluvial. Des gares sont reliées entre elles par des liaisons de petite et grande ceintures. L’activité de Bercy continue vaille que vaille en particulier par le transport d’autres produits que le vin.


Bercy ne sera pas épargné par de nombreuses calamités, incendies, crues de la Seine comme celle de 1910 où les entrepôts sont submergés et des tonneaux se retrouvent dans les platanes.
Mais c’est l’invention de la mise en bouteille au château, c’est à dire sur place au plus près des vignes, qui va sonner la fin de Bercy dans les années 1960. La ville de Paris propriétaire des entrepôts pendant un temps loue les locaux à des entrepreneurs, courtiers, embouteilleurs, imprimeurs d’étiquettes… Bercy deviendra peu à peu délaissé, insalubre et peu fréquentable. Jusqu’aux années1980 où ce quartier sera profondément restructuré. En 1979, le Conseil municipal de Paris décide la construction d’un Palais Omnisports et d’un vélodrome sur huit hectares. C’est le début d’une longue série de démolitions. 14 hectares de jardins romantiques préservent et rappellent l’âme, l’atmosphère, le village de Bercy.

Aujourd’hui, les Pavillons de Bercy, anciennement Chais Lheureux, témoignent de l’architecture industrielle de la fin du 19ème siècle avec six bâtiments, 8200 m2 couverts, deux rues pavées et privatives, 17 platanes centenaires. Murs en pierre de meulière, ouvertures voûtées de briques, grandes structures métalliques intérieures signées. Lheureux avait été élève de Victor Baltard lui-même élève de Gustave Eiffel. Ces chais sont inscrits depuis 1986 à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. On peut donc leur espérer longue vie.


La Seine à Meudon', détail d'un tableau d'Alfred Bachmann, visible au Musée de Meudon)
Sources : www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy
--Historia déc 1985 n°468 Dossier Vignes et Vins – Jacques Champeix et Lionnel Mouraux « Bercy » édit LM 1989 – arts-forains.com/notre-histoire/histoire-de-bercy—Jacques Hillairet Bernard COLOMB, « Paris : le port de Bercy », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24 janvier 2019. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/paris-port-bercy--www.delabelleepoqueauxanneesfolles.com/Lesguinguettes.htm
-https://www.histoire-image.org/fr/etudes/representer-guinguettes






 








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